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NDINDA Joseph : Femmes africaines en littérature. Aperçu panoramique et diachronique 27<br />
LA PRISE DE PAROLE EN MILIEU ORAL<br />
Ces contes, émanations de la conscience et de la mémoire collectives sont la<br />
manifestation d’un discours phallocrate et se matérialise au plan social. Dans l’univers<br />
négro-africain pré-colonial, la femme n’avait la possibilité de s’exprimer en public<br />
qu’en des circonstances précises. Elle ne pouvait tenir un discours sur la marche de la<br />
société. Dans ce contexte, et particulièrement en Afrique de l’Ouest, les griottes étaient<br />
quasiment les seules à s’exprimer devant un public masculin lors des fêtes et des<br />
manifestations particulières. Elles étaient surtout des cantatrices qui chantaient et<br />
célébraient la généalogie et les hauts faits du Prince. Mais ces louanges à la toutepuissance<br />
masculine sont encore des discours qui contribuent à légitimer et à maintenir<br />
la subordination des femmes. Ailleurs en Afrique, la prise de parole par la femme<br />
n’était possible que dans le cadre des conte, chantefables ou devinettes adressés à un<br />
public enfantin ou d’adolescents.<br />
LA PERIODE COLONIALE<br />
Cette période apporte des bouleversements dans les structures sociales et<br />
religieuses traditionnelles. L’introduction de nouveaux systèmes de production amène,<br />
d’une manière ou d’une autre, les femmes à s’engager dans les luttes de divers ordres<br />
qui se manifestent un peu partout en Afrique sub-saharienne. Dans Les Bouts de bois<br />
de Dieu, Sembène Ousmane montre la capacité de mobilisation des femmes qui, en<br />
1948 ont marché de Bamako à Dakar afin de protester à leur manière contre les<br />
conditions de travail imposées à leurs maris. Cette marche historique a contribué à<br />
détruire les stéréotypes de la femme toujours à l’ombre du mari. Les luttes syndicales<br />
des années précédant les indépendances ont vu l’émergence d’une catégorie de<br />
femmes pouvant se battre aux côtés des hommes. L’Harmattan de Sembène Ousmane<br />
donne un aperçu du rôle joué par les femmes lors du référendum de 1954.<br />
Mais la lecture de ces textes montre que cet engagement se faisait beaucoup<br />
plus dans des cadres institutionnels qui donnaient le beau rôle à l’homme. Si par<br />
exemple elles ont pris la parole en public, c’est toujours de manière exceptionnelle.<br />
Dans L’Harmattan, les leaders des partisans du NON sont arrêtés afin qu’ils ne<br />
président pas de meeting. Ce sont les femmes qui, face à ce vide, prennent le micro<br />
afin de haranguer la foule. Se trouvant donc dans un processus global de libération du<br />
continent, les femmes n’ont pas eu à tenir des discours féministes tels que nous les<br />
connaissons aujourd’hui. Mais il faut déjà remarquer qu’avec leur implication dans les<br />
luttes syndicales et politiques, elles ont amené les hommes à tenir compte de leurs<br />
avis. Dans Les bouts de bois de Dieu, les femmes découvrent avec un bonheur<br />
angoissé qu’elles ont d’autres capacités. Elles ne sont plus seulement mères,<br />
ménagères ou prostituées. Elles subissent une métamorphose ontologique. Leur corps<br />
peut désormais servir à autre chose qu’à la procréation, à la satisfaction des besoins et<br />
désirs primaires des hommes. Elles découvrent aussi une autre vérité capitale : elles<br />
peuvent infléchir le cours de l’histoire. Mais la véritable prise de parole par la femme<br />
africaine se fera par le biais de l’écriture.