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SZCZEPAN TWARDOCH (1979), JOURNALISTE ET ROMANCIER, VIENT DE<br />
PUBLIER, L’ÉTERNEL GRUNWALD, UN ROMAN TRÈS BIEN ACCUEILLI PAR<br />
LA CRITIQUE, ET UN RECUEIL DE RÉCITS INTITULÉ C’EST BIEN AINSI.<br />
IL CONNAÎT TANT LE PARLER QUE LA CULTURE DE SILÉSIE ET IL EST<br />
UN EXPERT EN MATIÈRE D’ARMES. SON ROMAN MORPHINE A REÇU LE<br />
PRESTIGIEUX PRIX « LE PASSEPORT DE POLITYKA » QUI DISTINGUE<br />
LES LIVRES NOVATEURS POUR LE MONDE CULTUREL POLONAIS.<br />
Morphine<br />
Retour à la table des matières<br />
SZCZEPAN TWARDOCH<br />
Notre époque ne serait pas celle des grands romans et, pourtant, de temps<br />
à autre, un livre vient contredire cette affirmation. Morphine de Szczepan<br />
Twardoch est précisément un de ces textes imposant en volume, avec des<br />
protagonistes de sang et de chair, qui recourt aux thèmes éternels de la<br />
littérature que sont le destin de l’homme pris dans les filets de la grande<br />
histoire, avec des implications nationales et existentielles où interviennent<br />
la guerre, l’amour et la mort.<br />
Konstanty Willemann, un trentenaire dont la biographie est tellement riche<br />
qu’elle pourrait remplir la vie de plusieurs individus, nous promène dans<br />
Varsovie en 1939. Il est le mari de Hela, le père du petit Jureczek, mais il est<br />
aussi un coureur de jupons, l’amant de la séduisante Sala, un bon vivant et un<br />
morphinomane. Fils d’une Silésienne illuminée, Katarzyna, qui opta pour la<br />
nationalité polonaise et d’un officier allemand d’ascendance aristocratique,<br />
Konstanty ne se sent d’attaches particulières ni pour la Pologne ni pour<br />
l’Allemagne. Il est un sous-lieutenant qui s’efforce de remplir ses obligations<br />
militaires et un conspirateur grotesque qui se retrouve mêlé contre sa<br />
volonté à des activités clandestines. Son personnage tient beaucoup de<br />
ceux d’auteurs tels Witkiewicz ou Gombrowicz ou des opportunistes pris<br />
dans la tourmente de la guerre sans croire aux valeurs patriotiques que<br />
l’on trouve dans les films d’Andrzej Munk. Comme il est de mise dans les<br />
meilleurs textes littéraires, ce héros fascine alors qu’il est difficile d’avoir<br />
de la sympathie pour lui.<br />
Photo : Magda i Michał Kryjakowie<br />
Morphine nous rend vite dépendant. Le roman, avec son rythme enlevé,<br />
et malgré ses dimensions dignes du XIX e siècle, est très contemporain<br />
par la langue, il s’empare du lecteur. Grâce à Szczepan Twardoch, nous<br />
nous retrouvons à Varsovie aux premiers jours de l’occupation nazie,<br />
nous fréquentons des boîtes louches, des rues incendiées, nous faisons la<br />
connaissance de toute une pléiade d’individus et de leurs destins complexes<br />
décrits sur de longues années. Notre protagoniste est, quant à lui, suivi en<br />
permanence par une voix étrange, une force mystérieuse qui connaît le passé<br />
et l’avenir. Serait-ce le mécanisme qui régente le monde ? Le mal ou peutêtre<br />
le narcotique du titre qui murmure à l’oreille du héros des sortilèges<br />
néfastes ? À tout cela s’ajoute le fait que Szczepan Twardoch est un très<br />
bon observateur, un analyste sévère de la réalité. Il évite les conclusions<br />
toutes faites, les diagnostics simplistes pour montrer un homme pris dans la<br />
tempête de l’histoire et les tourbillons de ses propres pulsions ; un homme<br />
chez qui les pages noires prennent le pas sur les blanches. Ne serait-ce pas<br />
ainsi que se présenterait le monde ?<br />
Patrycja Pustkowiak