Quelles perspectives pour rétablir leurs droits <strong>et</strong> leur dignité ? Filiation culturelle, première ressource de paix A contrario, <strong>la</strong> gravité des vio<strong>la</strong>tions des droits culturels est donc extrêmem<strong>en</strong>t forte, car elle atteint <strong>la</strong> personne immédiatem<strong>en</strong>t au cœur de son id<strong>en</strong>tité, elle <strong>la</strong> stérilise dans ses capacités d’impression <strong>et</strong> d’expression, <strong>et</strong> donc de communication avec autrui, <strong>la</strong> nature <strong>et</strong> elle-même : elle m<strong>et</strong> ses autres droits hors de portée. 4.2. Les dim<strong>en</strong>sions <strong>et</strong> cont<strong>en</strong>us culturels des autres droits de l’<strong>en</strong>fant Mais <strong>en</strong> plus des droits culturels stricto s<strong>en</strong>su, il faut aussi considérer les dim<strong>en</strong>sions <strong>et</strong> cont<strong>en</strong>us culturels des autres droits de l’<strong>en</strong>fant. Notre hypothèse est que l’obj<strong>et</strong> de chaque droit de l’homme doit être « adéquat » (comme l’alim<strong>en</strong>tation ou le logem<strong>en</strong>t adéquats), notamm<strong>en</strong>t sur le p<strong>la</strong>n culturel. Ce<strong>la</strong> signifie : respectueux de l’id<strong>en</strong>tité des personnes, de leurs ressources culturelles propres, <strong>et</strong> considérant les forces <strong>et</strong> faiblesses de leurs milieux. La dim<strong>en</strong>sion culturelle du droit <strong>à</strong> l’alim<strong>en</strong>tation signifie que l’<strong>en</strong>fant appr<strong>en</strong>d les différ<strong>en</strong>tes dim<strong>en</strong>sions du repas, mais aussi les valeurs symboliques <strong>et</strong> <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>tales des minéraux, des végétaux <strong>et</strong> des animaux. L’obj<strong>et</strong> du droit <strong>à</strong> l’alim<strong>en</strong>tation est c<strong>et</strong> accès au s<strong>en</strong>s plein de l’acte culturel <strong>et</strong> social : personne ne devrait méconnaître le s<strong>en</strong>s vital de <strong>la</strong> nourriture pour l’intégrité de <strong>la</strong> personne (<strong>et</strong> non une valeur symbolique qui s’ajouterait <strong>à</strong> <strong>la</strong> qualité biologique) <strong>et</strong> de ses re<strong>la</strong>tions au monde. Si le droit <strong>à</strong> l’alim<strong>en</strong>tation a une dim<strong>en</strong>sion culturelle, les libertés c<strong>la</strong>ssiques, notamm<strong>en</strong>t <strong>la</strong> liberté d’expression, ont un cont<strong>en</strong>u culturel, ce qui est <strong>en</strong>core plus fort : s’exprimer, c’est maîtriser une discipline culturelle. L<strong>à</strong> <strong>en</strong>core, il y a symbolisme, qu’il s’agisse de <strong>la</strong>ngue, de danse, de musique, de cuisine ou de théâtre, l’expression est une maîtrise du li<strong>en</strong> corps-esprit par le moy<strong>en</strong> des œuvres. Ce<strong>la</strong> est vrai pour l’adulte, mais est plus c<strong>la</strong>ir <strong>et</strong> plus immédiat pour l’<strong>en</strong>fant, car celui-ci vit int<strong>en</strong>sém<strong>en</strong>t les dim<strong>en</strong>sions symboliques de toutes choses <strong>et</strong> de tous gestes. Alors que nous avons souv<strong>en</strong>t <strong>à</strong> faire un effort de créativité pour ajouter <strong>à</strong> l’utilitaire les dim<strong>en</strong>sions symboliques, l’<strong>en</strong>fant procède <strong>à</strong> l’inverse : tout est d’abord symbole, nourriture pour l’âme avant toute dichotomie corps – esprit. La dim<strong>en</strong>sion culturelle d’un droit n’est donc pas une re<strong>la</strong>tivisation mais une valeur ajoutée : l’universel est compris <strong>en</strong> re<strong>la</strong>tion avec les situations particulières dans une logique d’éc<strong>la</strong>irage mutuel. L’exercice d’un droit culturellem<strong>en</strong>t adéquat, ou compris dans ses cont<strong>en</strong>us culturels, perm<strong>et</strong> de puiser dans les ressources culturelles, au besoin d’aller <strong>en</strong> chercher d’autres <strong>et</strong> de participer <strong>à</strong> <strong>la</strong> grande av<strong>en</strong>ture humaine du croisem<strong>en</strong>t des savoirs. Les <strong>en</strong>fants témoign<strong>en</strong>t de c<strong>et</strong> universel, <strong>à</strong> chaque fois vécu au singulier, qui appelle <strong>à</strong> <strong>la</strong> paix toutes celles <strong>et</strong> tous ceux qui veul<strong>en</strong>t t<strong>en</strong>ter de leur répondre, tout <strong>en</strong> reconnaissant leur propre pauvr<strong>et</strong>é face <strong>à</strong> toute richesse culturelle, quelle qu’elle soit. Ils ont <strong>à</strong> répondre aussi de notre <strong>en</strong>fance commune, de notre capacité d’admiration <strong>et</strong> de révolte devant l’injustice <strong>et</strong> <strong>la</strong> médiocrité. La paix n’est possible que dans l’humilité éprouvée <strong>et</strong> partagée devant <strong>la</strong> grandeur de l’<strong>en</strong>fance, prés<strong>en</strong>te <strong>en</strong> chacun, passée <strong>et</strong> <strong>à</strong> v<strong>en</strong>ir, vulnérable <strong>et</strong> forte. Toute autre promesse de paix, toute autre politique est <strong>en</strong>-deça des droits de l'homme. Enfance <strong>et</strong> culture sont de même nature. L’adulte se s<strong>en</strong>t démuni face <strong>à</strong> l’une comme <strong>à</strong> l’autre. Toutes deux sont fortes <strong>et</strong> vulnérables, elles sont notre espoir si souv<strong>en</strong>t méprisé <strong>à</strong> chaque fois qu’elles ne sont pas traitées avec le soin que requiert le goût de l’excell<strong>en</strong>ce. C’est ainsi que j’interprète <strong>la</strong> citation de Janusz Korczak qui clôt si bi<strong>en</strong> l’appel du BICE : « Vous dites : c’est épuisant de s’occuper des <strong>en</strong>fants. Vous avez raison. Vous ajoutez : parce que nous devons nous m<strong>et</strong>tre <strong>à</strong> leur niveau. Nous baisser, nous p<strong>en</strong>cher, nous courber, nous rap<strong>et</strong>isser. L<strong>à</strong>, vous vous trompez. Ce n’est pas tant ce<strong>la</strong> qui fatigue le plus que le fait d’être obligés de nous élever jusqu’<strong>à</strong> <strong>la</strong> hauteur de leurs s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts. De nous élever, de nous étirer, nous m<strong>et</strong>tre sur <strong>la</strong> pointe des pieds, nous t<strong>en</strong>dre. Pour ne pas les blesser. » Le problème est que nos sociétés sont presque totalem<strong>en</strong>t occupées <strong>à</strong> se conserver, <strong>et</strong> non <strong>à</strong> adm<strong>et</strong>tre qu’au c<strong>en</strong>tre de l’expéri<strong>en</strong>ce humaine <strong>et</strong> des droits de <strong>la</strong> personne, se trouv<strong>en</strong>t deux blessures profondes : <strong>la</strong> souffrance d’autrui, <strong>et</strong> – eu égard <strong>à</strong> <strong>la</strong> richesse possible - <strong>la</strong> pauvr<strong>et</strong>é culturelle de chacun de nous. Or nous avons besoin d’adm<strong>et</strong>tre <strong>la</strong> faiblesse générale pour t<strong>en</strong>ter de répondre <strong>à</strong> nos <strong>en</strong>fants, prés<strong>en</strong>ts <strong>et</strong> <strong>à</strong> v<strong>en</strong>ir. * Ce texte a été publié dans l’Appel mondial <strong>à</strong> une nouvelle mobilisation pour l’<strong>en</strong>fance, G<strong>en</strong>ève, édité par le Bureau International Catholique de l’Enfance, pp. 35-40 118
Bibliographie