Ebauche préliminaire de Plan - Les Classiques des sciences sociales
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prévalaient en Occi<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>puis Descartes et qui avaient été sans cesse renforcés jusqu’au<br />
positivisme et au matérialisme du 19 ème siècle.<br />
Heisenberg a résumé l’interprétation philosophique <strong>de</strong> l’école <strong>de</strong> Copenhague dans un livre<br />
lumineux, Physique et philosophie. Il y montre que la physique quantique n’est pas<br />
compatible avec le « matérialisme » <strong>de</strong> la science du 19 ème siècle. Il s’élève contre ce<br />
matérialisme, ainsi que contre l’utilitarisme, le positivisme et l’empirisme, qui sont<br />
incompatibles, selon lui, avec les résultats <strong>de</strong> la physique quantique. Pour lui, les particules<br />
élémentaires ne sont pas réelles, au sens d’objets matériels, ce « sont » essentiellement <strong>de</strong>s<br />
formes mathématiques. Reprenant les termes d’un débat plurimillénaire inauguré par les<br />
Grecs, il montre que la physique quantique donne expérimentalement raison aux points <strong>de</strong> vue<br />
idéalistes d’un Anaximandre, d’un Pythagore et d’un Platon contre le matérialisme d’un<br />
Démocrite.<br />
Heisenberg accuse d’ailleurs Einstein, qui avait fortement critiqué les idées <strong>de</strong> l’école <strong>de</strong><br />
Copenhague, <strong>de</strong> revenir en fait à cette « ontologie matérialiste » dont il estime que la physique<br />
quantique a prouvé l’inanité. Celle-ci ne peut en aucune façon être positiviste, car la<br />
connaissance du mon<strong>de</strong> actuel est nécessairement incomplète, ne serait-ce que parce que<br />
l’observateur introduit une interaction nécessaire avec la nature observée, la modifiant ainsi<br />
irrémédiablement. Mais, plus profondément encore, Heisenberg note que toute explication du<br />
mon<strong>de</strong> repose in fine sur le langage, et que celui-ci n’a jamais qu’une validité limitée, puisque<br />
élaboré par l’homme pour ses propres besoins, il parle plus <strong>de</strong> l’homme que <strong>de</strong> la nature. Kant<br />
nous avait déjà permis <strong>de</strong> comprendre que les concepts d’espace et <strong>de</strong> temps ne faisaient<br />
référence qu’à notre relation à la nature, et non à la nature elle-même.<br />
Le langage fait partie <strong>de</strong>s instruments qui permettent une interaction entre l’homme et la<br />
nature, mais à ce titre, il contribue lui aussi à faire <strong>de</strong> l’observateur et <strong>de</strong> la nature observée un<br />
complexe insécable.<br />
Pour Heisenberg, c’est Descartes qui a formulé la partition fondamentale entre l’esprit ( res<br />
cogitans) et la matière (res extensa), laquelle <strong>de</strong>vait conduire à l’empirisme mo<strong>de</strong>rne et à ses<br />
indéniables succès, jusqu’à l’avènement <strong>de</strong> la physique quantique qui <strong>de</strong>vait justement la<br />
remettre en cause. Selon l’école <strong>de</strong> Copenhague, en effet, la séparation homme/nature ou<br />
moi/mon<strong>de</strong> est impossible. La partition cartésienne est une « simplification outrancière », et<br />
son impact sur toute la pensée mo<strong>de</strong>rne, y compris sur la pensée d’Einstein, explique que<br />
celle-ci soit entachée d’un « réalisme dogmatique », selon lequel tout doit être objectivé.<br />
Le dualisme cartésien <strong>de</strong> l’esprit et <strong>de</strong> la matière introduit par ailleurs une coupure trop nette,<br />
trop radicale, entre l’homme (pensant) et les animaux qui, ne pensant point, sont réduits à<br />
n’être que <strong>de</strong>s « machines ». Une fois l’idée d’animaux-machines introduites, il ne fallait plus<br />
longtemps avant qu’on n’éten<strong>de</strong> cette conception à l’homme même, considérant somme toute<br />
que les mécanismes biologiques <strong>de</strong> celui-ci et ceux <strong>de</strong>s animaux ne pouvaient pas être<br />
objectivement si différents. C’était là ouvrir la voie au déterminisme et au matérialisme, dont<br />
Heisenberg pense qu’ils sont eux aussi radicalement mis en cause par la nouvelle physique<br />
quantique.<br />
Heisenberg affirme <strong>de</strong> plus que tous les dualismes conceptuels, celui <strong>de</strong> la matière et <strong>de</strong> la<br />
forme (Aristote), celui <strong>de</strong> la matière et <strong>de</strong> l’esprit (Descartes) ou celui <strong>de</strong> la matière et <strong>de</strong> la<br />
force (défendu par les <strong>sciences</strong> naturelles du 19 ème siècle), se trouvent invalidés par les<br />
résultats <strong>de</strong> la physique quantique. Ce qu’Aristote appelait « matière », nous l’appelons<br />
« énergie », et cette énergie-matière est en fait la substance primordiale que les Anciens<br />
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