A NOS AMOURS
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■ DANS LA PRESSE, DANS LES SALLES<br />
Eloge d’un cinéaste<br />
A nos amours hisse définitivement Maurice Pialat au rang des « grands cinéastes français » et fait triompher la notion d’auteur :<br />
le regard, la personnalité, le style et l’œuvre de Pialat sont au centre des commentaires, avant même le sujet de son film.<br />
> Une sortie « serrée »<br />
Peu avant la sortie de A nos amours, le 16 novembre 1983,<br />
Maurice Pialat manifeste ses doutes quant à la distribution de<br />
son film, évoquant « ce drame des films à peine sortis dont on<br />
réduit déjà le nombre des salles la semaine suivante... J’espère que<br />
Gaumont fera l’effort » (Gaumont est le distributeur de A nos<br />
amours). Les inquiétudes du cinéaste ne sont pas sans<br />
fondement. Un mois plus tôt, les Cahiers du cinéma ont<br />
publié un dossier intitulé « Cinéma d’auteur : la cote<br />
d’alerte », avec une photo de Sandrine Bonnaire dans A<br />
nos amours en couverture. On s’y inquiète du « grand<br />
écart » entre le cinéma d’auteur, au public fléchissant,<br />
et les films distribués dans un maximum de salles quitte<br />
à devenir des « films-toboggans » (au nombre<br />
d’écrans en rapide diminution). Roger Diamantis, propriétaire<br />
des cinémas Saint-André-des-Arts à Paris, achète une page du<br />
journal Libération pour obtenir de Gaumont une copie du film<br />
de Pialat et pouvoir le montrer dans sa salle, en supplément de<br />
la seule choisie dans le Quartier Latin, en raison d’une sortie<br />
« serrée ». Le public sera pourtant au rendez-vous, et la reconnaissance<br />
officielle suivra : A nos amours obtiendra en 1984 le<br />
Prix Louis Delluc et le César du meilleur film.<br />
> « Un ouvrage subversif »<br />
En novembre 1983, dans Cinématographe (n°94), la revue<br />
dirigée par Jacques Fieschi (qui joue Jacques, le beau-frère de<br />
Robert, dans A nos amours), Maurice Pialat s’inquiète aussi de<br />
l’accueil critique de son film, des « malentendus qui subsistent…<br />
Si les jeunes vont voir le film, peut-être qu’ils se reconnaîtront dans<br />
les conflits familiaux que je montre, mais je ne sais pas ce qu’ils vont<br />
pouvoir penser de certains dialogues… » Il songe à la phrase de<br />
Van Gogh citée par le personnage du père, « la tristesse durera<br />
toujours ». Mais ses craintes pessimistes trouvent place dans un<br />
dossier copieux consacré à son film par Cinématographe. Les<br />
Cahiers du cinéma font de même le mois suivant (n°354), sous le<br />
titre « A nos amours, éloge de Maurice Pialat ». Positif se<br />
« Pialat ne se contente pas d’inventer<br />
des personnages et des péripéties (ce serait<br />
mesquin), il invente l’espace autour d’eux,<br />
entre eux », Serge Daney dans Libération.<br />
contentera d’un article très modéré de Paul Louis Thirard qui<br />
tient le « marginal » Pialat « comme l’un des grands cinéastes<br />
français », mais trouve bien faible « le croquis sociologique et son<br />
environnement idéologique expliqué ».<br />
Majoritairement, la presse accueille le film avec enthousiasme.<br />
Dans Le Figaro (15.11), Pierre Montaigne, parle « au bon sens<br />
du terme, d’un ouvrage subversif. Il secoue le spectateur et le force à<br />
écarquiller les yeux devant des personnages dont la détresse est tout<br />
aussi choquante qu’irrécusable ». Ce qui n’est guère éloigné de<br />
l’opinion du journal communiste Révolution (18.11), sous la<br />
plume de Noël Simsolo : « Nous sommes à des années-lumière des<br />
impostures sentimentales qui barbotent dans les Boum, les<br />
Compères et autres Branchés… Pialat échafaude un oratorio<br />
imparable qui désigne la réalité douloureuse et marginale d’une<br />
génération oppressée. Mais il refuse le témoignage moralisateur, tout<br />
autant que le naturalisme rassurant et partial ». Sociologique<br />
également, le point de vue de Michel Pérez, dans Le Matin, de<br />
sensibilité socialiste : « Pialat témoigne du désarroi d’une fraction<br />
de la moyenne ou de la petite bourgeoisie qui a allègrement sauté pardessus<br />
ses garde-fous familiers et rejeté son code d’hypocrisie pour<br />
atteindre à un épanouissement dont elle s’affole de ne pas ressentir<br />
immédiatement les bienfaits ». Au contraire, Claire Devarrieux,<br />
dans Le Monde (17.11.83), est plus relativiste. « Ce n’est pas un<br />
cinéma romanesque. Pas de sociologie non plus. Libre à chacun de<br />
s’identifier aux personnages, suivant les générations, mais le cinéaste<br />
ne rabote pas la réalité pour en tirer des lois générales ».<br />
Dans Libération (16.11), Serge Daney est dithyrambique « à<br />
cause de l’ampleur du geste (Pialat-peintre), de la liberté de ton<br />
(Pialat-dialoguiste), de l’allégresse dans le nihilisme (Pialat-musicien)…<br />
Pialat ne se contente pas d’inventer des personnages et des<br />
péripéties (ce serait mesquin), il invente l’espace autour d’eux, entre<br />
eux. Invisible, incertain, mais très réel. Dans l’espace d’A nos<br />
amours, perturbé s’il en fut, les personnages, accélérés comme des<br />
particules, tournent les uns autour des autres et perdent le Nord ».<br />
> « Un mélange explosif<br />
de tendresse et de cruauté »<br />
Si beaucoup apprécient la performance de Pialat luimême,<br />
le comparant à Jean Yanne, parfois celle de Jacques<br />
Fieschi, c’est évidemment à Sandrine Bonnaire que vont tous<br />
les suffrages, toutes tendances confondues. « Il faut voir comment<br />
elle ondule dans sa mini-jupe, le long d’une route, en faisant<br />
tournoyer son sac de la main. On n’a pas vu une telle démarche<br />
depuis Marilyn dans Bus Stop » (Gilles Le Morvan, L’Humanité,