CHRONIQUE D'HISTOIRE MARITIME - Société Française d'Histoire ...

« l’odieuse partialité » des Ottomans 55 . La sympathie pro-chrétienne
n’est toutefois pas inconditionnelle et heurte de fortes considérations
politiques et morales.
Les marins comprennent que la clientélisation des communautés est une
des causes majeures de l’instabilité chronique du Levant. « Mille bruits
mensongers », écrit en juillet 1841 le commandant de La Créole,
« circulent dans la montagne. Tantôt ce sont nos vaisseaux qui arrivent,
tantôt c’est une déclaration du roi des Français qui reconnaît leur
indépendance». 56 Les critiques les plus vives accablent les Grecs
« schismatiques » de la mer Egée que l’on tient pour des partisans
fanatiques de la Russie. Le 16 janvier 1868, le contre-amiral Moulac
dénonce la politique du pire des révoltés crétois et des volontaires grecs
qui, soutenus par les encouragements navals russes, contrecarrent les
efforts de temporisation ottomans pour appeler « de nouveau l’attention
de l’Europe sur la question crétoise » 57 . La volonté des catholiques
orientaux de Syrie et du Liban d’échapper à la tutelle administrative et
fiscale ottomane suscite également l’irritation et le mépris. Durant la
guerre de Crimée, le commandant de La Sérieuse rapporte
dédaigneusement l’enthousiasme pro-français des chrétiens de Syrie en
rappelant leur brutal ralliement aux Ottomans à la fin de la crise
d’Orient de 1840. Au-delà des préjugés ordinaires sur la « duplicité »
des Levantins, la méfiance des officiers est dictée par une analyse
pessimiste de la situation proche-orientale. Sans illusions sur la
tolérance religieuse des Turcs ni sur l’efficacité immédiate de leurs
réformes, les rapports navals du Second Empire y voient pourtant un
mal nécessaire que l’insoumission chronique des minorités chrétiennes
compromet.
L’intérêt général de la modernisation ottomane cantonne les sentiments
pro-chrétiens des marins de la station du Levant dans de très étroites
limites. Le sens du devoir et le très haut degré du patriotisme des marins
les disposent en outre à juger avec sévérité l’égoïsme communautaire
chrétien. En mars 1869, le refus de toute réforme dans les Sporades que
certains insulaires pensaient arrêter en détachant des émissaires à
55
BB 4/632-633, Contre-amiral Turpin au ministre de la Marine, 18 juin 1845.
56
BB 4/608, Capitaine de corvette Fébvrier Despointes au ministre de la Marine, 27
juillet 1841.
57
BB 4/879, Contre-amiral Moulac au ministre de la Marine, 16 janvier 1868.
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