Jana Bodnárová Nuit de pleine lune
Jana Bodnárová Nuit de pleine lune
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emarquer ?! Et mes statues ? Oui, elles sont ma liberté, mais je la paye cher. Quelle mer<strong>de</strong>, d’être toujours<br />
pauvre ! Pouah, et alors ? J’ai l’amour pour me consoler. L’amour libre comme le vent. Et puis le gin (Elle boit<br />
à la bouteille.) Les friqués d’en haut, ils sont capables <strong>de</strong> s’acheter un lustre en cristal pour leur chiottes, mais<br />
jamais un seul <strong>de</strong> mes <strong>de</strong>ssins ! Pour qui je fais ça ? Je ne suis pas Narcisse. Et si vraiment ça ne valait rien ? Si<br />
c’était à côté <strong>de</strong> la plaque ? Non, c’est pas vrai ! C’est puissant ! Je suis forte ! Je suis géniale ! (Elle lance le<br />
poing en l’air. Elle se calme, pose son oreille contre le mur, puis, se couvrant les épaules d’un manteau <strong>de</strong> cuir,<br />
elle sort en courant.)<br />
LA CHAMBRE BLEUTÉE<br />
LA VIEILLE FEMME SÉNILE<br />
(Debout sur son lit et tremblant <strong>de</strong> tous ses membres, elle fixe, les yeux grand ouverts, quelqu’un d’invisible.)<br />
Allez-vous-en ! Allez-vous-en ! Je suis une vieille femme ! Je n’ai plus rien ! Je ne peux rien vous donner ! Je...<br />
je vais appeler... je vais appeler ma nièce... elle arrive tout <strong>de</strong> suite... (La vieille femme se met une main <strong>de</strong>vant<br />
la bouche comme si elle tenait un talkie-walkie.) Ici faucon, ici faucon... à vous... vous me recevez ? Maria ! Tu<br />
viens ? Tu es déjà dans le bus ? Tant mieux, tant mieux... Ici faucon, bien reçu... Y’a <strong>de</strong>s voleurs ici. Ils sont<br />
montés au plafond, mais je les vois... Oui, je t’entends Maria, d’accord, ma petite Mariette... Je leur dirai, à ces<br />
criminels qui n’ont pas honte <strong>de</strong> s’introduire chez une vieille femme. (S’adressant aux voleurs invisibles.) Et<br />
voilà ! Vous êtes finis ! Si vous ne foutez pas le camp tout <strong>de</strong> suite, vous allez vous faire prendre ! Vous avez<br />
entendu ce que j’ai dit à ma collègue ?<br />
(Entre la jeune fille excentrique. Dans un nouvel accès <strong>de</strong> panique, la vieille femme hurle dans son talkie-<br />
walkie inexistant.) Ici faucon ! Ici faucon ! À vous ! Je suis en danger <strong>de</strong> mort ! Maria ? Maaaa-ri-iaaaa ! (Elle<br />
crie d’une voix plaintive, mourante, en s’écroulant lentement sur son édredon. Elle tend ses bras faibles,<br />
semblables à <strong>de</strong>s brindilles <strong>de</strong>sséchées, pour se protéger contre la jeune femme qui s’approche.)<br />
LA JEUNE FEMME EXCENTRIQUE<br />
Mais reprenez-vous ! C’est moi ! Votre voisine !<br />
LA VIEILLE FEMME SÉNILE<br />
Comment ? Qui ? (La jeune femme lui caresse la tête et réussit à la calmer peu à peu.)<br />
LA JEUNE FEMME EXCENTRIQUE<br />
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