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Warhol Live - Centre de recherche sur l'intermédialité

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<strong>Warhol</strong> <strong>Live</strong> : l’« exposition-spectacle » et ses logiques médiatiques 1<br />

SOPHIE MORAND<br />

Depuis les années 1990, marquées par le développement fulgurant <strong>de</strong>s<br />

technologies numériques, professionnels et muséologues s’interrogent <strong>sur</strong> la crise<br />

i<strong>de</strong>ntitaire du musée. Plusieurs fois menacé – par la photographie, la multiplication <strong>de</strong>s<br />

lieux d’exposition, et plus récemment par les NTIC (nouvelles technologies <strong>de</strong><br />

l’information et <strong>de</strong> la communication) –, le musée explore <strong>de</strong> nouvelles pratiques <strong>de</strong><br />

présentation pour affirmer ses particularités et attirer un plus large public. L’exposition se<br />

fait alors événement et s’efforce <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rniser son espace grâce à l’introduction d’autres<br />

médias afin <strong>de</strong> séduire une société <strong>de</strong> l’écran désormais habituée aux joies <strong>de</strong><br />

l’entrecroisement médiatique. Cela même participe à la spectacularisation <strong>de</strong> la<br />

présentation muséale sous-entendue dans l’expression « exposition-spectacle ». Mais en<br />

quoi consiste précisément cette spectacularisation et quelles en sont les implications ? La<br />

mise en relation <strong>de</strong>s termes « exposition » et « spectacle » nous incite à penser cette<br />

nouvelle tendance selon une approche intermédiale. Ce choix d’analyse pose alors une<br />

première et inévitable question : le musée, ou plus précisément l’exposition muséale est-<br />

1 Mes remerciements les plus sincères à Emma Lavigne (conservatrice du Musée national d’art mo<strong>de</strong>rne,<br />

<strong>Centre</strong> Pompidou, commissaire <strong>de</strong> l’exposition <strong>Warhol</strong> <strong>Live</strong> avec Stéphane Aquin et Matt Wrbican, chargée<br />

<strong>de</strong> la conception générale <strong>de</strong>s environnements sonores), pour les précieuses informations et précisions<br />

techniques qu’elle a apportées concernant l’exposition (plans, playlist et systèmes <strong>de</strong> sonorisation).<br />

1


elle à considérer comme un média ? Si les définitions 2 courantes n’en font pas mention,<br />

les écrits <strong>de</strong> Jean Davallon 3 ont contribué à la démocratisation <strong>de</strong> cette idée auprès <strong>de</strong><br />

nombreux autres professionnels et muséologues 4<br />

.<br />

Dans les pages qui suivent, nous décrypterons les enjeux scénographiques <strong>de</strong>s<br />

expositions actuelles avec, à l’appui, l’exemple emblématique <strong>de</strong> l’exposition <strong>Warhol</strong><br />

<strong>Live</strong> tout en procédant à une lecture transversale <strong>de</strong> l’ouvrage écrit par Bolter et Grusin,<br />

Remediation : Un<strong>de</strong>rstanding New Media 5<br />

.<br />

Exposer <strong>Warhol</strong><br />

Andy <strong>Warhol</strong>, artiste pop <strong>de</strong>s années 1960-1980, est certainement l’une <strong>de</strong>s<br />

personnalités artistiques les plus exposées à travers le mon<strong>de</strong>. Alors que l’exposition<br />

<strong>Warhol</strong> <strong>Live</strong> du Musée <strong>de</strong>s beaux-arts <strong>de</strong> Montréal s’achève le 18 janvier 2009, pour se<br />

poursuivre à San Francisco 6 et se terminer au Andy <strong>Warhol</strong> Museum <strong>de</strong> Pittsburgh 7<br />

, le<br />

Grand Palais (Paris) propose, du 18 mars au 13 juillet 2009, une rétrospective <strong>de</strong>s<br />

2 Nous référons ici aux définitions proposées par François Mairesse et André Desvallées (dir.), Vers une<br />

redéfinition du musée ?, Paris, L’Harmattan, 2007. Les textes qui y sont réunis sont le fruit d’un colloque<br />

organisé par l’IFOCOM à Calgary en 2005 dont l’objectif était <strong>de</strong> réfléchir aux problèmes i<strong>de</strong>ntitaires<br />

actuels du musée et d’en proposer une nouvelle définition.<br />

3<br />

Voir notamment les articles : Jean Davallon, « Le musée est-il vraiment un média ? », Publics et Musées,<br />

n° 2, décembre 1992, p. 99-123 ; « Réflexion <strong>sur</strong> la notion <strong>de</strong> médiation muséale », dans Catherine Perret<br />

(dir.), L’art contemporain et son exposition, tome 1, Paris, L’Harmattan, 2002, p. 54-61 ; « Pourquoi<br />

considérer l’exposition comme un média ? », Médiamorphoses, n° 9, novembre 2003, p. 27-30.<br />

4<br />

En 2003, pour son neuvième numéro, la revue Médiamorphoses propose, en effet, un dossier spécial<br />

intitulé « L’exposition, un média » réunissant entre autres les textes <strong>de</strong> Jean Davallon, Raymond Montpetit,<br />

Jean-Paul Natali, Annette Viel ou encore Florence Belaën.<br />

5<br />

Jay David Bolter et Richard Grusin, Remediation : Un<strong>de</strong>rstanding New Media, Cambridge (Mass.), MIT<br />

Press, 1999.<br />

6<br />

<strong>Warhol</strong> <strong>Live</strong>, Fine Arts Museum of San Francisco, du 14 février au 17 mai 2009, San Francisco.<br />

7<br />

<strong>Warhol</strong> <strong>Live</strong>, Andy <strong>Warhol</strong> Museum, du 10 juin au 15 septembre 2009, Pittsburgh.<br />

2


nombreux portraits qu’il réalisa entre 1967 et 1987, dénommée Le grand mon<strong>de</strong> d’Andy<br />

<strong>Warhol</strong>.<br />

Artiste <strong>de</strong>s médias et personnage médiatisé, représentant <strong>de</strong> la société <strong>de</strong><br />

consommation <strong>de</strong>s sixties, <strong>Warhol</strong> est <strong>de</strong>venu lui-même l’emblème <strong>de</strong> la consommation<br />

artistique : produits dérivés, monographies, films et reportages, expositions, etc. Exposer<br />

<strong>Warhol</strong>, c’est donc bien sûr s’as<strong>sur</strong>er d’un grand nombre d’entrées et <strong>de</strong> ventes associées,<br />

mais c’est aussi redécouvrir les multiples facettes <strong>de</strong> l’œuvre d’un artiste pour qui tous<br />

« les médias sont <strong>de</strong> l’art 8<br />

». Né en 1928, <strong>Warhol</strong> est le contemporain <strong>de</strong> nombreuses<br />

innovations et avancées technologiques (synchronisation du son et <strong>de</strong> l’image au cinéma,<br />

magnétophone portatif, walkman, électrophone, télévision, vidéo, etc.) qui exercent <strong>sur</strong><br />

lui une véritable fascination et influencent ses créations. Il entame sa carrière dans la<br />

publicité comme illustrateur <strong>de</strong> magazines jusqu’à sa consécration en 1962, fon<strong>de</strong> le<br />

premier art band en 1963 sous le nom <strong>de</strong> The Druds, <strong>de</strong>vient producteur du groupe<br />

Velvet Un<strong>de</strong>rground (1965), réalise <strong>de</strong>s films et <strong>de</strong>s vidéos tels que Empire (1963) et<br />

Sleep (1964), fon<strong>de</strong> la revue Inter/VIEW : A Monthly Film Journal en 1969, rebaptisée<br />

Andy <strong>Warhol</strong>’s Interview en 1972, et lance sa propre émission télévisée : The Andy<br />

<strong>Warhol</strong>’s TV à partir <strong>de</strong> 1980. Exposer Andy <strong>Warhol</strong> <strong>de</strong>vient aussi prétexte à<br />

l’entrecroisement médiatique, au cœur <strong>de</strong>s enjeux artistiques et scénographiques actuels.<br />

C’est ainsi que <strong>Warhol</strong> <strong>Live</strong>, l’exposition temporaire et itinérante que présente le<br />

Musée <strong>de</strong>s beaux-arts <strong>de</strong> Montréal du 25 septembre 2008 au 18 janvier 2009, permet <strong>de</strong><br />

redécouvrir les productions d’Andy <strong>Warhol</strong> à travers l’influence <strong>de</strong> la musique et, dans<br />

une moindre me<strong>sur</strong>e, <strong>de</strong> la danse. C’est une exposition constituée <strong>de</strong> douze salles<br />

8 Citation d’Andy <strong>Warhol</strong> affichée <strong>sur</strong> l’un <strong>de</strong>s murs <strong>de</strong> l’exposition.<br />

3


articulées chronologiquement autour <strong>de</strong> quatre thèmes : « Tuning In », « Sound and<br />

vision », « Producer » et « Fame ». Tandis que « Tuning-In » et « Sound and vision »<br />

témoignent <strong>de</strong> la culture musicale personnelle d’Andy <strong>Warhol</strong> et <strong>de</strong> l’influence <strong>de</strong> celle-<br />

ci <strong>sur</strong> ses premières productions, les <strong>de</strong>ux autres placent l’artiste au cœur <strong>de</strong> la production<br />

musicale <strong>de</strong> son époque.<br />

Remediation : « hypermédiateté » (hypermediacy) et « immediateté » (immediacy)<br />

À en croire les auteurs <strong>de</strong> Remediation, Un<strong>de</strong>rstanding New Media 9 , tout média<br />

remédie. À travers ce phénomène <strong>de</strong> remédiation, les auteurs i<strong>de</strong>ntifient <strong>de</strong>ux logiques<br />

contradictoires inhérentes : l’hypermédiateté et l’immédiateté. Comme son étymologie le<br />

suggère, l’hypermédiateté renvoie à l’hybridation <strong>de</strong> différents médias, l’exemple le plus<br />

frappant étant aujourd’hui l’ordinateur qui réunit, entre autres, son, vidéo et photo. Elle<br />

réfère aussi, comme le soulignent Bolter et Grusin, à l’opacité du média lui-même face à<br />

son utilisateur, qui constitue un heurt entre <strong>de</strong>ux entités où l’utilisateur prend conscience<br />

<strong>de</strong> la réalité 10<br />

du média. Cette même machine informatique, par exemple, peut sembler <strong>de</strong><br />

prime abord compliquée et éveille une crainte chez certains : peur <strong>de</strong> ne pas savoir s’en<br />

servir, peur d’appuyer <strong>sur</strong> une mauvaise touche. De même, pour l’utilisateur plus averti,<br />

un changement <strong>de</strong> clavier ou <strong>de</strong> logiciel peut nécessiter un temps d’adaptation.<br />

Inversement, l’immédiateté peut indiquer l’instantanéité <strong>de</strong> la réception entre l’utilisateur<br />

et la réalité remédiée, ou l’immédiateté dialogique entre l’utilisateur et le média alors<br />

transparent.<br />

9<br />

Bolter et Grusin, 1999.<br />

10<br />

« Media have the same claim to reality as more tangible cultural artifacts ; photographs, films, and<br />

computer applications are as real as airplanes and buildings », ibid., p. 19.<br />

4


L’hypermédiateté offre dès lors une nouvelle grille <strong>de</strong> lecture pour mieux comprendre les<br />

tendances muséales actuelles.<br />

Le musée, lieu institutionnel dédié à la collection, la conservation et la diffusion<br />

d’œuvres et d’objets inscrits ou à inscrire dans notre patrimoine culturel, serait davantage<br />

à concevoir comme un « hypermédia » au sens où l’entend Chiel Kattenbelt, c’est-à-dire<br />

comme un média constitué d’autres médias dont il préserve l’intégrité et, d’une certaine<br />

façon, l’autonomie 11 . S’y côtoient objets du quotidien (poteries, meubles, outils,<br />

ustensiles), écrits (lettres, partitions, articles, revues), œuvres d’art visuelles (sculptures,<br />

peintures, <strong>de</strong>ssins, photographies) et audiovisuelles (films, vidéos, émissions télévisées).<br />

Cependant, si le musée a toujours incorporé sans concessions une multitu<strong>de</strong> d’objets et <strong>de</strong><br />

médias, force est <strong>de</strong> constater qu’il ne se limite désormais plus à leur simple présence et<br />

monstration en remédiant les arts du spectacle, créant ainsi <strong>de</strong>s espaces hypermédiatiques<br />

(au sens premier du terme). Qui n’a encore pu constater, au détour d’une exposition, sa<br />

théâtralisation ? En témoigne le regard porté par Johanne Lamoureux <strong>sur</strong> l’exposition<br />

Marie-Antoinette 12<br />

du Grand Palais (Paris). C’est également un fait illustré par<br />

l’exposition <strong>Warhol</strong> <strong>Live</strong>, qui retrace la vie <strong>de</strong> l’artiste à travers un parcours décomposé<br />

en quatre univers, séparés par <strong>de</strong>s ri<strong>de</strong>aux <strong>de</strong> velours noir, dont certaines salles sont<br />

agrémentées d’éléments <strong>de</strong> décor, indépendants <strong>de</strong>s œuvres <strong>de</strong> <strong>Warhol</strong>. On remarque<br />

<strong>de</strong>puis une bonne vingtaine d’années déjà le souci et l’intérêt portés par les commissaires<br />

à la mise en scène dans le cadre d’expositions temporaires thématiques, et ces nouveaux<br />

11<br />

Freda Chapple et Chiel Kattenbelt, Intermediality in Theatre and Performance, Amsterdam et New York,<br />

Rodopi, 2006, p. 37.<br />

12 Johanne Lamoureux, « L’exposition comme produit dérivé. Marie-Antoinette au Grand Palais »,<br />

Intermédialités, n° 15, « Exposer », printemps 2010, p. 72-90.<br />

5


parcours narratifs furent rapi<strong>de</strong>ment apparentés au cinéma par les critiques et théoriciens.<br />

Si, comme le souligne Johanne Lamoureux 13 , certains rapprochements entre cinéma et<br />

exposition, dont ceux que faisait Dominique Païni entre accrochage et montage, sont<br />

discutables, il n’est pas difficile <strong>de</strong> noter les affinités entre musée et cinéma, ce <strong>de</strong>rnier y<br />

trouvant un nouvel espace à habiter. À la suite <strong>de</strong> l’art vidéo qui vulgarisait la présence<br />

<strong>de</strong> l’image-mouvement au sein du musée, contribuant à une rupture <strong>de</strong> temporalité, le<br />

musée « s’est ouvert au cinéma, en se dotant d’une salle <strong>de</strong> projection avec une<br />

programmation régulière <strong>de</strong> films et, bien sûr, en présentant <strong>de</strong>s œuvres et <strong>de</strong>s<br />

expositions <strong>sur</strong> le cinéma 14<br />

», tel que le rappelle Olivier Asselin. C’est ce recours au<br />

dispositif <strong>de</strong> projection qui introduit la notion <strong>de</strong> « cube noir » dans le vocabulaire<br />

muséologique. Dans le cadre <strong>de</strong> <strong>Warhol</strong> <strong>Live</strong>, trois <strong>de</strong>s douze salles constituent <strong>de</strong>s<br />

espaces indépendants, plongés dans le noir, où le spectateur est invité à s’asseoir, voire à<br />

s’allonger : la « Silver Clouds » qui diffuse la vidéo d’un spectacle <strong>de</strong> danse <strong>sur</strong> un écran<br />

LCD, la « Silver Factory » projetant un film du groupe Velvet Un<strong>de</strong>rground <strong>sur</strong> grand<br />

écran, et l’« Exploding Plastic Inevitable » où plusieurs films sont projetés en même<br />

temps <strong>sur</strong> les quatre grands écrans disposés <strong>sur</strong> chacun <strong>de</strong>s murs <strong>de</strong> la pièce.<br />

Mais, en dépit <strong>de</strong>s divers médias évoqués, somme toute relativement communs<br />

pour le visiteur contemporain, le plus grand intérêt <strong>de</strong> cette exposition rési<strong>de</strong> dans<br />

l’introduction du média son qui marque une nouvelle étape <strong>de</strong> la scénographie muséale et<br />

rompt avec ses traditions. Chose encore peu habituelle, les douze salles sont toutes<br />

accompagnées d’une ambiance musicale constituée <strong>de</strong>s morceaux qu’écoutait <strong>Warhol</strong>.<br />

13<br />

Ibid.<br />

14<br />

Olivier Asselin, « L’exposition du cinéma : fragments d’une histoire locale et globale », Perspective,<br />

n° 3, octobre 2008, p. 565-570.<br />

6


Les responsables <strong>de</strong> l’exposition ont d’ailleurs largement insisté dans leur communication<br />

<strong>sur</strong> l’importance et le caractère novateur <strong>de</strong> cette « présence musicale », tant dans le<br />

catalogue d’exposition que dans la presse écrite et électronique. Nathalie Bondil,<br />

directrice du Musée <strong>de</strong>s beaux-arts <strong>de</strong> Montréal, annonce dans le prologue du catalogue<br />

d’exposition :<br />

Le Musée <strong>de</strong>s beaux-arts <strong>de</strong> Montréal explore <strong>de</strong>puis très longtemps les<br />

approches transdisciplinaires […]. L’interdisciplinarité <strong>de</strong>s arts plastiques,<br />

musicaux et sonores y est, par contre, un territoire <strong>de</strong> <strong>recherche</strong> inédit, qui va<br />

se développer dans un très proche avenir 15<br />

.<br />

Propos confirmés par l’exposition Imagine : La balla<strong>de</strong> pour la paix <strong>de</strong> John et Yoko,<br />

également présentée par le Musée <strong>de</strong>s beaux-arts <strong>de</strong> Montréal du 2 avril au 21 juin 2009,<br />

qui réitéra cette expérience et dont l’environnement sonore fut réalisé par la même équipe<br />

que <strong>Warhol</strong> <strong>Live</strong>.<br />

Ainsi, bien que le média son soit encore pour l’instant considéré comme un<br />

élément « inédit » ou peu commun dans les expositions d’art actuelles, il semblerait que<br />

la musique au musée soit une nouvelle tendance dans la « <strong>sur</strong>enchère intermédiatique »<br />

<strong>de</strong> l’« exposition-spectacle ». En effet, après <strong>Warhol</strong> <strong>Live</strong>, et Sympathy for the Devil, au<br />

Musée <strong>de</strong>s beaux-arts <strong>de</strong> Montréal 16 , ce fut au tour du musée du quai Branly 17 à Paris, <strong>de</strong><br />

proposer, avec Le Siècle du Jazz 18<br />

, la redécouverte du genre musical et <strong>de</strong> son influence<br />

<strong>sur</strong> la production plastique. <strong>Warhol</strong> <strong>Live</strong> est la seule d’entre elles à avoir fait <strong>de</strong> la totalité<br />

15<br />

Propos <strong>de</strong> Nathalie Bondil dans Stéphane Aquin (dir.), <strong>Warhol</strong> <strong>Live</strong>, Catalogue d’exposition, Montréal,<br />

Musée <strong>de</strong>s beaux-arts <strong>de</strong> Montréal, 2008, p. 3.<br />

16<br />

Sympathy for the Devil, Musée d’art contemporain <strong>de</strong> Montréal, du 10 octobre 2008 au 11 janvier 2009.<br />

17<br />

Musée <strong>de</strong>s arts et <strong>de</strong>s civilisations.<br />

18<br />

Le Siècle du Jazz, musée du quai Branly, du 17 mars au 28 juin 2009.<br />

7


<strong>de</strong> son espace d’exposition un environnement musical, alors que les <strong>de</strong>ux autres<br />

n’intégraient que quelques environnements, et/ou installations, sonores ponctuels.<br />

Sujet principal donc, la musique y est à la fois exposée et diffusée. On y retrouve<br />

partitions, billets <strong>de</strong> concert, pochettes <strong>de</strong> disques, portraits <strong>de</strong> chanteurs, revues<br />

musicales, photos, vidéos <strong>de</strong> concerts et vidéoclips. Quant à la création <strong>de</strong>s espaces<br />

ambiophoniques, les concepteurs ont opté pour trois types <strong>de</strong> haut-parleurs auto-<br />

alimentés issus <strong>de</strong>s laboratoires Meyer Sound. Le MM-4XP, haut-parleur miniature haute<br />

définition est le plus utilisé car particulièrement bien adapté aux besoins <strong>de</strong> l’exposition :<br />

plus <strong>de</strong> quarante sont répartis dans huit <strong>de</strong>s douze salles <strong>de</strong> l’exposition. Sa précision <strong>de</strong><br />

diffusion permettait d’éviter la cacophonie, principal risque dans un espace qui ne<br />

dispose pas <strong>de</strong> séparations étanches. Aussi, leur petite taille permettait <strong>de</strong> les placer aux<br />

endroits les plus appropriés pour éviter toute distraction visuelle. « Besi<strong>de</strong>s sounding<br />

great and being exceptionally discreet, they can meet the need to run for ten hours per<br />

day, six days per week, without a problem 19<br />

», souligne Philippe Wajtowicz, directeur <strong>de</strong><br />

la technique et <strong>de</strong> la spatialisation du son. L’UPM-1P, plus puissant, est un ensemble <strong>de</strong><br />

trois haut-parleurs qui peut être utilisé seul ou comme amplificateur d’un autre système<br />

<strong>de</strong> sonorisation. Il est généralement employé au théâtre ainsi que pour les installations<br />

audiovisuelles et les salles <strong>de</strong> cinéma. On en dénombre plus d’une dizaine dans cinq <strong>de</strong>s<br />

salles, dont les trois environnements comprenant une vidéo-projection. Et l’UMS-1P, un<br />

caisson <strong>de</strong> basse, accompagnait l’un ou l’autre (parfois les <strong>de</strong>ux) dispositif cité dans huit<br />

19 « En plus d’être très puissants et exceptionnellement discrets, ils peuvent fonctionner pendant dix heures<br />

par jour au besoin, six jours par semaine, sans problème » (notre traduction). « Celebrating the Sights and<br />

Sounds of Andy <strong>Warhol</strong>—San Francisco’s <strong>de</strong> Young Museum Brings the Artist's Musical Vision to Life<br />

with Meyer Sound », mars 2009, Meyer Sound Laboratories Inc.,<br />

www.meyersound.com/news/2009/warhol_live/ (<strong>de</strong>rnière consultation le 31 janvier 2010).<br />

8


<strong>de</strong>s douze pièces. L’ensemble complet <strong>de</strong>s trois systèmes ne fut réservé qu’à une seule<br />

salle. Au total, plus d’une soixantaine <strong>de</strong> titres, mixés par Thierry Planelle (directeur<br />

artistique et création), composaient le « juke-box » <strong>de</strong> <strong>Warhol</strong> <strong>Live</strong>.<br />

La première pièce, introduction à l’exposition et premier contact du visiteur,<br />

appelle à plonger dans l’univers raconté. Moquette et murs sombres contribuent à créer<br />

une ambiance feutrée et font ressortir les portraits hauts en couleur <strong>de</strong> Judy Garland<br />

(1979) et <strong>de</strong> Marilyn Monroe (1962), ainsi que trois panneaux colorés, placés au centre<br />

<strong>de</strong> la pièce – disposés <strong>de</strong> façon à encercler le visiteur – <strong>sur</strong> chacun <strong>de</strong>squels sont<br />

accrochés les grands formats d’Elvis Presley (1963). Le tout est accompagné d’un mix<br />

illustratif composé <strong>de</strong> huit morceaux (dont trois interprétés par Judy Garland et <strong>de</strong>ux par<br />

Marilyn Monroe) diffusés par les haut-parleurs MM-4PX répartis aux quatre coins <strong>de</strong> la<br />

pièce et accompagnés d’un caisson <strong>de</strong> basse UMS-1P. La salle <strong>de</strong> clôture, quant à elle, est<br />

chargée <strong>de</strong> signification : elle renvoie à la cérémonie funéraire <strong>de</strong> l’artiste. Placé au fond<br />

face au visiteur, le portrait <strong>de</strong> <strong>Warhol</strong> occupe une place d’honneur, tandis qu’à ses côtés<br />

sont disposés les portraits <strong>de</strong> ve<strong>de</strong>ttes <strong>de</strong> la chanson (amis et idoles) qu’il réalisa, le tout<br />

souligné par l’éclairage. C’est aussi l’une <strong>de</strong>s seules à possé<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s murs couleur or,<br />

symbole <strong>de</strong> la star. L’autre salle peinte dans son intégralité est la « Silver Factory »,<br />

rappelant les murs <strong>de</strong> la fameuse « usine argentée ». C’est également la seule, en <strong>de</strong>hors<br />

<strong>de</strong>s environnements avec vidéo-projection, à faire l’usage d’un dispositif sonore amplifié<br />

à raison <strong>de</strong> quatre UPM-1P et un UMS-1P. Le son renforce ainsi le caractère dramatique<br />

<strong>de</strong> la mise en scène, notamment avec Miserere en do mineur <strong>de</strong> Jan Dismas Zelenka<br />

(1738), pièce jouée à l’enterrement <strong>de</strong> l’artiste.<br />

9


Dans le cas <strong>de</strong>s autres environnements avec projection, moquette et système <strong>de</strong><br />

sonorisation amplifié contribuent essentiellement à créer un espace favorable à la<br />

visibilité du film et à la mise en valeur <strong>de</strong> sa ban<strong>de</strong>-son. Ainsi, tandis que le média son<br />

n’est pour le film qu’un outil contribuant à l’optimisation <strong>de</strong> sa diffusion, il charge les<br />

espaces théâtralisés d’un supplément <strong>de</strong> sens et participe à la dramatisation <strong>de</strong> la<br />

scénographie muséale. Mais plus largement comprise comme illustration <strong>de</strong> l’ensemble<br />

<strong>de</strong>s œuvres exposées, la musique doit alors davantage être conçue comme un héritage <strong>de</strong><br />

la ban<strong>de</strong>-son cinématographique, tel que le suggère Thierry Planelle dans son entretien<br />

avec Danielle Champagne (directrice <strong>de</strong>s communications du Musée <strong>de</strong>s beaux-arts <strong>de</strong><br />

Montréal) à propos d’Imagine : La balla<strong>de</strong> pour la paix <strong>de</strong> John et Yoko 20<br />

.<br />

Tantôt utilisé comme accompagnement, tantôt comme illustration, comme<br />

21<br />

narration, ou encore présenté pour lui-même , le son est donc employé dans ses pleines<br />

possibilités, et son association aux éléments théâtraux et cinématographiques donne cette<br />

fois toute sa dimension au terme <strong>de</strong> « spectacle » associé à celui d’« exposition ».<br />

20 À la question <strong>de</strong> Danielle Champagne : « Que souhaitez-vous que les visiteurs retiennent <strong>de</strong> votre<br />

conception sonore et musicale <strong>de</strong> cette exposition ? », Thierry Planelle répond : « J’aimerais qu’ils<br />

l’enten<strong>de</strong>nt comme la ban<strong>de</strong> sonore d’un film. » L’environnement sonore <strong>de</strong> Imagine ayant été conçu par la<br />

même équipe, cette idée peut être appliquée à <strong>Warhol</strong> <strong>Live</strong>. Danielle Champagne, « Écouter et entendre le<br />

message et la musique <strong>de</strong> paix <strong>de</strong> John et Yoko : une entrevue avec Thierry Planelle, directeur artistique et<br />

illustrateur sonore », Musées <strong>de</strong>s beaux-arts, 2009,<br />

www.mbam.qc.ca/imagine/fr/entrevue_thierry_planelle.html (<strong>de</strong>rnière consultation le 7 février 2011).<br />

21 En effet, le son n’est pas seulement au service <strong>de</strong>s autres médias. Lorsque l’exposition a le son comme<br />

principal élément discursif, elle sait lui accor<strong>de</strong>r une place privilégiée et préserver son autonomie. Par<br />

exemple, la pièce réservée à la présentation <strong>de</strong>s pochettes <strong>de</strong> disques illustrées par <strong>Warhol</strong> – insérées dans<br />

<strong>de</strong>s plaques <strong>de</strong> Plexiglas placées à la verticale afin d’en voir envers et endroit – est accompagnée d’une<br />

ambiance musicale qui se suffit à elle-même. Si le dispositif <strong>de</strong> projection semble toujours prévaloir (en<br />

raison <strong>de</strong>s contraintes qu’il implique pour une bonne lisibilité du film diffusé), contrairement aux <strong>de</strong>ux<br />

exemples précé<strong>de</strong>nts où le dispositif sonore était au service du son filmique, le troisième environnement<br />

avec vidéo-projection, l’« Exploding Plastic Inevitable », est le seul à user du système complet <strong>de</strong><br />

sonorisation à raison <strong>de</strong> 3 MM-4XP, 2 UPM-1P et 1 UMS-1P qui diffusent, indépendamment <strong>de</strong>s images<br />

projetées, les chansons du Velvet Un<strong>de</strong>rground.<br />

10


Cependant, une telle exposition, qualifiée <strong>de</strong> « spectaculaire » pour la seule<br />

qualité hybri<strong>de</strong> <strong>de</strong> sa scénographie, ne pourrait être assimilée au spectacle. Son caractère<br />

événementiel et les pratiques sociales qu’elle implique ne sont pas à négliger. Notons en<br />

premier lieu que la remédiation <strong>de</strong>s arts du spectacle fait appel à <strong>de</strong>s corps <strong>de</strong> métier<br />

jusque-là extérieurs au mon<strong>de</strong> du musée. Stéphane Aquin, conservateur du Musée <strong>de</strong>s<br />

beaux-arts <strong>de</strong> Montréal et commissaire principal, ainsi qu’Emma Lavigne (conservatrice<br />

du Musée national d’art mo<strong>de</strong>rne du <strong>Centre</strong> Pompidou à Paris) et Matt Wrbican<br />

(archiviste au musée Andy <strong>Warhol</strong> <strong>de</strong> Pittsburgh), réunissent autour d’eux Guillaume <strong>de</strong><br />

Fontenay (réalisateur <strong>de</strong> clips publicitaires et <strong>de</strong> films, pour la scénographie) et Thierry<br />

Planelle (ancien directeur artistique <strong>de</strong> la maison <strong>de</strong> disques Virgin Music/EMI et<br />

directeur <strong>de</strong> la création image et son du label Virgin France), afin d’as<strong>sur</strong>er la direction<br />

artistique et la création d’environnements sonores. Il font appel à Philippe Wojtowicz,<br />

<strong>de</strong>signer sonore, pour la technique et la spatialisation du son.<br />

Alors que le musée constituait un marqueur social, lieu <strong>de</strong>stiné à une population<br />

aisée et cultivée (« cela “fait bien” <strong>de</strong> visiter un musée ; on se doit d’avoir vu tel ou tel<br />

musée, du moins dans certains milieux cultivés 22 »), Bernard Fibicher note dès 1995<br />

qu’« en Allemagne, les gens se déplacent davantage pour les expositions d’art que pour<br />

les matchs <strong>de</strong> football <strong>de</strong> la Bun<strong>de</strong>sliga. En France, les musées et centres d’art attirent un<br />

plus grand public que les concerts rock ou pop 23<br />

». Treize ans plus tard, la musique fait<br />

son entrée au musée et les expositions partent en « tournée ».<br />

Pour Olivier Asselin, le « problème » auquel est confronté le musée aujourd’hui serait<br />

celui <strong>de</strong> sa légitimité culturelle :<br />

22<br />

André Gob et Noémie Drouguet, La muséologie : histoire, développement et enjeux actuels, Paris,<br />

Armand Colin, 2006, p. 54.<br />

23<br />

Bernard Fibicher (dir.), L’art exposé, Sion, Musée <strong>de</strong>s beaux-arts cantonal, 1995, p. 277.<br />

11


Le public fidèle <strong>de</strong>s musées vieillit, comme celui du livre, du théâtre, du<br />

concert classique ou <strong>de</strong>s cinémathèques, et il peine à se renouveler. Dans ce<br />

contexte, il n’est pas étonnant que les musées courtisent un public plus grand<br />

et plus jeune et que leur programmation accor<strong>de</strong> une place croissante aux<br />

expositions qui ont un « public appeal » évi<strong>de</strong>nt 24<br />

.<br />

En proposant une scénographie novatrice, ludique et attractive, <strong>Warhol</strong> <strong>Live</strong> offre<br />

au Musée <strong>de</strong>s beaux-arts <strong>de</strong> Montréal un total <strong>de</strong> 130 000 visiteurs. Danielle Champagne,<br />

directrice <strong>de</strong>s communications du musée, satisfaite <strong>de</strong> ces chiffres, relève notamment la<br />

présence <strong>de</strong>s jeunes et <strong>de</strong>s familles, « ce qui est très intéressant pour la clientèle visée 25<br />

»,<br />

souligne-t-elle.<br />

L’exposition muséale : <strong>de</strong> la médiation au média<br />

À partir <strong>de</strong>s années 1990, les muséologues observent, à juste titre, un déplacement<br />

<strong>de</strong> l’intérêt du musée, qui tend <strong>de</strong> plus en plus à se détacher <strong>de</strong> l’œuvre pour se consacrer<br />

au visiteur. N’échappant pas à cette nouvelle tendance, <strong>Warhol</strong> <strong>Live</strong> place le spectateur<br />

au centre <strong>de</strong> son espace et <strong>de</strong> ses préoccupations. On remarque ainsi en premier lieu que<br />

les besoins du visiteur sont pris en compte. Si André Gob et Noémie Drouguet<br />

soulignent, dans La muséologie : histoire, développements, enjeux actuels, que<br />

l’exposition ne prêtait pas encore suffisamment attention à la fatigue du visiteur,<br />

notamment en fin <strong>de</strong> parcours, les environnements vidéoprojetés <strong>de</strong> <strong>Warhol</strong> <strong>Live</strong><br />

justifient la présence <strong>de</strong> sièges, à l’exemple <strong>de</strong> la « Silver Factory » (située à mi-<br />

parcours), et <strong>de</strong> l’« Exploding Plastic Inevitable », trois pièces plus loin, ainsi que <strong>de</strong> la<br />

24 Asselin, 2008, p. 569.<br />

25 Alain Martineau, « L’exposition <strong>Warhol</strong> <strong>Live</strong> a attiré 130 000 visiteurs », La presse canadienne, le 18<br />

janvier 2009, www.cyberpresse.ca (<strong>de</strong>rnière consultation le 7 février 2011).<br />

12


salle finale (voir fig. 2). Mais au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> ce simple constat pratique, <strong>Warhol</strong> <strong>Live</strong> propose<br />

au spectateur non plus <strong>de</strong> faire l’expérience esthétique <strong>de</strong> l’œuvre, mais <strong>de</strong> comprendre la<br />

démarche créatrice <strong>de</strong> l’artiste et ses influences à travers l’écoute <strong>de</strong> sa musique : « [il<br />

s’agit] d’une exposition qui permettra <strong>de</strong> conforter une certaine image <strong>de</strong> l’artiste<br />

multidisciplinaire, mais <strong>sur</strong>tout <strong>de</strong> voir <strong>Warhol</strong> autrement, <strong>de</strong> découvrir ce que nous ne<br />

connaissions pas <strong>de</strong> lui 26 », annonçait Stéphane Aquin. L’exposition, ainsi accompagnée<br />

d’un discours interprétatif <strong>sur</strong> l’artiste et ses productions auquel s’ajoute la musique 27<br />

,<br />

sollicite l’affect du spectateur en trangressant sa mission première : présenter l’œuvre.<br />

Rappelons à présent que Bolter et Grusin décrivent l’acte <strong>de</strong> remédiation, générateur <strong>de</strong><br />

l’hypermédiateté, comme la reprise et la refonte <strong>de</strong> médias précé<strong>de</strong>nts dans un but<br />

performatif du média, afin <strong>de</strong> mieux tendre vers l’immédiateté. Ainsi, l’exposition<br />

suggère à son visiteur une immersion progressive dans l’univers warholien recréé, car si<br />

la présence du son dans la totalité <strong>de</strong> l’exposition en fait un environnement immersif, son<br />

espace inclut lui-même trois « sous-environnements »: la « Silver Clouds », la « Silver<br />

Factory » et l’« Exploding Plastic Inevitable ».<br />

La première salle évoquée plus haut a pour mission d’introduire l’exposition, dont<br />

le caractère totalisant se fait rapi<strong>de</strong>ment sentir par le visiteur, comme en témoignent les<br />

propos <strong>de</strong> certains : « à la secon<strong>de</strong> où j’ai mis les pieds dans la première salle<br />

d’exposition […] je me suis sentie littéralement aspirée<br />

26<br />

Stéphane Aquin cité dans Nicolas Mavrikakis et Nathalie Guimond, « Andy <strong>Warhol</strong>, l’homme<br />

orchestre », Voir, 18 septembre 2008, www.voir.ca (<strong>de</strong>rnière consultation le 7 février 2011).<br />

27<br />

« La particularité <strong>de</strong> l’apport du son associé à un objet statique (photo, peinture, sculpture, installation)<br />

est d’en modifier la perception. […] Le son va conditionner le sens <strong>de</strong> l’objet », Daniel Deshays, Pour une<br />

écriture du son, Paris, Klincksieck, 2006, p. 148.<br />

28<br />

Karine Veillette, « Je ne sais où s’arrête l’artificiel et où commence le réel », (fil <strong>de</strong> discussion en ligne),<br />

Andy <strong>Warhol</strong>, l’homme-orchestre, www.voir.ca, 8 janvier 2009 (<strong>de</strong>rnière consultation le 7 février 2011).<br />

13<br />

28<br />

», confie Karine Veillette, et<br />

Jean-Clau<strong>de</strong> Bourbonnais d’ajouter : « d’entrée <strong>de</strong> jeu, la mise en scène <strong>de</strong> cette expo


vous saisit et vous projette quarante ans en arrière 29 ». Parfaite illustration <strong>de</strong> la double<br />

logique médiatique pensée par Bolter et Grusin, ces témoignages révèlent à la fois la<br />

prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong> l’étonnante présence <strong>de</strong> la musique dans le musée<br />

(l’hypermédiateté due à l’opacité du média son) et la sensation d’immédiateté qu’elle<br />

procure. Car bien qu’inévitablement produit d’hypermédiateté, la musique est<br />

certainement le plus bel exemple d’immédiateté. D’abord en termes <strong>de</strong> transparence du<br />

média, le son étant un ensemble d’on<strong>de</strong>s se propageant dans un espace, invisible et<br />

impalpable pour son auditeur 30<br />

, il n’est que présence. Mais aussi en tant qu’immédiateté,<br />

indissociable du moment <strong>de</strong> sa diffusion, il inscrit son auditeur dans le présent <strong>de</strong><br />

l’écoute, dans l’ici et maintenant <strong>de</strong> la réception, un enjeu qui se retrouve jusque dans le<br />

titre <strong>de</strong> l’exposition : <strong>Warhol</strong> <strong>Live</strong>. Ainsi, une fois la <strong>sur</strong>prise passée et le spectateur porté<br />

par le flot musical continu <strong>de</strong> chacune <strong>de</strong>s pièces, l’exposition tente <strong>de</strong> nouvelles<br />

propositions scénographiques pour plonger son visiteur au cœur <strong>de</strong> son univers. On<br />

découvre alors la « Silver Clouds », dont le nom est emprunté à la composition <strong>de</strong> ballons<br />

argentés gonflés à l’hélium que réalisa Andy <strong>Warhol</strong> en 1966, et que Merce Cunningham<br />

intègre à la mise en scène <strong>de</strong> son spectacle <strong>de</strong> danse Rainforest en 1968. Plongé dans le<br />

noir, le spectateur fait face à un grand écran LCD diffusant le spectacle. La brillance <strong>de</strong><br />

l’écran est amplifiée par <strong>de</strong>s plaques <strong>de</strong> plexiglas transluci<strong>de</strong>s superposées aux murs noirs<br />

pour créer un effet miroir faisant écho à celui <strong>de</strong>s ballons. Le visiteur voit sa propre<br />

image reflétée et s’intègre à l’œuvre diffusée <strong>sur</strong> l’écran, dont le dispositif <strong>de</strong> présentation<br />

29<br />

Jean-Clau<strong>de</strong> Bourbonnais, « <strong>Warhol</strong>, l’homme phare », ibid., 15 janvier 2009 (<strong>de</strong>rnière consultation le 7<br />

février 2011).<br />

30<br />

« Au niveau physique, ce qu’on appelle le son est une on<strong>de</strong> qui, à la suite <strong>de</strong> l’ébranlement d’une ou<br />

plusieurs sources nommées corps sonores, se propage, selon <strong>de</strong>s lois bien particulières et, au passage,<br />

touche ce qu’on appelle l’oreille, où elle donne <strong>de</strong>s matières à <strong>de</strong>s sensations auditives », Michel Chion, Le<br />

son, Paris, Armand Colin, 2004, p. 23.<br />

14


permet la continuité. Ensuite, la « Silver Factory » tente <strong>de</strong> recréer ambiance et décors du<br />

studio du même nom. La pièce aux murs argentés, toute en longueur, place en son centre,<br />

<strong>sur</strong> une petite estra<strong>de</strong> également <strong>de</strong> couleur argent, la série <strong>de</strong>s Brillo Boxes (1964), tandis<br />

que tableaux et photographies du véritable studio <strong>de</strong> l’artiste sont accrochés aux murs 31 .<br />

Mais c’est encore une fois la présence du son qui prévaut ici, un mix composé <strong>de</strong> neuf<br />

titres qui mêle rock et opéra. Philippe Wojtowicz l’avait souligné : « nous voulions créer<br />

une atmosphère qui reflète vraiment l’environnement <strong>de</strong> l’époque, comme la célèbre<br />

Silver Factory 32<br />

». Pari réussi du côté <strong>de</strong> la réception, puisque certains visiteurs se sont<br />

laissé <strong>sur</strong>prendre à danser <strong>sur</strong> l’entraînante musique <strong>de</strong> Satisfaction (1965) <strong>de</strong>s Rolling<br />

Stones, l’espace muséal se faisant le parfait reflet <strong>de</strong>s ambitions participatives du studio<br />

tel que pensé par l’artiste. Après la présentation <strong>de</strong>s pochettes <strong>de</strong> disques illustrées par<br />

<strong>Warhol</strong>, le spectateur découvre l’« Exploding Plastic Inevitable ». Pensée comme le<br />

« temps fort » <strong>de</strong> l’exposition, cette pièce se veut la reconstitution <strong>de</strong> l’œuvre totale du<br />

même nom imaginée par <strong>Warhol</strong>. Seule bénéficiaire d’un système complet <strong>de</strong><br />

sonorisation (3 MM-4XP, 2 UPM-1P et 1 UMS-1P), la diffusion <strong>de</strong>s cinq chansons du<br />

Velvet Un<strong>de</strong>rground est donc amplifiée, <strong>de</strong> même que le volume. S’y mêlent <strong>de</strong>s<br />

projections d’images fixes et animées issues <strong>de</strong> films et vidéoclips <strong>sur</strong> les quatre grands<br />

écrans <strong>de</strong> chaque mur, une projection mobile <strong>de</strong> formes géométriques colorées balayant<br />

la salle, <strong>de</strong>s objets (<strong>de</strong>ux guitares disposées dans les coins du fond), et <strong>de</strong>s jeux <strong>de</strong><br />

lumière stroboscopique. Un immense canapé circulaire <strong>sur</strong> lequel sont dispersés quelques<br />

31 Même si cet élément ne fait pas directement l’objet <strong>de</strong> notre propos, nous notons ici que la salle se<br />

composait également, <strong>de</strong> l’œuvre You’re in (1967), une caisse <strong>de</strong> Coca-Cola, posée <strong>sur</strong> un haut socle, placé<br />

dans l’un <strong>de</strong>s coins <strong>de</strong> la pièce.<br />

32 Philippe Wojtowicz cité dans Meyer Sound Laboratories Inc.,<br />

www.meyersound.com/news/2009/warhol_live/, 2009 (<strong>de</strong>rnière consultation le 6 avril 2010).<br />

15


coussins se trouve au centre <strong>de</strong> la salle, invitant le spectateur à s’asseoir ou à s’allonger,<br />

et à se laisser envelopper par l’œuvre recréée. La vue, le toucher et l’ouïe sont<br />

simultanément sollicités 33<br />

.<br />

L’immédiateté serait donc l’inévitable contrepartie <strong>de</strong> l’hypermédiateté, à en<br />

croire Bolter et Grusin, d’après lesquels notre culture cherche à multiplier les médias en<br />

même temps qu’à effacer toute trace <strong>de</strong> médiation<br />

Staged rock productions are hypermediated events, which no one interprets as<br />

transparent in the sense that the media are to be forgotten or erased. But by<br />

entering into an immediate relationship with the media themselves – the<br />

sound, the lights, the televised images – rock fans achieve an experience they<br />

regard as authentic. [...] Rock music expects, if it does not require, that the<br />

viewer/listener be intimately involved in the hypermediacy – that she<br />

« abandon herself » to the music. [...] What rock music seems to offer […] is<br />

pure experience, pure authenticity, real in sense that the listener’s perception<br />

35<br />

cannot itself be <strong>de</strong>ceived .<br />

16<br />

34<br />

. Ironie du sort : les <strong>de</strong>ux auteurs<br />

illustrent eux-mêmes cette logique médiatique à travers l’exemple récurrent du concert<br />

rock :<br />

L’exposition d’art affichait initialement avec force son opacité afin <strong>de</strong> remplir au<br />

mieux son <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> présentation : murs blancs (pour les musées d’art contemporain),<br />

silence, vitrines, panneaux, socles, meubles <strong>de</strong> présentation et délimitation d’un<br />

« périmètre <strong>de</strong> sécurité » – autant d’éléments nécessaires à la muséalisation <strong>de</strong> l’objet<br />

(élevé au rang d’œuvre d’art en ce qui concerne les musées d’art). Cette configuration<br />

traditionnelle gar<strong>de</strong> le spectateur à distance, as<strong>sur</strong>ant protection et conservation <strong>de</strong><br />

33 « The logic of hypermediacy multiplies the signs of mediation and in this way tries to reproduce the rich<br />

sensorium of human experience », dans Bolter et Grusin 1999, p. 34.<br />

34 « Our culture wants both to multiply its media and to erase all traces of mediation : i<strong>de</strong>ally, it wants to<br />

erase its media in the very act of multiplying them », ibid., p. 5.<br />

35 Ibid., p. 71-72.


l’œuvre et favorisant l’accès à la « réalité 36 » <strong>de</strong> l’œuvre à travers sa contemplation (ou à<br />

sa « vérité » selon une approche platonicienne et hégélienne). Mais une exposition telle<br />

que <strong>Warhol</strong> <strong>Live</strong> tend désormais à jouer <strong>de</strong> la <strong>de</strong>uxième forme d’hypermédiateté<br />

(l’hybridation <strong>de</strong> médias). Elle tente simultanément d’effacer toute trace <strong>de</strong> médiation,<br />

voire <strong>de</strong> s’effacer elle-même puisque « tout événement musical introduit dans un lieu<br />

nous écarte <strong>de</strong> la conscience <strong>de</strong> celui-ci 37<br />

», offrant ainsi à son public l’expérience<br />

authentique d’une réalité recréée.<br />

Plus étonnant encore, il semble que <strong>Warhol</strong> <strong>Live</strong> ne se contente pas seulement <strong>de</strong><br />

remédier les arts du spectacle à travers sa scénographie : elle relègue l’œuvre d’art au<br />

rang <strong>de</strong> simple média, elle-même remédiée comme matériau du spectacle muséal.<br />

Georges-Henri Rivière (directeur <strong>de</strong> l’ICOM <strong>de</strong> 1948 à 1965) annonçait en son temps :<br />

« L’objet sera détaché, choisi parmi l’ensemble <strong>de</strong>s phénomènes du réel comme seul<br />

digne d’intérêt et d’attention<br />

38<br />

[…]. »<br />

Dans L’art au musée. De l’œuvre à l’institution<br />

17<br />

39<br />

, Christine Bernier évoque l’idée<br />

d’une « circularité » entre l’œuvre et l’espace du musée, d’après laquelle la nature et la<br />

composition <strong>de</strong>s œuvres d’art influent <strong>sur</strong> la présentation muséale, à l’exemple <strong>de</strong><br />

l’accrochage traditionnel <strong>de</strong>s musées d’art contemporain inspiré du minimalisme, selon<br />

Reesa Greenberg :<br />

36 Selon les considérations <strong>de</strong> Bolter et Grusin, nous entendons ici le terme « réalité » <strong>de</strong> l’œuvre comme la<br />

réalité remédiée par celle-ci (peinture, sculpture, <strong>de</strong>ssin et autres remédient la réalité). Quand pour Hegel,<br />

proche <strong>de</strong> la pensée <strong>de</strong> Platon : « L’art dégage <strong>de</strong>s formes illusoires et mensongères <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong> imparfait<br />

et instable la vérité contenue dans les apparences, pour la doter d’une réalité plus haute créée par l’esprit<br />

lui-même. Ainsi, bien loin d’être <strong>de</strong> simples apparences purement illusoires, les manifestations <strong>de</strong> l’art<br />

renferment une réalité plus haute et une exigence plus vraie que l’exigence courante » (1998, p. 12-13).<br />

37 Deshays, 2006, p. 25.<br />

38 George-Henri Rivière cité dans Gob et Drouguet, 2006, p. 112.<br />

39 Christine Bernier, L’art au musée. De l’œuvre à l’institution, Paris, L’Harmattan, 2002.


Les œuvres sont assez éloignées les unes <strong>de</strong>s autres pour que leur autonomie<br />

soit respectée et elles sont assez rapprochées pour qu’il soit possible <strong>de</strong><br />

repérer entre elles les liens que suggère leur sélection. Ce système est utilisé<br />

<strong>sur</strong> un mur blanc […]. Aujourd’hui nous sommes habitués à cet accrochage<br />

typique du 20 e siècle 40<br />

.<br />

Or, les productions artistiques <strong>de</strong>s années 1980 ont elles aussi effectivement<br />

contribué à changer ces co<strong>de</strong>s <strong>de</strong> présentation avec le recours à la vidéoprojection et la<br />

multiplication <strong>de</strong>s installations. L’émergence d’environnements immersifs issus <strong>de</strong>s<br />

pratiques artistiques actuelles pourrait sans doute expliquer ces nouvelles tendances<br />

scénographiques. Mais les environnements <strong>de</strong> <strong>Warhol</strong> <strong>Live</strong> ten<strong>de</strong>nt à engendrer une<br />

confusion entre l’espace <strong>de</strong> l’œuvre et celui du musée, dont Christine Bernier souligne la<br />

distinction 41 , voire à transgresser la limite qui les sépare, diluant l’œuvre dans son espace.<br />

Cette <strong>de</strong>rnière n’est plus que simple source d’inspiration et prétexte à la création<br />

d’installations muséales, lesquelles conservent, par contre, les titres <strong>de</strong>s productions<br />

originales. Plus qu’une remédiation, l’exposition opérerait là une « remadiation » (dans le<br />

sens <strong>de</strong> « faire à nouveau ») <strong>de</strong> l’œuvre d’art. Entre remake et ready-ma<strong>de</strong>, l’œuvre est<br />

reprise, détournée et recyclée en outil scénographique au service du spectacle muséal,<br />

remettant en cause l’authenticité <strong>de</strong> l’œuvre re-créée. Stéphane Aquin déclare d’ailleurs<br />

que les reconstitutions ne vont pas « jusqu’à l’exactitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s period rooms 42<br />

» mais<br />

permettent <strong>de</strong> découvrir et d’expérimenter l’univers <strong>de</strong> <strong>Warhol</strong>. Ce qui confirme les<br />

propos <strong>de</strong> Bernard Fibicher selon lequel « <strong>de</strong> nombreux commissaires exploitent<br />

aujourd’hui la stratégie artistique qui consiste à abandonner une <strong>recherche</strong> formelle au<br />

40<br />

Ibid. p. 61.<br />

41<br />

« L’espace du musée n’est pas la même chose que l’espace <strong>de</strong> l’œuvre », ibid., p. 50. Christine Bernier<br />

souligne cette distinction en faisant référence, à l’émergence <strong>de</strong>s installations contemporaines.<br />

42<br />

« La musique et la danse dans l’œuvre d’Andy <strong>Warhol</strong> ». Musée <strong>de</strong>s beaux-arts <strong>de</strong> Montréal, 2008,<br />

www.mbam.qc.ca (<strong>de</strong>rnière consultation le 7 février 2011).<br />

18


profit <strong>de</strong> la contextualisation d’une œuvre 43<br />

». Et l’authenticité <strong>de</strong> l’œuvre se voit<br />

finalement reléguée au second plan, <strong>de</strong>rrière l’expérience perceptive du visiteur générée<br />

par la recréation artificielle. Voit le jour une « œuvre totale » d’un nouveau genre, dont le<br />

commissaire et son équipe seraient les créateurs. À l’inverse, la diffusion <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

morceaux du groupe The Druds, découverts parmi les enregistrements personnels <strong>de</strong><br />

l’artiste et conservés à l’Andy <strong>Warhol</strong> Museum <strong>de</strong> Pittsburgh, constituent une véritable<br />

trouvaille pour l’exposition (puisqu’ils n’ont jamais été entendus du public) et ne font<br />

l’objet d’aucune mise en scène. Diffusés dans le passage qui sépare la « Silver Clouds »<br />

<strong>de</strong> la « Silver Factory », et isolés du reste <strong>de</strong> l’exposition, ils ont une valeur en eux-<br />

mêmes. La dimension artistique <strong>de</strong> la scénographie muséale viendrait donc suppléer et en<br />

même temps contribuer au manque d’authenticité <strong>de</strong> l’objet.<br />

Au final, ce sont toutes les qualités <strong>de</strong> l’œuvre d’art que remet en cause une<br />

exposition comme <strong>Warhol</strong> <strong>Live</strong>, mais c’est aussi sa propre médialité et celle du musée qui<br />

sont interrogées :<br />

L’exposition se veut <strong>de</strong> plus en plus le contraire du musée et, corollairement,<br />

le commissaire le contraire du conservateur. L’émotion « ici et maintenant »<br />

prime manifestement <strong>sur</strong> l’idée <strong>de</strong> l’archive, l’anecdote l’emporte <strong>sur</strong><br />

l’histoire, le spectacle <strong>sur</strong> le travail perceptif – et je dirais même :<br />

l’événement <strong>sur</strong> l’exposition 44<br />

.<br />

Alors qu’initialement, la fonction <strong>de</strong> l’exposition d’art consistait en la présentation d’une<br />

œuvre authentique dans le but <strong>de</strong> la porter à la connaissance du spectateur en vue <strong>de</strong> son<br />

instruction et <strong>de</strong> sa contemplation, celle-ci adopte désormais <strong>de</strong>s logiques médiatiques<br />

43 Bernard Fibicher, 1995, p. 14.<br />

44 Ibid.<br />

19


extérieures, et ce faisant, dévie <strong>de</strong> sa fonction <strong>de</strong> médiation pour <strong>de</strong>venir elle-même<br />

média.<br />

Conclusion<br />

Pour Bolter et Grusin, la remédiation s’opère toujours avec une visée performative<br />

du média : « What is new about new media comes from the particular ways in which they<br />

refashion ol<strong>de</strong>r media and the ways in which ol<strong>de</strong>r media refashion themselves to answer<br />

the challenges of new media 45 . » Or, bien que les NTIC soient effectivement <strong>de</strong>s outils<br />

fort utiles au musée pour sa communication et contribuent à étendre son espace à celui du<br />

cyberespace, se profilent toutefois, <strong>de</strong>rrière les propositions <strong>de</strong> visites et musées virtuels,<br />

le danger <strong>de</strong> la virtualisation du lieu et la crainte <strong>de</strong> sa désertion. Le caractère<br />

événementiel <strong>de</strong>s expositions temporaires et la remédiation <strong>de</strong>s pratiques artistiques<br />

actuelles du cinéma, du théâtre et désormais du son, permettent alors au musée non<br />

seulement <strong>de</strong> valoriser son espace physique, mais aussi <strong>de</strong> rompre avec l’image d’une<br />

institution culturelle réservée à une élite. En sa qualité d’« hypermédia » (au sens <strong>de</strong><br />

Kattenbelt) et <strong>de</strong> lieu <strong>de</strong> relation, l’exposition muséale se fait alors « tout médiatique » et<br />

instaure une nouvelle relation avec son visiteur mais aussi avec l’œuvre d’art. Lieu<br />

d’accumulation et <strong>de</strong> suspension du temps, lieu <strong>de</strong> tous les temps lui-même hors du temps<br />

selon Michel Foucault 46<br />

, le musée, avec une exposition telle que <strong>Warhol</strong> <strong>Live</strong>, inscrit le<br />

visiteur dans le présent <strong>de</strong> l’écoute et l’immédiateté <strong>de</strong> l’expérience sensible, désacralise<br />

45<br />

Bolter et Grusin, 1999, p. 15.<br />

46<br />

Michel Foucault, « Des espaces autres », Architecture, mouvement, continuité, n° 5, octobre 1984, p. 46-<br />

49.<br />

20


l’œuvre d’art qui <strong>de</strong>vient prétexte à une scénographie innovante et ludique, et participe<br />

ainsi à sa propre crise i<strong>de</strong>ntitaire en réinterrogeant ses missions et ses fonctions initiales.<br />

Cela conduit alors à penser, tout comme l’avaient fait en leur temps Gilles Deleuze et<br />

Felix Guattari 47<br />

En adoptant ces mêmes logiques intermédiales i<strong>de</strong>ntifiées par Bolter et Grusin,<br />

l’exposition muséale temporaire en vient à changer sa propre médialité. D’« agent <strong>de</strong><br />

médiation », elle se transforme en média à part entière, volontiers renommée<br />

« exposition-spectacle ». Il serait sans doute plus juste d’un point <strong>de</strong> vue strictement<br />

linguistique <strong>de</strong> parler d’ « attraction muséale » en ce que, quoique le terme <strong>de</strong><br />

« spectacle » ren<strong>de</strong> bien la nature hybri<strong>de</strong> et florissante <strong>de</strong> ces scénographies, il ne reflète<br />

pas le rôle actif du visiteur qui suit un parcours organisé. Si la notion d’« exposition »<br />

n’est résolument pas plus significative pour ce type d’événement, son référent i<strong>de</strong>ntitaire<br />

reste encore le lieu du musée. Ainsi assisterions-nous à l’émergence d’un autre « nouveau<br />

média<br />

au sujet <strong>de</strong>s phénomènes <strong>de</strong> déterritorialisation/reterritorialisation, la<br />

remédiation comme processus d’où le média ne revient jamais ni tout à fait même ni tout<br />

à fait autre.<br />

48<br />

» à l’aube du 21 e siècle : « l’attraction muséale ».<br />

47<br />

Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille plateaux, Paris, Éditions <strong>de</strong> Minuit, coll. « Critique », 1980.<br />

48<br />

En référence au titre <strong>de</strong> l’ouvrage <strong>de</strong> Bolter et Grusin.<br />

21

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