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A NOS AMOURS

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■ LE LANGAGE DU FILM<br />

Rejoindre le romanesque<br />

par l’anti-romanesque<br />

Pialat nous confronte à un matériau qui semble souvent brut : blocs temporels, improvisation des comédiens qui rendent réellement<br />

coup pour coup... Mais à l’intérieur de ce style « direct », c’est une idée du cinéma très réfléchie qui s’élabore subtilement.<br />

> Scènes de théâtre / scènes de ménage<br />

A nos amours s’ouvre sur Suzanne répétant une tirade de On ne badine pas avec l’amour,<br />

d’Alfred de Musset. Suit bientôt la représentation d’une scène, puis toute allusion à une quelconque<br />

activité théâtrale de Suzanne est abandonnée. Le théâtre revient pourtant sous une autre<br />

forme. Aux scènes de Musset succèdent en effet d’autres scènes, qui rendent fades et inopérantes<br />

les premières : des scènes de ménage. Au cours de l’une d’elles (séquence 13), Robert constate :<br />

« C’est mieux qu’au Théâtre de Poche ! » Le film joue ainsi entièrement sur cette notion de théâtre<br />

et de représentation par la façon dont la caméra occupe, lors des disputes et des crises d’hystérie<br />

entre Suzanne, sa mère et Robert, la place du quatrième côté face à une scène, constituée d’une<br />

première pièce (où travaillent le père et Robert, au début) et d’une seconde en arrière-plan (qui<br />

sert de salle à manger). Ce dispositif joue essentiellement sur le déplacement horizontal des personnages,<br />

plus rarement sur la profondeur : les déplacements des personnages sont ainsi limités<br />

aux bords du cadre ou par le décor. Parfois, un changement de plan recentre les personnages,<br />

parfois la caméra se lance à leur poursuite, comme si elle savait que dans ce décor sans horschamp,<br />

ils ne pouvaient lui échapper.<br />

Mais il n’y a pas, chez Pialat, le moindre souci de performance : il y a toujours au terme de la<br />

scène quelque chose de « déceptif » qui l’empêche de consister vraiment, de se transformer en<br />

morceau d’anthologie, à commencer par l’épuisement des personnages ou des acteurs. Parce que<br />

c’est précisément le propre de la scène hystérique de ne pas aboutir et parce que le cinéma de<br />

Pialat ne joue pas sur l’opposition traditionnelle apparence/réalité, théâtre/vie, acteur/personne,<br />

mensonge/vérité. Tout s’y joue sur le même plan, sans hiérarchie : le mensonge est un discours<br />

au même titre que l’aveu. La théâtralité de ces scènes de ménage, voire de ménagerie, ne révèle<br />

pas une vérité cachée, mais ouvre simplement le champ à la violence pure des pulsions instinctives,<br />

animales, brutes. Non seulement les coups portés sont de vrais coups, mais ils échappent<br />

généralement à la perception du spectateur : le temps qu’il en prenne conscience, le coup est déjà

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