Qu'y at-il de plus proche d'un monde possible qu'un monde qui a été
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Qu'y at-il de plus proche d'un monde possible qu'un monde qui a été
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Inlassablement, dans la pensée <strong>de</strong> la mémoire, je m’abandonne à <strong>de</strong> nouveaux<br />
commencements, retournant, par <strong>de</strong>s chemins <strong>de</strong> traverse (incises et bifurc<strong>at</strong>ions) euxmêmes<br />
multipliés en un réseau cap<strong>il</strong>laire, en une chevelure <strong>de</strong> récit, à mon but<br />
originel […]. C’est pourquoi, alors que la prose véritable <strong>de</strong> roman additionne et<br />
sélectionne (drastiquement) les voix, les anecdotes et les gestes pour soutenir la<br />
progression <strong>de</strong> ses phrases, <strong>de</strong> ses paragraphes, <strong>de</strong> ses chapitres, la prose <strong>de</strong> mémoire<br />
s’arrête et repart presque avec chacun d’eux (phrases, paragraphes, chapitres ;<br />
paragraphes surtout) dans la vie quotidienne, insulaire, <strong>de</strong> la composition 5 .<br />
Ce modèle, parce qu’<strong>il</strong> exclut le choix (<strong>qui</strong>, selon l’ancienne « théorie du sacrifice », serait la<br />
condition <strong>de</strong> l’œuvre d’art) semble fon<strong>de</strong>r en véridicité le récit, la « prose <strong>de</strong> mémoire »,<br />
comme si la mémoire serait seule vraie – la mémoire, non les souvenirs, ni le passé.<br />
La « cap<strong>il</strong>larité » <strong>de</strong> la narr<strong>at</strong>ion offrent un modèle la pluralité <strong>de</strong>s souvenirs, lieux <strong>de</strong><br />
mémoire vers lesquels ten<strong>de</strong>nt la mémoire et le récit. Pour Roubaud, en effet, à partir du<br />
présent, <strong>plus</strong>ieurs chemins vont vers divers passés, lieu <strong>de</strong>s <strong>possible</strong>s : « Ce n’est pas tant vers<br />
un futur à la fois informe et informulé que les mon<strong>de</strong>s divergent (du moins divergent<br />
démontrablement ; vers le futur <strong>il</strong>s ne se démultiplient que “<strong>possible</strong>ment”) que vers le<br />
passé 6 . » D’où l’importance du point <strong>de</strong> départ : le présent <strong>de</strong> référence, présent <strong>de</strong><br />
l’énonci<strong>at</strong>ion et <strong>de</strong> la posture <strong>de</strong> rétrospection, est constamment rappelé au lecteur car c’est à<br />
partir <strong>de</strong> cette base que se déploient les f<strong>il</strong>s <strong>de</strong> la mémoire 7 : « <strong>il</strong> faut que le présent <strong>de</strong> ces<br />
pages, celui <strong>qui</strong> s’installe sous les lignes <strong>de</strong> ces premiers chapitres, puisse servir <strong>de</strong> référence,<br />
être proprement le présent vrai <strong>de</strong> la narr<strong>at</strong>ion, celui pendant lequel la narr<strong>at</strong>ion s’accomplit,<br />
tout en apparaissant pour ce qu’<strong>il</strong> est, c’est-à-dire mob<strong>il</strong>e 8 . » Ce présent ne serait ainsi qu’un<br />
<strong>de</strong>s présents <strong>possible</strong>s, qu’un <strong>de</strong>s lieux du hors temps ; le passé ne serait qu’un présent <strong>de</strong><br />
5 Jacques Roubaud, ‘Le Grand Incendie <strong>de</strong> Londres’, p. 101.<br />
6 Jacques Roubaud, ‘Le Grand Incendie <strong>de</strong> Londres’, p. 279.<br />
7 En <strong>de</strong>vançant quelque peu notre propos, <strong>il</strong> nous faut dire que ce présent <strong>de</strong> l’énonci<strong>at</strong>ion peut être considéré<br />
comme la « base » <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s <strong>possible</strong>s. Thomas Pavel écrit : « Chaque univers possè<strong>de</strong> ainsi son propre mon<strong>de</strong><br />
actuel, <strong>qui</strong> sera appelé sa base. Un univers abrite <strong>de</strong> la sorte une constell<strong>at</strong>ion <strong>de</strong> mon<strong>de</strong>s autour d’une base ;<br />
mais, <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce, la même base peut être entourée <strong>de</strong> <strong>plus</strong>ieurs univers ». Thomas Pavel, Univers <strong>de</strong> la<br />
fiction, [1986], Paris, Seu<strong>il</strong>, 1988, p. 69. Marie-Laure Ryan développera sa réflexion sur les mon<strong>de</strong>s <strong>possible</strong>s<br />
narr<strong>at</strong>ifs en disant du texte qu’<strong>il</strong> suppose l’existence d’un mon<strong>de</strong> actuel, à partir duquel <strong>il</strong> projette un univers.<br />
Marie-Laure Ryan, Possible Worlds, Artificial Intelligence and Narr<strong>at</strong>ive Theory, University Bloomington &<br />
Indianapolis Press, 1991, p. 259.<br />
8 Jacques Roubaud, ‘Le Grand Incendie <strong>de</strong> Londres’, p. 49.<br />
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