questions de stratégie - Gauche Anticapitaliste
questions de stratégie - Gauche Anticapitaliste
questions de stratégie - Gauche Anticapitaliste
You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
Révolution par les urnes et/ou mouvement social<br />
L’expérience <strong>de</strong> l’Unité populaire :<br />
septembre 1970 - septembre 1973<br />
François Coustal<br />
Bien que concernant<br />
directement un pays étranger<br />
et éloigné, l’expérience<br />
<strong>de</strong> l’Unité populaire constitue<br />
une <strong>de</strong>s références<br />
emblématiques <strong>de</strong> la gauche,<br />
traditionnelle ou radicale,<br />
lorsqu’elle débat <strong>de</strong> <strong>stratégie</strong>.<br />
C’est une première raison pour<br />
revenir sur cette expérience,<br />
ces développements,<br />
ces limites et ces débats.<br />
La secon<strong>de</strong> raison est plus<br />
conjoncturelle : cette année<br />
2013 marque le quarantième<br />
anniversaire <strong>de</strong> l’écrasement<br />
<strong>de</strong> l’Unité populaire.<br />
Cet exposé inclut évi<strong>de</strong>mment<br />
<strong>de</strong>s appréciations critiques.<br />
Mais il est d’abord un effort<br />
mo<strong>de</strong>ste pour faire revivre<br />
cette épopée et un hommage<br />
aux combattants chiliens<br />
du socialisme, qu’ils se soient<br />
reconnus dans l’Unité<br />
populaire, dans la gauche<br />
<strong>de</strong> l’Unité populaire ou<br />
dans le Mouvement <strong>de</strong> la<br />
<strong>Gauche</strong> révolutionnaire<br />
(MIR-Movimiento <strong>de</strong><br />
Izquierda Revolucionaria).<br />
Une coalition <strong>de</strong> gauche<br />
au programme modéré<br />
L’Unité populaire (UP) s’est constituée en<br />
vue <strong>de</strong> soutenir la candidature <strong>de</strong> Salvador<br />
Allen<strong>de</strong> (membre du PS chilien) à l’élection<br />
prési<strong>de</strong>ntielle. C’était une coalition<br />
<strong>de</strong> gauche « classique » incluant <strong>de</strong> petits<br />
partis « bourgeois » (Parti radical, alliance<br />
populaire indépendante), <strong>de</strong>s partis issus<br />
<strong>de</strong> la mouvance chrétienne <strong>de</strong> gauche<br />
(Mouvement d’action populaire unitaire,<br />
<strong>Gauche</strong> chrétienne), l’essentiel étant l’alliance<br />
électorale du Parti socialiste et du<br />
Parti communiste.<br />
Le programme électoral <strong>de</strong> l’Unité populaire<br />
était extrêmement modéré et consistait principalement<br />
dans la promesse <strong>de</strong> poursuivre<br />
la politique du gouvernement précé<strong>de</strong>nt<br />
(démocrate-chrétien, centre droit) et <strong>de</strong><br />
faire vraiment les réformes promises par ce<br />
<strong>de</strong>rnier mais restées largement inabouties,<br />
notamment la réforme agraire et la récupération<br />
du contrôle <strong>de</strong>s ressources naturelles<br />
(mines <strong>de</strong> cuivre).<br />
Indépendamment du contenu timoré du<br />
programme, la perspective <strong>de</strong> l’élection<br />
d’Allen<strong>de</strong> a créé enthousiasme et mobilisation<br />
: pour discuter le programme électoral<br />
et surtout mener la campagne prési<strong>de</strong>ntielle,<br />
14 000 comités d’Unité populaire se créent<br />
à travers tout le Chili, regroupant 700 000<br />
personnes, membres ou non <strong>de</strong>s partis<br />
qui composent l’Unité populaire. C’est à<br />
cette force <strong>de</strong> frappe militante que l’Unité<br />
populaire doit sa victoire électorale. Après<br />
l’accession d’Allen<strong>de</strong> à la prési<strong>de</strong>nce, les<br />
comités d’Unité populaire seront dissouts.<br />
Mais, comme on va le voir, les aspirations<br />
du mouvement populaire à l’intervention<br />
directe et à l’auto-organisation prendront<br />
d’autres formes…<br />
L’élection<br />
<strong>de</strong> Salvador Allen<strong>de</strong><br />
Le 4 septembre 1970, Allen<strong>de</strong> arrive en tête<br />
avec 36,3 %. Soit seulement 39 000 voix<br />
d’avance sur le candidat démocrate-chrétien,<br />
Tomic, qui atteint 34,98 %. Alessandri, le<br />
candidat <strong>de</strong> droite, recueille 27,9 %.<br />
Le système chilien pour l’élection prési<strong>de</strong>ntielle<br />
est à un seul tour : Allen<strong>de</strong> n’ayant<br />
qu’une majorité relative, la décision est<br />
donc entre les mains du Parlement.<br />
La droite chilienne et le gouvernement<br />
américain vont, tout bonnement, essayer<br />
d’empêcher l’investiture d’Allen<strong>de</strong> grâce à<br />
<strong>de</strong>s manœuvres impliquant la CIA, l’entreprise<br />
multinationale ITT, la droite et<br />
l’extrême droite chilienne, <strong>de</strong>s secteurs <strong>de</strong><br />
l’armée chilienne, les milieux patronaux<br />
chiliens, les gran<strong>de</strong>s banques américaines et<br />
européennes. Ces manœuvres – qui se poursuivront<br />
d’ailleurs pendant toute la durée<br />
<strong>de</strong> l’Unité populaire – se développent selon<br />
trois axes. D’abord essayer <strong>de</strong> provoquer le<br />
chaos économique : blocage du crédit, arrêt<br />
<strong>de</strong>s importations <strong>de</strong> marchandises chilienne,<br />
en particulier le cuivre, etc. Ensuite pousser<br />
à l’intervention <strong>de</strong> l’armée : un coup d'État<br />
est déjà en préparation… Et enfin déploiement<br />
<strong>de</strong> manœuvre parlementaire : il s’agit<br />
<strong>de</strong> faire élire Alessandri qui démissionnera<br />
pour repasser le pouvoir à Frei (démocratechrétien,<br />
sortant). Le 22 octobre, c’est la<br />
manœuvre <strong>de</strong> trop avec l’enlèvement puis<br />
l’assassinat du général Schnei<strong>de</strong>r. Du coup,<br />
la Démocratie chrétienne va laisser l’Unité<br />
populaire arriver au pouvoir. Le 24 octobre,<br />
le Congrès investit Allen<strong>de</strong>. La passation<br />
<strong>de</strong> pouvoir a lieu le 4 novembre.<br />
Par ailleurs, il n’y a pas d’élections législatives.<br />
Le Parlement reste donc ce qu’il<br />
était avant l’élection d’Allen<strong>de</strong> et l’Unité<br />
populaire n’y a pas la majorité. Le gouvernement<br />
gouverne par décrets, ceux-ci<br />
se situant plus ou moins dans un cadre<br />
législatif inchangé, donc hérité du pouvoir<br />
précé<strong>de</strong>nt, démocrate-chrétien. Au sein du<br />
gouvernement d’Unité populaire, l’absence<br />
<strong>de</strong> majorité servira à justifier la modération<br />
<strong>de</strong>s mesures et la recherche d’alliances avec<br />
la Démocratie chrétienne.<br />
Les <strong>de</strong>ux lignes<br />
<strong>de</strong> l’unité populaire<br />
Tout au long <strong>de</strong> l’expérience chilienne, il y<br />
a eu confrontation entre <strong>de</strong>ux orientations,<br />
<strong>de</strong>ux lignes. D’abord au sein du mouvement<br />
populaire, entre l’Unité populaire et le<br />
Mouvement <strong>de</strong> la gauche révolutionnaire<br />
(MIR), qui ne participe pas à la coalition<br />
gouvernementale et parlementaire et qui, à<br />
chaque étape du processus, développe une<br />
critique <strong>de</strong> gauche <strong>de</strong> la politique menée<br />
par l’UP. Mais cette confrontation entre<br />
<strong>de</strong>ux orientations traverse l’UP elle-même<br />
et le gouvernement. Schématiquement, on<br />
peut distinguer :<br />
• une « ligne <strong>de</strong> droite », re présentée essentiellement<br />
par le PC chilien, Allen<strong>de</strong><br />
et le secteur (minoritaire) du PS qui le<br />
soutient. Son axe politique principal est la<br />
recherche d’un consensus avec la Démocratie<br />
chrétienne. Il s’illustrera par un slogan :<br />
« consoli<strong>de</strong>r pour avancer », version locale<br />
<strong>de</strong> l’idée <strong>de</strong> la pause : une fois les premières<br />
24 Journées d’étu<strong>de</strong>