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Ebauche préliminaire de Plan - Les Classiques des sciences sociales

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Malgré ce pessimisme métaphysique originaire, le protestantisme a pu aussi, non sans<br />

paradoxe apparent, apporter à la culture mo<strong>de</strong>rne une valorisation du rationalisme scientifique<br />

et technique, une orientation pragmatique vers le mon<strong>de</strong> réel (à l’opposé <strong>de</strong> la « fuite hors du<br />

mon<strong>de</strong> » du monachisme), un optimisme sûr <strong>de</strong> lui et confiant dans l’avenir (venant <strong>de</strong> la<br />

certitu<strong>de</strong> pour les « élus » d’être sauvés).<br />

Désormais, la planète entière est offerte aux « saints », elle est « manifestement » à prendre<br />

pour la plus gran<strong>de</strong> gloire <strong>de</strong> Dieu. Des États fortement militarisés, <strong>de</strong>s Empires mêmes, une<br />

vigoureuse économie capitaliste, un immense encouragement à croître et à multiplier, une<br />

ouverture sans restriction au « reste du mon<strong>de</strong> » sont autant d’atouts offerts à la culture<br />

réformée dans son assaut contre l’ancien mon<strong>de</strong>.<br />

Avec le protestantisme, viennent aussi d’autres traits comportementaux. D’un Dieu<br />

absolument impénétrable, que peut-on tirer sinon l’espérance folle d’être l’un <strong>de</strong> ses « élus » ?<br />

Mais pour fon<strong>de</strong>r cette espérance, il faut pouvoir arborer <strong>de</strong>s signes d’élection, dès le mon<strong>de</strong><br />

d’ici-bas. Bien qu’il n’y ait aucune place pour les mérites dans une religion <strong>de</strong> la grâce, le<br />

calvinisme ascétique provoque une curieuse et paradoxale auto-aliénation dans les œuvres,<br />

dans le travail et dans le profit. Le travail <strong>de</strong>vient une fin en soi. Il <strong>de</strong>vient le signe illimité,<br />

perpétuel, <strong>de</strong> l’appel <strong>de</strong> l’âme à sa vocation élective.<br />

L’homme mo<strong>de</strong>rne, fut-il le moins religieux, dépend encore aujourd’hui, et souvent malgré<br />

lui, <strong>de</strong>s conséquences lointaines <strong>de</strong> cette éthique ascétique et puritaine. Le protestantisme a<br />

fait du travail l’enjeu <strong>de</strong> toute la vie, le signe <strong>de</strong> la « vocation », <strong>de</strong> l’« appel » (Beruf,<br />

calling). Dans un mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>venu désenchanté et irréligieux, il ne reste désormais plus que<br />

quelques élus, dont le succès signalé témoigne <strong>de</strong> la « grâce », et <strong>de</strong>s masses déchues,<br />

prolétarisées, asservies à leur condition.<br />

Bien entendu, ce rôle <strong>de</strong> la grâce ne suffit pas toujours aux bons esprits. Ces <strong>de</strong>rniers préfèrent<br />

soupçonner que la condition sociale et économique <strong>de</strong>s milliards <strong>de</strong> « déchus » pourrait plutôt<br />

dépendre en fait, non d’une décision divine, mais d’un impitoyable ordre humain.<br />

On peut volontiers admettre que les effets d’un capitalisme brutal, inhumain, prédateur, n’ont<br />

rien à voir avec l’intention première du fondateur <strong>de</strong> la Réforme. Luther ne s’y reconnaîtrait<br />

certes pas. En revanche, Weber l’a assez montré, le calvinisme était structurellement apte à<br />

favoriser les conditions d’émergence et <strong>de</strong> développement du capitalisme, y compris dans ses<br />

formes les plus inégalitaires.<br />

En effet, le protestantisme ne reconnaît pas l’idée d’égalité. <strong>Les</strong> inégalités ont été voulues par<br />

Dieu. La pré<strong>de</strong>stination, la grâce sont <strong>de</strong>s dons gratuits, et totalement, absolument,<br />

absur<strong>de</strong>ment inégalitaires.<br />

Le plan divin est incompréhensible. Il inclut une gran<strong>de</strong> part <strong>de</strong> malheurs individuels et<br />

collectifs. <strong>Les</strong> malheurs extrêmes <strong>de</strong>s uns, pour injustifiables qu’ils soient aux yeux humains,<br />

font partie du plan <strong>de</strong> Dieu. Qui sait ? Ils sont même peut-être mystérieusement nécessaires<br />

à l’élection divine <strong>de</strong>s quelques pré<strong>de</strong>stinés.<br />

La religion <strong>de</strong> l’élection induit enfin plusieurs conséquences psychologiques remarquables.<br />

L’arrogance et le mépris <strong>de</strong>s élus sont basés sur la croyance en leur pré<strong>de</strong>stination, d’où une<br />

confiance en soi, une résolution inébranlable. Ils font la guerre au reste du mon<strong>de</strong> et ne<br />

reculent <strong>de</strong>vant aucun manichéisme. 29<br />

29 Karl Marx avait noté le manichéisme méprisant <strong>de</strong>s dominants s’arrogeant la direction <strong>de</strong> l’histoire, le monopole <strong>de</strong> l’Esprit, et l’élection:<br />

« Ce dogme germano-chrétien, l’antithèse <strong>de</strong> l’Esprit et <strong>de</strong> la Matière, <strong>de</strong> Dieu et du Mon<strong>de</strong>. A l’intérieur <strong>de</strong> l’histoire, à l’intérieur <strong>de</strong><br />

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