le programme - Festival Passages
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a trois ans, j’avais vu Claustrophobia, une pièce de<br />
Kostienko, un jeune auteur contemporain que Kolyada<br />
avait joliment mis en scène... Mais cet Ham<strong>le</strong>t est d’une<br />
toute autre dimension. Bref, j’ignorais que Kolyada était<br />
devenu un grand metteur en scène. À Moscou personne<br />
ne m’avait parlé de ça.<br />
Comme cet artiste n’est jamais venu en France, dans<br />
l’avion du retour on se dit que cela serait un événement<br />
fort que de <strong>le</strong> faire venir avec plusieurs spectac<strong>le</strong>s. De<br />
montrer la démarche, <strong>le</strong> sty<strong>le</strong>, la troupe. Une connaissance<br />
en profondeur et non un «coup» (d’éclat).<br />
On <strong>programme</strong> très vite un second voyage pour voir<br />
d’autres spectac<strong>le</strong>s de Kolyada et cette fois Char<strong>le</strong>s<br />
Tordjman est aussi du voyage.<br />
Avril 2008. Je retrouve Ekaterinbourg, une vil<strong>le</strong> de la<br />
sidérurgie ce qui la rapproche de la Lorraine, du moins de<br />
son histoire. Car là-bas il n’y a plus guère de minerai (on<br />
<strong>le</strong> fait venir) mais <strong>le</strong>s usines tournent. Une vil<strong>le</strong> sans aucun<br />
charme, et dont <strong>le</strong> centre semb<strong>le</strong> introuvab<strong>le</strong>.<br />
Historiquement c’est là que <strong>le</strong> Tsar et sa famil<strong>le</strong> ont été<br />
liquidés par <strong>le</strong>s Bolcheviks au fond d’une cave d’une<br />
habitation qui a été rasée plus tard par Eltsine (il était alors<br />
<strong>le</strong> secrétaire général du PC de la région). Aujourd’hui en<br />
lieu et place on a construit une petite chapel<strong>le</strong>. Lors de<br />
l’éclatement de l’URSS et l’arrivée des «nouveaux russes»,<br />
la réputation de la vil<strong>le</strong> était sulfureuse : haut lieu de la<br />
mafia, etc. Cette époque est passab<strong>le</strong>ment révolue. La vil<strong>le</strong><br />
compte quelques grosses fortunes désormais «respectab<strong>le</strong>s»,<br />
des entreprises étrangères sont sur place.<br />
Comme toutes <strong>le</strong>s grosses vil<strong>le</strong>s de Russie, la vil<strong>le</strong> compte<br />
cinq théâtres officiels : opéra-bal<strong>le</strong>t, théâtre musical,<br />
théâtre du drame, théâtre des marionnettes, théâtre de la<br />
jeunesse, ainsi qu’une éco<strong>le</strong> supérieure de théâtre et une<br />
maison des acteurs.<br />
Kolyada a été formé comme acteur à cette éco<strong>le</strong>. Il est sorti<br />
du système institutionnel pour former sa troupe et trouver<br />
un lieu pour travail<strong>le</strong>r. Pas faci<strong>le</strong>. Passons <strong>le</strong>s péripéties.<br />
Aujourd’hui la troupe joue dans une sorte de datcha sans<br />
âge, aménagée en théâtre par <strong>le</strong>s acteurs.<br />
Sa datcha-théâtre est située au 20 de la rue Tourgueniev<br />
dans <strong>le</strong> «centre» de la vil<strong>le</strong>, paraît-il. C’est un lieu qui<br />
charme dès l’abord : maison en bois, chaises dépareillées et<br />
banca<strong>le</strong>s alignées devant la façade, rubans noués aux<br />
arbres à vœux qui bordent l’entrée. Quelques marches et<br />
on entre dans une maison plus que dans un théâtre.<br />
Derrière la porte une sorte d’entrée encombrée d’affiches,<br />
de bibelots, dans un recoin la caisse. Ce petit hall tient lieu<br />
de coulisses pendant <strong>le</strong>s représentations. Tout de suite à<br />
gauche une pièce donne sur <strong>le</strong> magasin des costumes –<br />
une toute petite pièce – où Kolyada est fier d’exhiber des<br />
costumes récupérés du Théâtre du drame qui n’en voulait<br />
plus et faits avec des habits d’église (aux tissus chatoyants<br />
ou damassés) confisqués naguère par <strong>le</strong>s Bolcheviks. Un<br />
peu plus loin toujours sur <strong>le</strong> côté gauche une autre porte<br />
donne dans <strong>le</strong> bureau de Kolyada encombré d’accessoires<br />
qui vont être utilisés par <strong>le</strong> spectac<strong>le</strong> au <strong>programme</strong> du jour.<br />
Côté droit, en face de la porte de la pièce aux costumes,<br />
on entre dans une première pièce tenant lieu de foyer et<br />
dans un recoin donnant sur <strong>le</strong> vestiaire, pièce dominée par<br />
une énorme mappemonde et avec des tas d’objets kitch<br />
un peu partout et deux rangées de chaises. Cette pièce en<br />
longueur (quatre mètres pas plus) donne sur <strong>le</strong> foyer<br />
proprement dit où l’on est accueilli par un gros samovar<br />
é<strong>le</strong>ctrique où l’on puise l’eau chaude avec laquel<strong>le</strong> chacun<br />
peut se faire un thé. Dans un moniteur passe en bouc<strong>le</strong><br />
une captation de Roméo et Juliette, spectac<strong>le</strong> qui l’a fait<br />
connaître comme metteur en scène, et dont Kolyada a<br />
comme la nostalgie. C’est par ce second foyer que l’on<br />
accède à la sal<strong>le</strong> de spectac<strong>le</strong> par une porte étroite.<br />
La sal<strong>le</strong> compte donc 62 places (on tient à 80 en se<br />
serrant) sur quelques rangs de chaises noires. À gauche en<br />
surplomb <strong>le</strong> cagibi de la technique aux bécanes rudimentaires.<br />
Au-dessus, une vingtaine de projecteurs.<br />
La scène el<strong>le</strong>-même est comme une pièce de datcha avec<br />
des murs couverts de bois, au fond au centre une porte à<br />
doub<strong>le</strong> battant (qui donne dans <strong>le</strong> hall), deux doub<strong>le</strong>sportes<br />
à droite (petits dégagements) et une dernière à<br />
gauche. Diffici<strong>le</strong> de construire des gros décors par<br />
définition c’est impossib<strong>le</strong>, <strong>le</strong> théâtre de Kolyada est<br />
d’abord un théâtre d’accessoires et là il y en a et il y en a<br />
encore, c’est phénoménal.<br />
À peine <strong>le</strong> spectac<strong>le</strong> joué, la troupe et <strong>le</strong>s techniciens se<br />
précipitent pour changer <strong>le</strong> décor, car en dépit de sa<br />
petitesse et de ses faib<strong>le</strong>s moyens, c’est un théâtre de<br />
répertoire. Et en cinq jours nous verrons six spectac<strong>le</strong>s<br />
différents.<br />
Le prix du bil<strong>le</strong>t est de 300 roub<strong>le</strong>s, un peu moins de 10<br />
euros, ce qui n’est pas cher comparé aux tarifs moscovites<br />
mais n’est pas rien à Ekaterinbourg où <strong>le</strong>s salaires sont plus<br />
faib<strong>le</strong>s, n’empêche <strong>le</strong>s sal<strong>le</strong>s sont «bookées» deux semaines<br />
à l’avance. Les recettes sont aussi cel<strong>le</strong>s des tournées.<br />
En Russie et ail<strong>le</strong>urs.<br />
On décide de <strong>le</strong> faire venir à <strong>Passages</strong> avec Ham<strong>le</strong>t, Le<br />
Révizor et un Roi Lear dont nous ne voyons qu’une répétition<br />
prometteuse.<br />
Kolyada va souvent chercher son inspiration au Chartachki<br />
rynek (rynek veut dire marché et l’autre mot est un nom<br />
Tatar). Un jour nous l’accompagnons dans ce marché où<br />
tout <strong>le</strong> monde <strong>le</strong> connaît. C’est là qu’il a trouvé <strong>le</strong>s<br />
serviettes kitch avec des cygnes que l’on voit dans Le<br />
Révizor et <strong>le</strong>s sortes de cuvettes métalliques qui font<br />
l’essentiel du décor de Lear et <strong>le</strong>s colliers de chien qui<br />
tiennent lieu de couronnes. Il a aussi récupéré dans <strong>le</strong>s<br />
poubel<strong>le</strong>s du Théâtre du drame une énorme cuillère (la<br />
cuillère de Peer Gynt) qu’il a recyclée dans un des trois<br />
spectac<strong>le</strong>s.<br />
Kolyada se dit heureux de venir à Nancy. Et nous donc!<br />
Embrassades, adieux... Reste comme on dit à «monter la<br />
production». Mais c’est une autre histoire.<br />
J.-P. T.<br />
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