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BROCHURE KALA LOBE_5.indd - Unesco

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1. P’A IKA, UNE DYNAMIQUE VÉCUE<br />

ET AVANCÉE DU STORYTELLING<br />

Il s’agit de livrer ici l’esquisse d’un témoignage<br />

sur P’a Iwiye Kala-lobe et mes attaches<br />

intimes à la vie familiale et à la<br />

culture du terroir, renforcées du reste par<br />

l’infl uence de cet homme, m’amènent à<br />

assortir d’emblée mon souvenir du terme<br />

« P’a » qui veut dire « Papa », et qui précisément<br />

attache l’homme en quelque<br />

sorte et pour l’éternité, à la classe d’âge<br />

de mes autres oncles et pères du village<br />

et du pays, comme il en est en Afrique.<br />

Et il s’agit, en fait, d’un « Père» tout spécial<br />

qui s’était donné concomitamment et<br />

délibérément la dimension d’un ami, que<br />

dire? D’un frère, ce qu’il était devenu<br />

pour beaucoup d’autres jeunes de ma<br />

génération.<br />

Et pour présenter l’esquisse de cette<br />

parenté plutôt multidimensionnelle, je<br />

souhaiterais la placer d’emblée sous<br />

l’éclairage d’une dynamique devenue<br />

multiculturelle, multi médiatique: dynamique<br />

à mon sens déployée dans la vie et<br />

l’écriture de p’a Ika et dont les éléments<br />

m’auront été confi rmés en quelque sorte<br />

au cours de la lecture toute récente du<br />

livre de Christian Salmon portant le titre<br />

« Storytelling, la machine à fabriquer des<br />

histoires et<br />

à formater les esprits» (Editions la Découverte,<br />

Paris 2008).<br />

Le «storytelling» savamment exploité de<br />

nos jours par les hommes politiques des<br />

grandes puissances de notre planète<br />

TEMOIGNAGES<br />

IWIYE <strong>KALA</strong>-<strong>LOBE</strong><br />

ou la vie de l’amitié et de l’écriture de la responsabilité.<br />

Par Guillaume BWELE, Professeur Agrégé<br />

16<br />

est, en fait, une dynamique «chargée de<br />

mobiliser les émotions par la pratique<br />

des récits partagés» (p.19 de l’ouvrage),<br />

par la mise en branle « des valeurs<br />

d’autonomie et de responsabilité, de leadership<br />

et d’innovation, de fl exibilité et<br />

d’adaptabilité» (ibid). À telle enseigne<br />

qu’en s’aventurant à « créer notre propre<br />

réalité», le récit, selon les dires de<br />

Roland Barthes ici cité (p.15), peut être<br />

affi rmé<br />

«là comme la vie» ! Et pour P’a Ika, si le<br />

récit crée une réalité, il peut être « monté»<br />

en amplitude et dans la profondeur<br />

d’une expérience et la responsabilité<br />

d’une écriture déployée dans l’intimité<br />

même de la vie vécue.<br />

Nous sommes en 1966. Je venais d’être<br />

admis, du «premier coup» comme l’on<br />

dit, au concours d’agrégation de philosophie<br />

préparé à l’Ecole Normale Supérieure<br />

de la rue d’Ulm à Paris. P’a Ika<br />

tint à célébrer cet événement - en dehors<br />

des repas souvent pris en famille<br />

- conçu comme une sorte de messe de<br />

couronnement des connaissances en<br />

invitant son neveu, son jeune ami à un<br />

repas tout spécial, arrosé du vin blanc<br />

qu’il préférait. C’était dans un restaurant<br />

parisien du quartier latin et en ce lieu de<br />

nos<br />

rencontres habituelles, lieu habité en<br />

quelque sorte par le « halo» des symboles<br />

de la culture et de la science avec<br />

les grandes écoles, la Sorbonne, le Panthéon,<br />

Présence Africaine. Car au croisement<br />

de la rue des Ecoles à Paris, tout<br />

Il n'acceptait d'ordre de quiconque, ne<br />

savait pas se servir de la brosse à reluire<br />

et tenait à distance les courtisans et<br />

les menteurs. C'était un homme libre.<br />

Ika a donné la mesure de son talent<br />

dans nombre de publications. Dans la<br />

« Presse du Cameroun », ses billets<br />

d'humeur étaient impatiemment attendus<br />

et dévorés avec gourmandise par<br />

les lecteurs de tous bords.<br />

Il y eut aussi « WOURI-EZ» *, éphémère<br />

journal satirique dont le mot d'ordre,<br />

- «le seul journal qui a pris le parti de<br />

n'avoir aucun parti pris» -, était à lui seul<br />

tout un programme. Ika y fera montre<br />

d'un humour peu commun, caustique<br />

sans être graveleux. Car cet homme<br />

qui n'appartenait à aucune coterie était<br />

respectueux de la ligne jaune qu'il ne<br />

fallait pas franchir. Lorsqu'il lui arrivait<br />

de traiter de sujets graves, ou qu'il devait<br />

dire sa colère ou sa rage, il savait<br />

toujours introduire un mot, une formule<br />

pour faire la tension.<br />

L'hommage à son ami le docteur Charles<br />

Delangue, sauvagement assassiné<br />

sur la route de Douala, en pays bassa,<br />

lors des événements qui ensanglantèrent<br />

une partie du sud du baisser Cameroun.<br />

cours des années précédant l'indépendance,<br />

restera un modèle du genre. Le<br />

ton sera tour à touraustère, sarcastique,<br />

enjoué parfois. « Pardonne-moi si<br />

je n'ai pas été pathétique », écrira-t-il<br />

comme pour s'en excuser, en guise de<br />

conclusion.<br />

L'indépendance venue, les autorités invitent<br />

Ika à faire partie de la première<br />

équipe de la toute jeune Agence Camerounaise<br />

de Presse (ACAP), lui qui<br />

TEMOIGNAGES<br />

L’HOMME DE PERSONNE<br />

Par Daniel AMIOT-PRISO<br />

13<br />

n'était pas homme de cour.<br />

Comment a-t-on pu l'imaginer à l'intérieur<br />

d'une structure qui ne pouvait que<br />

le corseter, en train de rédiger des dépêches<br />

neutres par nature, ne portant<br />

pas sa griffe, lui habitué à écrire des articles<br />

d'un autre genre, imités mais jamais<br />

égalés. L'expérience ne fera pas<br />

long feu. Avec l'accord des autorités,<br />

Ika plie armes et bagages pour retrouver<br />

le Quartier latin de sa jeunesse où,<br />

à côté de son beau-frère Alioune Diop,<br />

il rejoindra la rédaction de Présence<br />

africaine.<br />

Je me souviens de la parution à la même<br />

époque de «L'Afrique noire est mal partie<br />

», un brûlot ravageur de l'agronome<br />

français René Dumont, livre néo-colonialiste<br />

selon certains, «pamphlet inutile<br />

», selon Ika, pour qui « l'Afrique noire<br />

n'est pas encore partie».<br />

Un matin d'Octobre 1991, on m'appelle<br />

de Paris pour m'annoncer qu’Ika ne<br />

s'est pas réveillé, qu'il a quitté ce monde<br />

sans crier gare. «Tu sais, me confi ait-il<br />

un jour avec un sourire; goguenard, je<br />

ne rentrerai au Cameroun que les pieds<br />

en avant ». Parole tenue.<br />

C'était lui, mon ami Ika, l'homme libre<br />

que j'ai connu.<br />

Jeu de mots: le Wouri est le nom du fl euve<br />

sur les bords duquel est bâtie la ville de<br />

Douala et qui a donné son nom au département<br />

dont Douala est le chef-lieu.

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