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A NOS AMOURS

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■ MISES EN SCÈNE<br />

Le tourbillon<br />

Un plan-séquence où les personnages de A nos amours cherchent leur place, comme des électrons dont les énergies<br />

et les trajectoires divergent.<br />

1a 1b 1c<br />

1d 1e<br />

Ce plan-séquence de 41 secondes constitue<br />

le début de la séquence 8 de notre découpage<br />

séquentiel. Il ne s’y passe rien de capital,<br />

sinon que la mère, Betty, apparaît pour la première<br />

fois et amorce ses reproches à Suzanne,<br />

que l’on fait la connaissance de Michel,<br />

accompagné d’une jeune femme (Géraldine),<br />

et que celui-ci ne prête qu’une attention gênée<br />

à Suzanne, qui tente en vain de le charmer en<br />

lui montrant une reproduction de Bonnard…<br />

Simple transition ? Non, puisque la scène «<br />

fait le point » sur la place des différents personnages<br />

et leurs relations, après quoi tout va<br />

basculer : gifle, première bagarre, départ du<br />

père…<br />

C’est moins le contenu qui importe, le dialogue<br />

étant extrêmement pauvre, que la façon<br />

dont Pialat a choisi de filmer cette scène, dans<br />

un mouvement incessant et complexe qui suit,<br />

relie, quitte les personnages pour les retrouver.<br />

S’il ne s’agissait que de décrire les faits et<br />

de suivre les gestes, une série de champscontrechamps<br />

était aussi efficace et plus rapide<br />

à réaliser. Ici, l’opérateur doit installer un<br />

travelling, marquer les arrêts de la caméra,<br />

effectuer dans le même temps un panoramique<br />

à 360° pour suivre les personnages et<br />

cadrer avec précision les poses.<br />

Le début de ce plan-séquence prend Suzanne<br />

au moment où celle-ci arrive en haut de l’escalier,<br />

sur le palier. La caméra entre en travelling-arrière<br />

dans l’appartement, laissant entrer<br />

à sa suite Suzanne et la mère, qui ferme la<br />

porte (1a). Le mouvement d’appareil suit<br />

ensuite celui de la mère, qui entre dans la cuisine<br />

(1b), puis bifurque pour retrouver<br />

Suzanne qui, hors-champ, sort de la chambre<br />

de Robert, que Michel et Géraldine s’apprêtent<br />

à quitter (1c). La caméra accompagne<br />

Michel, qui rejoint Betty – que l’on a vue passer<br />

un instant avant en premier plan portant<br />

un plat – à l’entrée de la salle à manger, suivi<br />

de sa compagne (1d). On suit maintenant<br />

Michel seul, qui se dirige vers la porte d’entrée,<br />

regardant avec inquiétude en arrière si<br />

Géraldine quitte Betty, comme pour éviter la<br />

rencontre avec Suzanne qui arrive de sa<br />

chambre, au fond (1e)… Dans ce mouvement<br />

qui semble libre, chaque personnage a été assigné<br />

à une place particulière.<br />

Betty est d’abord hors-champ, sur le palier,<br />

comme déjà abandonnée, puis elle est définie<br />

par les lieux où elle se trouve (la cuisine, la<br />

salle à manger), et par son attitude (les politesses<br />

d’usage). Robert est avachi mollement<br />

dans le fauteuil de sa chambre. Michel est<br />

fuyant. En revanche, Suzanne traverse avec<br />

énergie toutes les pièces, disparaissant à droite<br />

du champ en premier plan pour reparaître à<br />

gauche, au fond. Le mouvement incessant des<br />

personnages, dont aucun ne reste en place<br />

(sauf Robert), renforcé par la continuité de la<br />

prise de vue et la circularité du mouvement de<br />

la caméra, donne bien le sentiment d’un<br />

« tourbillon » – Serge Daney, dans Libération,<br />

parlait de « cyclone » – dans lequel des personnages-électrons<br />

s’attirent et se repoussent<br />

dans un trafic ininterrompu.<br />

Enfin, dans cette scène d’A nos amours comme<br />

dans bien d’autres, la caméra prend une sorte<br />

d’indépendance qui la fait évoluer du plan<br />

d’ensemble au plan très rapproché ou au plan<br />

américain, sans que cela corresponde à la<br />

teneur émotionnelle de l’instant, Jacques<br />

Loiseleux ayant inventé de lui-même cadrages<br />

et mouvements d’appareil en fonction du<br />

mouvement des acteurs voulu par Pialat.<br />

13

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