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entretien avec Koffi-Yao - Saint-Louis

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Exposition Paris, Abidjan, <strong>Saint</strong>-<strong>Louis</strong><br />

Forum de l’Hôtel de ville – <strong>Saint</strong>-<strong>Louis</strong> – 28 mai au 30 juin 2013<br />

Entretien entre <strong>Koffi</strong>-<strong>Yao</strong> et Stéphane Valdenaire, mai 2013<br />

Vos œuvres ont déjà été exposées au Forum, en 2009. Nous avions alors montré des<br />

vidéos, installations sculpturales, peintures sur bâche et sur bois, mais aucune<br />

photographie. Pourquoi ce choix de la photographie pour cette nouvelle exposition ?<br />

Il s’agissait d’une volonté d’expérimentation. J’avais au cours de mes études été formé aux<br />

techniques photographiques, mais je ne l’avais pas encore pratiquée et expérimentée dans<br />

le cadre d’une démarche artistique personnelle. J’avais donc envie de faire enfanter cette<br />

connaissance technique, et quand j’admirais les photographies des autres, je me<br />

demandais : « à quand les tiennes ? ». Je désirais questionner mon propre regard à travers la<br />

photographie.<br />

Qu’est ce qui a déterminé ce changement ?<br />

Auparavant, j’en ai été empêché par des questions de temps, mais aussi d’opportunité.<br />

Enfin, le thème que j’ai choisi de travailler a entraîné ce choix de la photographie. J’avais<br />

envie de mettre en valeur ces lieux que j’ai si souvent visités. Ce sont vraiment des lieux de<br />

vie pour moi, qu’il s’agisse de Paris, de <strong>Saint</strong>-<strong>Louis</strong> ou d’Abidjan. Je souhaitais transmettre<br />

une mémoire de ces lieux, mais en même temps en conserver, pour moi, des souvenirs.<br />

Les photographies sont en trois dimensions. Quels sont les enjeux de ce procédé ?<br />

La troisième dimension permet de se rapprocher du réel, des sensations physiques<br />

éprouvées sur les lieux mêmes. C’est aussi un peu mon album photo, car la photographie me<br />

permet de combler un manque, de me rapprocher physiquement du lieu, mais aussi de faire<br />

ressentir cela aux autres, aux visiteurs de l’exposition. Cette technique s’appuie sur une<br />

sorte de fascination, et j’ai voulu tirer parti de ce pouvoir.<br />

Quelle est votre approche de l’image dans la perspective d’un rendu en trois<br />

dimensions ?<br />

Il s’agit presque de sculpter la photographie. Il faut trouver des angles, des cadrages qui<br />

mettent en valeur l’éloignement des objets, trouver des angles aigus et des éléments<br />

saillants. J’ai beaucoup utilisé les contre-plongées et les objets-repoussoirs au premier plan.<br />

D’une certaine manière, la troisième dimension vient renforcer cela, mais sur certaines<br />

photographies, l’effet de volume est déjà présent virtuellement par la position relative des<br />

éléments.<br />

On pense à la Tour Eiffel ou à la passerelle de Huningue, <strong>avec</strong> leurs cadrages très<br />

tranchés<br />

Je ne voulais pas montrer la Tour dans son unicité, mais en faire ressortir les détails, la<br />

construction, qui sont très importants. Mon but était aussi de montrer ce qu’on ne voit pas<br />

d’habitude. Dans l’un des cadrages de la Tour Eiffel, le monument ressemble presque à un<br />

masque dogon, <strong>avec</strong> deux grandes ouvertures de part et d’autre pour les yeux et la pile qui<br />

figure le nez.<br />

J’ai complété ce travail de l’image par des découpes sur certains tirages, pour créer un effet<br />

spatial supplémentaire.


Comment s’est fait le choix des lieux ?<br />

Ce choix s’est porté à ce que j’ai appelé des lieux de vie (Université d’Abidjan, Musée du<br />

Louvre, environs de l’école des Beaux-Arts de Paris, lieux emblématiques de la région de<br />

<strong>Saint</strong>-<strong>Louis</strong>) . Des lieux où je suis souvent revenu. Certains relèvent du « coup de cœur », soit<br />

qu’il s’agisse d’un endroit connu, soit que j’aie eu l’envie d’attirer l’attention sur un lieu où<br />

l’on passe sans regarder et sans s’attarder. Par exemple cet escalier dans le RER, qui semble<br />

interminable, et que l’on trouve souvent « glauque ».<br />

Dans les clichés parisiens, j’ai remarqué la présence d’une affiche de film, ce qui tranche<br />

<strong>avec</strong> le côté anonyme et sans inscriptions du reste des images.<br />

La présence d’une affiche de cinéma permet de resituer la photographie dans un moment<br />

donné. Mais j’ai toujours été très intéressé par les kiosques. Leur architecture est<br />

parfaitement fonctionnelle, et je voulais les montrer d’un œil nouveau. De manière<br />

générale, j’associe beaucoup l’image de Paris à celle de son mobilier urbain : les réverbères,<br />

les entrées de métro signées Hector Guimard. Cet ensemble donne à la ville une identité<br />

unique.<br />

Paris est aussi la ville de la culture et d’un certain mode de vivre dans ces photos.<br />

Les monuments sont très présents, et je connaissais certains lieux avant même de venir sur<br />

place. La place de Furstenberg par exemple. Les œuvres d’art sont présentes, qu’il s’agisse<br />

de l’architecture du Louvre, des sculptures des Tuileries <strong>avec</strong> leur nudité. Quant aux autres<br />

lieux parisiens, j’y ai travaillé, comme dans les ateliers de l’école des Beaux-arts, dont<br />

certains n’ont pas changé depuis. Pour ces clichés, je n’ai pas demandé de pose, ce sont<br />

quasiment des photos volées. A travers elles, le voyage géographique se transforme aussi<br />

en voyage entre passé et présent. Mais les photos de cafés sont aussi là pour rappeler la<br />

présence de ces lieux un peu mythiques de <strong>Saint</strong>-Germain-des-Prés, où je ne suis jamais<br />

entré, mais qui pour moi sont aussi très parisiens.<br />

Qu’en est-il de la présence humaine ?<br />

Elle est très réduite, car elle tendait à contrecarrer l’effet de tridimensionnalité. La foule est<br />

toujours en mouvement, et le mouvement empêche de ressentir cette fixité qui est la<br />

condition de l’effet 3D. J’ai donc cadré les photographies pour éliminer la présence humaine<br />

et celle de la circulation, à quelques exceptions près. Et je me suis efforcé de photographier<br />

certains lieux le dimanche, quand l’activité y est réduite.<br />

Le côté intime de l’exposition nécessitait-il aussi cette solitude ?<br />

Oui. Mais la présence humaine est évoquée indirectement par les statues. Avec ces<br />

sculptures des Tuileries, j’ai pensé au peintre Giorgio De Chirico, à la manière dont il faisait<br />

allusion à l’homme en montrant des mannequins, des statues, des monuments. Certaines<br />

photographies prennent ainsi un tour « métaphysique », comme la peinture de De Chirico.<br />

A l’opposé de Paris, les lieux choisis pour refléter Abidjan et <strong>Saint</strong>-<strong>Louis</strong> ne sont pas<br />

patrimoniaux.<br />

Concernant Abidjan, le choix est très politique. La plupart des photos montrent des lieux qui<br />

pour la plupart ont évolué depuis la prise de vue, comme cette place sur le campus de<br />

l’Université d’Abidjan, <strong>avec</strong> sa statue de masque très emblématique des vicissitudes du


pouvoir et de l’opinion. On voit aussi le chantier béant du musée des arts modernes, laissé<br />

en friche depuis que le porteur du projet a connu la déchéance. A l’arrière-plan, on peut voir<br />

le palais présidentiel et le palais du premier ministre.<br />

L’architecture d’Abidjan est très surprenante dans le choix que vous avez fait.<br />

Elle est à la fois datée (années 60-70) et occidentale. Elle est la marque de l’influence<br />

coloniale française. La place de la Sorbonne à Abidjan, a été conçue sur le modèle de<br />

Central Park : des gratte-ciel entourant un parc. En même temps, ces immeubles sont<br />

appelés à disparaître ou à évoluer. Il sera intéressant de confronter cette architecture <strong>avec</strong><br />

celle de la case, que j’ai photographiée dans mon village natal. Les photos donnent la<br />

mesure d’un pays à l’arrêt depuis le début des années 90.<br />

Et pour <strong>Saint</strong>-<strong>Louis</strong> ?<br />

Le bâtiment du Café littéraire me semblait s‘imposer. Malgré son remodelage moderne,<br />

c’est le témoin de l’architecture traditionnelle, à colombages, dans un ensemble moderne.<br />

Ce lieu est né quasiment au moment où je suis arrivé dans la région. Quant à l’arrière de la<br />

salle des Portes, du théâtre la Coupole, c’est un endroit où je suis souvent passé avant de<br />

savoir ce que représentait un tel ensemble dans cette ville. Mon regard a donc changé <strong>avec</strong><br />

le temps. J’étais aussi intéressé par l’architecture, et cette confrontation du verre et de<br />

l’acier corten, <strong>avec</strong> son apparence rouillée. Le cadrage de la photo, d’ailleurs, accentue les<br />

angles du bâtiment. Dans l’imaginaire des Ivoiriens, <strong>Saint</strong>-<strong>Louis</strong> est liée à <strong>Louis</strong> XIV, et l’on<br />

<strong>entretien</strong>t la confusion entre les deux rois. C’est une ville au nom si répandu qu’on ne pense<br />

presque jamais au <strong>Saint</strong>-<strong>Louis</strong> alsacien.<br />

Enfin, la passerelle de Huningue est également un lieu emblématique, et un pont que j’ai<br />

très souvent emprunté. Ma photographie s’intéresse à son architecture, mais aussi à sa<br />

valeur symbolique. Etant moi-même devenu, par mon parcours, un pont entre les pays et<br />

les continents, je vois sa présence comme le résultat d’un choix politique.<br />

Peut-on caractériser chaque série ?<br />

Les photographies européennes insistent sur l’aspect patrimonial, sur la permanence, mais<br />

aussi sur les déplacements (rues, ponts, etc.). Quant aux photographies africaines, elles sont<br />

le reflet d’une plus grande instabilité. La photo du monument sur le campus de l’Université<br />

d’Abidjan n’est déjà plus d’actualité. Je l’ai prise alors que le déménagement des professeurs<br />

avant le réaménagement avait déjà commencé. La plupart des éléments photographiés ont<br />

changé depuis la prise de vue, ou vont changer à plus ou moins brève échéance. Ce sont<br />

déjà, en quelque sorte, des photos d’archives.<br />

Peut-on dire que ces photographies, tout en reflétant un parcours individuel, visent à<br />

susciter une identification chez les visiteurs, si différents soient-ils ?<br />

Ce sont des traces de moments dans une vie, mais les photographies ont une portée plus<br />

large. Elles témoignent de changements, de différences, de structures culturelles variées.<br />

J’ai la ferme intention de montrer ces photographies en Côte d’Ivoire, où de nombreux<br />

jeunes veulent émigrer vers l’Europe. Ces candidats à l’émigration regardent les cartes<br />

postales en se projetant dans l’avenir. Je voudrais donc leur faire partager des impressions<br />

fortes au moyen de ces prises de vue, et <strong>avec</strong> l’effet tridimensionnel.

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