Grave acciDent à Delmas ! - Haiti Liberte
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Des<br />
Lignes,<br />
des Points<br />
et autres<br />
Envolées<br />
Guantánamo<br />
Suite de la page (20)<br />
Bien avant cette époque, l’artiste<br />
tapi en Jean-Yves, profitait des<br />
moindres incartades pour dire le besoin<br />
de s’exprimer. Souvent sur les serviettes,<br />
les bouts de carton, sur les sous-mains<br />
et sur d’autres supports périssables dans<br />
son espace de travail, il alignait des dessins<br />
qui éveillaient la curiosité.<br />
Au cours de ces derniers mois,<br />
il m’a été donné d’apprécier<br />
les récentes créations de ce talent, non<br />
encore assumé, doté, d’un crayon sur<br />
fond uni et d’une dextérité qui déclenche<br />
spontanément la sympathie et le respect<br />
de peintres confirmés. Je vais tenter,<br />
le temps de cette brève observation,<br />
une lecture succincte de la démarche de<br />
l’artiste. Ce clin d’œil qui se veut éclaireur<br />
permettra au grand public de découvrir<br />
les promesses que cache cette générosité<br />
dont les frontières sont <strong>à</strong> peine perceptibles.<br />
« Détresse » adresse un regard<br />
tout <strong>à</strong> fait particulier, chargé d’un<br />
désintéressement - dévouement voilé<br />
sur le quotidien immédiat. L’attrait de<br />
cette jeune personne représentée dans ce<br />
vitrail réalisé au crayon, n’augure pas la<br />
promesse de l’eau au-del<strong>à</strong> du désert.<br />
« Jouda » ne soumet pas mieux<br />
que ces deux yeux pris pour cible depuis<br />
l’angle de vue du spectateur, empêchant<br />
ainsi toute complicité avec ce regard<br />
depuis l’autre côté du mur. Comme s’il<br />
suffisait d’être des deux côtés du ravin<br />
dans un même territoire pour que nos<br />
revendications soient contradictoires.<br />
Ni blanc ni noir, ni Marx ni Jésus,<br />
le crayon se laisse aller <strong>à</strong> des crevasses<br />
pour cueillir des envoûtements dans<br />
l’antre infréquentable née des « Fissures<br />
» non encore colmatées de notre<br />
société. Ces blessures ouvertes, béantes,<br />
toujours pas cicatrisées qui entravent<br />
toutes nos tentatives d’être et que certains<br />
ne s’embarrassent guère d’utiliser pour<br />
paraître, semblent nous rappeler que<br />
nous sommes en retard d’une discussion.<br />
Toutefois les « Nuances » suggérées<br />
par l’audace de cette quête d’esthétique<br />
forcent <strong>à</strong> admettre la nécessité de voir les<br />
choses avec une certaine distance. Une<br />
distance qui permet <strong>à</strong> la fois de penser<br />
- panser les dérives en posant parallèlement<br />
les balises pour empêcher que<br />
demain ne soit la copie d’hier.<br />
« Zakamede » intervient dans<br />
ce débat avec beaucoup d’autorité. Cette<br />
divinité très respectée dans le panthéon<br />
du Vodou haïtien, est montrée par<br />
l’artiste dans un univers pour le moins<br />
tourmenté, bouleversé, paisible en surface,<br />
un profil trompeur, le calme avant<br />
la tempête. La pâleur que dégage l’aura<br />
de cette fée aux mensurations faites de<br />
coquillages, de fleurs, de racines et autres<br />
libertés bouscule dans un contraste<br />
débraillé toute étincelle d’équilibre et<br />
d’harmonie vue <strong>à</strong> la lentille de l’Occident.<br />
Il paraît que le personnage ainsi que<br />
l’environnement dans lequel ils évoluent,<br />
émanent de la spirale au premier plan de<br />
l’œuvre.<br />
D<br />
’un trait sûr, le crayon de<br />
Jean Yves Jason avance sur le<br />
support avec une confiance qui culbute<br />
aux calendres grecques le moindre défaitisme.<br />
Nées des envolées de ces points<br />
et de ces lignes libres de toute entrave<br />
académique, les formes, parfois opulentes,<br />
sans donner dans le factice, qui<br />
vont naître ne connaîtront de limite que<br />
l’immensité de vue du créateur. Les objets<br />
et les signes reconnaissables dans la<br />
vie courante figurant dans ces dessins,<br />
témoignent de la facilité de l’artiste <strong>à</strong> les<br />
exécuter, en dénonçant dans le même<br />
élan toute tendance <strong>à</strong> s’installer ou <strong>à</strong><br />
ne pas se démarquer de la servitude des<br />
figures naturalistes.<br />
Espérons que les roses soient <strong>à</strong> la<br />
dimension de la promesse des fleurs.<br />
Détresse<br />
Fissures<br />
Jouda<br />
Je n’aime pas penser <strong>à</strong> Guantánamo. Ces souvenirs sont pleins de<br />
douleur. Cependant, je partage mon histoire car 171 hommes restent l<strong>à</strong>bas.<br />
L’un d’entre eux est Belkacem Bensayah qui a été enlevé en Bosnie<br />
et envoyé <strong>à</strong> Guantánamo avec moi<br />
Suite de la page (20)<br />
j’ai fait de mon plein gré – mais ensuite,<br />
on m’a dit que je ne pouvais<br />
pas rentrer chez moi. Les USA avaient<br />
demandé aux autorités locales de<br />
m’arrêter avec cinq autres hommes.<br />
Selon les médias de l’époque, les USA<br />
croyaient que je complotais pour faire<br />
exploser leur ambassade <strong>à</strong> Sarajevo -<br />
ce que je n’avais pas envisagé une<br />
seule seconde.<br />
Il était clair dès le départ que les<br />
USA avaient fait une erreur. La Cour<br />
Suprême bosniaque, qui a enquêté sur<br />
les affirmations usaméricaines, a conclu<br />
qu’il n’y avait aucune preuve contre<br />
moi et a ordonné ma libération. Cependant,<br />
au moment où j’ai été libéré, les<br />
agents usaméricains m’ont enlevé ainsi<br />
que les cinq autres personnes. Nous<br />
avons été ligotés comme des animaux<br />
et transportés par avion <strong>à</strong> Guantánamo,<br />
la base navale US <strong>à</strong> Cuba. J’y suis<br />
arrivé le 20 janvier 2002.<br />
A l’époque, j’avais encore foi en<br />
la justice usaméricaine. Je croyais que<br />
mes ravisseurs allaient s’apercevoir de<br />
leur erreur et me libérer. Cependant,<br />
lorsque je ne donnais pas aux interrogateurs<br />
les réponses qu’ils voulaient<br />
– comment pouvais-je le faire alors que<br />
je n’avais rien fait de mal ? – ils devenaient<br />
de plus en plus violents. On m’a<br />
gardé éveillé pendant plusieurs jours<br />
de suite. J’ai été forcé <strong>à</strong> rester dans des<br />
positions douloureuses pendant plusieurs<br />
heures <strong>à</strong> la fois. Ce sont des choses<br />
sur lesquelles je ne veux pas écrire<br />
; je veux seulement oublier.<br />
J’ai fait une grève de la faim<br />
pendant deux ans car personne ne<br />
voulait me dire pourquoi j’étais emprisonné.<br />
Deux fois par jour, mes ravisseurs<br />
m’enfonçaient, par le nez, un<br />
tube qui arrivait jusqu’<strong>à</strong> mon estomac<br />
en passant par ma gorge, afin de faire<br />
couler de la nourriture dans mon corps.<br />
C’était insoutenable, mais j’étais innocent<br />
et j’ai donc continué <strong>à</strong> protester.<br />
En 2008, ma demande de<br />
procédure légale équitable est arrivée<br />
jusqu’<strong>à</strong> la Cour Suprême US. Dans une<br />
décision portant mon nom, la Cour<br />
Suprême a déclaré que « les lois et la<br />
Constitution sont faites pour survivre<br />
et rester en vigueur même en temps<br />
d’exception ». La Cour a donc jugé que<br />
les prisonniers comme moi, quelle que<br />
soit la gravité des accusations portées<br />
contre eux, ont le droit de comparaître<br />
devant un tribunal. La Cour Suprême<br />
a reconnu une vérité fondamentale :<br />
le gouvernement fait des erreurs. Et la<br />
Cour a dit cela car « une erreur peut<br />
conduire <strong>à</strong> maintenir des personnes en<br />
détention pendant des hostilités susceptibles<br />
de durer une génération ou<br />
plus, ce qui constitue un risque trop<br />
grand pour être ignoré ».<br />
Cinq mois plus tard, le Juge Richard<br />
J. Leon, du tribunal fédéral de district<br />
<strong>à</strong> Washington, a examiné toutes<br />
les raisons données pour justifier mon<br />
emprisonnement, y compris les informations<br />
secrètes que je n’ai jamais<br />
vues ou entendues. Le gouvernement<br />
a abandonné son accusation d’un<br />
complot d’attentat <strong>à</strong> la bombe contre<br />
l’ambassade juste avant d’être entendu<br />
par le juge. Après l’audition, le juge a<br />
ordonné au gouvernement de me libérer<br />
ainsi que les quatre autres hommes<br />
qui avaient été arrêtés en Bosnie.<br />
Je n’oublierai jamais le moment<br />
où j’étais assis avec les quatre autres<br />
hommes dans une pièce sordide <strong>à</strong><br />
Guantánamo, écoutant <strong>à</strong> travers un<br />
haut-parleur défectueux le juge Leon<br />
lire sa décision dans une salle de tribunal<br />
<strong>à</strong> Washington. Il a exhorté le<br />
gouvernement <strong>à</strong> ne pas faire appel de<br />
sa sentence, car «pour notre système<br />
juridique, sept ans d’attente pour donner<br />
une réponse <strong>à</strong> une question aussi<br />
importante sont, <strong>à</strong> mon sens, plus que<br />
trop ». J’ai été enfin libéré le 15 mai<br />
2009.<br />
Aujourd’hui, je vis en Provence<br />
avec ma femme et mes enfants. La<br />
France nous a offert un foyer et la<br />
possibilité d’une nouvelle vie. J’ai eu<br />
le plaisir de renouer avec mes filles et,<br />
en août 2010, j’ai eu la joie d’accueillir<br />
un nouveau fils, Youssef. J’apprends <strong>à</strong><br />
conduire, je suis en train de faire une<br />
formation professionnelle et je reconstruis<br />
ma vie. J’espère pouvoir faire,<br />
de nouveau, un travail dans lequel<br />
j’aiderais les autres, mais mes sept<br />
ans et demi de détention <strong>à</strong> Guantánamo<br />
font que peu d’organisations<br />
des droits humains envisagent sérieusement<br />
de m’engager. Je n’aime pas<br />
penser <strong>à</strong> Guantánamo. Ces souvenirs<br />
sont pleins de douleur. Cependant, je<br />
partage mon histoire car 171 hommes<br />
restent l<strong>à</strong>-bas. L’un d’entre eux est<br />
Belkacem Bensayah qui a été enlevé<br />
en Bosnie et envoyé <strong>à</strong> Guantánamo<br />
avec moi.<br />
Environ 90 prisonniers ont été<br />
déclarés libérables pour être transférés<br />
hors de Guantánamo. Certains d’entre<br />
eux sont originaires de pays comme la<br />
Syrie ou la Chine – où ils risquent la<br />
torture s’ils sont renvoyés chez eux –<br />
ou du Yémen, que les USA considèrent<br />
comme un pays instable. C’est pour<br />
cela qu’ils y restent comme des captifs<br />
sans aucune issue <strong>à</strong> l’horizon – non<br />
parce qu’ils sont dangereux, non parce<br />
qu’ils ont attaqué l’Amérique, mais<br />
parce que les stigmates de Guantánamo<br />
font qu’ils n’ont pas d’autre endroit<br />
où aller, et les USA n’hébergeront aucun<br />
d’entre eux.<br />
J’ai été informé que mon procès<br />
<strong>à</strong> la Cour Suprême est, aujourd’hui,<br />
étudié dans les écoles de droit. Peutêtre<br />
qu’un jour, cela me procurera une<br />
satisfaction, mais tant que Guantánamo<br />
restera ouvert et que des hommes<br />
innocents y resteront, mes pensées seront<br />
toujours avec ceux que j’ai laissés<br />
derrière moi dans ce lieu de souffrance<br />
et d’injustice.<br />
NY Times 8 Janvier 2012<br />
Traduit par Omar Mouffok<br />
Edité par Fausto Giudice<br />
Tlaxcala 10 Janvier 2012<br />
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Vol. 5, No. 27 • Du 18 au 24 Janvier 2012 <strong>Haiti</strong> Liberté/<strong>Haiti</strong>an Times 19