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28<br />

Friedrich von Borries<br />

Mainstream-Paradise – Hip Hop,<br />

Baskets et espace urbain<br />

Music Runs the City<br />

New York, 3 novembre 2003.<br />

Sean Jean Combs alias P. Diddy<br />

alias Puff Daddy, Rap-Star, compositeur<br />

et également créateur de<br />

mode depuis deux ans, court le<br />

marathon. Plusieurs gardes du<br />

corps l’accompagnent, il porte un<br />

jogging Nike blanc et des Nike Air<br />

Shoxs NX. Les chaussures sont de<br />

fabrication spéciale et doivent atténuer<br />

les problèmes de genoux de<br />

Combs. Pour chaque mile parcouru,<br />

il collecte des dons financiers destinés<br />

à des institutions sociales soutenant<br />

des jeunes défavorisés. À la<br />

fin de l’opération, deux millions de<br />

dollars ont été réunis.<br />

Combs veut non seulement aider les<br />

jeunes au niveau financier mais<br />

également montrer, par son investissement,<br />

que la discipline et la<br />

recherche de performances sont<br />

des qualités positives. La campagne<br />

“Diddy Runs the City“ est soutenue<br />

par des partenaires comme<br />

McDonald, MTV, Pepsi et Nike.<br />

“Nike a André Agassi et Tiger<br />

Woods“, explique Combs, “et maintenant<br />

ils m’ont aussi“.<br />

Le 21 janvier 2003, Adidas présente<br />

une édition spéciale de l’Ultrastar<br />

dédiée au co-fondateur du groupe<br />

Run-DMC, Jason Mizell alias Jam<br />

Master Jay, tué par balle dans le<br />

Queens (New York) en 2002. La<br />

chaussure comportant la photo et la<br />

signature de Jam Master Jay est<br />

fabriquée à 5000 exemplaires et<br />

n’est en vente que dans certaines<br />

boutiques Adidas ainsi que dans le<br />

magasin de chaussures de sport<br />

préféré de Run-DMC, Moe’s<br />

Sneaker Spot, situé dans le quartier<br />

de Jamaica dans le Queens. Le<br />

produit de la vente de la JMJ<br />

Ultrastar est vendue 100 dollars au<br />

profit du programme de bourses de<br />

la NYC Scratch DJ Academy fondée<br />

par Mizell. Lorsque le groupe<br />

Run DMC –ou ce qu’il en reste – est<br />

apparu sur scène au cours des MTV<br />

Video Music Awards 2003, environ<br />

300 invités portant des chaussures<br />

Adidas blanches firent des signes<br />

aux caméras.<br />

Début 2003, Nike a également présenté<br />

un “Rapper-Sneaker“: la<br />

Nike Air Burst blanche et grise,<br />

aussi appelée “Shady Burst“, est<br />

en vente au prix de 120 dollars dans<br />

des Niketowns sélectionnées (San<br />

Francisco, New York City, Las<br />

Vegas, Hawaii, Chicago). Marshall<br />

Débrouillards au Mainstream-<br />

Paradise! Hip Hop, Nike<br />

et Corporate Situationism<br />

Mathers alias Eminem alias Slim Shady en a fait<br />

lui-même l’esquisse. Mille exemplaires numérotés<br />

de la chaussure portent ses logos en plusieurs<br />

endroits: “E” sur la semelle intérieure, “Air Slim<br />

Shady” sur la languette et “Shady Records“ sur la<br />

semelle. Le produit de la vente est reversé à<br />

Marshall Mathers Foundation qui apporte son soutien<br />

à des jeunes défavorisés. Sur Internet, la<br />

Shady Burst se vend actuellement au prix de 400<br />

euros environ.<br />

Ghetto Culture<br />

Apparu dans les années 70 dans les “ghettos” du<br />

sud du Bronx new-yorkais, le Hip Hop raconte la<br />

vie quotidienne et urbaine de la Black<br />

Community: l’envie de consommer, le sexe, la drogue,<br />

la violence et le rêve d’argent facile. Le<br />

groupe Run DMC fondé en 1982 a permis au rap noir<br />

de devenir un phénomène courant et remporte un<br />

certain succès commercial. Ainsi, à la différence<br />

des “pères fondateurs” du rap, ils ne se présentaient<br />

pas en uniformes fantaisistes et funky mais<br />

en vêtements de ville, tenue du combat quotidien<br />

pour la survie – vêtements noirs et chaussures de<br />

sport blanches.<br />

«My Adidas / walk through concert doors / and<br />

roam all over coliseum floors / I stepped on stage,<br />

at Live Aid / All the people gave an applause that<br />

paid / And out of speakers I did speak / I wore my<br />

sneakers but I’m not a sneak / My Adidas cuts the<br />

sand of a foreign land / with mic in hand I cold took<br />

command / my Adidas and me both askin P / we<br />

make a good team my Adidas and me /we get<br />

around together, rhyme forever / and we won’t be<br />

mad when worn in bad weather / My Adidas./My<br />

Adidas.. / My Adidas / they’re black and white,<br />

white with black stripe / the ones I like to wear<br />

when I rock the mic / (...).» 1 – Vingt ans après My<br />

Adidas, le Hip Hop est un courant musical dominant<br />

et passe sur toutes les stations de radio et<br />

émissions musicales à travers le monde. Le Hip<br />

Hop représente la structure mentale des jeunes,<br />

reflète leur détachement dans notre société et leur<br />

désir de liberté tout comme leur désir de richesse –<br />

une culture de jeunesse qui est à la fois une protestation<br />

et une affirmation.<br />

Le rappeur idéal est issu de la classe sociale inférieure<br />

noire, a déjà vendu de la drogue et est<br />

sexiste. Étant originaire du ghetto urbain, il lui<br />

semble légitime d’exhiber de façon excessive les<br />

signes extérieurs de richesse pour prouver son succès.<br />

Et en même temps, il peut raconter avec<br />

authenticité des affaires de drogue, de meurtre et<br />

de guerre des gangs. Ainsi parle-t-il aussi bien des<br />

gens de la base qui n’ont pas accès aux produits<br />

de luxe de notre culture de consommation, que de<br />

ceux qui, faisant partie de la couche moyenne<br />

consommatrice, rêvent d’une alternative à leur<br />

ennui et leur vie ordinaire. Avec lui, la culture du<br />

ghetto – combat pour la survie, drogue, violence –<br />

est stylisée en une attitude artistique. Le succès<br />

global du Hip Hop repose sur la combinaison de la<br />

promesse de bonheur de la révolte pop des années<br />

soixante (sexualité excessive, envie d’ivresse,<br />

satisfaction immédiate des besoins) et des lois du<br />

marché du capitalisme (compétition, culte des<br />

stars, fétichisme de la consommation). Le ghetto<br />

sert alors de scène à une parabole concernant le<br />

Smart guys in Mainstream-Paradise!<br />

Hip Hop, Nike and Corporate<br />

Situationism<br />

combat pour la survie dans un capitalisme globalisé.<br />

Urban Survival<br />

Le Hip Hop et les chaussures de sport forment, avec l’image<br />

de la culture de ghetto, la sainte Trinité du Mainstream-<br />

Paradise dans la société de compétition capitaliste. Le<br />

ghetto reproduit la dureté de l’espace urbain quotidien – il<br />

caricature en tous les cas le fait que nous nous croyons à une<br />

distance de sécurité, le rap se pare pour le moment d’une aura<br />

d’improvisation dans la structure répétitive d’un monde<br />

homme-machine ; et les chaussures de sport incarnent une<br />

disposition au combat dans une compétition permanente (fit<br />

for survival), les conditions d’existence économiques de l’urbanité<br />

moderne – souple, dynamique, compétitive – sont intériorisées<br />

comme un style de vie. En tant qu’élément de la<br />

tenue de combat urbaine (Jil Sander, Prada, Donna Karan), la<br />

chaussure de sport symbolise un double point de vue, un<br />

besoin de “s’enfuir”: à la fois un désir de libération d’une<br />

pression concurrentielle au sein d’une société désolidarisée;<br />

et une la promesse d’une épreuve remportée dans cette<br />

société justement compétitive.<br />

Branding contre débrouillards ou la Sub-Culture<br />

comme moyen de collaboration?<br />

Image de marques et construction d’identité<br />

“Branding“ signifie attribuer une identité à une famille de<br />

produits, la doter d’attributs émotionnels afin de la rendre<br />

ainsi attrayante pour le consommateur, lequel s’intéresse<br />

moins à un produit qu’à un attribut du produit comme offre<br />

d’identification. Les exemples clairs décrits précédemment<br />

permettent ainsi de comprendre les croisements complexes<br />

qui existent dans les stratégies actuelles de marketing entre<br />

produits de consommation (ici: les chaussures de sport),<br />

biens culturels (ici: le hip hop) et espace urbain (ici: le<br />

ghetto). Au moyen d’ attributs qui lui sont offerts, le consommateur<br />

élabore son style comme un manifeste d’une identité<br />

artificielle.<br />

Les consommateurs adoptent, non sans les modifier, les<br />

offres d’identification spécifiques aux marques imaginées<br />

par les stratèges du marketing mais les distillent, les recodent<br />

et les recollent dans un contexte identitaire individuel<br />

plus vaste. Le consommateur est récalcitrant, il suit sa propre<br />

idée et est créatif. Consommer devient un acte créateur qui<br />

est productif en soi. C’est ainsi que Michel de Certeau décrivait<br />

le consommateur comme un débrouillard astucieux et<br />

subversif: «le pendant à une production rationalisée, expansive<br />

(…) et spectaculaire est une autre production qui est qualifiée<br />

de “consommation”: celle-ci est astucieuse et dispersée<br />

mais elle se propage partout sans faire de bruit et de<br />

façon presque invisible car elle ne s’exprime pas par des produits<br />

particuliers mais par la manière de côtoyer les produits<br />

imposés par un ordre économique dominant.» 2<br />

Ce mode de comportement pourrait alors être compris<br />

comme le triomphe du consommateur subversif sur les stratégies<br />

de marketing – si ces dernières ne s’étaient pas emparées<br />

depuis longtemps de ce soit-disant débrouillard subversif.<br />

Car, au cours des récentes évolutions de la politique des<br />

marques et de la recherche de tendance, l’idéal des consommateurs<br />

formulé par Certeau au début des années 80 est sorti<br />

de ses gonds dans les années 90. Depuis, les consommateurs<br />

astucieux – appelés “Early Adaptors” dans le jargon – sont<br />

observés, courtisés, intégrés, et, par leurs nouveaux styles,<br />

donnent le ton à la collection suivante. Par exemple, un<br />

Global Player tel H&M a besoin de trois semaines exactement<br />

pour transposer une tendance épiée en un produit très à<br />

la mode, en vente dans ses magasins. 3<br />

Événement de marques et production clandestine<br />

“Just do it” est le message central énoncé par l’image de<br />

marque de Nike depuis 1988 – un slogan qui invite à sortir de la<br />

vie quotidienne. Pour la firme, “Just do it” est aussi l’appel à<br />

une nouvelle idée de soi que l’on pourrait nommer “The Nike<br />

Way Of Life”. Au sens de “Just do it”, non seulement le champion<br />

couronné de succès est apte à devenir un héros Nike,<br />

mais aussi le vieux monsieur de quatre-vingts ans qui va<br />

encore faire son jogging. Vivre cet esprit Nike signifie “aller<br />

au-delà de ses propres limites”. Et “Just do it” de signifier que<br />

chacun peut réussir à se libérer des entraves qu’il s’est luimême<br />

imposées.<br />

Une des images les plus claires de ces entraves est la ville<br />

réglementée et son train-train. Un spot publicitaire de Nike<br />

des années 90 indique clairement ce que “Just do it” peut<br />

signifier pour l’urbanité. Il montre un match de tennis entre<br />

André Agassi et Pete Sampras sur la Cinquième Avenue, au<br />

centre de New York. Lorsque la rue devient un court de tennis<br />

et le trottoir une tribune, le mode fonctionnel de la ville semble<br />

levé, la logique du quotidien violée. En associant Agassi,<br />

le génie enfant terrible, et Sampras, l’athlète de perfection,<br />

Nike a mis en scène par ce clip publicitaire, le rêve par lequel<br />

briser le principe “same shit, different day”. Dans un contexte<br />

de routine quotidienne citadine, la pratique du sport devient<br />

un acte de libération. Just do it.<br />

Naturellement André Agassi et Pete Sampras ne sont que<br />

des représentants, des écrans de projection. Nous mêmes ne<br />

sommes pas destinés à vivre ce genre de choses. Mais, afin<br />

de pénétrer dans la mémoire et les émotions des consommateurs<br />

et ainsi au centre de la construction identitaire, la possibilité<br />

doit être offerte à l’acheteur potentiel de faire l’expérience<br />

de l’image de marque dans son propre corps. Ainsi,<br />

Nike a organisé différents événements à Berlin depuis qu’y a<br />

été ouverte la Niketown en 1999, qui ont fait de l’espace<br />

urbain un espace de marques temporaire. Lors de ces animations,<br />

il était possible de vivre le “Just do it” comme une<br />

action personnelle. Parmi ces interventions, on peut citer le<br />

fameux “Nikepark”, le “Nike-Eventspace” sur le terrain de<br />

l’ancien stade de la jeunesse mondiale, la “Bezirksbattle”<br />

(pour laquelle des équipes de football se sont formées dans<br />

différents quartiers de la ville avec la coopération de l’inspection<br />

académique), ou encore les cours de sport pour les jeunes<br />

des zones à problèmes telles que le Kreuzberg et enfin, la<br />

campagne “Show Your Freestyle” qui a été étendue à toute<br />

l’Allemagne.<br />

Grâce à ces interventions, la marque Nike est non seulement<br />

devenue un acteur de la ville mais aussi l’un de ses créateurs.<br />

À Berlin, la firme (tout comme d’autres marques d’ailleurs)<br />

fait fonction de sponsor, de partenaire et de promoteur de différentes<br />

scènes sub-culturelles déterminant une tendance.<br />

Nike essaie en outre et de plus en plus fréquemment, de s’introduire<br />

par des “opérations masquées” dans le code source<br />

culturel du groupe cible “en scène: les jeunes jusqu’à 35 ans”.<br />

Des actions discrètes comme l’ouverture d’un club temporaire<br />

au cœur de Berlin (Presto-Lounge) ainsi que l’essai très<br />

publicitaire d’utiliser le Palais de la République comme Nike-<br />

Eventspace temporaire avec des exploitants de club et des<br />

artistes originaires de la sub-culture berlinoise, comptent<br />

parmi ces manifestations.<br />

Ces évolutions ne sont pas les dernières à remettre violemment<br />

en cause l’image romantique de “débrouillard subversif”<br />

du consommateur. Le débrouillard a-t-il revu ses priorités<br />

et serait-il devenu un collaborateur, une aide docile du marketing<br />

global ? Des métropoles comme Berlin ou Londres se<br />

sont-elles transformées en laboratoires surdimensionnés de<br />

styles de vie et de tendances de la vie quotidienne, en champs<br />

expérimentaux pour lanceurs de mode et chercheurs<br />

de tendance auxquels font solidairement<br />

appel les sub-cultures et les services de<br />

marketing? La sub-culture est-elle devenue, parallèlement<br />

à la solution progressive de la différence<br />

entre production et consommation, un style avantgardiste<br />

“volontaire” du marketing global?<br />

La ville future comme espace de marques<br />

Les Niketowns peuvent être considérées comme<br />

le point de départ et le centre organisationnel<br />

d’actions et d’interventions par lesquelles la firme<br />

essaie de pénétrer dans la structure mentale de la<br />

ville. On suppose à la base de cette tentative<br />

d’empiètement dans la “mental map” qu’un<br />

“Mainstream-Paradise” est le rêve de la plupart<br />

des personnes appartenant à la classe moyenne<br />

globale, paradis dans lequel sont offerts des événements<br />

directement consommables et de qualité<br />

constante qui permettent de vérifier sans cesse la<br />

construction identitaire personnelle. Le marketing<br />

urbain de Nike équivaut dans ce cas à une tentative<br />

de réalisation des Niketowns en tant que fragment<br />

de ce Mainstream-Paradise dans la ville<br />

réelle. Pour les stratèges du groupe, espace urbain<br />

signifie avant tout “destination événementielle<br />

spécifique aux marques”. Dans ce contexte, les<br />

campagnes de marketing berlinoises de Nike<br />

acquièrent une nouvelle signification culturelle<br />

puisqu’elles participent d’une manière avant-gardiste<br />

à ériger une ville de marques à venir. Lors de<br />

la campagne en faveur de l’ouverture d’une<br />

Niketown à Berlin en 1999, d’autres moyens présentaient<br />

déjà cette continuité de Niketown. Les<br />

affiches annonçaient : “Des stades, il y en plus que<br />

tu ne crois. L’un d’entre eux se trouve directement<br />

sous ce poster.” Ce n’est pas seulement le grand<br />

magasin de sport de Tauentzien qui est la vraie<br />

Niketown mais toute la ville. Welcome to<br />

Niketown.<br />

“La grande civilisation à venir va construire des<br />

situations et des aventures” écrivaient les<br />

Lettristes internationaux en 1954: “Une science de<br />

la vie est possible. L’aventurier est davantage<br />

celui qui laisse l’aventure arriver plutôt que celui à<br />

qui elle arrive. (...) La part de chaque petit hasard,<br />

que l’on nomme destinée, va se réduire. Pour cela,<br />

une architecture, un urbanisme et une expression<br />

plastique puissante dont nous possédons les premiers<br />

fondements se rejoignent”. 4 Étude de marché,<br />

étude de tendance, brandscaping – valorisation<br />

de la marque, mise en scène d’atmosphères<br />

spécifiques au groupe contribuent-elles à une<br />

“science de la vie”? Les interventions urbaines de<br />

Nike sont-elles les “situations et les aventures”<br />

d’une civilisation à venir?<br />

Corporate Situationism – résistance ou affirmation?<br />

Les dernières utopies et leur feinte<br />

Si l’on applique le cliché du “situationnisme” aux<br />

campagnes urbaines de Nike, l’on finit par se<br />

poser la question qui peut sourdre au cœur de la<br />

conception élargie de Niketown et de modèle de<br />

“ville comme espace d’événement spécifique à la<br />

marque“: avons-nous affaire dans la Niketown<br />

imaginaire à une satisfaction affirmative, devenue<br />

commerciale, de la vision d’une ville situationniste<br />

– le Corporate-Situationism-Mainstream-<br />

Paradise? 5<br />

L’urbanisme de Nike présente des<br />

similitudes non seulement avec la<br />

critique drastique de la ville mais<br />

aussi avec le modèle emphatique<br />

d’une “autre ville pour une autre<br />

vie“ telle qu’elle a été défendue par<br />

les situationnistes. D’une part, le<br />

groupe d’articles de sport représente<br />

la ville existant réellement<br />

comme un espace réglementé et<br />

limitatif et, d’autre part, il veut la<br />

transformer en un espace événementiel<br />

plein de tensions. La<br />

Niketown imaginaire en tant que<br />

mise en scène ou simulation d’une<br />

meilleure réalité réagit précisément<br />

à chacun des abus de la ville<br />

moderne, également désignés par<br />

Debord et ses compagnons :<br />

absence d’enchantement, d’inconnu,<br />

d’imprévisible. Les espaces<br />

de marques urbains remplissent<br />

ainsi justement chaque brèche vide<br />

de sens que l’urbanisme moderne a<br />

ouvert dans la ville en la divisant<br />

fonctionnellement et en éliminant<br />

tout ce qui est méprisable, impénétrable<br />

et sombre.<br />

La ville des situationnistes devait<br />

être marquée par la survenance<br />

d’événements fortuits et par la<br />

modification et le renversement<br />

constants des rapports dominants.<br />

C’est pourquoi, ils voulaient relayer<br />

le ‘zoning’ fonctionnel par une ville<br />

du jeu et de l’aventure: “Nous<br />

revendiquons l’aventure. Certains<br />

se mettent à la chercher sur la lune<br />

puisqu’ils ne la trouvent plus sur la<br />

terre. Nous, nous misons tout<br />

d’abord et en permanence sur un<br />

changement sur cette terre. Notre<br />

projet est de créer des situations ici<br />

– des situations nouvelles. Nous<br />

tenons compte de la violation des<br />

lois qui entravent le développement<br />

d’activités efficaces dans la vie et<br />

dans la culture. Nous sommes au<br />

début d’une nouvelle ère et<br />

essayons de concevoir dès<br />

aujourd’hui l’image d’une vie heureuse<br />

et d’un urbanisme unitaire –<br />

l’urbanisme pour le plaisir.” 6<br />

Lorsque Nike transforme un tunnel<br />

de métro en une rampe pour skateurs,<br />

lorsque l’on peut y jouer au<br />

basket et au football, les règles légitimes<br />

de la ville rationnellement<br />

planifiée sont alors remises en<br />

cause pour un temps – ceci ne correspond-il<br />

pas à une désaffectation,<br />

à un détournement au sens<br />

strict des situationnistes ? Et si cela<br />

se passe non pas dans n’importe<br />

quelle station de métro mais dans<br />

celle se trouvant sous le Reichstag 29

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