questions de stratégie - Gauche Anticapitaliste

de subjectivation et de liberté ». En définitive la biopolitique doit
être entendue comme « une extension de la lutte de classe ». Par ce
discours Negri soutient que désormais la biopolitique constitue
la condition de possibilité « d’un contre-pouvoir, d’une puissance,
d’une production de subjectivité » qui peut se libérer, en jaillissant
de la vie même, non seulement du travail et du langage, mais
aussi des corps, des affects, des désirs, de la sexualité
La thèse complémentaire de Negri est que la biopolitique déborde
le capital mais aussi qu’elle produit du commun et génère de
façon quasi spontanée des institutions du commun 3 qui prolongent
l’activité biopolitique. Le tout est en phase avec un certain
nombre de thèmes de l’altermondialisme : un autre monde est
possible et il est déjà en germe dans celui-ci. Le problème demeure
cependant de savoir là encore comment on passe de l’un à l’autre.
Une politique d’institution des communs
La perspective d’émancipation développée par Pierre Dardot
et Christian Laval 4 qui souscrivent à l’idée de production du
commun et d’une réorganisation sociale et politique pense ce
processus non comme un développement spontané mais comme
une construction politique collective. « Seul l’acte d’instituer les
communs fait exister les communs, à rebours d’une ligne de pensée qui
fait des communs un donné préexistant qu’il s’agirait de reconnaître
et de protéger, ou encore un processus spontané et en expansion qu’il
s’agirait de stimuler et de généraliser. »
Les communs sont affaire de normes, mais ces normes doivent
procéder d’un acte collectif d’institution. L’accent doit donc
être mis sur « l’acte de fixer les règles »/« La gestion des communs ne
peut être que le fait des praticiens, producteurs et usagers, qui ont
l’intelligence collective des pratiques. D’où la nécessité d’institutions
démocratiques directes vouées à la gestion des communs. Mais chaque
1. Qu’apportent par exemple aujourd’hui les
Indignés ? Une exigence démocratique radicale soit,
une dénonciation de la représentation politique
traditionnelle soit, mais qu’en est-il en matière de
stratégie, sinon en filigrane la stratégie implicite
de « l’exode » et du « contournement » qui n’est pas
vraiment convaincante.
2. Ici la parenté avec l’héritage de Daniel Bensaid
peut certainement être soulignée.
3. Le dernier ouvrage, Commonwealth, coécrit
avec Michaël Hart donne un bon aperçu de cette
prolifération virtuelle des communs et des stratégies
qui sont selon lui rendues possibles par là.
4. On se reportera à cet ouvrage majeur pour la
compréhension du néolibéralisme et d’inspiration
plutôt « foucaldienne » qu’est la Nouvelle Raison du
monde mais aussi à leur confrontation serrée avec
les thèses de Negri dans Sauver Marx ? La question
de l’institution politique des communs traverse
Les institutions, piège ou levier
l’ensemble du séminaire (Savoirs Communs) qu’ils
animent avec Negri. Elle se trouve déjà ébauchée dans
l’article de la Revue Numéro 35 du Mauss indiqué
en bibliographie. Enfin le plus récent ouvrage sur
Marx – Marx, prénom Karl – ouvre ou renouvelle un
champ de problématiques théoriques et politiques
auquel une revue aussi estimable que Contretemps
semble malheureusement (si l’on en juge du moins
une critique que n’aurait pas reniée un Jean Kanapa
au temps de sa splendeur stalinienne) hermétique.
5. Communication à la séance du 19 janvier 2012
du Séminaire Savoirs Communs. Communauté et
association
6. Ibid
7. Cf. l’excellent live de notre ami Razmig Keucheyan
Hémisphère gauche. Dans d’autres registres qui me
sont moins familiers, on pourrait s’interroger sur
la reprise de thèmes du municipalisme libertaire
du théoricien écologiste et libertaire Murray
communauté locale ou productive ne peut définir ses propres règles
de production et d’usage sans tenir compte du bien commun qui
intéresse les citoyens bien au-delà des praticiens directs. La gestion
des communs pose donc la question de la démocratie. » 5
Rompant avec la double domination du marché et de l’État (que
la rationalité néolibérale fait d’ailleurs se rejoindre) la nouvelle
économie des communs pose la question politique de leur institution.
« Est-ce que les communs autogouvernés dont nous parle
cette économie politique sont voués à rester des enclaves à l’intérieur
d’un vaste ensemble hybride de productions de biens marchands et
de biens publics administrativement produits, un peu à la manière
dont les socialistes dits utopiques avaient envisagé leurs créations
locales et isolées, ou bien ces « communs » dessinent-ils un tout autre
horizon, celui du commun au singulier comme principe dominant
d’organisation sociale fondée sur la coproduction de biens et de services
dans des unités obéissant à des règles et à des normes définies
démocratiquement ? » 6
Il serait hasardeux et prématuré de considérer que ces nouvelles
grilles de lecture et d’action apportent sous forme de prêt-à-penser
des solutions toutes faites à nos difficultés stratégiques. Mais les
ignorer et les évacuer sans s’y confronter sur le plan théorique et
politique serait pire. Un tel refus et une telle fermeture (et cela
vaut également pour bien d’autres pensées critiques 7 ) ne serait pas
seulement le signe d’un manque de curiosité intellectuelle mais
d’une attitude qui cumulerait les inconvénients de l’attentisme
passif et du scepticisme condescendant. L’art stratégique, c’est
du moins ma conviction, est intellectuellement et politiquement
incompatible avec la fermeture dogmatique comme avec
l’éclectisme relativiste.
Bookchin - qui utilise cette notion pour décrire
un système politique dans lequel des institutions
composées d’assemblées de citoyens, dans un esprit
de démocratie directe, remplaceraient l’État-nation
par une confédération de municipalités (communes)
libres. Ainsi le mouvement des Villes en transition
développe non sans cohérence une vision qui permet
de fédérer dans les pratiques sociales (et pas seulement
dans le programme d’un parti ou d’une association)
des préoccupations qui à première vue peuvent
sembler disparates pour leur donner une lisibilité
d’ensemble autour des thèmes de la relocalisation, de
la requalification du travail, de la démocratie locale,
etc., qui dessinent « un autre monde possible ».
Il est permis d’être plus perplexe à l’égard
d’une philosophie écosystémique, inspirée de la
permaculture faisant la part belle à la croyance en une
résilience qui permettrait, comme en psychiatrie, aux
écosystèmes humains de se reconstruire par-delà les
traumatismes subis et les catastrophes non conjurées.
Derrière un systémisme de bon aloi, s’agit-il d’autre
chose que de l’art renouvelé de cultiver son jardin ?
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