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de montaigne

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&t ESSAIS DE MICHEL DE MONTAIGNE.'<br />

fçaurions faire auec fi peu <strong>de</strong> douleur; pourquoy nedifons-nous <strong>de</strong>mefmes^<br />

quec'eftfcienccôe pru<strong>de</strong>nce? Car d'alléguer, pour les déprimer, que c'eft par<br />

la feule inftruction ôe maiftrife <strong>de</strong> nature, qu'elleslefçauent, ce n'eft pas leur<br />

ofter le tiltte<strong>de</strong>fcienceôe <strong>de</strong> pru<strong>de</strong>nce: c'eft la leur attribuer à plus forte raifon<br />

qu'à nous, pour l'honneur d'vne fi certaine maiftreiTe d'efcole. Chryfippus,bien<br />

qu'en toutes autres .chofes autant <strong>de</strong>fdaigneux iuge <strong>de</strong> la condition<br />

<strong>de</strong>s animaux, que nul autre Philofophe > conh<strong>de</strong>rant les mouuements<br />

du chien, quife rencontrant en vn carrefour à trois chemins, ou à la quefte<br />

<strong>de</strong> fon maiftre qu'il a efgaré,ouàla pourfuitte <strong>de</strong> quelque proye qui fuit dcuant<br />

luy, va eflayant vn chemin après l'autre, ôe après s'eltrîp&ueuré <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux,<br />

& n'y auoir trouue la trace <strong>de</strong> ce qu'il cherche, s'eflancelûffis le troif îefme<br />

fans marchan<strong>de</strong>r; il eft contraint <strong>de</strong> confefler-, qu'en cechien là, vn tel difcours<br />

fe palTe: I'ay fuiuy iufques à ce carre-four mon maiftre à la trace, il faut<br />

neceffairement qu'il paffe par l'vn <strong>de</strong> ces trois chemins: & n'eft parte ny par<br />

cettuy-cy,ny par celuy-là, il faut donc infailliblement qu'il paffe par cet autre:<br />

Et que s'aîfeurant par cette conclufion & difcours, il ne fefcttplus <strong>de</strong> fon<br />

^ fentiment autroifiefmechemin,nynele fon<strong>de</strong> plus, ains s'y laifle emporter<br />

parla force <strong>de</strong> la raifon. Ce traici; purement dialecticien, ôe cet vfage <strong>de</strong><br />

propofitionsdiuifees ôe conioinctes, ôe <strong>de</strong> la fuffifante enumeration <strong>de</strong>s parties,<br />

vaut-il pas autant que le chien le fçachc <strong>de</strong> foy que <strong>de</strong> Trapezonce? Si<br />

ne font pas les beftes incapables d'eftre encore inftruites à noftre mo<strong>de</strong>. Les<br />

merles, les corbeaux, les pies, les pcrroquctSj nous leur apprenons à parler: èc<br />

cette facilité, que nous recognoiffons à nous fournir leur voix èc haleine fi<br />

fouple èc fi maniable., pour la former èc l'aftreindre à certain nombre <strong>de</strong> lettres<br />

ôe<strong>de</strong>fyllabes; tefmoignc qu'ils ontvn difcours au <strong>de</strong>dans, qui les rend<br />

ainfi difciplinables & volontaires à apprendre. Chacun eft fàoul,ce croy-ie,<br />

<strong>de</strong>voir tant <strong>de</strong> fortes <strong>de</strong> cingeries que les batteleurs apprennent à leurs<br />

chiens: les dances, où ils ne taillent vne feule ca<strong>de</strong>nce du fon qu'ils oyent,<br />

plufieurs diuers mouuemens 5c fauts qu'ils leur font faire parle comman<strong>de</strong>ment<br />

<strong>de</strong> leurparolle: mais ie remarque auec plus d'admiration cet efïect,<br />

qui eft toutesfois affez vulgaire, <strong>de</strong>s chiens <strong>de</strong>quoy fe feruent les aueugles,<br />

èç aux champs Se aux villes: icme fuis pris gar<strong>de</strong> comme ils s'arreftent à certaines<br />

portes, d'où ils ontaccouftumé<strong>de</strong> tirer l'aumofne, comme ilseuitent<br />

le choc <strong>de</strong>s coches & <strong>de</strong>s charrettes, lors mefme que pour leur regard, ils ont<br />

affez déplace pour leur partage: i'en ay veu le long d'vn forte <strong>de</strong> ville, laiffer<br />

vnfentier plain & vni, èc en prendre vn pire, pour cfloigner fon maiftre du<br />

fofTé. Comment pouuoit-on auoir faict conecuoir à ce chien, que c'eftoit fa<br />

charge <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r feulement à la feureté <strong>de</strong> fon maiftre, èc mefprifer fes<br />

propres commodicez pout le feruir? Se comment aùoit-il la cognoiffance<br />

que tel chemin luy eftoit bien affez large, qui ne le feroit pas pourvn aueugle?Tout<br />

celafe peut-il comprendre fans ratiocination? 11 ne faut pas oublier<br />

ce que Plutarque dit auoir veu à Rome d'vn chien, auec l'Empereur<br />

Vefpafianle pere au Théâtre <strong>de</strong> Marcellus. Ce chien feruoit à vn batteleur<br />

qui iouoitvne fiâtion à plufieurs mines ôe à plufieurs perfonnages, ôc y auoit<br />

fon

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