Demain Sera Bleu

Lisa répondit par un gros éclat de rire.
- Je ne dois pas encore être prête, parce que si je l’ai rencontré, je n’ai pas su le
reconnaître. Et puis tu sais la priorité pour moi maintenant, c’est vraiment de
trouver un travail stable avant de pouvoir construire quelque chose de concret.
Elle avait pris une voix pincée en faisant une mimique qui démentait le sérieux de son
ton. Son imitation de Josie n’avait pas été parfaite mais suffisante pour que Dany la
reconnaisse et pouffe de rire avec elle. Elle avait d’ailleurs répondu sur le même ton :
- Tu as raison, l’important, c’est de te trouver un bon travail pour gagner ta vie
et entretenir ton père et ta grande sœur, ainsi que ta nièce préférée.
- Dis-moi, répondit Lisa qui avait soudain repris son sérieux, pourquoi lui a-telle
fait ça ?
Elle revoyait encore l’expression abattue de son père qui lui avait fait si mal quand
elle était rentrée dans le salon tout à l’heure.
- Je ne sais pas Lizzy –elle s’était mise spontanément à utiliser le surnom
qu’elle employait à l’époque du divorce de leurs parents- peut-être un autre
homme, peut-être plus fortuné, mais quoi qu’il en soit aujourd’hui elle n’est
plus là et papa en souffre. C’est à nous de l’aider à passer le cap et ton retour
est la meilleure des thérapies pour adoucir son chagrin.
Elle avait spontanément caressé la joue de sa sœur et son beau regard était empreint
d’un amour presque maternel que Lisa sut déchiffrer et reçut avec reconnaissance.
C’était la première fois que Lisa revenait au Nautilus. Elle fut de nouveau sensible à
l’atmosphère douillette du café. Malgré de nombreux clients l’endroit spacieux ne
semblait pas enfumé et une agréable musique un peu rétro était distillée dans les
différentes salles depuis un magnifique juke-box, que le patron avait acquis
d’occasion quelques années plus tôt et qu’il avait complètement restauré. Les chromes
étaient rutilants et semblaient briller de mille feux malgré l’éclairage tamisé de
l’endroit. Lisa était restée près du bar afin de pouvoir parler avec sa sœur. Elle avait
retrouvé Stéphanie, dite Steffi, qui travaillait tous les soirs dans le bar. Dany elle se
contentait de compléter son mi-temps de secrétaire par une permanence les soirs de
fin de semaine. Curieusement, et bien qu’elle ne soit présente que trois jours par
semaine, c’est Dany qui avait toute la confiance du patron, Monsieur Pierre, et qui
avait la charge de l’endroit quand elle était présente. Monsieur Pierre, qui avait
maintenant passé la soixantaine, profitait de sa présence responsable et compétente
pour rester avec son épouse.
Il est vrai que Steffi était une collègue très souriante et agréable mais qui ne semblait
pas avoir mûri sur tous les plans de façon égale. Et si elle était à l’écoute des clients et
fournissait un service agréable, souriant aux allusions plus ou moins masquées de
certains clients encouragés par l’alcool et par ses sourires, il semblait moins évident
que le développement de son sens de la responsabilité ait suivi la même courbe que
celle de sa libido. C’est pourquoi, en l’absence de Monsieur Pierre, Dany assurait ellemême
la fermeture. Les habitués du Nautilus la respectaient pour son sérieux et son
efficacité, et bien qu’elle fût toujours aimable avec la clientèle, pas un ne se permettait
de privauté ou de remarque allusive en sa présence, sauf peut-être Paulo qui marquait
à sa façon son amitié à ce joli brin de fille. Elle avait malgré sa simplicité une classe
naturelle qui, renforcée par un voile nostalgique permanent dans le regard, dissuadait
de toute plaisanterie déplacée. Lisa avait pu constater tout ceci en une seule soirée et
elle éprouvait une fierté débordante pour sa sœur. En même temps, l’absence d’un
homme dans sa vie semblait être toujours d’actualité et Lisa regrettait ce gâchis d’une
vie si riche d’amour sans personne d’autre que sa fille avec qui le partager. Elle avait
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