A NOS AMOURS
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A NOS AMOURS
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vreur d’acteurs » pour jouer le frère de Sandrine Bonnaire<br />
n’est évidemment pas indifférent, puisque A nos amours repose<br />
sur la « découverte » de la débutante Sandrine Bonnaire. Mais,<br />
plus secrètement, ce choix renvoie au modèle du personnage<br />
de Robert, Claude Berri, qui a beaucoup aidé Dominique<br />
Besnehard à ses débuts et l’a orienté, alors qu’il était acteur<br />
débutant, vers le métier de directeur de casting. Sans négliger<br />
le fait que Dominique Besnehard est l’agent de Marlène<br />
Jobert, qui avait vécu avec Claude Berri, ce qui fait, dit-il, que<br />
« je savais tout de la famille » 3 .<br />
CYRIL COLLARD, futur réalisateur des Nuits fauves (1992),<br />
qui mourra du sida en 1993, joue le rôle de Jean-Pierre, le<br />
mari, un garçon très doux qui « calme » Suzanne, un gendre<br />
idéal pour Betty, effacé, dont se moquent aussi bien Jacques<br />
que Robert, Michel ou Bernard lors des fiançailles… La relation<br />
entre Pialat et Collard, principalement assistant-réalisateur<br />
sur le film, fut si intense que le jeune homme dut quitter<br />
le tournage pendant trois semaines, comme il le raconta dans<br />
Libération à la sortie de A nos amours : « Maurice n’a pas d’enfant.<br />
Parfois j’ai été cet enfant quelques secondes. Et puis plus rien,<br />
une pierre dans le torrent. Maurice m’avait fait peur ». Nul mieux<br />
que Collard n’explique, indirectement, la justesse de l’interprétation<br />
de Pialat lui-même, père du film en tant que metteur<br />
en scène, père dans la fiction, père spirituel de la jeune actrice,<br />
passant d’un instant à l’autre de la douceur à la cruauté : « Il<br />
suit une ligne inexorable, l’émotion. Là, il peut aller jusqu’à la<br />
méchanceté. Suzanne pleure parce qu’elle comprend que son amie<br />
Anne a profité de sa dispute avec Luc pour prendre sa place auprès de<br />
lui. L’instant d’avant, Maurice avait rappelé à Sandrine avec une<br />
violence incroyable sa vie avant le tournage dans sa famille de onze<br />
enfants, et le HLM de Grigny où il aurait mieux fait de la laisser<br />
croupir. Mais il a fait A nos amours pour elle. Par amour pour elle.<br />
La nostalgie d’un amour ».<br />
SANDRINE BONNAIRE est évidemment au centre du film.<br />
Née en 1967, elle avait seize ans quand elle fut découverte par<br />
Maurice Pialat, à la suite d’une petite annonce qu’il avait fait<br />
3. Studio, juillet-août 1998.<br />
paraître dans France-Soir, à<br />
laquelle elle répondit à la<br />
place de sa sœur aînée...<br />
Légende invérifiable, bien<br />
dans la mythologie de l’actrice<br />
inconnue, découverte<br />
et formée par son<br />
Pygmalion, à la manière de<br />
Garbo et Mauritz Stiller,<br />
Marlène Dietrich et Josef<br />
von Sternberg, Anna Karina<br />
et Jean-Luc Godard… Le<br />
fait est que Sandrine<br />
Bonnaire correspondait à ce<br />
qu’attendait Pialat, non<br />
comme illustration d’un<br />
personnage totalement défini,<br />
mais comme actrice de<br />
tempérament, pleinement<br />
capable, malgré son inexpérience,<br />
de participer au système<br />
créatif et exigeant du<br />
cinéaste (elle le montrera encore dans Police et surtout dans<br />
Sous le soleil de Satan). Le fait est que la comédienne en sera<br />
influencée pour la suite de sa carrière, loin de toute miévrerie,<br />
marquée par des personnages forts et des rencontres importantes,<br />
avec Agnès Varda (Sans toit ni loi, 1985), André Téchiné<br />
(Les Innocents, 1987), Jacques Rivette (Jeanne la Pucelle, 1994,<br />
et Secret défense, 1998) ou Claude Chabrol (La Cérémonie, 1995,<br />
Au cœur du mensonge, 1998). Ici encore, la coïncidence entre la<br />
situation réelle et celle du personnage est au cœur de la réussite<br />
du film et du rôle de Suzanne. Pas seulement par la relation<br />
père-fille qui s’établit entre le cinéaste et l’actrice, mais parce<br />
que la situation de Sandrine Bonnaire sur le plateau est semblable<br />
à celle de Suzanne dans le film. L’actrice débute dans le<br />
cinéma comme son personnage dans la vie amoureuse.<br />
Suzanne est en totale disponibilité mais en même temps soucieuse<br />
de ne pas se laisser imposer quoi que ce soit par les<br />
autres, amant de cœur comme Luc, père, mère, frère ou<br />
mari… Comme toute adolescente de quinze ans, mais plus<br />
encore dans ces années 80, Suzanne ne sait pas ce qu’elle veut,<br />
mais la liberté que lui accorde l’évolution des mœurs la laisse<br />
dans un grand vide affectif. Il n’y a presque plus d’interdits,<br />
puisque Suzanne se trouve seulement confrontée à des principes<br />
dénués de toute base (comme lorsque sa mère lui affirme<br />
qu’elle ne doit pas dormir nue parce que « ça ne se fait pas ! »),<br />
à un père qui gifle soudainement puis autorise ce qu’il refusait,<br />
avant de se mettre en touche… Où se poser et en vertu de<br />
quels principes s’opposer ? Même le jugement qu’elle attend<br />
de son père, ne serait ce que sur le choix de ses amants, ne<br />
viendra pas… La liberté est-elle aussi difficile à vivre que la<br />
contrainte ?<br />
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