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1 Mazarin. Les lettres et les arts, Isabelle Conihout et Patrick Michel ...

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<strong>Mazarin</strong>. <strong>Les</strong> <strong>l<strong>et</strong>tres</strong> <strong>et</strong> <strong>les</strong> <strong>arts</strong>, <strong>Isabelle</strong> <strong>Conihout</strong> <strong>et</strong> <strong>Patrick</strong> <strong>Michel</strong> (dir.), préf. Hélène<br />

Carrère d’Encausse, intro. Christian Péligry, Paris, Bibliothèque <strong>Mazarin</strong>e, Éditions Monelle<br />

Hayot, 2006, in-fol., 479 pages.<br />

<strong>Les</strong> beaux livres d’art sont aujourd’hui de plus en plus nombreux. Celui-ci en fait partie,<br />

autant par la qualité des œuvres reproduites que par la qualité des reproductions el<strong>les</strong>-mêmes :<br />

peintures, fresques, monuments, mobilier, bijoux, reliures, tout est splendidement rendu.<br />

Cependant, l’intérêt de c<strong>et</strong> ouvrage ne réside pas seulement dans la beauté des aperçus, il se<br />

trouve surtout dans la traversée intermédiale d’un obj<strong>et</strong> historique : le cardinal de <strong>Mazarin</strong>.<br />

Sous <strong>les</strong> apparences relativement traditionnel<strong>les</strong> d’une commémoration — <strong>les</strong> textes ont<br />

été donnés pour un colloque célébrant le quatre centième anniversaire de la naissance de<br />

<strong>Mazarin</strong> en 2002 — , il est, en eff<strong>et</strong>, possible de saisir comment se constitue un obj<strong>et</strong><br />

d’histoire à partir d’investigations sur ce qui l’entoure <strong>et</strong> sur ce qu’il amasse. Il ne s’agit donc<br />

pas d’analyses tâchant de déchiffrer l’énigme de ce ministre italien à la réputation<br />

machiavélique, mais d’études circonscrivant une figure de pouvoir au milieu du 17 e siècle en<br />

France. Pouvoir veut alors dire concrètement architecture, collections de peintures, de<br />

tapisseries, de bijoux <strong>et</strong> de meub<strong>les</strong>, bibliothèque, réseaux d’alliés <strong>et</strong> de serviteurs (depuis <strong>les</strong><br />

rabatteurs <strong>et</strong> ach<strong>et</strong>eurs d’œuvres jusqu’aux architectes, peintres, décorateurs, musiciens qui<br />

sont ainsi mobilisés), manifestes divers servant au programme iconographique <strong>et</strong> textuel à la<br />

gloire du cardinal, <strong>et</strong> jusqu’à l’usage même de l’historiographie. En eff<strong>et</strong>, on voit ainsi que le<br />

pouvoir n’opère jamais sur des abstractions, mais sur de multip<strong>les</strong> composantes qui en<br />

déploient, valident, rejouent sans cesse <strong>les</strong> eff<strong>et</strong>s. Que ce soit obj<strong>et</strong>s ou personnes, c’est à<br />

l’ombre de la figure de pouvoir (<strong>et</strong> pas simplement de la figure du pouvoir) que chaque chose,<br />

chaque individu acquiert son autorité <strong>et</strong> sa valeur.<br />

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« <strong>Mazarin</strong> » compose donc ici un corpus intermédial dont historiens, historiens de l’art,<br />

historiens du livre <strong>et</strong> musicologues examinent <strong>les</strong> multip<strong>les</strong> fac<strong>et</strong>tes. Fac<strong>et</strong>tes dont la source<br />

est économique, bien sûr, puisque le marché de l’art alors en pleine expansion réclame des<br />

sommes considérab<strong>les</strong>. Il faut ainsi saisir <strong>les</strong> formes d’enrichissement du cardinal ministre <strong>et</strong><br />

l’usage des capitaux (non pas en discordance avec <strong>les</strong> pratiques du temps, comme le signale<br />

Claude Dulong, mais bien dans leur prolongement : le mythe du « rapace des Abbruzzes » ou<br />

de « l’avare sicilien » témoigne plus des attaques de ses adversaires ou de l’ostracisme<br />

touchant <strong>les</strong> étrangers que d’une rupture avec <strong>les</strong> manières des Grands). C’est ce qui perm<strong>et</strong> à<br />

Jean Delumeau de montrer comment, même si <strong>Mazarin</strong> n’a pas vraiment joué un rôle<br />

novateur dans la création artistique de son époque, son activité de collectionneur ajoute au<br />

qualitatif un quantitatif aux proportions réellement étonnantes. Tel est ce qui en change la<br />

donne ordinaire, allouant au goût récent pour <strong>les</strong> collections de tous ordres une dimension<br />

inédite. L’impact des fouil<strong>les</strong> archéologiques conduites à Rome alimente c<strong>et</strong>te nouvelle manie<br />

sociale en y ajoutant le prestige de l’ancien. On doit, sans doute, souligner que <strong>Mazarin</strong>,<br />

personnellement, appréciait sans doute plus la décoration que la création artistique <strong>et</strong> s’est<br />

avéré être plus collectionneur que mécène. Ainsi, Jean-Claude Boyer nous fait saisir que le<br />

tableau que peint Philippe de Champaigne du cardinal ministre reprend le dispositif du<br />

portrait de Richelieu, en y ajoutant la présence surprenante au second plan du château de<br />

Vincennes, parce qu’il avait justement commandé la création du décor des appartements de<br />

l’aile du roi <strong>et</strong> de l’aile de la reine (à ce même Philippe de Champaigne <strong>et</strong> à <strong>Michel</strong> Doriginy,<br />

le neveu de Vou<strong>et</strong>) <strong>et</strong> tenait à en rappeler le souvenir.<br />

De même que Pascal disait d’un noble aux vêtements somptueux, « c<strong>et</strong> habit, c’est une<br />

force », <strong>les</strong> palais, <strong>les</strong> peintures, <strong>les</strong> meub<strong>les</strong> d’Extrême-Orient sont autant de façons, pour<br />

<strong>Mazarin</strong>, de publier sa puissance. Ce sont ces formes de publication, ces manières de se<br />

rendre public, qui sont ici étudiées attentivement — à titre d’exemple, on peut simplement<br />

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mentionner le fait que la bibliothèque de <strong>Mazarin</strong> qui comptait 40 000 volumes en 1652 (par<br />

rapport à 15 000 pour la bibliothèque royale ou autant pour la Bodleian Library) ne formait<br />

pas une collection privée, elle a justement été une des premières à être ouverte au public (à<br />

l’instar de la Bibliothèque Vaticane). Par ailleurs, comme le saisit <strong>Patrick</strong> <strong>Michel</strong> en<br />

comparant <strong>les</strong> cardinaux Barberini <strong>et</strong> <strong>Mazarin</strong>, l’émulation entre Grands compte pour<br />

beaucoup dans le développement des collections de tous genres. Il faut donc souligner, d’un<br />

point de vue théorique, combien <strong>les</strong> pratiques artistiques (des reliures aux peintures, des<br />

tapisseries aux vases, des palais aux bijoux) sont à la fois instrumentation d’une jouissance <strong>et</strong><br />

poétique du pouvoir.<br />

Il est impossible de rendre compte de toutes <strong>les</strong> approches ni de tous <strong>les</strong> travaux de<br />

qualité qui font ce livre, c’est bien leur variété qui constitue l’intérêt de l’ouvrage. Sans<br />

hiérarchie des <strong>arts</strong> (ce qui est déjà tout à fait notable <strong>et</strong> témoigne indirectement des enjeux<br />

théoriques que je viens de souligner), <strong>les</strong> études s’attachent autant à un lit brodé qu’aux<br />

monuments du Pont aux changes, aux palais <strong>et</strong> châteaux aménagés par la volonté du cardinal<br />

qu’aux fresques commandées <strong>et</strong> aux tableaux ach<strong>et</strong>és, aux bijoux étonnants qu’au mobilier<br />

fastueux, aux reliures de vélin citron qu’aux incunab<strong>les</strong> ou aux ouvrages hébraïques de la<br />

bibliothèque composée par Gabriel Naudé. La puissance est ainsi captée dans <strong>les</strong> analyses de<br />

ces matérialités des œuvres en passant des <strong>arts</strong> à l’iconographie <strong>et</strong> aux livres.<br />

L’histoire qui en est alors livrée passe également par l’examen de la construction de<br />

l’obj<strong>et</strong> <strong>Mazarin</strong> à l’intérieur de l’historiographie : que ce soit par l’élaboration de ses louanges<br />

sur le moment (qu’analyse Giuliano Ferr<strong>et</strong>ti) ou par l’héritage du personnage dans <strong>les</strong><br />

manuels scolaires <strong>et</strong> <strong>les</strong> textes savants des historiens depuis le 17 e siècle jusqu’aux Anna<strong>les</strong><br />

(qu’étudient Laurent Avezou <strong>et</strong> Christian Amalvi). Un des points ici <strong>les</strong> plus intéressants<br />

concerne le « non-usage » de l’histoire par <strong>Mazarin</strong> subtilement mis en évidence par Chantal<br />

Grell : là où Richelieu s’était appuyé sur des constructions historiographiques, son successeur<br />

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nomme nombre d’historiographes du roi qui n’écriront jamais une ligne d’histoire, en<br />

particulier sur le règne de Louis XIII, comme s’il s’agissait de mieux faire oublier, au profit<br />

de la régente (donc du pouvoir actuel), <strong>et</strong> le roi précédent <strong>et</strong> son cardinal ministre. Palais,<br />

collections, musiques assurent, certes, une continuité du pouvoir — à l’instar de la politique<br />

étrangère de <strong>Mazarin</strong> qui prolonge celle de Richelieu, voire la mène à son terme avec la paix<br />

des Pyrénées en 1659 —, mais ils contribuent aussi à une forme de discontinuité radicale en<br />

paraissant sauter par-dessus le règne de Louis XIII pour mieux rejoindre le mythe unificateur<br />

<strong>et</strong> pacificateur de Henri IV.<br />

Ce n’est pas un des moindres intérêts de c<strong>et</strong> ouvrage collectif que de suivre justement le<br />

travail des historiens depuis <strong>les</strong> contemporains de <strong>Mazarin</strong> jusqu’aux travaux savants du 20 e<br />

siècle ou aux manuels scolaires des deux derniers sièc<strong>les</strong> : non seulement cela perm<strong>et</strong> de ne<br />

pas tomber dans <strong>les</strong> pièges d’une unité momentanée <strong>et</strong> factice du « 17 e siècle », mais aussi<br />

cela alloue une profondeur de champ (en fait une profondeur de temps) à la construction de la<br />

figure du cardinal ministre. L’intermédialité ne saurait, en eff<strong>et</strong>, se restreindre à des figures<br />

figées de l’histoire, elle doit en suivre <strong>les</strong> évolutions, <strong>les</strong> reconstitutions, <strong>les</strong> bifurcations de<br />

sens <strong>et</strong> <strong>les</strong> changements de valeur.<br />

En ouvrant ainsi, à partir d’œuvres de différents médiums, une histoire institutionnelle<br />

de la mémoire <strong>et</strong> de l’oubli, on évite une facile patrimonialisation ou une activité de simple<br />

commémoration élogieuse : <strong>Isabelle</strong> de <strong>Conihout</strong> <strong>et</strong> <strong>Patrick</strong> <strong>Michel</strong> ont ainsi permis de<br />

construire un obj<strong>et</strong> au carrefour d’une analyse des formes de pouvoir <strong>et</strong> des institutions<br />

savantes <strong>et</strong> artistiques, d’une étude des matérialités de la communication <strong>et</strong> d’une histoire<br />

politique de l’esthétique.<br />

Éric Méchoulan<br />

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