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Les voyous, les mauvais élèves, comme les « sauvages », choisissent contre toute nécessité des rapports<br />
compliqués aux autres et au monde, des relations de confrontation et d'alliance dont on ne peut prévoir les<br />
résultats, mais qui prémunissent contre la domination.<br />
Face à la simplicité de l'évidence, ils se comportent comme des surgissements « autonomes » échangeant,<br />
sans mesure, avec d'autres surgissements « autonomes ». À l'instar de l'homme grec de Jean−Pierre Vernant,<br />
le « voyou » moderne est « spontanément cosmique (8)».<br />
S'il existe, dans nos sociétés, de « mauvais civilisés » contre l'emprise des lois de toutes sortes, contre le<br />
logos, on peut imaginer, sans grands risques de se tromper, qu'il a dû se trouver de mauvais « sauvages » dans<br />
le passé ; de mauvais « sauvages » contre l'agôn, cherchant, tel Hésiode, à faire reconnaître l'ordre des choses<br />
sur une péninsule ensoleillée du rivage méditerranéen, voilà plus de vingt−sept siècles. Une de leurs armes fut<br />
sans aucun doute l'écriture. Elle montrait, explicitement, que le discours même des hommes prétendument<br />
rebelles se pliait à la loi impersonnelle, au moins implicitement, dès qu'il se faisait cohérent.<br />
Sans doute les sociétés « sauvages » s'interrogeaient−elles sur les moyens d'insérer ces marginaux : fallait−il<br />
leur apprendre les rudiments de l'escrime ? leur faire goûter les plaisirs de l'échange don/contre−don et de la<br />
rivalité, leur montrer la force et la beauté des « grands mots » ?<br />
Peine perdue, ils ne voulaient certainement rien entendre, persuadés qu'ils étaient de l'obligation d'obéir à la<br />
Loi. On avait beau les réprimander, les moquer comme le font si bien les « sauvages », rien n'y faisait. Ces<br />
obéisseurs cherchaient à montrer les règles essentielles, éternelles à ceux qui n'en voulaient pas (9). Le<br />
renversement de perspective entre agôn et logosa dû prendre du temps ; l'allégorie de la caverne présente les<br />
difficultés et les railleries que le philosophe rencontrait encore quand il prétendait montrer aux hommes les<br />
déterminations qu'ils ne voulaient pas voir.<br />
Revenons aux voyous et aux mauvais élèves modernes. Très souvent ces jeunes gens que nous avons<br />
observés plusieurs années durant, dans la cadre de la formation continue, rejettent les études mais<br />
affectionnent, en revanche, les matchs sportifs. Certains d'entre eux sont même capables d'efforts<br />
extrêmement soutenus à l'entraînement et en compétition.<br />
Certains sociologues nous racontent que le sport (comme la boxe et le football) sont des moyens de sortir de<br />
la misère. Là se nicherait la motivation première des jeunes sportifs issus de milieux défavorisés : devenir un<br />
champion prospère intégré dans la « grande société ». Or, s'il s'agissait de s'insérer ou de gagner sa vie,<br />
pourquoi ces jeunes gens ne mettraient−ils pas toute l'énergie dépensée pour devenir « champion » dans des<br />
études d'ingénieur, de technicien, etc. ?<br />
<strong>Agone</strong> <strong>11</strong> 4