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Boris Sieverts À propos de mes voyages About my Trips 1. Amphithéatre, 2001, La Courneuve<br />

2. Nippes symmatriae, 2000, Köln<br />

3. Türkische Gärten Hürth, 1997, Köln<br />

Depuis 5 ans, je guide des touristes ainsi que des<br />

citadins intéressés originaires des environs à travers<br />

des villes de banlieue: ces lieux situés entre<br />

les centres-ville cultivés, très souvent figés depuis<br />

longtemps tels des emblèmes, et la campagne cultivée<br />

qui les entoure, également établie dans une<br />

forme de paysage. Ces voyages se déroulent dans<br />

des zones dont l’existence est plutôt assimilée à<br />

des noms de sortie d’autoroute et à des endroits<br />

où se trouvent des fournisseurs de matériaux qu’à<br />

des lieux réels généralement connus. Avec ces<br />

“voyages organisés”, le plus souvent pour plusieurs<br />

jours, à pied ou à vélo, j’essaie de rendre ces<br />

territoires lisibles en tant que paysages hautement<br />

complexes.<br />

Le patchwork affirmé de choses apparemment<br />

sans forme qui caractérise les fragments sur lesquels<br />

je me concentre, génère une qualité que je<br />

nomme “persistance esthétique”: un paysage<br />

dont la destinée, la lecture, la reconnaissance<br />

n’est jamais terminée, parce que, pour le saisir<br />

dans son ensemble, la vie d’un homme ne suffit<br />

pas, parce que celui-ci est en mutation permanente,<br />

et qu’il renferme des zones interdites ou<br />

inaccessibles, parce que ses contrastes sont trop<br />

grands pour pouvoir les penser ensemble ou parce<br />

que ses ruptures, ses strates et les récits qu’il<br />

contient sont trop nombreux pour pouvoir les<br />

englober dans un raisonnement.<br />

Les thèmes qui s’imposent toujours à moi dans la<br />

recherche de ces lieux et qui par la suite deviennent<br />

également déterminants pour les voyages<br />

proposés, se divisent en deux catégories:<br />

la première catégorie concerne les qualités qui<br />

marquent la réalité de la vie quotidienne des personnes,<br />

des animaux et des plantes vivant et fréquentant<br />

ces zones. Parmi ces particularités, il<br />

faut souligner le potentiel utopique de ces zones.<br />

Celui-ci devient perceptible grâce à:<br />

– La constitution et le maintien de zones de “libertinage”,<br />

c’est-à-dire de zones qui se trouvent pour<br />

ainsi dire dans la sphère cachée de notre monde<br />

contrôlé. Elles offrent un espace aux expériences<br />

sociales et créatrices. Construction et expérience<br />

de la vie n’y font souvent qu’un. Le bricolage<br />

engendre une économie en cercle fermé. Les lieux<br />

de vie sont définis par l’usage et non par la propriété.<br />

Ils sont de ce fait un espace pour une vie<br />

non aliénée. J’aime les appeler “biotopes<br />

humains”.<br />

– Par analogie en quelque sorte, la constitution et<br />

le maintien de biotopes naturels se trouvent sur<br />

des espaces résiduels découlant de la planification<br />

des transports, anciennes décharges, champs<br />

et jardins abandonnés à proximité des villes, gravières,<br />

etc. Très souvent, les biotopes humains et<br />

naturels se jouxtent tout en se complétant.<br />

La deuxième catégorie d’avantages des paysages<br />

citadins spontanés concerne leurs qualités esthétiques.<br />

Celles-ci ont une signification qui dépasse<br />

largement les besoins individuels et les nécessités<br />

vitales quotidiennes des divers groupes sociaux<br />

dans la mesure où ici, aux lisières non modelées<br />

de nos métropoles, s’offre une chance immense<br />

d’examiner et d’étendre les canons esthétiques<br />

admis par la société. Parmi les expériences esthétiques<br />

et les processus de perception liés à l’étude<br />

de ces zones, les suivants me semblent particulièrement<br />

importants:<br />

– Ces étendues incitent à décoder sur un mode<br />

esthétique un monde apparemment “inesthétique” à l’œil de<br />

l’habitué: alors se manifeste une richesse sans pareille de<br />

structures acceptant les types de lecture les plus divers, de<br />

fragments qui renvoient aux contextes fonctionnels anciens<br />

les plus étranges, de processus de changement qui à plus longue<br />

échéance sont également inépuisables sur le plan esthétique.<br />

– Les périphéries sauvages des grandes villes constituent<br />

l’une des dernières grandes aventures. Elles sont l’inexploré,<br />

du sublime à l’insignifiant et recèlent de plein de surprises et<br />

de secrets: les fragments peuvent toujours être recomposés<br />

en nouveaux contextes de vie “pour un jour”.<br />

– Elles comportent une invitation non seulement à assembler<br />

intellectuellement des choses disloquées, à les interpréter, à<br />

créer des liens associatifs, mais aussi à franchir et à apprendre<br />

à décrypter les trous dans les clôtures et toutes les autres<br />

limites estompées de système et de milieu que l’on peut<br />

découvrir en y regardant de plus près.<br />

– Elles apprennent à faire la différence entre la valeur des choses<br />

et leur raison d’être.<br />

– Elles obligent tout un chacun à supporter et à apprécier<br />

d’être étranger.<br />

– Elles offrent la possibilité de reconnaître des différences et<br />

des convergences culturelles au-delà des poncifs habituels et<br />

insuffisants de l’origine, de l’éloignement spatial, du niveau<br />

d’instruction et du niveau de vie;<br />

– de confronter des clichés transmis à sa propre expérience;<br />

– de faire une lecture du territoire: la clé de lecture de nos<br />

conurbations, habituellement qualifiées de façon polémique<br />

de “désordonnées”, se trouve dans leur appréhension du territoire.<br />

Car considéré comme territoire, donc du sol sur lequel<br />

se trouvent les choses, leur manière spécifique de “se trouver<br />

là” devient évidente, oui, on reconnaît d’une certaine manière<br />

une des conditions de base de l’architecture: à savoir qu’elle<br />

crée d’abord des objets qui se trouvent là et que la modification<br />

de cet état par l’accumulation de plusieurs constructions<br />

dressées de façon significative les unes par rapport aux<br />

autres constitue un cas unique et une performance culturelle<br />

remarquable au-delà de laquelle tout est loin d’être primitif.<br />

Lorsque l’on a accepté que l’architecture est quelque chose<br />

qui se trouve là, la marge des villes commence à plaire. Des<br />

bâtiments en apparence quelconques deviennent des monuments<br />

et des lotissements stigmatisés en cités-dortoirs<br />

deviennent des entités villageoises.<br />

Lorsque les maisons ne doivent plus former de rues mais qu’à<br />

la place, vues de la prairie en friche, du champ ou de la gravière<br />

voisine, elles deviennent des éléments parlants de notre<br />

milieu de vie, alors, le champ, la prairie en friche, la gravière,<br />

la sous-couche en grave de l’impasse surdimensionnée et<br />

jamais achevée qui aboutit à l’aire de retournement d’un<br />

quartier pavillonnaire, l’espace bétonné desservant les garages,<br />

le tracé de la ligne haute tension, la zone d’aménagement<br />

différé voisine… en bref: le territoire lui-même sur lequel ou à<br />

côté duquel se dressent les choses, devient “l’environnement”,<br />

le “milieu” dans lequel on se trouve.<br />

Lorsqu’en 1997, j’ai invité pour la première fois des amis et des<br />

connaissances à me suivre pendant deux jours à travers ma<br />

patrie d’adoption, l’Est de Cologne, je n’étais pas du tout sûr<br />

qu’ils sauraient reconnaître le charme de la région. Jusque-là,<br />

je m’étais promené la plupart du temps seul ou en compagnie<br />

de quelques personnes. J’avais d’abord eu recours aux photos<br />

pour témoigner de mes impressions. Lorsque j’ai constaté<br />

que les images intérieures résultant de ces excursions étaient<br />

plus importantes que les photos, l’idée me vint de proposer<br />

des circuits.<br />

L’expérience du voyage de groupe organisé réussit… Et un<br />

jour, j’appelai ce projet “Agence de voyages urbains”.<br />

Les voyages proposés par l’agence de voyages urbains associent<br />

entres autres: espaces en friche et lotissements de tou-<br />

tes sortes, parkings, chantiers de<br />

démolition, lacs artificiels formés<br />

dans des gravières, bois, champs,<br />

jardins, autoroutes, écoles, ports,<br />

foyers pour réfugiés, voies ferrées,<br />

terrains militaires, zones industrielles,<br />

aéroports, tunnels, impasses,<br />

petits sentiers, zones alluvionnaires,<br />

décharges, et enchaînements<br />

d’espaces allant du merveilleux au<br />

brutal. Ils assemblent pour un, deux<br />

ou trois jours, les fragments d’espaces<br />

fractionnés en contextes de vie.<br />

Ce sont alors des modèles grandeur<br />

nature montrant la manière dont cet<br />

espace, alors espace d’aventure<br />

pour randonneurs curieux, peut<br />

devenir un environnement expressif,<br />

impliquant l’addition d’éléments<br />

fonctionnels. La complexité<br />

des réalités se trouvant directement<br />

les unes à côté des autres ou se chevauchant<br />

et s’interpénétrant, transmet<br />

aux participants le sentiment<br />

d’un voyage de plusieurs semaines.<br />

L’offre actuelle d’excursions comprend<br />

l’ensemble de la banlieue de<br />

Cologne, d’importantes parties de<br />

la banlieue parisienne, la région de<br />

la Ruhr sous diverses formes ainsi<br />

que, telle une frange urbaine intramuros,<br />

une visite guidée le long de<br />

la voie express nord-sud de la ville<br />

de Cologne. S’y ajoutèrent, à titre<br />

de travaux réalisés dans le cadre de<br />

l’atelier d’architecture et d’art, des<br />

excursions à travers la banlieue est<br />

de la ville française de Nantes et le<br />

long de la route nationale B1 / A40<br />

du bassin de la Ruhr. Une excursion<br />

a été mise en place pour le compte<br />

du ministère des Transports hollandais<br />

et de la Fondation hollandaise<br />

pour l’Art dans les espaces publics<br />

(SKOR) au cours de laquelle sont<br />

expliqués les aspects paysagers<br />

des autoroutes à l’exemple de la<br />

rocade périphérique de Rotterdam.<br />

(Le programme complet peut être<br />

consulté sur le site: www.neueraeume.de)<br />

For the past five years I’ve been working as a guide in<br />

suburban towns for both tourists and citizens hailing<br />

from the area who are interested. The kind of towns that<br />

lie between city centres with all their culture, often long<br />

since frozen like emblems, and the cultivated countryside<br />

surrounding them, likewise set in a form of landscape.<br />

These trips take place in areas whose existence<br />

tends to be linked with the names of motorway exits<br />

and places where you find suppliers of materials, rather<br />

than with real places known to one and all. With these<br />

“organized trips”, which usually last for several days,<br />

on foot or by bicycle, I try to make these territories<br />

readable as extremely complex landscapes. The marked<br />

patchwork of apparently formless things, that typifies<br />

the bits I focus on, creates something with a quality<br />

that I call “aesthetic persistence”: a landscape whose<br />

destiny, reading and recognition is never complete,<br />

because, in order to grasp it in its entirety, the life of a<br />

person is not enough, because it is in a state of ongoing<br />

change, because it encloses prohibited and inaccessible<br />

zones, because its contrasts are too great to<br />

be able to conceive of them together, or because its<br />

breaks, layers and the narratives it contains are too<br />

numerous to be able to encompass them in any one<br />

argument. The themes which invariably come to the fore<br />

in my search for these places, which subsequently also<br />

become decisive for the trips on offer, can be divided<br />

into two categories.<br />

The first category has to do with the qualities which<br />

mark the reality of people’s daily lives, and the lives of<br />

animals and plants living in and frequenting these<br />

zones. It becomes perceptible thanks to:<br />

– the formation and upkeep of zones of “debauchery”<br />

(libertinage), i.e. zones which occur, so to speak, in the<br />

hidden sphere of our controlled world. They offer a<br />

space for social and creative experiences. In it, the construction<br />

and experience of life often become one. The<br />

makeshift aspect gives rise to a closed-circle economy.<br />

Life places are defined by use and not by ownership. As<br />

a result, they are a space for a non-alienated life. I really<br />

like calling them “human biotopes”.<br />

– By analogy, in a way, the construction and upkeep of<br />

natural biotopes occur in residual spaces issuing from<br />

the planning of transport, old dumps and tips, abandoned<br />

gardens close to cities and towns, gravel pits,<br />

and so on. In many instances, human and natural<br />

biotopes rub shoulders and complement each other.<br />

The second category of advantages of spontaneous<br />

urban landscapes – cityscapes – has to do with their<br />

aesthetic qualities. These qualities have a meaning<br />

which goes well beyond individual needs and the vital<br />

daily necessities of the various social groups, in so far<br />

as, here, on the non-modelled outskirts of our metropolises,<br />

there is a huge opportunity to examine and extend<br />

the aesthetic canons admitted by society. Among the<br />

aesthetic experiences and the perceptive processes<br />

associated with the study of these zones, the following<br />

seem to me of special significance:<br />

– these expanses prompt a decoding, based on an aesthetic<br />

method, of an apparently “kinaesthetic” world, in<br />

the eye of the person accustomed to it: there then<br />

appears an unparalleled wealth of structures accepting<br />

the most diverse types of reading, of fragments referring<br />

to the oddest age-old functional contexts, and of<br />

processes of change which, in the longest term, are<br />

also inexhaustible at the aesthetic level.<br />

– The wild outskirts of major cities represent one of the<br />

last great adventures. They are the unexplored zone,<br />

from the sublime to the insignificant, and they are filled<br />

with surprises and secrets: the bits and pieces can<br />

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