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Agone 11 - Atheles

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personnelle n'est pas donnée (13)». Sans un principe supérieur permettant la différenciation axiologique des<br />

individus grâce à laquelle tous seraient assurés de leur identité, chacun d'eux est voué à rechercher dans le<br />

regard d'autrui la preuve de sa propre valeur. Et ce simple mouvement suffit à nier le postulat d'autonomie<br />

dont pourtant il découle. Chacun en éprouve le mensonge pour soi−même mais garde la certitude qu'il reste<br />

vrai pour l'autre. C'est la raison pour laquelle il lui faut devenir cet autre qu'il dote de ce qui lui fait défaut :<br />

« Les hommes seront des dieux les uns pour les autres (14)».<br />

Mais quel rapport avec la rareté ? Au moins ceci que, sous l'hypothèse du désir triangulaire, la concurrence<br />

toujours plus aiguë entre les individus, même à la considérer comme une source de bénéfices matériels<br />

considérables, n'en demeure pas moins grotesque et tragique au sens où rien de matériel ne peut l'assouvir.<br />

Elle est la mobilisation permanente et perpétuelle de tous au service du néant.<br />

Conjointement à ce retrait du religieux émerge la société de marché : « Ni dans les conditions du tribalisme,<br />

ni dans celles du mercantilisme, il n'a existé dans la société de système économique séparé. La société du<br />

XIXe siècle, dans laquelle l'activité économique était isolée [par l'intermédiaire du marché autorégulateur] et<br />

attribuée à un mobile économique distinct [la recherche de l'intérêt privé], fut en vérité une nouveauté<br />

singulière. (15)» Polanyi concentre ses efforts pour dévoiler l'ambiguïté de cette transition qui mêle un vaste<br />

mouvement de développement économique à une avalanche meurtrière de dislocations sociales. De même que<br />

Girard, il interprète cette situation à la lumière des sociétés non modernes et en contraste avec elles. La<br />

réciprocité des échanges dans les sociétés archaïques et la troisième vague des enclosures dans l'Angleterre de<br />

la fin du XVIIIe siècle vont permettre l'illustration de cette interprétation.<br />

On doit à Mauss la première étude systématique des échanges dans les sociétés primitives (16). Ils y<br />

prennent la configuration du don/contre−don, qui est une forme collective de l'échange : même lorsque ce sont<br />

des individus qui opèrent, ils le font en tant que personne morale représentant une famille, un clan ou une<br />

tribu. Les échanges ainsi effectués ne sont pas strictement utilitaires (ce qui est échangé, « ce sont avant tout<br />

des politesses, des festins, des rites, des services militaires, des femmes, des enfants, des danses, des fêtes, des<br />

foires... ») car l'objet des contractants est avant tout de s'assurer le respect et la reconnaissance mutuels. C'est<br />

pourquoi le simple commerce (en vue d'un gain immédiat) est « l'objet d'un mépris bien accentué ». Enfin,<br />

Mauss insiste, malgré l'allure désintéressée et volontaire que leur donnent les primitifs, sur le caractère<br />

astreignant de ces échanges que fixent les rapports de parenté, les codes religieux ou les impératifs<br />

diplomatiques : il y a obligation de donner, de recevoir et de rendre. S'y conformer confère prestige,<br />

gratifications collectives, alors que toute transgression est frappée de bannissement ou conduit à la guerre.<br />

Toutefois, ce système de réciprocité n'est pas appliqué de manière homogène sur l'ensemble de l'espace social.<br />

Ce dernier, agencé selon une série de cercles concentriques, a pour centre le noyau familial ; viennent ensuite<br />

les cercles du lignage, du village, de la tribu et, enfin, celui de l'espace intertribal. La réciprocité généralisée<br />

(le don gratuit) est la règle des échanges au sein de la famille et de la lignée alors que la réciprocité équilibrée<br />

(le don/contre−don) s'exerce partout ailleurs, excepté pour les relations intertribales où survient fréquemment<br />

une forme négative de réciprocité (vols, razzias, etc.) (17). À cette réserve près, la structure des échanges qui<br />

régit les activités économiques primitives est toute entière déterminée par des liens institués de solidarité qui<br />

obligent les hommes les uns envers les autres : le social contient l'économique. Et ces liens sont d'autant plus<br />

fermes que le maintien de la cohésion sociale, en l'absence d'autorité centrale, nécessite une organisation des<br />

relations humaines qui puisse prévenir et éviter les offenses, les rivalités (si ce n'est de générosité),<br />

c'est−à−dire les occasions de conflits. C'est pourquoi aussi ces sociétés ne connaissent pas l'expérience de la<br />

rareté : comme l'indique Polanyi, « l'individu n'y est généralement pas menacé de mourir de faim à moins que<br />

<strong>Agone</strong> <strong>11</strong> 4

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