Histoires de voir, Show and Tell - Fondation Cartier pour l'art ...
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CATALOGUE<br />
Publiés dans le catalogue <strong>de</strong> l’exposition, les textes écrits par Laymert Garcia dos Santos et Sally Price constituent<br />
une approche transversale et complémentaire, en même temps qu’un regard critique sur l’exposition.<br />
Laymert Garcia dos Santos,<br />
« Regar<strong>de</strong>r autrement »<br />
[EXTRAITS]<br />
Si une exposition revisitant l’art naïf peut<br />
a<strong>voir</strong> lieu, c’est certainement parce que,<br />
les critères traditionnels du mon<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong> l’art se trouvant troublés, s’ouvre un<br />
espace où l’on osera essayer <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r<br />
autrement (et non plus selon les règles<br />
<strong>de</strong>s co<strong>de</strong>s visuels dominants).<br />
Il s’agit <strong>de</strong> <strong>voir</strong> différemment le différent,<br />
c’est-à-dire, comme dirait Elias Canetti,<br />
<strong>de</strong> faire place au différent qui fl ue <strong>de</strong><br />
toutes parts dans un mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> « réalité<br />
croissante », à côté <strong>de</strong> l’ancien (les vieilles<br />
cultures du passé, <strong>de</strong> plus en plus<br />
déterrées, redécouvertes) et du nouveau<br />
(les technologies, y compris celles<br />
qui s’emparent <strong>de</strong> la production artistique).<br />
Il s’agirait donc <strong>de</strong> retrouver ou <strong>de</strong> trouver<br />
un regard désirant redécouvrir ce qui a<br />
été « oublié » ou, au mieux, mis entre<br />
parenthèses, par le système occi<strong>de</strong>ntal<br />
<strong>de</strong> l’art, <strong>de</strong>puis que celui-ci a décidé<br />
<strong>de</strong> considérer comme « déplacé » ce qui<br />
ne relevait pas <strong>de</strong> ses canons. Il est vrai<br />
que, <strong>pour</strong> l’homme <strong>de</strong> nos sociétés, ce<br />
regard ne se produit <strong>pour</strong>tant pas d’un<br />
coup, et <strong>de</strong> lui-même. Pour y parvenir,<br />
aussi bien que <strong>pour</strong> s’entraîner au<br />
désinvestissement <strong>de</strong>s habitu<strong>de</strong>s visuelles<br />
et <strong>de</strong>s clichés, il faut le poser, d’une part,<br />
sur les objets rituels <strong>de</strong>s peuples<br />
traditionnels et y perce<strong>voir</strong> la puissance<br />
<strong>de</strong> leur beauté et la beauté <strong>de</strong> leur<br />
puissance et, d’autre part, sur <strong>de</strong>s objets,<br />
<strong>de</strong>s êtres et <strong>de</strong>s milieux <strong>de</strong> la vie<br />
contemporaine comme s’ils faisaient partie<br />
d’un registre ethnologique aussi étrange<br />
et surprenant qu’est, <strong>pour</strong> nous, la vie <strong>de</strong>s<br />
« primitifs ». Bref, il faut tremper le regard<br />
dans <strong>de</strong>s marges temporelles et spatiales<br />
qui se trouvent en <strong>de</strong>çà ou au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong><br />
la société civilisée. En ce sens, l’art naïf,<br />
par certains aspects, s’apparenterait à l’art<br />
brut, tous <strong>de</strong>ux étant poussés par <strong>de</strong>s<br />
dynamiques dites irrationnelles,<br />
irréfl échies ; cependant, l’art brut lui serait<br />
« supérieur », aurait un supplément<br />
esthétique vis-à-vis <strong>de</strong> l’art naïf, dans la<br />
mesure où l’on reconnaît plus facilement<br />
« <strong>de</strong> l’art » dans la violence créatrice<br />
produite par l’inconscient du fou que<br />
dans le regard émerveillé du naïf.<br />
L’art naïf est l’art <strong>de</strong> l’émoi, un cri du cœur.<br />
Mais <strong>pour</strong>quoi le cœur pousserait-il un cri,<br />
sinon parce qu’il vient d’être touché ou<br />
frappé, affecté, saisi par un événement qui<br />
le bouleverse ? On passe sans transition<br />
<strong>de</strong> la perception à l’affection, <strong>de</strong> ce qui<br />
vient du <strong>de</strong>hors à ce qui monte du <strong>de</strong>dans.<br />
L’effet magique se produit dans le regard,<br />
il cristallise l’image ; toutefois, en le<br />
18<br />
comblant, l’enchantement suscite une<br />
réaction qui, tout en se déclarant hors<br />
<strong>de</strong> lui, dans la poitrine, mobilise<br />
néanmoins le corps tout entier. L’art naïf<br />
est un cri du cœur parce que, l’espace<br />
d’un instant, le corps est hanté par l’image<br />
qu’il reçoit.<br />
Sally Price, « Voix d’artistes »<br />
[EXTRAITS]<br />
Regar<strong>de</strong>r une œuvre d’art peut provoquer<br />
plusieurs types <strong>de</strong> réactions. L’une d’entre<br />
elles, bien sûr, est une réaction <strong>de</strong> pur<br />
plaisir esthétique. Une autre <strong>de</strong> ces<br />
réactions implique d’imaginer quelle était<br />
l’intention <strong>de</strong> l’artiste en réalisant<br />
cette œuvre. Même un expert aussi<br />
farouchement attaché à la dimension<br />
esthétique que Jacques Kerchache a pu dire<br />
que la chose la plus importante <strong>pour</strong> lui<br />
lorsqu’il regardait une œuvre d’art était<br />
<strong>de</strong> comprendre « la capacité <strong>de</strong> l’artiste à<br />
trouver <strong>de</strong>s solutions plastiques originales »,<br />
c’est-à-dire d’imaginer l’artiste dans son<br />
cheminement vers l’œuvre d’art en cours<br />
<strong>de</strong> réalisation, d’entrer dans sa tête au<br />
moment où il (ou elle) conceptualise<br />
la forme qu’elle prendra.<br />
La question <strong>de</strong>vient alors : Quelle est la<br />
meilleure façon d’accé<strong>de</strong>r à la<br />
compréhension <strong>de</strong> l’intention <strong>de</strong> l’artiste<br />
au cours du processus <strong>de</strong> création ?<br />
Comment pouvons-nous raconter le mieux<br />
possible cette histoire ? Une tradition<br />
respectée <strong>de</strong> cette discipline qu’est l’histoire<br />
<strong>de</strong> l’art autorise le recours à une métho<strong>de</strong><br />
qui ressemble <strong>de</strong> près à la critique littéraire<br />
et qui consiste à déduire l’intention à partir<br />
<strong>de</strong> la combinaison <strong>de</strong> la perception visuelle<br />
esthétique et <strong>de</strong> la connaissance générale<br />
<strong>de</strong>s circonstances dans lesquelles l’œuvre<br />
a été réalisée (dans quelle partie du mon<strong>de</strong>,<br />
au sein <strong>de</strong> quelle société, à quelle époque<br />
historique, etc.).<br />
Du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> l’ethnologue, cette<br />
approche pose un vrai problème, du simple<br />
fait du pou<strong>voir</strong> qu’elle attribue aux « idées<br />
reçues » ou aux stéréotypes populaires<br />
concernant l’art produit hors <strong>de</strong>s territoires<br />
traditionnellement étudiés par l’histoire<br />
<strong>de</strong> l’art, tels que la Grèce antique, l’Italie<br />
<strong>de</strong> la Renaissance ou l’Europe mo<strong>de</strong>rne.<br />
Et elle pose un problème similaire qu<strong>and</strong><br />
il s’agit <strong>de</strong> comprendre un art qui, tout<br />
en étant produit au sein <strong>de</strong> ces « zones<br />
traditionnelles », est l’œuvre d’artistes<br />
considérés comme « naïfs », « marginaux »<br />
ou « visionnaires ». Déchiffrer l’intention<br />
créatrice <strong>de</strong>s artistes présentés (par<br />
exemple) dans l’aile Rockefeller du<br />
Metropolitan Museum of Art <strong>de</strong> New York<br />
ou au musée du quai Branly à Paris est une<br />
entreprise particulièrement délicate et<br />
intimidante, en ce qu’elle <strong>de</strong>man<strong>de</strong> aux<br />
visiteurs pétris <strong>de</strong> points <strong>de</strong> vue culturels<br />
« occi<strong>de</strong>ntaux » (qu’ils vivent à Paris,<br />
Chicago, Tokyo, Lagos ou Kuala Lumpur)<br />
d’évacuer <strong>de</strong> leur esprit toutes les idées<br />
préconçues qu’ils ont acquises avec le<br />
temps au sujet <strong>de</strong>s « peuples primitifs ».<br />
D’une manière très semblable, comprendre<br />
les formes d’art présentées dans<br />
l’exposition <strong>Histoires</strong> <strong>de</strong> <strong>voir</strong>, <strong>Show</strong> <strong>and</strong> <strong>Tell</strong><br />
<strong>de</strong> la <strong>Fondation</strong> <strong>Cartier</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> un effort<br />
particulier afi n d’éviter les préconceptions<br />
face à ce qui est souvent le résultat <strong>de</strong><br />
visions personnelles et idiosyncratiques.<br />
Comment pouvons-nous accomplir cette<br />
tâche diffi cile ? Une réponse évi<strong>de</strong>nte<br />
<strong>pour</strong>rait être : en écoutant les artistes.<br />
Mais il peut s’avérer plus dur qu’on ne<br />
l’imagine <strong>de</strong> se défaire <strong>de</strong> préconceptions<br />
généralisatrices au sujet <strong>de</strong> personnes<br />
qui sont d’une certaine manière<br />
fondamentalement différentes <strong>de</strong> soi – que<br />
ce soit sur le plan <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité culturelle,<br />
<strong>de</strong> la psychologie personnelle, du niveau<br />
d’éducation ou <strong>de</strong> toute autre variable.<br />
Le catalogue <strong>de</strong> l’exposition<br />
Conçu dans le prolongement <strong>de</strong><br />
l’exposition, le catalogue <strong>Histoires</strong> <strong>de</strong> <strong>voir</strong><br />
se déroule lui aussi comme une succession<br />
d’histoires autour <strong>de</strong>s artistes et <strong>de</strong> leurs<br />
œuvres ainsi que, le cas échéant, celles<br />
<strong>de</strong> leurs communautés. Avec près <strong>de</strong><br />
400 images <strong>de</strong>s sculptures, peintures<br />
et <strong>de</strong>ssins exposés, une documentation<br />
visuelle importante, et <strong>de</strong>s textes <strong>de</strong><br />
spécialistes, le livre constitue une occasion<br />
unique <strong>de</strong> mieux connaître l’univers<br />
<strong>de</strong> ces artistes.<br />
Retrouvez toutes les publications<br />
<strong>de</strong> la <strong>Fondation</strong> <strong>Cartier</strong> et comman<strong>de</strong>z<br />
vos ouvrages en ligne sur<br />
fondation.cartier.com / publications