questions de stratégie - Gauche Anticapitaliste

Mouvement ouvrier/mouvement républicain
certaine orthodoxie matérialiste historique
– est toujours valable de ce point de vue et
permet de se prémunir contre un certain
« enfermement finaliste » de la révolution,
pour rappeler que le déclenchement d'une
révolution c'est aussi l'ouverture d'un espace
de possibles politiques. Du coup,
elle fournit également des armes réflexives
contre le retournement réactionnaire de
ce finalisme, tel qu'il s'est illustré chez F.
Furet, le chef de file en France de l'histoire
conservatrice de la Révolution française.
Furet a décrit la Révolution comme une
monstrueuse bifurcation hors du continuum
historique « normal » (« tocquevillien ») qui
tendait « naturellement » à l'avènement de
la démocratie libérale bourgeoise. Il a fait
de la Terreur la matrice du totalitarisme
moderne.
À l'opposé, la théorie de la révolution permanente
est liée à une vision de l'histoire
qui s'oppose à la fois à l'évolutionnisme
libéral et aux thèses d'une certaine orthodoxie
marxiste sur les étapes historiques
nécessaires. Elle place la révolution au
centre de la transformation historique
comme « moment critique » et « processus
vivant » de destruction-création de l'ordre
social. C'est ce que Trotsky a souligné à
sa manière quand il écrit au chapitre 6 de
son livre sur la Révolution permanente :
« Il est absurde de dire qu'on ne peut jamais
sauter par-dessus les étapes. Le cours vivant
des événements historiques saute toujours par
dessus les étapes, qui sont le résultat d'une
division théorique de l'évolution prise dans
sa totalité, […] et, aux moments critiques,
il exige le même saut dans la politique révolutionnaire.
» Et il ajoute : « On peut dire
que la capacité de reconnaître et d'utiliser ces
moments distingue avant tout le révolutionnaire
de l'évolutionniste vulgaire. »
La formule de Trotsky à propos de la distinction
entre les révolutionnaires et les
évolutionnistes vulgaires souligne également
le fait que la théorie de la révolution permanente
est liée à une expérience vivante
de la révolution, à l'opposé d'une approche
entomologique qui consisterait à l'épingler
sur un tableau de classification des espèces.
Or précisément, c'est parce qu'elle est liée à
cette approche vivante que la théorie de la
révolution permanente fournit également
à mon sens un cadre approprié pour interpréter
la Révolution française. Cela découle
notamment de l'attention au « mécanisme
interne » des révolutions plutôt qu'à leur
caractérisation a priori : « Une définition
sociologique générale, révolution bourgeoise, ne
résout nullement les problèmes de politique et
de tactique, les antagonismes et les difficultés
que pose le mécanisme même de cette révolution
bourgeoise », écrit encore Trotsky dans Bilan
et perspectives. Plus largement, la considération
pour le moment révolutionnaire et ses
virtualités, l'attention au processus vivant
et le lien avec une pratique de la politique
révolutionnaire, ainsi que la critique de
l'évolutionnisme libéral et du marxisme
vulgaire sont en définitive des apports
bien vivants pour la compréhension de la
Révolution française et de sa portée historique.
Des apports toujours utiles en tout
cas dans la confrontation avec l'histoire
conservatrice contemporaine.
Bien entendu la théorie de la révolution
permanente (chez Marx, chez Trotsky et
également chez Lénine) fait débat : le récent
livre d'Isaac Johsua en traite abondamment
en mettant en évidence que ce thème est
lié à celui de la transcroissance socialiste
de la révolution et qu'en tant que tel il
débouche (il a débouché en URSS !) sur une
impasse en ce qui concerne le sort réservé
à la propriété paysanne, à la paysannerie
comme classe sociale et plus largement à
la petite production (Voir IJ, chapitre 3,
« La paysannerie ou la classe en trop »). Mais
comme catégorie d'analyse du processus
révolutionnaire, en dépit des contradictions
non surmontées dans le cadre de la
révolution soviétique qu'elle a léguée aux
générations suivantes, demeure une catégorie
d'analyse très riche du processus révolutionnaire
lui-même. Elle est liée au point de
vue vivant sur la révolution, attentif à son
incandescence, à son rôle de formidable
accélérateur historique des contradictions et
de leur dépassement. Elle met en évidence
qu'au cours des processus révolutionnaires
de grande ampleur en même temps que les
contradictions anciennes déclinent et sont
réduites, puis vaincues, des contradictions
nouvelles, liées à l'ordre social à venir ou
en train de naître, émergent et s'affirment.
De ce point de vue, celui de la théorie
révolutionnaire, elle est intimement liée
au processus historique lui-même, et à
« l'entrelacement des temps historiques » que
les révolutions amènent au premier plan.
2. Portée de la
Révolution française,
portée des Lumières :
Saint-Domingue et
l'abolition de l'esclavage
Je vais maintenant essayer d'illustrer la
portée de la Révolution française dans la
Révolution de Saint-Domingue. C'est-àdire
le développement, dans la plus grande
des possessions françaises des Caraïbes et
à partir des événements métropolitains,
d'une « révolution noire » conduisant à
l'indépendance, première d'un long cycle
de révolutions et d'indépendances dans
l'aire caraïbe et latino-américaine. Dans
ce cadre je vais essayer également d'illustrer
le rôle joué par la fraction avancée
du mouvement abolitionniste. Ce détour
par Saint-Domingue peut en effet s'avérer
fructueux, non seulement pour apprécier la
portée singulière de la Révolution française,
mais également dans le cadre d'un certain
nombre de débats contemporains à propos
de son legs universaliste.
1. la révolution de saintdomingue
: vers la révolution
noire et l'indépendance
À Saint-Domingue, la plus grande, la plus
peuplée et la plus riche des possessions
françaises aux Caraïbes les événements liés
à la Révolution en métropole connaissent
un développement spécifique liée à une
situation spécifique.
La particularité de Saint-Domingue à
l'égard des autres îles à sucre du domaine
colonial français tient en grande partie à
l'importance sociale du groupe des « gens de
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