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<strong>Palabres</strong>, <strong>Revue</strong> d’Etudes Africaines, Vol. III, n°1, 2000.<br />
est étouffé, le discours de la femme a tendance à fonctionner comme une machine de<br />
décompression des idées reçues en vue de « rejeter, comme le dit Julia Kristeva, tout<br />
ce qui est fini, défini, structuré, pourvu de sens, des états existants de la société 33 ». On<br />
voit par là que même si toutes les voix féminines n’offrent pas un discours de rupture,<br />
la prise d’écriture est en soi une rupture 34 .<br />
En Afrique aujourd’hui, les facteurs légitimant l’infériorité de la femme, se multiplient<br />
sans que l’on ne s’en rende compte. Au moment où l’on croit les traditions vaincues,<br />
que l’on lutte ardemment contre l’intégrisme islamique, que l’on se bat contre le péril<br />
kaki qui maintient le statu quo socio-poltique, que des organisations de femmes se<br />
créent…, des sectes se réclamant de la libération du corps et de l’âme prolifèrent avec<br />
des mariages anarchiques et précoces qui réduisent considérablement<br />
l’épanouissement de la jeune fille. La doctrine calviniste qui préconise de se marier<br />
pour l’infirmité de la chair est remise à la mode en Afrique où le terrain, en raison des<br />
traditions et de la pauvreté généralisée, est déjà favorable, détournant la jeune fille<br />
d’une conscience réelle de ses potentialités. L’instruction qui appelle la lecture qui à<br />
son tour développe le goût de l’écriture est sacrifiée dans l’attente du paradis où la<br />
femme modèle est avant tout la femme « maternelle ».<br />
Reste à se convaincre que l’écriture n’est pas le seul lieu d’expressivité de soi, la<br />
peinture, la musique, la poterie 35 sont autant de syntaxes de la mémoire et donc autant<br />
de matières à interroger pour une plus large appréhension de la femme dans un espace<br />
où l’écriture, comme institution, participe des structures de domination, de<br />
marginalisation et de fragmentation du tissu social. Elle donne de la femme une image<br />
virtuelle, restrictive dominée soit par l’idéalisation poétique ou la permanence des<br />
mythes. Dans l’introduction à l’essai Les Femmes dans la littérature africaine, les<br />
auteures : Denise Brahimi et Anne Trevarthen nous mettent en garde contre la<br />
complexe configuration des portraits littéraires des Africaines :<br />
On trouve donc, entre les portraits littéraires d’Africaines, un écart immense et d’abord<br />
inexplicable, car il y a autant de vraisemblance et les mêmes accents de vérité dans<br />
ceux qui relèvent du très haut que dans ceux qui relèvent du très bas. Mais il est juste<br />
de dire aussi que chaque portrait comporte des traits complémentaires, qui échappent à<br />
la situation dominante dans laquelle il se tient. Il faut atteindre des limites extrêmes et<br />
rares pour trouver soit une femme absolument forte, comme Sarraouina d’Abdoulaye<br />
Mamadi, soit une femme complètement victime, comme Perpétue de Mongo Béti. La<br />
littérature a le mérite des cas singuliers dans lesquels les lois générales viennent<br />
jouer 36 .<br />
33<br />
Julia Kristeva, « Lutte des femmes », Tel Quel, N°58, p. 100<br />
34<br />
Pour Jacques Dubois, « il importe de poser avant tout que le moment fondateur de l’institution est celui de<br />
l’apparition d’une légitimité qui s’élabore de façon interne à la sphère littéraire et qui désigne l’activité de cette<br />
sphère comme autonome et distinctive ». (L’Institution de la littérature, Brussels, Fernand Nathan/Labor, 1978,<br />
p, 44.)<br />
35<br />
cf. l’article de Malika Grasshoff<br />
36<br />
Denise Brahimi et Anne Trevarthen, Les Femmes dans la littérature africaine. Portraits, Paris-Abidjan,<br />
Karthala-CEDA, 1998, pp. 9-10.