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Agone 11 - Atheles

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Ces précautions prises contre les mots ne sont pas incompréhensibles. Nous−mêmes, en Occident, savons ce<br />

que nous sacrifions à l'abstraction. « Il est immédiatement effrayant de penser que non seulement l'individu<br />

trouve le langage tout fait, mais qu'il est obligé, pour faire comprendre le moindre mot, de sacrifier toutes les<br />

nuances particulières et concrètes de son expérience. (1)»<br />

Les hommes des sociétés du mythe ont choisi l'inépuisable complexité. Condamnés comme tous les<br />

humains à la conceptualisation, ils ne cessent pas pour cela de la combattre.<br />

Dans les Mythologiques, Claude Lévi−Strauss montre que le mythe est tout autant structuré que le discours<br />

rationnel (structure feuilletée dans un cas ; structure plane et monodimensionnelle, comme d'une pâte brisée<br />

dans l'autre). Mais là n'est pas l'essentiel. Ce que nous fait voir Lévi−Strauss, sans suffisamment insister, c'est<br />

que le mythe raconté mène, en outre, une guerre permanente contre sa propre architecture logique (2).<br />

Le chant kalau, par exemple, « fondement de la culture spirituelle des Wayana (...) saute d'une idée à l'autre,<br />

introduit des phrases sans aucun rapport avec la séquence principale, et après avoir relaté une action revient<br />

sur des phrases antérieures de celle−ci » ; certains mots « sont du wayana déformé par inversion ou adjonction<br />

de syllabes », et le chanteur peut « dans une certaine mesure improviser ». Malgré son aspect « verrouillé », le<br />

mythe encourage les « grands mots autonomes » et les cris à livrer combat contre tout ce qui gouverne le<br />

langage (3).<br />

Les « sauvages » n'ignorent pas non plus la causalité. Qui n'a pas compris que la rivière coule en raison de<br />

l'inclinaison du sol ? Pourtant, après tout, pourquoi ne pourrait−elle pas, dans un caprice, remonter son cours,<br />

couler en sens inverse... ?<br />

En fait, les « sauvages » complexifient les rapports cause−effet, les particularisent, les personnalisent. Ils<br />

font toujours intervenir les personnes sur l'« ordre des choses ». Ils en « rajoutent », un peu comme pour les<br />

concepts. Par exemple, le fait qu'un homme ait été tué par un buffle n'exclut pas l'idée que la mort est due à la<br />

sorcellerie. « Il n'y a pas contradiction. Les indigènes font au contraire une analyse très fine de la situation. Ils<br />

savent très bien que le buffle a tué l'homme, mais ils pensent qu'il n'aurait pas été tué si on ne lui avait pas jeté<br />

un sort. Sinon, pourquoi aurait−il été tué, pourquoi lui, en ce lieu et en ce moment, et pas un autre ? Ils se<br />

demandent pourquoi deux chaînes d'événements indépendantes l'une de l'autre se sont rencontrées pour<br />

amener un certain homme et un certain buffle en un point précis du temps et de l'espace. (4)»<br />

Dans cette perspective, le simple « ordre des choses » ne suffirait jamais pour contraindre qui que ce soit. Il<br />

faut en quelque sorte une conspiration des personnes et du « déterminisme » pour que le « sujet » soit atteint.<br />

Tout le monde sait que s'exposer au froid peut amener un rhume. Mais, contre toute évidence, les « sauvages »<br />

rendront surtout le sorcier du village voisin responsable de la maladie, sans oublier le malade qui, finalement,<br />

n'a pas assez lutté, ne s'est pas suffisamment opposé aux divers pouvoirs.<br />

<strong>Agone</strong> <strong>11</strong> 2

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