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8 Sommaire Content Avant-propos Foreword 4 Avant-propos du maire Foreword Mayor 6 Avant-propos du président du Conseil régional de la région Centre Foreword Chairman Centre Regional Council Avant-propos du département du Patrimoine Foreword Heritage Department 7 Avant-propos du président du FRAC, François Bordry Foreword Président FRAC Bordry Essais Essays 10 Bart Lootsma La ville à nu / The naked city La ville à nu / The naked city 16 Lars Lerup Thérapies de remplacement: le domaine public contre le nouveau tribalisme Replacement Therapies 20 Nikolaus Kühnert L’Architecture Off Off Architektur 26 Friedrich von Borries Débrouillards au Mainstream- Paradise ! Hip Hop, Nike et Corporate Situationism Welcome to Corporate-Situationism- Mainstream-Paradise 32 Roemer van Toorn La Société du Et The Society of the And Dérive 46 Wilfried Hou Je Bek Un Urbanisme à créer soi-même Do-It-Yourself-Urbanism 51 Boris Sieverts À mes voyages 55 Boris Sieverts Ohio Vitrine 61 Nick West Tapisseries Urbaines: le spatial et le social sur votre mobile Urban Tapestries: the Spatial and the Social on your Mobile La ville à nu The Naked City 67 Boeri Studio / Multiplicity Entre le Port et la Ville, Stefano Boeri Villa Marseilles, Boeri Studio Solid Sea 2: Odessa / the World, Multiplicity 77 MUST EU 21 – Remanier le paysage européen du XXI e siècle Reshuffling the European Landscape Unicity – Une Europe Rapide Unicity Internationalisme Internationalism 87 Diego Barajas Dispersion 94 Raumtaktik Friedrich von Borries, Matthias Böttger Sacs à Linge Laundry Bags Matchmaker Matchmaker Matchmaker Heterotopies Heterotopias 101 Nathaniel Belcher, Stephen Slaughter Harlem: le fabuleux ghetto Harlem Ghetto Fabulous 106 ON / Stalker & Osservatorio Nomade le vaisseau spatiale Corviale Spaceship Corviale Frontières Borders 111 Studio Teddy Cruz La frontière: un lieu d’origine The Border, a Place of Origin 121 Eyal Weizman & Anselm Franke Constructeurs et Guerriers, Eyal Weizman Builders and Warriors, Eyal Weizman Foules intelligentes Smart Mobs 129 Wim Cuyvers & Mark de Blieck 139 Bas Princen Artificial Arcadia Logiciel urbain Urban Software 147 MVRDV L’Architecture est un mécanisme Architecture is a Device 153 STEALTH Group Wild city Urbanisme Urbanism 161 Michael Bell Rockaway Beach 167 CHORA Toucher la seconde peau, Raoul Bunschoten Touching the Second Skin, Raoul Bunschoten, 177 Maurice Nio & Paul Perry Phase 3 d’Amsterdam 2.0 Shrinking Cities 187 Philipp Oswalt, Sybil Kohl, Albrecht Schäfer, 3 Villes 3 Cities 191 Dan Pitera Géographies Mutantes Mutant Geographies 197 BAR, Modellstadt le “design behaviour”, Conor Moloney Biotechnologie Biotech 215 EZCT Pourquoi la recherche et l’architecture contemporaine devraient être si différentes, Philippe Morel Why contemporary research and architecture should be so different, Philippe Morel 225 Zbigniew Oksiuta Espaces congelés et espaces de reproduction Spatium Gelatum and Breeding Spaces L’Architecture Media Media Architecture 231 Petra Gemeinböck Un élément tiers, autre Something Third, Other 237 Knowbotic Research naked bandit / here, not here / white sovereign Le pouvoir de la forme The Power of Form 245 Evan Douglis Helio-scope 251 Périphériques Scary Monsters and Superfreaks 257 Weichlbauer Ortis WohnDNA Abstraction Concrète, Manuela Hötzl Concrete Abstraction, Manuela Hötzl 263 Xefirotarch la baie de Busan :Drops:, Hernan Diaz Alonso 273 Crédits, biographies 9
10 Bart Lootsma Commissaire d’ArchiLab 2004 Curator of d’ArchiLab 2004 Dans la production architecturale internationale, en dehors du succès mondial d’un Postmodernisme banal et quotidien, nous voyons se creuser de jour en jour le décalage entre un modernisme modéré et discret, panaché de traditions locales, et une architecture qui ne vit que sous les feux de la rampe internationaux et attire massivement l’attention des médias. Cependant, nous prenons en même temps conscience de ce que la révolution technologique aussi bien que sociogéographique des années 90 a pour conséquence une série d’effets émergents, dont de nouveaux problèmes et possibilités qu’il est nécessaire d’aborder. Au cours des deux dernières années, un groupe d’architectes amplifié a commencé à se pencher sur ces phénomènes et à développer des stratégies et des méthodes nouvelles. Un aspect important de cette nouvelle direction empruntée par l’architecture est qu’elle s’intéresse à la réalité de la ville et ses nouvelles données, qui se précisent aujourd’hui avec ou sans l’intervention des architectes. Et ceux-ci veulent, en tout premier lieu, mettre la ville à nu. La première position qui a été baptisée, entre autres, de « réflexive », par moi-même dans SuperDutch ; « moderne réflexive » par Ulrich Schwartz, qui utilise le terme d’une façon différente pour caractériser l’architecture allemande ; et « trans-moderne » par Otto Kapfinger lorsqu’il traite de l’architecture autrichienne récente. Cette position apparaît donc comme une reprise ou une amélioration des stratégies nationales existantes desquelles il me semble parfois entendre de faibles échos émanant du Régionalisme critique 1 . Les architectes qui ont emprunté cette direction commencent leur carrière de façon pratiquement traditionnelle en concevant des bâtiments dans leur propre pays, ce qui leur confère peu à peu une notoriété internationale car leur œuvre construite s’avère régulièrement de qualité. Même si on peut trouver des différences individuelles dans leur œuvre, il semble qu’il y ait une certaine homogénéité du point de vue de l’approche et de l’esthétique. La deuxième position est définie par un groupe d’architectes qui, dès le départ, étudient, travaillent et enseignent dans le monde entier. Herbert Muschamps a récemment défini ce groupe de la manière suivante : « Bon nombre d’entre eux – La ville à nu The Naked City ou devrais-je dire d’entre nous – sommes des banlieusards déplacés : enfants de l’exode d’aprèsguerre, envoyés vers les banlieues, nous avons découvert au début de l’adolescence que nous n’aurions apparemment jamais les moyens de nous payer des maisons aussi agréables que celles dans lesquelles nous avions grandi. Nous pouvions toutefois nous payer des billets d’avion. C’est ainsi que, dans les années 60 et 70, les enfants du baby boom, affamés de différence et d’ailleurs notoirement absents de la vie dans les banlieues, se sont mis à faire, sans répit, le tour du monde. Nous partîmes à la recherche d’endroits qui nous impressionneraient, de bâtiments qui nous enseigneraient de nouveaux regards à porter sur le monde et de nouveaux styles de vie. [...] Alors que l’architecture offre des destinations symboliques à ce groupe, le design donne aux individus des outils pour forger leurs nouvelles identités – à travers les vêtements qu’ils portent, les gadgets qu’ils utilisent, les meubles qu’ils choisissent pour leurs appartements et maisons. Cette recherche identitaire par le biais du design fait, jusqu’à un certain degré, écho au mouvement Good Design lancé par le Musée d’art moderne, la Conférence d’Aspen sur le Design et l’Institut de Technologie de l’Illinois. Aujourd’hui comme à cette époque plus ancienne, les designers cherchent à travailler à l’intérieur du système moderne de production et de distribution de masse. L’esthétique du nouveau design offre toutefois des visages beaucoup plus variés.» 2 La génération dont Muschamps parle est celle de Frank Gehry, Zaha Hadid et Daniel Libeskind. Ils bâtissent dans le monde entier, dans des villes qui veulent se démarquer dans un contexte de concurrence mondiale. C’est la génération de l’ “effet Bilbao”. À eux tous, ils forment une élite nouvelle, radicalement sans attache. Parfois il est difficile de dire à quelle nationalité ils appartiennent. Gehry est-il américain ou canadien ? Zaha Hadid est née à Bagdad, vit à Londres et enseigne à Vienne. Que penser de Daniel Libeskind ? Est-il polonais, allemand, américain ou simplement juif ? Rem Koolhaas aime à parler avec mélancolie de sa jeunesse en Indonésie et a une relation d’amour/haine avec les Pays-Bas. Il passe ses week-ends à Londres, avec sa femme, et le New York Times parle ouvertement de ses liaisons avec des femmes dans le monde entier. Son livre S, M, L, XL s’ouvre sur des schémas de son programme de vols. Koolhaas s’est aussi moqué de mon livre SuperDutch : « Imaginez quelle nausée nous soulèverait s’il existait un livre intitulé Super-Allemands, comme nous ririons des Super- Belges; ricanerions des Super-Français, et nous nous plaindrions des Super-Américains.» 3 Il se trouve qu’après un début de carrière aux Pays- Bas, la plupart des architectes présentés dans SuperDutch travaillent aujourd’hui au niveau international et ne veulent plus qu’on les considère seulement comme des « Néerlandais ». Pour cette génération, la mondialisation fut également une expérience traumatisante, comme on peut se le figurer en faisant des recherches dans leurs biographies ou, plus souvent, à travers des citations. Cela est lié au sentiment d’exil, auquel ils réagissent avec agressivité. « Fuck context », a écrit Rem Koolhaas en se référant à la mort de l’urbanisme. Au cours d’une conférence à Porto, il répondit à Vittorio Lampugnani, qui plaidait en faveur de nos sites historiques, dont nous devrions prendre un soin jaloux et respectueux de façon à les partager comme nous partageons nos maisons de famille, qu’il venait de calculer avec combien de frères, de sœurs, de cousins, de nièces, il devrait partager cette maison et que ce ne serait pas un partage équitable 4 . Ainsi que Zaha Hadid me l’a récemment dit au cours d’une interview : “Unsere Arbeit hat immer mit der Setzung von Zäsuren zu tun, es ging immer um das einziehen neuer Linien, um alle mögliche Arten der in diesem Moment freigesetzten Energien. Die Strukturierung des Raumprogramms wurde zum Beispiel zum wichtigsten Teil der Recherche, was natürlich dazu führte, bestehende Typologien in Frage zu stellen. Vom formalen Reper toire abgesehen, war dies der wichtigste Teil unserer Arbeit.” [« Notre travail est toujours en lien avec le placement de césures, il s’est toujours agi de l’introduction de nouvelles lignes, de tous les types possibles d’énergies libérées à ce moment. La structuration du programme d’aménagement de l’espace est devenu par exemple la partie essentielle de la recherche, ce qui a naturellement amené à remettre en question les typologies existantes. Outre le répertoire formel, tel était l’essentiel de notre travail. »] 5 . Il s’agit là de la génération du Déconstructivisme. Elle aime se considérer comme une nouvelle avant-garde, façonnée sur le modèle de celles des années 20, notamment le Constructivisme. Ses représentants en diffèrent fondamentalement car ils ne prennent pratiquement jamais de position politique, Manfredo Tafuri leur ayant appris que toute avantgarde est de toute façon condamnée à être avalée par le capitalisme. La génération actuelle ne se présente pas seulement, selon les termes de Greg Chrysler dans son livre Writing Spaces (Des espaces pour écrire), comme la génération des « stratégies de perturbation » mais aussi comme « la génération de la théorie » 6 . Et il n’a certainement pas existé de génération qui produise autant de théorie pour justifier son œuvre et lui donner une base sur laquelle s’appuyer – une prolifération telle qu’on pourrait légitimement discuter ou non du fait que leur architecture est la vraie architecture réflexive. Parallèlement, ils baissent les armes devant la réalité que constitue le capitalisme. Le caractère extravagant de leur œuvre les amène à une position dans laquelle ils ne peuvent guère travailler que pour une nouvelle élite capitaliste désirant se démarquer, qu’il s’agisse de sociétés multinationales importantes à la recherche d’une identité ou de villes qui, dans le contexte de la concurrence internationale, cherchent désespérément à attirer « la classe créative » ainsi que l’appelle Richard Florida 7 . Toujours est-il que, dans un contexte mondial, la relation entre une certaine approche du design et la situation locale est problématique et doit être redéfinie. Là encore nous constatons une rupture. D’un côté nous assistons à la montée d’une génération encore plus jeune pour laquelle le contexte mondial n’est que le cadre normal dans lequel ils évoluent. Ils étudient à l’étranger, participent à des concours internationaux et se rencontrent dans des conférences et des expositions internationales. Ils fondent les stratégies qu’ils utilisent au niveau local sur la généralisation de théories comme celle du chaos, de la complexité ou encore des systèmes. Toutefois, même s’ils utilisent ces théories pour traiter des situations locales – les éditeurs d’Assemblage ont même suggéré un retour aux années soixante et à l’écologie, le plus important est qu’à l’intérieur des projets naît une nouvelle cohérence qui les rend encore plus autonomes et indépendants que les expériences muettes et les exercices centrés autour du langage architectural de la génération précédente 8 . Ces architectes ont répondu avec le plus grand optimisme aux changements imposés par la mondialisation et la technologie et ils ont mis à profit l’utilisation des logiciels les plus récents pour créer de nouvelles formes pleines d’audace. Le cabinet Foreign Office Architects, fondé par un Espagnol et une Irakienne à Londres mais qui se déplace à Tokyo suivant les projets, est caractéristique de cette nouvelle mentalité. Ils présentent leurs projets dans le pavillon espagnol aussi bien que dans le pavillon britannique à la Biennale de Venise. Alejandro Zaera et Farshid Moussavi enseignent à Rotterdam et à Vienne. En matière de technologie numérique, Greg Lynn, un de leurs représentants de pointe, fît une fois la remarque suivante : « Si je branche mon ordinateur le matin, je ne me demande pas ce qu’il peut faire pour moi mais ce que je peux faire pour lui. » Les premières éditions d’ArchiLab représentèrent un stade important pour cette génération numérique mondiale. Ses créations correspondaient à merveille à la tradition d’architecture radicale des années 60 si bien représentée dans la formidable collection du FRAC Centre. Même si les projets réalisés ne sont pas encore très nombreux, cette œuvre a été très largement applaudie lors d’expositions comme Utopies latentes à Graz en 2002 et Architecture non standard au Centre Pompidou à Paris en 2003. Ce qui les relie à leurs mentors de la précédente avant-garde déconstructiviste, c’est qu’ils concentrent toute leur attention sur les bâtiments à construire, sur l’Architecture avec un grand A, tout en se permettant de brèves incursions dans l’infrastructure, ce qui nous laisse aux prises « avec un monde sans urbanisme, seulement de l’architecture, toujours plus d’architecture » 9 . Il faut vraiment se poser cette question, selon les termes de Rem Koolhaas, « Qu’est-il arrivé à l’urbanisme? » 10 On n’a certainement jamais autant écrit sur la ville et l’architecture. D’innombrables ouvrages paraissent sur les villes et la ville. La théorie architecturale tente de remplacer les règles traditionnelles que l’urbanisme a formulées, à la différence que le débat architectural ne permet plus d’aboutir à un consensus. À sa place, on trouve un nombre croissant de positions individuelles qui, dans l’ensemble, essaient de créer une architecture exceptionnellement grandiose. Les architectes peuvent réussir à trouver, sur le nouveau marché mondial, des créneaux leur offrant des possibilités de réalisation. Les projets de construction font l’objet de concours internationaux et restent le seul secteur subventionné au sein de l’infrastructure capitaliste. Mais cela ne produit pas des enseignements. D’un autre côté, la géographie sociale, l’anthropologie, la sociologie et la philosophie produisent la connaissance sans toutefois inventer de recettes qui permettraient de créer de l’architecture. D’après Koolhaas, « on peut facilement caricaturer l’amalgame de notre sagesse : Derrida pense que nous ne pouvons former un tout, Baudrillard que nous ne pouvons être réels, et Virilio que nous ne pouvons pas nous trouver Là. » Koolhaas propose donc de redéfinir l’urbanisme qui ne sera plus une simple profession, mais également une façon de penser, « une idéologie : pour accepter ce qui existe ». « L’échec apparent de l’urbanisme offre une occasion exceptionnelle, le prétexte à une frivolité nietzschéenne. Nous devons imaginer trente-six mille autres façons de concevoir la ville, prendre des risques insensés, nous devons oser être totalement dépourvus de sens critique, nous devons tout avaler et pardonner à tout va. L’assurance que nous échouerons doit devenir notre gaz hilarant ou notre oxygène ; la modernisation, notre drogue la plus forte. N’étant pas responsables, nous devons devenir irresponsables. Dans un paysage de plus en plus opportuniste et provisoire, l’urbanisme n’est plus ou ne doit plus être notre décision la plus solennelle, l’urbanisme peut gagner en légèreté, devenir un Gai savoir – Lite Urbanism (urbanisme allégé) 11 . Nous voyons aujourd’hui un groupe d’architectes conscients de ce que la révolution technologique et socio-géographique des années 90 a pour conséquence une série d’effets émergents dont de nouvelles possibilités qu’il est nécessaire d’aborder. Ils ont conscience du fait que la mondialisation ne fait pas seulement se regrouper de nouvelles concentrations urbaines prospères dotées d’”espaces de circulation” fluides, mais qu’elle génère également de nouvelles tensions et de nouveaux conflits – parce que, par exemple, le Tiers-monde d’antan vient s’imbriquer à l’intérieur du monde occidental – et même transforme de larges zones en peau de chagrin. La dissolution de l’État-nation et l’émergence d’un nouveau type d’”empire” capitaliste entraînent une crise dans les États communistes et les États providence. De vastes territoires sont touchés dans le monde, ceux-là exactement qui étaient intimement liés aux programmes de logement et à la planification urbaine. Maintenant découle de l’individualisation une demande de plus grande diversité architecturale et la nature et l’utilisation de l’espace public sont en pleine mutation. Plus important encore peut-être, ce groupe d’architectes qui ont le vent en poupe réalise que l’architecture et l’urbanisme ne sont pas nécessairement le fait d’architectes. La politique, que ce soit celle de l’État, de la ville ou celle de grandes sociétés, mais aussi celle d’organisations nouvellement émergentes ou enfin celle de multiples entités (multiplicities), réorganise notre environnement. Parfois, l’architecture est utilisée de façon extrêmement brutale, comme entre autres exemples ces murs qu’Israël et les États-Unis construisent. Mais il arrive encore plus souvent que le tissu urbain soit modifié de l’intérieur par l’introduction de nouveaux programmes et de nouvelles formes d’organisation. Les nouveaux médias de communication, parallèlement à une mobilité individuelle en constante augmentation, induisent de nouvelles cohérences dans la ville et un usage différent de l’espace public. Au cours des deux dernières années, un groupe d’architectes croissant a commencé à se pencher sur ces phénomènes et à développer de nouvelles stratégies et méthodes. Ce qu’il y a de capital dans cette tendance, c’est que ces architectes en question effectuent leurs recherches avec les outils traditionnels dont dispose l’architecture : la cartographie, les plans, les élévations et les coupes. Cette recherche est fondée sur des réalités, interprétées par des architectes avec les moyens dont ils disposent cependant ce sont les écrits sur la ville qui fournissent les informations dont elle se nourrit. Cette différence d’approche fait pendant aux changements survenus en philosophie, dont l’approche ontologique et cosmologique est remplacée par des méthodes qui s’apparentent plus -et empruntent – à l’anthropologie et à la sociologie, comme dans la trilogie de Peter Sloterdijks, Sphären, par exemple 12 . Dans les expositions et les publications, cette recherche est présentée le plus souvent comme une déclaration culturelle à part entière. Nous trouvons la même tendance dans l’art contemporain, pour lequel de nombreux artistes ont joué le rôle de cartographes, de photographes ou de réalisateurs de reportages documentaires. Il s’agit d’une recherche qui, selon les termes de Hou Hanru, semble être tout à la fois « une mode et une nécessité » 13 . Elle est à la mode parce que ne pas différencier l’Art et les arts mineurs est aujourd’hui très tendance ; de même que donner libre cours à des phénomènes d’une grande banalité ou à la nouveauté de l’instant présent. Elle est toutefois nécessaire, parce que nous avons besoin de comprendre ces phénomènes et les forces souvent implicites mais néanmoins puissantes qui en sont les moteurs, afin d’être capables de conserver le rôle important que l’architecture peut jouer pour de grands pans de la société et pas seulement pour une élite. Très loin de Rem Koolhaas et de sa proposition d’accepter ce qui existe et de se laisser porter par cette vague, ces architectes font preuve d’un nouvel engagement, même si les résultats qui en découleront ne sont pas toujours évidents. Dans le catalogue de Documenta XI, Molly Nesbit médite sur cet engagement qui semble dépourvu de l’aspect visionnaire traditionnellement lié à l’Utopie, en architecture tout au moins. « Doit-on considérer que l’image utopiste elle-même est absente », se demande-t-elle, « ou doit-on voir l’Utopie dans une image à laquelle il manque un élément, une image aux poches vides? » 14 . La recherche actuelle souhaite, à plusieurs égards, perpétuer la tradition initiée par les Situationnistes comme Guy Debord et Constant Nieuwenhuys. Pour toucher du doigt la réalité de la ville comme “espace habité”, la dérive, une marche à travers la ville, réapparaît sous différentes formes – parfois même avec des intentions différentes et plus claires. Les références à l’œuvre porteuse d’inspirations de Guy Debord et d’Asger Jorns, The Naked City, reviennent dans de nombreuses analyses – même lorsqu’il s’agit d’une plus grande échelle que le Paris des années 50. La ville des Situationnistes semble, à bien des égards, avoir pris corps. Elle apparaît comme une suite de fragments sans liens, programmés avec une certaine intensité ou dotés d’une certaine atmosphère, reliés par des flux de circulation et de communication. Mais les protagonistes de cette ville ne sont pas seulement des bohémiens et une avant-garde d’artistes, les habitants eux-mêmes forment l’avant-garde : l’”homo ludens”, ludique et 11
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