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Ebauche préliminaire de Plan - Les Classiques des sciences sociales

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figure, l’Un qui échappe à l’être et l’Un qui échappe à la connaissance. Ou encore : l’Un qui<br />

est, l’Un qui est un et multiple, et l’Un qui se sépare et se réunit 1004 .<br />

Aristote, citant les Pythagoriciens, affirmait que c’est le nombre 3 qui définit le Tout. 1005 Le<br />

néoplatonicien Plotin réinterprétait Hésio<strong>de</strong> et faisait correspondre l’Un, l’Intelligence et<br />

l’Ame du mon<strong>de</strong> respectivement à Ouranos, Kronos et Zeus. 1006<br />

Quant à Rome, Georges Dumézil a établi que Jupiter, Mars et Quirinus représentaient une<br />

tria<strong>de</strong> archaïque 1007 , emblématique <strong>de</strong> l’esprit indo-européen, et correspondant aux trois<br />

piliers d’un type d’ordre social: le prêtre, le guerrier, l’agriculteur.<br />

Jupiter, surnommé Jupiter Rex, Jupiter Liber ou Jupiter Libertas, est le Dieu « père » (Deus<br />

pater). Mars, dieu <strong>de</strong> la guerre, est appelé Mars Caecus car il est « aveugle » dans le combat,<br />

et ne maîtrise pas la contingence <strong>de</strong>s batailles 1008 . Quirinus, dont l’étymologie « co-virinus »<br />

indique bien qu’il évoque le collectif et le compagnonnage <strong>de</strong>s hommes, est associé au<br />

fondateur <strong>de</strong> Rome, Romulus, et à la vie <strong>de</strong> la collectivité.<br />

En passant à un niveau supplémentaire d’abstraction, nous proposons <strong>de</strong> faire un lien entre les<br />

trois fonctions <strong>de</strong> Dumézil et la tria<strong>de</strong> du savoir, du vouloir et du pouvoir, tria<strong>de</strong> que nous<br />

avons déjà croisée à plusieurs reprises.<br />

La fonction associée à Jupiter met en valeur les prêtres, les augures et les <strong>de</strong>vins. Ce sont <strong>de</strong>s<br />

médiateurs du savoir divin, par exemple lorsqu’il s’agit <strong>de</strong> « prédire » le <strong>de</strong>stin (fatum). 1009<br />

Du guerrier, on exige avant tout la volonté <strong>de</strong> vaincre, et on prie Mars <strong>de</strong> vouloir assurer la<br />

victoire.<br />

Quirinus, quant à lui, est le symbole du pouvoir régalien <strong>de</strong> l’Etat. Il doit assurer la stabilité <strong>de</strong><br />

ce pouvoir, les conditions favorables pour la production agricole, le développement <strong>de</strong>s<br />

richesses et l’harmonie générale <strong>de</strong> la collectivité. La tradition collective et communautaire<br />

opposent <strong>de</strong> facto l’individu à au « peuple ». Cela renvoie à la polarité <strong>de</strong> l’individu élu par le<br />

<strong>de</strong>stin, en l’occurrence Romulus, confronté à l’ensemble <strong>de</strong>s Romains. Mais cette polarité,<br />

Quirinus la domine, grâce à l’entremise singulière <strong>de</strong> Romulus et <strong>de</strong> ses successeurs, afin<br />

d’assurer son pouvoir sur la totalité organique <strong>de</strong>s hommes. 1010<br />

On peut étendre le puissant outil <strong>de</strong> l’analyse triadique à d’autres visions du mon<strong>de</strong>. Freud luimême<br />

distinguait trois polarités essentielles, la « polarité réelle », la « polarité biologique » et<br />

la « polarité économique », pour reprendre ses propres termes. La polarité réelle est basée sur<br />

le principe <strong>de</strong> réalité, qui permet <strong>de</strong> distinguer le Moi et le mon<strong>de</strong>, pour acquérir un premier<br />

savoir. Ceci nous renvoie à la première fonction. La polarité biologique est liée à la pulsion <strong>de</strong><br />

mort, et donc au pôle <strong>de</strong> Mars. La polarité économique met en jeu le principe <strong>de</strong> plaisir, et<br />

1003 « De là les trois <strong>de</strong>grés <strong>de</strong> réalité chez Platon. « Toutes choses sont, dit-il, dans le roi qui règne sur toutes choses (il est la réalité<br />

première) ; le second est auprès <strong>de</strong>s êtres <strong>de</strong> second rang, et le troisième auprès <strong>de</strong>s êtres <strong>de</strong> troisième rang ». Il parle encore du « père <strong>de</strong> la<br />

cause ». Or la cause c’est l’intelligence; l’intelligence est pour lui le démiurge (…) Le père <strong>de</strong> la cause, c’est-à-dire <strong>de</strong> l’intelligence est, ditil,<br />

le Bien et ce qui est au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’intelligence et au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’être. (…) Le Parméni<strong>de</strong> <strong>de</strong> Platon distingue le premier un, ou un au sens<br />

propre, le second un, qui est une unité multiple, et le troisième qui est unité et multiplicité. » Plotin, Ennéa<strong>de</strong>s 5 liv 1 ch 8<br />

1004 Cf. Parméni<strong>de</strong> 137 d, 141 e, 142 a, 142 b et 156 b<br />

1005 « Car – c’est aussi l’opinion <strong>de</strong>s pythagoriciens – c’est le nombre 3 qui définit le Tout et toutes les choses, puisque ce sont les<br />

constituants <strong>de</strong> la tria<strong>de</strong> : fin, milieu et commencement, qui constituent aussi le Tout. » Aristote. Traité du ciel, 1, 1, 268 a 10 . Aristote<br />

applique aussi ce schéma ternaire à l’esprit humain : « C'est dans la partie rationnelle que le vouloir prend naissance, comme font dans la<br />

partie irrationnelle, l'appétit et l'impulsion. Si donc on fait l'âme tripartite, en chaque partie on retrouvera le désir. » Aristote De l'âme III, 9 -<br />

432 b 5<br />

1006 Plotin, Ennéa<strong>de</strong>s 5, liv. 1 ch. 7.<br />

1007 Dumézil note aussi qu’à la tria<strong>de</strong> archaïque succéda, vers la moitié du 3 ème siècle après la fondation <strong>de</strong> Rome, la tria<strong>de</strong> capitoline, formée<br />

<strong>de</strong> Jupiter Capitolin, <strong>de</strong> Junon et <strong>de</strong> Minerve. Mais c’est une autre tria<strong>de</strong>, une autre découpe dénotant une autre idéologie.<br />

1008 Clausewitz (De la guerre) parle significativement du « brouillard <strong>de</strong> la guerre » et <strong>de</strong> ses « frictions » (ses aléas incessants).<br />

1009 Le mot fatum vient d’ailleurs <strong>de</strong> for, parler, dire. Cf. Dictionnaire étymologique <strong>de</strong> la langue latine. A. Ernout, A. Meillet<br />

1010 « Covirino- est, d’après son nom, le patron <strong>de</strong>s hommes considérés dans leur totalité organique. Il laisse à Jupiter et à Mars la<br />

superstructure idéologique, et veille à la subsistance, au bien-être, à la durée <strong>de</strong> cette masse sociale. ( …) Pour les poètes du siècle d’Auguste,<br />

Quirinus est Romulus divinisé après sa mort, et n’est presque que cela. » G. Dumézil. La religion romaine archaïque.<br />

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