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dimanche 2 décembre

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■iiiiiuiii LE 2 DÉCEMBRE 1923 ■uiiiiiiiiimiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiimiiiiiiiiiiiitiiiiiiitiiiiiiitiiiiiiiiiiiiiiiiiii 7 ■iiiiiiiiiimifiiiitiniiîiitMiift^iiiiiiiii'^uKWBtiiniiiiiiiiiiiiiiitiiiiiiiiiiitiiiiiiiiiiiiii F1XCELSI DR- DIMANCHE ■■■■■>um<br />

Mais nous avions bondi. Crespel, démasquant sa lanterne, courait devant, et, dans cette projection lumineuse, je vis le tueur d'autruches, un Malgache tout nu, avec un long couteau dans la main droite.<br />

d'or irradiait le ciel livide, Crespel, redevenu<br />

joyeux, étendit les bras en chantant à tue-tête :<br />

oleil et erpace<br />

Mais sa gaieté se figea brusquement quand<br />

Ikoto nous apparut, pris de peur et larmoyant,<br />

sur le seuil de notre case. Il criait lamentablement<br />

:<br />

— Vahrj afero aho ! (Je suis déshonoré !)<br />

■— Que s'est-il passé ? dis-je, saisi d'un<br />

pressentiment.<br />

— Efa namono dimy matadiry akoho ny olomelok.a<br />

I (Les assassins ont tué cinq grosses<br />

poules !)<br />

Ikoto n'avait jamais pu voir, en effet, dans<br />

l'autruche qu'une grosse poule, mais je ne<br />

songeais pas à rire de son langage aujourd'hui...<br />

Crespel, absolument fou de rage, avait bondi<br />

dans le parc. Je le rejoignis sous le hangar,<br />

où les corps de cinq oiseaux gisaient sur le sol,<br />

le ventre ouvert et les entrailles arrachées...<br />

J'ai eu des émotions diverses dans ma vie,<br />

mais jamais, je l'avoue, une pareille stupéfaction<br />

ne m'envahit. Une tuerie aussi incompréhensible,<br />

aussi injustifiée, dépassait la raison.<br />

C'était presque de la peur que j'éprouvais.<br />

Crespel, plus pratique, était retourné près<br />

de l'indigène et le harcelait de questions. Ikoto,<br />

redoutant notre colère, tremblait et s'embrouillait<br />

dans ses explications. A la fin, pourtant,<br />

nous réussîmes à comprendre ceci :<br />

Au milieu de la nuit, il avait été réveillé par<br />

un bruit inaccoutumé dans le parc. C'était<br />

une'autruche, la survivante, qui courait, affolée,<br />

cherchant à fuir. Le Hova sortit bravement,<br />

son fusil à la main. Il crut bien apercevoir<br />

le lamba blanc d'un homme qui escaladait<br />

la palissade au bout du parc, mais il<br />

était déjà trop tard. Le temps de traverser<br />

l'enceinte en courant, le ou les malfaiteurs<br />

avaient disparu. Cinq de nos bêtes restaient<br />

sur le carreau et la sixième ne devait certainement<br />

son salut qu'à l'intervention-d'Ikoto.<br />

Inutile d'ajouter, n'est-ce pas ? que nos<br />

oiseaux portaient les mêmes blessures que<br />

ceux de notre voisin. La même bande de sacripants<br />

avait accompli les deux méfaits.<br />

Tandis que je rassurais Ikoto; lequel se<br />

croyait déjà soupçonné de complicité, Crespel,<br />

qui observait attentivement la palissade du<br />

parc, m'appela tout à coup. Il venait de faire<br />

une découverte importante.<br />

L'un des misérables, en se sauvant, avait<br />

laissé sur une planche de la clôture l'empreinte<br />

de sa main, une empreinte sanglante.<br />

— Regarde, disait mon ami, cette canaille-là<br />

avait les mains rouges du sang de nos bêtes<br />

après les avoir vidées, et il a signé son forfait<br />

là, sur cette planche. Ah ! si nous avions un<br />

service anthropométrique à Tulléar !<br />

— Eh I mais, remarquai-je, c'est un indice<br />

de valeur qu'il nous a laissé, ce tueur d'autruches.<br />

Vois donc, c'est bien l'empreinte<br />

d'une main gauche, tout y est... sauf l'auriculaire...<br />

Crespel se pencha sur la tache rouge. .<br />

— Diable ! tu as raison. Notre homme d'à<br />

que quatre doigts.<br />

Ikoto, qui regardait aussi, me parut éprouver<br />

une certaine inciuiétude.<br />

— As-tu une idée ? lui demandai-je.<br />

— C'est peut-être un lépreux...<br />

-— Oui, fit Crespel, on en trouverait facilement<br />

dans le pays auxquels il manque un<br />

doigt, mais les lépreux n'escaladent pas avec<br />

autant d'agilité une barrière de deux mètres.<br />

J'étais désolé. Outre la grosse perte que<br />

nous faisait subir ce massacre imbécile, cela<br />

retardait considérablement le résultat de nos<br />

efforts.<br />

Mon associé, absolument hors de lui, jurait<br />

de ne pas prendre désormais une minute de<br />

repos avant d'avoir découvert et empalé les<br />

coupables.<br />

— Va donc voir Badoual, lui dis-je, il te<br />

conseillera utilement.<br />

Le caporal Badoual, surveillant du parc<br />

d'essai de Tulléar, était un petit Parisien de<br />

faubourg, spirituel et débrouillard, qui, après<br />

cinq ans de service dans l'infanterie coloniale,<br />

avait su se faufiler à ce poste unique et menait<br />

une existence très peu militaire, mais fort<br />

agréable.<br />

Au moment où Crespel allait sortir, il se<br />

cogna au caporal, qui arrivait, tout essoufflé.<br />

— Vos autruches ?... cria-t-il.<br />

— Vous savez donc déjà ?<br />

— Parbleu ! je le devine. On vous les a<br />

toutes zigouillées cette nuit, comme celles de<br />

Guillemot ?<br />

— Non, pas toutes, il en reste une.<br />

— Eh bien ! fit le soldat en se laissant tomber<br />

sur une chaise, c'est encore vous qui avez<br />

le plus de veine, car les deux miennes sont<br />

/aires aussi.<br />

—; Hein !... criâmes-nous, stupéfaits.<br />

— Oui, oui, ça vous épate, mais c'est pourtant<br />

la vérité. Cette nuit, un homme s'est introduit<br />

dans la troisième case de mon parc et a<br />

proprement éventré les deux autruchons qui<br />

me restaient de cette couvée-là. Gh ! je n'ai<br />

pas besoin d aller voir les vôtres, je sais de<br />

quelle façon opère'mon,'citoyen...<br />

— Nous côtoyons l'invraisemblable, dis-je.<br />

Ce n'est pas une vengeance, puisque nos bêtes<br />

et les vôtres sont frappées comme celles de<br />

Guillemot. Et quel intérêt peut avoir le criminel<br />

à agir ainsi, puisqu'il n'emporte rien ?...<br />

Ikoto hochait la tête en répétant :<br />

— Adela ny olo-meloka (Le coupable est<br />

un fou !)<br />

Mais un fou n'eût pas pris tant'-de précautions<br />

pour s'assurer l'impunité.<br />

— N'existerait-il pas plutôt chez les indigènes,<br />

insmuai-je, une superstition qui leur<br />

ferait voir dans l'autruche un être nuisible<br />

et d'un yoisinage dangereux ?<br />

M<br />

AIS ce n'était pas cela non plus. Badoual<br />

connaissait bien les Mahafales. Ne<br />

s'intéressaient-ils pas, du reste, à son<br />

élevage depuis plusieurs années ?<br />

— Remarquez, dit le soldat, qu'on a épargné<br />

chez Guillemot les autruchons provenant<br />

de la colonie du Cap. Chez moi, pour arriver<br />

à tuer les deux malheureuses bêtes dans leur<br />

enclos, le criminel a dû passer dans d'autres<br />

parcs, renfermant un plus grand nombre<br />

d'autruches. Mais c'étaient bien ces deux-là<br />

qu'il voulait, parce qu'elles étaient du même<br />

âge, des mêmes couvées que les vôtres et celles<br />

qu'il venait de massacrer la veille.<br />

— Mais pourquoi ? pourquoi ? criait Crespel.<br />

— Vous m'en demandez trop pour le moment,<br />

mais ou je me trompe fort, ou nous avons<br />

un moyen de pincer le coupable.<br />

— Que faut-il faire ?<br />

— Ne pas crier si haut, d'abord, si çs ne<br />

vous fait rien, monsieur Crespel, et puis<br />

m'obéir passivement. Si je vois juste, notre<br />

chasseur nocturne reviendra pour découdre<br />

le ventre à votre dernière autruche, puisqu'il<br />

l'a manquée cette fois-ci.<br />

— Eh bien ! qu'il y vienne !...<br />

— Attendez donc ! Nous allons lui préparer<br />

une réception comme on n'en donne<br />

pas à l'Elysée. '<br />

Résolument, ayant déjà son plan dans la<br />

tête, Badoual sortit et inspecta longuement<br />

les traces laissées par l'émgmatique malfaiteur.<br />

— Ce soir, dit-il enfin, au lieu de ramasser<br />

votre dernière autruche, ainsi que vous en<br />

aviez sans doute l'intention, vous la laisserez<br />

courir dans son parc, comme a l'ordinaire.<br />

— Mais vous prévoyez vous-même un<br />

retour possible du criminel !...<br />

— Justement, nous l'attendrons. Laissezmoi<br />

faire.<br />

— Et si, au lieu de revenir ici, il allait chez<br />

vous pendant votre absence...<br />

Le caporal cligna de l'œil :<br />

— Je ne crois pas me tromper en affirmant<br />

qu'il n'en fera rien. C'est à ma couvée"d'il y<br />

a deux ans qu'il en veut, vous dis-je, et elle<br />

n'est plus représentée que par un oiseau, le<br />

vôtre. Du reste, pour plus de sûreté,- tous mes<br />

boys veilleront.<br />

La nuit vint, impatiemment attendue. Il<br />

avait été convenu que Badoual et Ikoto resteraient<br />

hors du parc. Guillemot s'était joint à<br />

nous. Nous attendions, Crespel, lui et moi,dissimulés<br />

dans la grande ombre carrée que la<br />

lune projetait au pied de notre case. Cela faisait<br />

cinq bons fusils. Notre pauvre autruchon,<br />

tout désorienté de la disparition de ses camarades,<br />

était bien protégé.<br />

Mais le mystérieux éventreur ne se montra<br />

pas cette nuit-là, m la suivante, ni pendant<br />

toute la semaine.<br />

— Badoual, mon vieux, disait Crespel, nous<br />

faisons fausse route et nèus pèrdons du temps,<br />

— Non, non, répétait avec entêtement le<br />

Parisien, je suis sûr dé ne pas me mettre le<br />

doigt dans l'œil. Patientez encore!<br />

Ikoto lui-même nous conseillait d'attendre<br />

jusqu'au mileji-bolana, c'est-à-dire le dernier<br />

quartier de la lune.<br />

Ils avaient raison tous les deux.<br />

Quand l'astre nocturne ne fut plus dans le<br />

ciel qu'un très mince croissant pâli, je compris<br />

que nos chances augmentaient de percer l'effarant<br />

mystère.<br />

Depuis neuf jours nous guettions ainsi<br />

notre ennemi invisible, sans que rien pût 1er<br />

lui faire soupçonner. Certainement, il nous<br />

épiait, lui aussi, il se méfiait et prenait ses précautions.<br />

Qui sait si, dans la journée, je ne le<br />

coudoyais Das Beaucoup d'indigènes, ins-<br />

truits de notre bizarre aventure, venaient nous<br />

voir, usant, pour nous saluer, de la formule<br />

consacrée aux circonstances pénibles :<br />

— Il est vain de vous demander comment<br />

ça va, monsieur !<br />

A quoi nous répondions, suivant le rite :<br />

— Que le malheur des uns ne retombe<br />

pas sur les autres...<br />

Sans doute, l'un de ces visages plus ou moins<br />

hypocrites était-il celui de notre ennemi...<br />

Crespel, de plus en plus nerveux, s'en prenait<br />

à tout le monde, accusait tous nos voisins les<br />

uns après les autres. Ikoto le Calmait avec<br />

sagesse : 0<br />

— Agissez comme le caméléon, qui, en marchant,<br />

observe devant lui et regarde aussi par<br />

derrière.<br />

* * *<br />

C<br />

E fut la dixième nuit que l'homme revint,<br />

llfaisait noir.'très noir. Depuis troisheures,<br />

au moins, mes yeux s'efforçaient de fixer<br />

un point quelconque dans les ténèbres. Sous le<br />

hangar, l'autruche dormait. Un silence lourd<br />

pesait, qui semblait une évaporation lente et<br />

stagnante de la terre surchauffée. Près de moi,<br />

Crespel tenait toute prête une lanterne sourde<br />

à côté de son fusil, et le père Guillemot, adossé<br />

à la case, s était assoupi doucement.<br />

Soudain, Crespel me prit le bras et, approchant<br />

ses lèvres de mon oreille, me dit d'une<br />

voix à peine perceptible :<br />

— Mon attention est tellement tendue<br />

depuis des heures que j'ai une sorte d'obsession;..<br />

Dis-moi donc si je me trompe. Il me<br />

semble, entendre comme un froissement làbas,<br />

à droite, le long de la clôture.<br />

Je concentrai toute ma volonté pour entendre.<br />

Le long de la palissade du parc, à l'extérieur<br />

poussaient des touffes de cette herbe haute<br />

dont les tiges ressemblent au roseau, et que<br />

les Malgaches appellent fantaha. J'entendis<br />

un long frôlement dans ces herbes.<br />

— C'est peut-être un trandrakft ! (espèce<br />

de porc-épic), soufflai-je.<br />

— Peut-être. Ecoutons.<br />

Non, c'était bien l'homme. Nous entendîmes<br />

son han quand il fit un rétablissement<br />

pour escalader la palissade, et, l'instant d'après,<br />

il passa devant nous à dix mètres. Ses pieds nus<br />

claquaient imperceptiblement sur la terre dure.<br />

Crespel, sans rien dire, me serra fortement,<br />

le poignet. Je me dressai sur mes jambes ankylosées<br />

par l'attente, le doigt sur la gâchette<br />

du fusil... L'homme devait approcher du hangar<br />

déjà.<br />

Mais nous avions bondi. Crespel, démasquant<br />

sa lanterne, courait devant, précédé<br />

d'un long triangle de lumière et, dans cette<br />

projection lumineuse, je vis le tueur d'autruches,<br />

un Malgache tout nu, avec un long couteau<br />

entre les dents. Epouvanté d'être surpris aussi<br />

brusquement, il voulut fuir... Trop tard... je<br />

le tenais déjà au boiit de mon fusil...<br />

Pan !... La lueur fulgurante du coup m'avait<br />

caché le résultat, mais Crespel criait :<br />

— Touché !... A vous, Badoual, à vous !<br />

(Lire la suite page 15.)

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