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Témoins ■<br />

Revue trimestrielle des journalistes CGT<br />

Information en danger<br />

Nouvelle série – N o 34 – Juillet 2008 – 2,30 €<br />

REDACTIONS<br />

MOBILISEES !<br />

Syndicat national des journalistes CGT<br />

263, rue de Paris – Case 570 – 93514 Montreuil Cedex<br />

Téléphone 01 48 18 81 78.Télécopie 01 48 51 58 08.<br />

E-mail : snj@<strong>cgt</strong>.fr – Site Internet : www.snj.<strong>cgt</strong>.fr


HUMEUR<br />

2<br />

Poker aux Échos<br />

Bernard Arnault, patron du groupe de LVMH et propriétaire des Échos,<br />

vient de nommer deux de ses enfants, Delphine et Antoine Arnault,<br />

au conseil de surveillance du quotidien économique. Ils rejoignent le<br />

journaliste Vernholes, André Lévy-Lang, ancien président de Paribas,<br />

et l’avocat professeur de droit Nicolas Molfessis. Les journalistes des Échos<br />

peuvent être rassurés sur les compétences du fiston à gagner de l’argent<br />

pour le papa. Celui-ci, selon le site Poker QG, s’est classé cinquième d’un<br />

tournoi et il est reparti de la table avec la coquette somme de 49000 €<br />

en poche. Mais les journalistes des Échos ne sont pas des joueurs,<br />

et les Échos n’ont rien d’une table de poker !<br />

Le Point ne snobe plus Carla<br />

« Ce n’est pas demain la veille que nous ferons notre une sur Carla Bruni.»<br />

Dans un édito du Point publié en février, Franz-Olivier Giesbert promettait<br />

à ses lecteurs de ne pas sombrer dans le « people » alors que son<br />

concurrent l’Express publiait la même semaine en exclusivité la première<br />

interview de l’épouse du président. La promesse a été tenue… un peu plus<br />

de trois mois. En effet, début juin, « la présidente » fait la une du Point et<br />

remplit seize <strong>pages</strong> de l’hebdomadaire. Carla dans le bureau de Sarkozy,<br />

Carla à Rungis, Carla dans son hôtel particulier du 16 e … Les articles sont<br />

louangeurs : « Une vraie fraîcheur dans les rapports<br />

humains », « un personnage hors du commun qui navigue<br />

Témoins■<br />

entre les contraintes»… Bref, la belle Carla a fait<br />

Revue trimestrielle<br />

du Syndicat national succomber le vertueux Franz-Olivier !<br />

des journalistes CGT<br />

Responsable de la publication :<br />

Dominique Candille.<br />

Ont collaboré à ce numéro :<br />

Carine Azzopardi, Jean-Gérard<br />

Cailleaux, Dominique Candille,<br />

Michel Diard, Éliane Faucon-Dumont,<br />

Ludovic Finez, Gérard Gatinot,<br />

Alain Goguey, Françoise Janin,<br />

Patrick Kamenka, Dominique Parat,<br />

Raymond Pointu, Élisabeth de<br />

Pourquery, Jean-François Ropert,<br />

Mariana Sanchez, Jean-François<br />

Téaldi, Alain Vernon.<br />

Dessins :<br />

Antonelli, Babouse.<br />

Photos :<br />

Claude Candille, Bernard Perrine.<br />

Révision :<br />

Francis Ambrois.<br />

Rédaction graphique :<br />

Bernard Rougeot.<br />

Assistante :<br />

France Bardou.<br />

Impression :<br />

Alliages : 01 41 98 37 97<br />

Commission paritaire :<br />

1 107 S 06290<br />

Olivennes, patron<br />

et aspirant journaliste ?<br />

L’ancien PDG de la FNAC, Denis Olivennes,<br />

47 ans, a pris les rênes du Nouvel Observateur. Cette entité,<br />

qui n’a pas la taille des précédentes entreprises qu’il a dirigées<br />

– Air France, Canal +, Numéricable et la FNAC –, posséde<br />

néanmoins un bien très précieux : une voix dans le débat<br />

public. C’est pourquoi Olivennes entend avoir un rôle éditorial.<br />

Ce qui serait une mesure totalement inédite puisque la charte<br />

de l’Obs interdit toute intervention des actionnaires et de leurs<br />

représentants dans le contenu rédactionnel. Au moment où<br />

les journalistes revendiquent des garanties d’indépendance,<br />

cette volonté directoriale de décider aussi des grandes<br />

orientations rédactionnelles met en lumière toute l’urgence<br />

de cette bataille.<br />

TÉMOINS<br />

N° 34 / JUILLET 2008<br />

Témoins■<br />

Nouvelle série<br />

N°34 - Juillet 2008<br />

SOMMAIRE<br />

HUMEUR<br />

........................................2<br />

ÉDITORIAL<br />

........................................3<br />

LE MONDE<br />

Nous n’accepterons pas des departs<br />

contraints<br />

........................................4<br />

FRANCE 3<br />

Le SNJ-CGT premier syndicat chez les<br />

journalistes : trente ans de luttes<br />

........................................6<br />

PIGISTES<br />

Pauvres pigistes ! Salauds de patrons !<br />

........................................8<br />

Gardien de la paix ou Pondichéry, j’hésite…<br />

........................................9<br />

PRÉCAIRES<br />

Correspondants locaux de presse :<br />

un statut à revoir.<br />

......................................10<br />

LUTTES<br />

Grève du 16 mai dans la PQR<br />

......................................11<br />

HOMMAGE<br />

Jean Levin<br />

......................................11<br />

DOSSIER<br />

Les attaques contre le droit à l’information<br />

......................................12<br />

Hachette Filipacchi Associés :<br />

Des sites « low cost »<br />

......................................12<br />

AFP : une privatisation dans l’air ?<br />

......................................14<br />

NMPP : un défi pour la presse<br />

......................................15<br />

Pour une loi qui protège vraiment le secret<br />

des sources des journalistes<br />

......................................16<br />

JURIDIQUE<br />

Rustica : le ministre désavoue l’inspecteur<br />

du travail<br />

......................................17<br />

Quand les pigistes refusent de se laisser faire<br />

......................................18<br />

JOURNALISTES<br />

REPORTERS-PHOTOGRAPHES<br />

Enfin un accord, au grand dépit des patrons<br />

......................................19<br />

SPORTS ET POLITIQUE<br />

La politique se réveille souvent pour<br />

les jeux Olympiques<br />

......................................21<br />

Droits de l’homme et droits du sportif<br />

......................................22<br />

MAI 68<br />

Une convention collective ratifiée entre<br />

deux défilés<br />

......................................23<br />

Information : les héritages de Mai 68<br />

......................................25


L’ancien,<br />

la moderne et le petit garçon<br />

Patrick Poivre d’Arvor a été prié de passer le flambeau du «20 heures» de TF1 à<br />

Laurence Ferrari après avoir officié plus de trente ans comme présentateur de<br />

journal télévisé dont plus de vingt ans à celui de TF1.La chaîne perd d’importantes<br />

parts de marché, il lui faut renouveler son look, et PPDA n’est plus en odeur de<br />

sainteté. Du coup, l’homme du «20heures» se pose en victime : il serait écarté du fait de<br />

son esprit critique. Il serait même aller trop loin en comparant le président à un petit<br />

garçon, et son insolence lui aurait coûté cher… PPDA en parangon d’indépendance, cela<br />

prête à sourire car la liste de ses entorses à la déontologie est bien trop longue pour qu’on<br />

le croit: pots-de-vin dans l’affaire Botton, interview bidonnée de Fidel Castro, invitations<br />

d’hommes d’État africains au JT lorsque cela arrange les affaires de Bouygues en Angola ou<br />

en Côte d’Ivoire…<br />

C’est sûr que cela fait mal d’être ainsi remercié après trente ans de bons et loyaux services.<br />

Alors, pas assez smart, pas assez bling-bling, PPDA ? Sarkozy avait déjà marqué sa volonté<br />

d’être interviewé par des journalistes plus jeunes que le tandem PPDA - Chabot jugé<br />

vieillissant, ne collant pas à son image de président moderne et décontracté.<br />

Laurence Ferrarri,la quarantaine éclatante,a de l’allure et de belles qualités professionnelles.<br />

Elle est aussi très proche de l’hôte de l’Élysée, qui ne se prive pas de dire tout le bien qu’il<br />

pense d’elle.<br />

S’il ne s’agissait pas d’une nouvelle ingérence élyséenne dans la rédaction de la chaîne de<br />

Martin Bouygues, cette « mise à la retraite » d’un journaliste de 61 ans résonnerait de façon<br />

presque plaisante.Au moment où le gouvernement et le Medef nous expliquent à longueur<br />

d’antenne qu’à 60ans on est dans la pleine force de l’âge et qu’on doit continuer à travailler,<br />

TF1, tel Tartuffe, cache ce vieux que les téléspectateurs et le Président ne sauraient voir.<br />

La rédaction de Témoins<br />

TÉMOINS<br />

N° 34 / JUILLET 2008 3


LE MONDE<br />

Nous n’accepterons pas<br />

des départs contraints<br />

Le Monde vit une crise douloureuse. Les personnels ont appris le 4 avril<br />

dans un même temps l’existence d’un déficit budgétaire de 180 millions<br />

d’euros en sept ans et d’un plan directorial de sauvegarde de l’emploi (sic)<br />

prévoyant la suppression de 129 postes. Quelques semaines plus tard,<br />

après trois de jours de grève et autant de non-parutions, des débrayages<br />

et un grand nombre d’assemblées générales, un protocole d’accord sur des<br />

départs volontaires a été signé par l’intersyndicale. Sans que l’hypothèque<br />

des départs contraints ne soit totalement levée. Frank Lonjaret, délégué<br />

syndical SNJ-CGT, appelle à la plus grande vigilance et à une mobilisation<br />

sans faille dès que nécessaire.<br />

Dominique Candille<br />

Comment analyses-tu la crise que<br />

traverse le Monde ?<br />

Le Monde rencontre les mêmes problèmes<br />

qu’une grande partie de la<br />

presse quotidienne : perte de lectorat,<br />

recettes publicitaires en baisse, concurrence<br />

des sites Internet. Mais les salariés<br />

sont aussi victimes de la politique<br />

de leurs dirigeants et d’une certaine<br />

folie des grandeurs qui a conduit à l’endettement.<br />

Les frais financiers représentent<br />

en 2007 les deux tiers de la<br />

perte totale du groupe. Pour sortir le<br />

Monde de ce marasme financier, la<br />

direction n’apporte aucune solution<br />

d’avenir dans la réorganisation des services,<br />

aucune réflexion sur la complémentarité<br />

entre le papier et le numérique.<br />

Aucune initiative ni stratégie<br />

offensive n’est prévue.<br />

Une nouvelle fois, on demande aux<br />

salariés de faire des sacrifices car la seule<br />

solution envisagée est la réduction de la<br />

masse salariale et donc des suppressions<br />

d’emploi. C’est inacceptable.<br />

Comment en êtes-vous arrivés à<br />

signer un protocole d’accord de<br />

départs volontaires ?<br />

Les salariés du Monde ont été très<br />

offensifs, ils ont refusé toute notion de<br />

départs contraints (licenciements). Le<br />

plan proposé par la direction ne peut<br />

que susciter des interrogations quant<br />

au maintien de la qualité du quotidien :<br />

suppression de 1000 <strong>pages</strong>, coupes<br />

claires dans les services dont certains<br />

seraient amputés de la moitié de leurs<br />

effectifs (culture, sports…). Mais ces<br />

mesures touchent tous les services du<br />

journal, du courrier aux services commerciaux<br />

en passant par l’informatique,<br />

la documentation, etc.<br />

Face à cette détermination, la direction<br />

a reculé puisqu’elle a accepté de<br />

négocier en premier lieu un protocole<br />

de départs volontaires et de geler pendant<br />

l’été toute autre disposition.<br />

4<br />

TÉMOINS<br />

N° 34 / JUILLET 2008


Photo : Claude Candille<br />

Que prévoit cet accord ?<br />

C’est un accord très précis, qui prévoit<br />

des cellules de reclassement interne,<br />

des aides à la recherche d’emploi ou à<br />

la création d’entreprise et des indemnités<br />

de licenciement qui vont au-delà<br />

de ce qui est prévu par les conventions<br />

collectives et qui sont très supérieures<br />

aux conditions du plan de départs<br />

volontaires négocié fin 2004. Sont<br />

aussi prévus des plans de formation.<br />

Pour nous, il est primordial que les<br />

vies familiales et professionnelles ne<br />

soient pas ravagées par des licenciements<br />

secs. Malgré tout, l’accord ne<br />

lève pas l’épée de Damoclès des<br />

départs contraints. La direction n’a<br />

pas abandonné l’idée de licencier en<br />

septembre si les économies ainsi réalisées<br />

n’étaient pas suffisantes.<br />

Les salariés du Monde sont-ils satisfaits<br />

de cet accord ?<br />

Nous avons eu leur accord pour le<br />

signer, mais il ne faut pas se leurrer,<br />

ils ne sont pas totalement satisfaits,<br />

les inquiétudes demeurent et les incertitudes<br />

sur l’avenir sont pesantes.<br />

En ce qui nous concerne, nous n’accepterons<br />

pas un plan de départs<br />

contraints. D’autres solutions doivent<br />

être trouvées.<br />

Mais l’intersyndicale et les salariés ont<br />

estimé qu’il fallait pousser la direction<br />

à négocier sur les conditions dans le<br />

cadre du départ volontaire. Pour sa<br />

part, la Société des rédacteurs a communiqué<br />

sur le fait que c’était un plan<br />

nécessaire, même s’il était trop dur,<br />

qu’on ne pourrait pas éviter des réductions<br />

d’emplois pour sauvegarder l’entreprise.<br />

Ce positionnement a sans<br />

doute affaibli le mouvement, mais cela<br />

ne veut pas dire que la mobilisation ne<br />

se fera pas en cas de nécessité.<br />

Le plan de la direction ne concernait<br />

pas que le quotidien. Le pôle magazine<br />

est touché aussi par des ventes<br />

cessions. Les salariés de ces rédactions<br />

se sont eux aussi mobilisés. Comment<br />

avez-vous travaillé avec eux ?<br />

Le Monde avait acquis un certain<br />

nombre de magazines prospères pour<br />

servir de flotteurs au navire amiral. Il<br />

a vendu leurs immeubles, a restructuré<br />

et fermé plusieurs titres, entraînant<br />

des dizaines de licenciements.<br />

Aux titres conservés, le Monde a<br />

imposé une redevance groupe très<br />

lourde. Tous ces titres ont souffert de<br />

cette attitude prédatrice. Les salariés<br />

demandent aujourd’hui plus de transparence<br />

et des garanties sur les éventuels<br />

repreneurs. Leur exigence de<br />

rester une presse indépendante de<br />

qualité, leur refus de brader leurs<br />

emplois rejoint notre combat. C’est<br />

dans cette perspective que nous avons<br />

rencontré les délégués de Fleurus<br />

pour faire un point sur leurs revendications.<br />

Lors de notre comité d’entreprise,<br />

nous avons fait entendre leur<br />

voix et affirmer notre solidarité. Dans<br />

tous les cas, nous soutenons et soutiendrons<br />

toute initiative permettant<br />

de trouver une solution pérenne pour<br />

ces salariés.<br />

■<br />

TÉMOINS<br />

N° 34 / JUILLET 2008 5


FRANCE 3<br />

Le SNJ-CGT premier syndicat<br />

chez les journalistes<br />

30 ans de luttes<br />

Jeudi 22 mai. Les premiers résultats de l’élection à la commission<br />

paritaire journalistes de France 3 tombent au siège du syndicat.Assez<br />

rapidement, les camarades de la direction qui enregistrent les données se<br />

rendent à l’évidence. Pour la première fois dans l’histoire de la société, le<br />

SNJ-CGT est en train de devenir le premier syndicat chez les journalistes.<br />

Jean-François Téaldi<br />

secrétaire général du SNJ-CGT France 3<br />

D.R.<br />

Jean-François<br />

Téaldi, grand<br />

reporter France 3<br />

Côte d’Azur,<br />

commissaire<br />

paritaire.<br />

A21h30, le résultat est acquis:<br />

33,67 % des voix (+3,09%), le<br />

SNJ est devancé de 4 points.<br />

370 journalistes (+ 44 par rapport<br />

à 2006) ont approuvé la plateforme<br />

électorale. Ils ont voté comme les<br />

y appelait la profession de foi « pour un<br />

syndicat de luttes », qui se bat pour<br />

préserver les acquis et en conquérir de<br />

nouveaux ; pour un syndicat qui,<br />

construisant les rapports de force dans<br />

les rédactions, est aussi une force de<br />

proposition, et signe les accords positifs<br />

(droits d’auteurs, évolution carrières,<br />

égalité femmes/hommes…). Un syndicat<br />

qui intervient au quotidien sur les<br />

contenus des JT. Un syndicat qui a fait<br />

de ses 55élus dans les différentes institutions<br />

représentatives du personnel des<br />

élus qui prolongent les luttes dans ces<br />

instances, qui rendent compte de leurs<br />

prises de position et de leurs votes. Un<br />

syndicat qui depuis sa création, à la fin<br />

des années soixante-dix, a placé les précaires<br />

au centre de ses batailles.<br />

Fin des années soixante-dix : le SNJ-<br />

CGT n’a pas sa place dans les anciennes<br />

sociétés issues de l’éclatement de<br />

l’ORTF. En ce temps-là se syndiquer à<br />

la CGT apparaît incongru pour la<br />

majorité des journalistes de l’audiovisuel<br />

public. Nous sommes une poignée, certains<br />

rescapés des purges d’après 68,<br />

d’autres, la plupart en situation de précarité,<br />

ayant réussi à traverser les mailles<br />

de l’interdit syndical érigé en outil de<br />

gestion et de recrutement. Le syndicalisme<br />

autonome est dominant.<br />

À France 3 en cette année 78, le SNJ-<br />

CGT compte… une adhérente ! Pascale<br />

travaille à Nancy et fait ce qu’elle<br />

peut pour donner une existence légale<br />

au SNJ-CGT. Lorsque je l’appelle<br />

depuis ma station de Côte d’Azur pour<br />

adhérer, elle croit rêver : « On va être<br />

deux ! ». Puis, dans la foulée, Marc,<br />

Dominique et René nous rejoignent.<br />

Dans un environnement difficile, sans<br />

moyens, éclatés aux quatre coins de<br />

l’Hexagone, nous essayons avec l’aide<br />

du SNRT-CGT (techniciens, administratifs)<br />

de faire notre trou.<br />

Arrive le 10 mai 81. La peur change de<br />

camp. Les directions découvrent que<br />

les syndicats existent et, parmi eux, le<br />

SNJ-CGT et le SJF-CFDT qui ont<br />

6<br />

TÉMOINS<br />

N° 34 / JUILLET 2008


décidé, avec leurs maigres forces de ferrailler<br />

ensemble. Avec le SNJ, majoritaire<br />

et combatif, nous nous attelons à<br />

changer la télé, notamment dans le<br />

domaine des droits et libertés syndicales.<br />

Nous demandons des réunions<br />

pour négocier une nouvelle convention<br />

collective, pour titulariser des dizaines<br />

de précaires qui galèrent depuis des<br />

années. Nous sommes enfin convoqués,<br />

avec les autres, aux premières<br />

réunions de négociation. Pour aider les<br />

apprentis syndicalistes que nous<br />

sommes, nous bénéficions de l’aide et<br />

de l’expérience du secrétaire général<br />

Gérard Gatinot et de la connaissance<br />

« biblesque » des textes de Philippe<br />

Dominique, journaliste à l’INA, syndicaliste<br />

SNJ-CGT historique qui va<br />

participer aux négociations en notre<br />

compagnie. Parce que, dès le début,<br />

nous avons fait le pari de la transparence<br />

et des comptes, la ronéo et le fax<br />

de la Maison de la Radio, où se tiennent<br />

les réunions avec la direction, tournent<br />

à plein régime, souvent tard le soir,<br />

avant que nous repartions dans nos<br />

régions. Les effectifs du SNJ-CGT<br />

s’accroissent. Nous sommes bientôt<br />

une petite trentaine. Le 9 juillet 1983,<br />

l’Avenant audiovisuel de la CCNTJ est<br />

signé. Les commissions paritaires sont<br />

créées dans toutes les sociétés. Les DP<br />

des syndicats de journalistes et chaque<br />

organisation syndicale y siégeront.<br />

L’omerta sur les mobilités et les promotions<br />

va cesser. Durant ces trente<br />

années, le SNJ-CGT va faire entendre<br />

une voix différente dans le paysage syndical<br />

de France3. Le choix de la démocratie<br />

sociale et syndicale, effectué à<br />

l’origine, respectueux des orientations<br />

définies en AG, sera en permanence la<br />

feuille de route de ses négociateurs<br />

dans toutes les grèves menées au fil des<br />

années, essentiellement sur les salaires<br />

ou les requalifications de précaires<br />

(86, 87, cinq semaines en 90, 92, 97,<br />

4 semaines en 2002), dans toutes les<br />

réunions de négociations. Au début des<br />

années quatre-vingt dix, il comptera une<br />

centaine d’adhérents. Quinze ans plus<br />

tard, leur nombre a doublé et, aux côtés<br />

du SNRT-CGT, le SNJ-CGT est<br />

devenu le premier syndicat de journalistes<br />

à France3. La reconnaissance d’un<br />

travail effectué par ses dizaines de militants<br />

en régions et à la rédaction nationale,<br />

des quatre secrétaires généraux qui<br />

se sont succédé, Pascale, Danièle,<br />

Michel et l’auteur de ces lignes. Un syndicat<br />

qui, « des luttes aux urnes », assumera<br />

les nouvelles responsabilités que<br />

lui ont confiées les rédactions. ■<br />

Photo : Claude Candille<br />

D.R.<br />

Témoignages<br />

Élisabeth de Pourquery,<br />

journaliste spécialisée<br />

France3 Ile-de-France,<br />

commissaire paritaire.<br />

J<br />

’ai souhaité adhérer au SNJ-CGT<br />

pour m’engager auprès de mes<br />

camarades de rédaction à un moment<br />

clé de l’avenir de France3. Cela fait<br />

quatorze ans que je travaille dans cette<br />

entreprise audiovisuelle, et j’ai connu<br />

pas mal de périodes différentes, de<br />

directions différentes, avec ses<br />

règlements de comptes et ses chasses<br />

aux sorcières. Mais les événements qui<br />

s’annoncent prennent une autre<br />

ampleur et il est plus que jamais urgent<br />

de s’engager pour défendre notre<br />

service public, garant de l’information<br />

indépendante et de la liberté de la<br />

presse. J’ai choisi de le faire sous la<br />

bannière du SNJ-CGT parce que je<br />

trouve que ce syndicat est le plus apte<br />

aujourd’hui à gérer la crise à venir.<br />

Ma candidature aux paritaires est<br />

venue naturellement avec le soutien<br />

d’une équipe performante du SNJ-<br />

CGT, composée de femmes<br />

courageuses et d’hommes efficaces qui<br />

composent notre section syndicale de<br />

la rédaction de journalistes de France3<br />

Vanves. Nous nous sommes<br />

maintenus, lors de ces élections aux<br />

paritaires, à un score relativement<br />

stable (12 voix contre 13 aux<br />

précédentes élections), dans un<br />

paysage syndical qui est loin d’être<br />

favorable à nos idées mais qui nous<br />

maintient quand même à la troisième<br />

place derrière le SNJ et la CFDT, qui<br />

D.R.<br />

demeurent très forts dans une<br />

rédaction parisienne très figée depuis<br />

quelques années. Mais j’ai la volonté<br />

de donner envie à tous les journalistes<br />

de notre rédaction de défendre leurs<br />

droits dans un contexte incertain.<br />

Carine Azzopardi,<br />

journaliste spécialisée, rédaction<br />

nationale (éco-soc),<br />

commissaire paritaire.<br />

J<br />

’ai adhéré au SNJ-CGT dès mon<br />

intégration à France3 car c’était le<br />

syndicat le plus proche de mes idées, le<br />

plus combatif, et surtout le plus<br />

transversal aux différents métiers de la<br />

télévision. Militer avec des collègues du<br />

SNRT était important pour ne pas<br />

limiter les problématiques de notre<br />

travail au petit cercle des journalistes.<br />

Mais les batailles des années passées ne<br />

sont rien en comparaison de celle qui<br />

s’annonce pour notre survie. C’est pour<br />

cela que j’ai accepté d’être candidate<br />

comme commissaire paritaire, pour ne<br />

pas rester dans mon coin et apporter<br />

ma contribution au syndicat.<br />

Les résultats des élections au siège et<br />

à la rédaction nationale ont été bons,<br />

très bons même puisque le SNJ-CGT<br />

est le premier syndicat avec près de<br />

41% des voix. Pourtant, ce constat<br />

masque une réalité en demi-teinte<br />

d’une section comptant de nombreux<br />

adhérents mais une activité en<br />

sommeil. Il va falloir se réveiller pour<br />

mener les batailles à venir.<br />

La rédaction nationale serait la<br />

première visée par les restructurations<br />

si elles étaient mises en œuvre. Nous<br />

devons nous battre pour la survie de<br />

la télévision publique, et de notre<br />

rédaction.<br />

TÉMOINS<br />

N° 34 / JUILLET 2008 7


PIGISTES<br />

Pauvres pigistes !<br />

Salauds de patrons !<br />

Pauvres pigistes!<br />

Ils (ou elles) sont de plus<br />

en plus malmené(e)s par<br />

les employeurs. Parfois,<br />

aussi, par les rédactions.<br />

Ce sont les « sans papiers »<br />

de la profession. Ils (ou<br />

elles) sont souvent ceux<br />

(ou celles) qui font les<br />

journaux (écrits ou<br />

audiovisuels). À quand<br />

leur « régularisation » ?<br />

8<br />

Michel Diard<br />

Les patrons se conduisent trop<br />

souvent comme des voyous avec<br />

les pigistes. Ils sont souvent<br />

condamnés par la justice pour<br />

non-respect du code du travail et de la<br />

convention collective. Alors, ces<br />

patrons-voyous cherchent à échapper<br />

aux (lourdes) condamnations infligées<br />

par les juges.<br />

Les motifs des jugements portent sur<br />

les rémunérations en droits d’auteurs<br />

(voire en honoraires), sur l’absence de<br />

paiement de la prime d’ancienneté, sur<br />

le refus de licencier un pigiste dont ils<br />

ont stoppé la collaboration, etc. Les<br />

sentences sont toutes identiques, à peu<br />

de chose près.<br />

Par exemple, un reporter-photographe<br />

collaborant avec les Éditions Larivière<br />

était rémunéré en droits d’auteur et soumis<br />

aux cotisations de l’AGESSA (l’employeur<br />

faisant plus de 40 % d’économies<br />

sur les cotisations sociales). La cour<br />

de cassation a jugé que ce photographe<br />

« fournissait des photographies en rapport<br />

TÉMOINS<br />

N° 34 / JUILLET 2008<br />

avec des sujets d’actualité ; il tirait de cette<br />

activité le principal de ses ressources; il recevait<br />

des instructions pour la réalisation des<br />

clichés ; la subordination était démontrée et il<br />

pouvait prétendre au statut de journaliste».<br />

Une journaliste collaborant à<br />

Malesherbes Publications de façon régulière<br />

recevait une pige de 3000francs par<br />

semaine. La cour de cassation a jugé<br />

qu’elle «apportait à la publication une collaboration<br />

intellectuelle et permanente en vue<br />

de l’information des lecteurs ; elle devait se<br />

conformer à des instructions précises ; son travail<br />

était soumis à un contrôle de la part de<br />

son employeur. La cour d’appel en a nécessairement<br />

déduit que l’intéressée était liée à la<br />

société par un contrat de travail et qu’elle<br />

avait la qualité de journaliste professionnelle<br />

permanente et non celle de pigiste.»<br />

Évidemment, ces jugements reconnaissent<br />

aux journalistes pigistes le droit au<br />

treizième mois, aux congés payés, à être<br />

électeur et éligible, à la prime d’ancienneté,<br />

au maintien du salaire en cas de<br />

maladie ou de maternité, à la formation,<br />

etc.<br />

Pour ce qui concerne la prime d’ancienneté,<br />

les arrêts de la cour de cassation<br />

sont constants : «En l’absence de barème<br />

minimum, la prime d’ancienneté est calculée<br />

sur le salaire réel.»<br />

C’en est trop pour les patrons ! Ils ont<br />

proposé aux syndicats de journalistes<br />

engagés dans la négociation d’un accord<br />

sur la formation professionnelle des<br />

pigistes de se donner «la boîte à outils»<br />

pour éviter toutes les complications. Ils<br />

estiment en effet que s’ils sont aussi souvent<br />

condamnés, c’est en raison de la<br />

méconnaissance des règles de la profession<br />

par les juges et les conseillers prud’homaux.


Ils ont eu le cynisme de reconnaître qu’ils<br />

n’appliquaient pas les règles sociales élémentaires<br />

depuis 1974. Le texte soumis<br />

à la signature des syndicats dit en effet :<br />

«Les organisations professionnelles de presse<br />

écrite et d’agences, et les syndicats de journalistes<br />

expriment leur volonté de clarifier pour<br />

l’avenir les implications de la loi du 4 juillet<br />

1974, dite “loi Cressard”, sur les conditions<br />

de collaboration à l’entreprise de presse des<br />

journalistes professionnels rémunérés à la<br />

pige, et sur les modalités d’application à cette<br />

catégorie de personnel des avantages collectifs<br />

issus de la convention collective et du code du<br />

travail.»<br />

Un tel aveu n’est pas glorieux. Les<br />

patrons ne seraient pas totalement fautifs,<br />

ce sont les textes qui ne seraient pas<br />

applicables : «Compte tenu des difficultés<br />

constatées pour résoudre les questions soulevées<br />

par une référence simple aux textes normatifs<br />

et à la jurisprudence, et de la nécessité<br />

d’unifier au niveau de la branche les pratiques<br />

des entreprises, les parties à la négociation<br />

sont convenues de mettre en place des<br />

règles d’application des droits pour les pigistes<br />

dans certains domaines.» Les motivations<br />

patronales s’éclairent : il faut unifier les<br />

pratiques des entreprises, dont on sait<br />

qu’elles sont non conformes aux textes !<br />

La boîte à outils<br />

est un leurre<br />

Le porte-parole de la délégation patronale<br />

n’hésite pas à se faire provocateur.<br />

Il a avoué ne pas vouloir renforcer la<br />

présomption de contrat de travail des<br />

pigistes. Sa boîte à outils est un leurre.<br />

Il s’agit tout bonnement de se doter<br />

de textes permettant aux employeurs<br />

d’échapper aux condamnations par<br />

le juge.<br />

Après avoir longtemps prétendu que les<br />

questions soulevées ne sont pas une<br />

question d’argent pour les patrons, ils<br />

ont fait des propositions concernant la<br />

prime d’ancienneté, par exemple. Se<br />

refusant à prendre l’ancienneté dans<br />

l’entreprise dès la première collaboration,<br />

ils ont avancé la solution d’une<br />

prime d’ancienneté calculée sur la seule<br />

ancienneté dans la carte professionnelle,<br />

aux taux suivants : 5 % pour 5 années,<br />

10% pour 10 ans, 15% pour 15 ans et<br />

20% pour 20 ans.<br />

La plupart des formes de presse n’ayant<br />

pas de barème de piges, il est proposé<br />

d’appliquer un coefficient calculé par<br />

référence au barème du rédacteur. Si,<br />

par exemple, un pigiste a un montant<br />

mensuel de piges de 920 € et si le<br />

barème du rédacteur dans la forme de<br />

presse est de 1300 €, le coefficient est<br />

de 920/1300= 0,71. Si le journaliste a sa<br />

carte professionnelle depuis 10 ans, il<br />

aura une prime d’ancienneté de 65 €<br />

(10% de 920 € = 92 € x 0,71= 65).<br />

Au cours de la dernière séance de négociation,<br />

la délégation patronale a avancé<br />

un nouveau mode de calcul pour les<br />

formes de presse ayant un barème de<br />

piges. Si le barème est de 50 € le feuillet<br />

et si le journaliste a négocié un prix du<br />

feuillet à 80 €, sa feuille de paie mentionnera<br />

: salaire 50 €, prime d’ancienneté<br />

5 €, complément personnel 30 €.<br />

Il aura donc une pige de 85 €, alors que<br />

la cour de cassation reconnaît qu’il doit<br />

lui être appliqué une prime d’ancienneté<br />

de 8 € et une pige totale de 88 €.<br />

La prétendue générosité patronale a des<br />

limites. Échapper aux tribunaux a certes<br />

un prix, mais le moins élevé possible !<br />

Les négociations continuent, mais pour<br />

aboutir à quoi ?<br />

La régularisation des «sans papiers» de<br />

la profession risque fort de dépendre,<br />

comme pour les travailleurs immigrés,<br />

de la mobilisation majoritaire ! ■<br />

Gardien de la paix ou Pondichéry, j’hésite…<br />

Je suis précaire, enfin pigiste,<br />

depuis cinq ans. Je pige un peu<br />

partout pour un salaire dérisoire.<br />

Je perds 1000 € par mois<br />

par rapport à mon ancien salaire,<br />

même si souvent le tarif syndical<br />

est appliqué 60 € le feuillet.<br />

Pas cher payé lorsqu’on compare<br />

au temps passé à enquêter,<br />

interviewer et écrire.<br />

À peine plus qu’une femme<br />

de ménage. Je me déplace<br />

souvent sur de l’actualité chaude<br />

mais, entre les journalistes des<br />

agences, les confrères en pied<br />

dans d’autres titres, c’est souvent<br />

pour rien.<br />

Dernièrement, une agence de<br />

presse me commande un papier.<br />

Je le réalise (texte et photo), et là,<br />

c’est le drame: « On n’a pas de quoi<br />

payer ! », Ah! la bonne blague.<br />

J’ai eu l’occasion aussi de faire des<br />

papiers gratuits en guise d’essai<br />

pour une communauté de<br />

communes dirigée par des<br />

progressistes. Mes revenus<br />

diminuent de mois en mois et mon<br />

temps de travail explose. Je travaille<br />

plus pour gagner moins.<br />

L’ANPE me met la pression<br />

en me proposant n’importe<br />

quelle annonce. J’ai reçu<br />

la semaine dernière, une<br />

« information, pas une offre<br />

d’emploi », m’a assuré la<br />

conseillère en ligne, pour être<br />

gardien de la paix. Oui gardien de<br />

la paix ! Quel rapport avec<br />

le journalisme ma bonne dame ?<br />

lui ai-je demandé. « Il y a des gens<br />

qui cherchent (moi je ne cherche<br />

pas, il faut croire) et qui ne pensent<br />

pas forcément à ce type de poste »,<br />

m’a-t-elle vertement répondu.<br />

Heureusement, je peux encore<br />

aujourd’hui refuser, mais le<br />

courrier envoyé par l’ANPE<br />

stipule bien qu’« au cas où vous ne<br />

donneriez pas suite à ce courrier, je<br />

serais conduit à ne plus vous<br />

considérer comme demandeur<br />

d’emploi (art. R311-3-5 du code du<br />

travail). » De la pression ? J’insiste<br />

lourdement. « Vous n’y pensez pas,<br />

c’est juste de l’information, je vous<br />

dis. » Justement informer c’est<br />

mon métier.<br />

Que se passera-t-il demain ?<br />

Comme je suis précaire depuis<br />

plus d’un an, « France Emploi »,<br />

issue de la fusion ANPE et Assedic,<br />

sera juge et partie et pourra donc<br />

m’imposer n’importe quel poste du<br />

moment que le salaire est<br />

équivalent à mes allocations<br />

chômage. Aujourd’hui, je ne gagne<br />

pas plus qu’un gardien de la paix.<br />

Par ailleurs, en regardant les offres<br />

d’emploi sur le site de l’ANPE,<br />

je vois passer des annonces<br />

classées dans la rubrique<br />

journaliste concernant des<br />

postes d’employés qualifiés ou<br />

de techniciens. Ces annonces<br />

ont-elles lieu d’être ?<br />

Un journaliste n’est-il pas cadre ?<br />

Pas étonnant de voir l’ANPE<br />

claironner avoir augmenté ses<br />

offres de plus de 6 % en un an.<br />

Malheureusement, le poste à<br />

Pondichéry, en Inde, en fait partie.<br />

Une offre d’emploi valable, c’est<br />

quoi ? Celle qui me correspond<br />

ou celle qui fera baisser le nombre<br />

de chômeurs ?<br />

Le <strong>Snj</strong>-Cgt doit investir ce débat<br />

en collaboration avec l’ensemble<br />

des structures Cgt, notamment<br />

la Cgt Anpe.<br />

Comme il doit accueillir<br />

et organiser les pigistes,<br />

correspondants de presse<br />

et, de manière générale, tous<br />

les « soutiers » de l’information<br />

car au rythme où vont les choses,<br />

Pondichéry n’est plus très loin.<br />

Patrick Trublion<br />

TÉMOINS<br />

N° 34 / JUILLET 2008 9


PRÉCAIRES<br />

Correspondants locaux de presse<br />

Un statut à revoir<br />

Depuis leur création de nombreux quotidiens régionaux font appel<br />

à des «collaborateurs extérieurs», qui «couvrent» un territoire donné.<br />

Au départ, l’instituteur, le secrétaire de mairie, une personnalité de<br />

la commune féru de cinéma ou de musique assuraient ce que l’on a<br />

coutume de nommer la «correspondance». Dans les années quatre-vingt,<br />

les journaux «utilisent», parfois à plein temps, ces correspondants,<br />

leur confiant des tâches habituellement réservées aux journalistes.<br />

Eliane Faucon-Dumont<br />

Les correspondants se mobilisent, et<br />

certains demandent leur carte de presse,<br />

ce qui n’est pas sans inquiéter les responsables<br />

des différents journaux qui les<br />

« utilisent ». Il faut absolument remédier au<br />

«problème» et construire un statut pour ces<br />

personnels. Le 27 janvier 1987, après d’âpres<br />

discussions patronales et syndicales, la loi<br />

n° 87-39 est adoptée à l’Assemblée. Désormais,<br />

le correspondant de la presse quotidienne régionale<br />

est rattaché au régime des travailleurs indépendants<br />

pour une période transitoire expirant<br />

le 31-12-1990. La mesure sera prorogée à deux<br />

reprises, puis pérennisée à compter du 1 er janvier<br />

1993 par l’article 16 de la loi n°93-121 du<br />

27-01-93. Pour la petite histoire, précisons que<br />

cette loi est votée à la sauvette, entre minuit et<br />

une heure du matin, dans un texte fourre-tout<br />

dit DOMS (loi portant sur diverses mesures<br />

d’ordre social).<br />

Désormais les CLP ont un statut qui définit leur<br />

travail : «Le correspondants local de la presse départementale<br />

et régionale contribue selon le déroulement<br />

de l’actualité à la collecte de toute information de<br />

proximité relative à une zone géographique déterminée<br />

pour le compte d’une entreprise éditrice.» Il<br />

s’agit d’un apport d’informations soumises avant<br />

éventuelle publication à la vérification d’un<br />

10<br />

journaliste professionnel. Le CLP est un travail<br />

indépendant et ne relève pas, au titre de cette<br />

activité, du code du travail.<br />

Sitôt adoptée, sitôt bafouée<br />

Cette loi «arrange» les patrons de presse, qui<br />

s’empressent de l’oublier. Quinze années plus<br />

tard, y a-t-il dans l’Hexagone, un seul correspondant<br />

qui ne fait qu’«informer» une rédaction<br />

? On peut légitimement en douter. En<br />

effet, l’informatisation est passée par là. Aujourd’hui,<br />

équipé d’un ordinateur parfois fourni par<br />

son organisme de presse, doté d’un appareil<br />

photo, le ou la correspondante suit l’actualité<br />

de sa commune, rédige et expédie, tout comme<br />

un journaliste, ses papiers et photos, prêts à être<br />

mis en page, aux SR dont il dépend.<br />

Le travail a forcément évolué, mais la rémunération,<br />

elle, n’a guère changé. Nos journaux<br />

ignorent vraisemblablement l’augmentation du<br />

prix de l’essence, de l’électricité nécessaire au<br />

bon fonctionnement d’un ordinateur. Pour rester<br />

joignable à toute heure du jour (et parfois<br />

de la nuit), le correspondant possède son indispensable<br />

portable, et s’est abonné à Internet<br />

(certains journaux exigent qu’il possède une<br />

ligne ADSL). Toutes ces commodités ont aussi<br />

TÉMOINS<br />

N° 34 / JUILLET 2008<br />

un coût, mais là encore, nos journaux ignorent<br />

le prix de ces différents abonnements, qu’ils<br />

imposent (silencieusement parfois) à leurs correspondants.<br />

Mal payé, pas considéré, le correspondant<br />

avoue souvent son découragement, mais il ne<br />

démissionne pas pour autant, au grand dam de<br />

certains. Pourquoi? À chacun sa réponse. Certains<br />

trouvent dans la correspondance un vrai<br />

complément de salaire. D’autres ont la passion<br />

de l’info locale. Plusieurs apprécient la certaine<br />

souplesse de ce travail «posté». Il n’en reste pas<br />

moins que, depuis déjà longtemps, un mouvement<br />

de ras-le-bol se fait sentir. Dans la Sarthe,<br />

les « correspondants en colère » ont créé un<br />

blog dont la lecture est édifiante*.<br />

Depuis 2001, le SNJ-CGT soutien les correspondants.<br />

Plusieurs ont pu participer aux travaux<br />

du syndicat, à des formations, aux différents<br />

congrès. En mars dernier, le conseil<br />

national a voté une motion par laquelle il<br />

déclare soutenir et défendre les actions des correspondants.<br />

Ceux-ci peuvent à présent se syndiquer.<br />

Ceux qui adhèrent déjà au SNJ-CGT<br />

veulent former un groupe animé par des CLP.<br />

Celui-ci réfléchirait aux actions à définir, en<br />

tentant d’améliorer le statut des CLP. ■<br />

* http://corres72.hautetfort.com.


LUTTES<br />

Grève du 16 mai dans la PQR<br />

Les journalistes de la Montagne se sont opposés à une parution<br />

gratuite de leur titre sur Internet.<br />

Dominique Parat<br />

Suite à l’annonce d’une grève au<br />

journal la Montagne pour le<br />

16 mai initiée par la FILPAC en<br />

réponse au naufrage des négociations<br />

salariales au SPQR, la direction a<br />

envisagé une parution gratuite du titre<br />

sur Internet.<br />

Alertée la veille, par nos adhérents, de<br />

la volonté de notre direction de mettre<br />

en ligne gratuitement le journal le<br />

17 mai (jour de non-parution), notre<br />

section a immédiatement réagi pour<br />

s’opposer à ce projet. Les journalistes<br />

étaient unanimes à n’y voir qu’une<br />

volonté patronale de « briser » une<br />

grève parfaitement légitime, d’autant<br />

plus que les rédactions étaient également<br />

concernées par les décisions prises<br />

par le syndicat de la PQR.<br />

Le matin du 16 mai, nous organisons une<br />

distribution massive de tracts, en nous<br />

appuyant sur les comptes-rendus de nos<br />

représentants au SPQR, pour alerter et<br />

informer les journalistes des diverses agitations<br />

parisiennes et de la volonté de<br />

notre direction de mettre en ligne gratuitement<br />

le journal. Nous entrons également<br />

en contact avec les représentants<br />

des autres syndicats de journalistes. Dans<br />

la foulée, une AG des journalistes a été<br />

décidée pour 14 heures au siège.<br />

Une délégation formée par nos soins<br />

rencontre le directeur des rédactions à<br />

son arrivé au journal. En quelques mots,<br />

nous lui annonçons un appel immédiat à<br />

la grève des journalistes si la direction ne<br />

revenait pas sur son projet de mise en<br />

ligne. Nous indiquons attendre une<br />

réponse avant midi.<br />

Grâce à une bonne communication, la<br />

plupart des agences et l’ensemble des services<br />

du journal ont pu être informés pratiquement<br />

en temps réel. La mobilisation<br />

naissante n’avait d’égal que la profonde<br />

indignation des journalistes devant<br />

cette volonté de «contourner» la grève<br />

initiée par la FILPAC.<br />

À 10 h 30, le directeur des rédactions<br />

nous invitait à le rencontrer dans son<br />

bureau. Il nous annonça que la direction<br />

renonçait à son projet. Décision très sage<br />

que nous avons immédiatement diffusée.<br />

A 14 heures, l’AG ayant été maintenue,<br />

nous informons les journalistes des problèmes<br />

concernant les négociations salariales<br />

à Paris et les raisons de la grève<br />

votée par les salariés de la fabrication et<br />

du départ. Le lendemain, notre journal<br />

était absent des kiosques, le mouvement<br />

lancé par la FILPAC ayant été particulièrement<br />

bien suivi.<br />

■<br />

Jean<br />

Levin<br />

Jean Levin nous a quittés.<br />

Ancien membre du bureau national<br />

de notre syndicat, Jean, journaliste<br />

à France 3 Auvergne, était un<br />

homme de cœur. Sa disparition<br />

plonge nos sections auvergnates<br />

du SNJ-CGT dans une peine<br />

immense.<br />

«C’est super! » Pour beaucoup<br />

d’entre nous, cette exclamation<br />

restera dans nos mémoires comme<br />

emblématique de celui qui vient<br />

de s’endormir pour toujours.<br />

Jean Levin, journaliste rédacteur au<br />

bureau clermontois de France 3<br />

Auvergne vient de s’éteindre,<br />

plongeant sa famille, ses amis et<br />

la cohorte de ceux qui avaient été<br />

séduits par ses immenses qualités<br />

humaines dans la grande tristesse<br />

de l’absence.<br />

La droiture, la fidélité, l’humour<br />

constituèrent l’armature d’une vie<br />

bien vécue, pleine de surprises et<br />

de chemins différents.<br />

La passion fut aussi un maître mot pour<br />

Jean, plus suggérée par une attitude que<br />

par des grandes phrases. Passion pour<br />

l’engagement syndical tendu par<br />

l’abnégation et le service des autres.<br />

Passion pour la littérature, jamais<br />

démentie et toujours plus forte tandis<br />

que la vie avançait. Passion pour un<br />

métier qu’il avait épousé en deuxième<br />

ou troisièmes noces, à partir de 1982.<br />

Enfin, passion pour Yveline, compagne<br />

et romancière, à l’adresse de laquelle<br />

il n’avait pas de mots assez doux.<br />

Mais Jean avait deux cœurs. L’un,<br />

immensément grand pour accueillir<br />

l’ami de passage, l’histoire de celui-là,<br />

rencontré au hasard d’un reportage<br />

sur les anciens mineurs, ou défendre<br />

la cause de son métier au mépris<br />

parfois de sa propre carrière. Et puis,<br />

il y avait l’autre cœur, de chair et de<br />

sang, fatigué depuis longtemps,<br />

peinant à fournir l’énergie nécessaire<br />

à ce dévoreur de vie. Mais bien que<br />

ne croyant pas au ciel, on sait bien<br />

qu’il avait conquis parmi les hommes<br />

sa part d’éternité. Et à part sa façon<br />

de conduire une automobile,<br />

on regrettera tout de Jean.<br />

Rémi Bouquet-des-Chaux<br />

Photo Jean-Louis Gorce<br />

TÉMOINS<br />

N° 34 / JUILLET 2008 11


DOSSIER<br />

Pas un jour, pas une<br />

semaine ne passent<br />

sans que nous ne<br />

recensions des attaques<br />

en règle contre le droit<br />

à l’information.<br />

Interventions<br />

présidentielles auprès<br />

des patrons amis,<br />

ingérences<br />

gouvernementales dans<br />

les rédactions, menaces<br />

sur les droits d’auteur, loi<br />

restrictive sur la<br />

protection des sources,<br />

concentrations<br />

accélérées, droits des<br />

pigistes contestés, remise<br />

en cause des principes<br />

de la distribution<br />

solidaire, casse des<br />

emplois et des statuts…<br />

Par tous les moyens,<br />

ceux qui nous dirigent<br />

entendent transformer<br />

les salles de rédaction<br />

en agences de<br />

communication, les<br />

journalistes en attachés<br />

de presse, l’information<br />

en marchandise à<br />

rentabiliser au moindre<br />

coût. Par tous les<br />

moyens, nous refuserons<br />

de servir de porte-plume<br />

ou de porte-micro. Par<br />

tous les moyens, nous<br />

clamerons notre volonté<br />

d’exercer notre métier<br />

en toute indépendance.<br />

À l’AFP, à France<br />

télévision, chez<br />

Lagardère, les<br />

journalistes agissent.<br />

Petit inventaire des luttes<br />

et des résistances.<br />

12<br />

LES ATTAQUES<br />

LE DROIT À L’IN<br />

HACHETTE FILIPACCHI<br />

Des sites<br />

«low cost»<br />

Objectif affiché : être les premiers sur la Toile comme en kiosque, et ce,<br />

évidemment, au moindre coût.Arnaud Lagardère allait jusqu’à prédire<br />

la mort de la presse écrite pour justifier le tournant et les douloureuses<br />

mesures qui l’accompagnaient.<br />

Hachette (groupe<br />

Lagardère) était peu<br />

présent sur Internet<br />

il y a deux ans. La<br />

direction du groupe, sous prétexte<br />

d’érosion de ses marges, a alors<br />

congédié la direction historique de<br />

sa branche presse, accusée de ce<br />

tassement, embauché l’ancien<br />

TÉMOINS<br />

N° 34 / JUILLET 2008<br />

Mariana Sanchez<br />

patron d’Orange à la tête d’une<br />

nouvelle entité presse/audiovisuel<br />

et lancé un tournant numérique.<br />

La nouvelle direction a décrété un<br />

plan d’économies, devenu plan de<br />

départs volontaires, afin, disait-elle,<br />

d’alléger le coût de fabrication des<br />

journaux (plus chers que ceux de la<br />

concurrence, selon elle) et de dégager<br />

des ressources pour le Net.<br />

Objectif affiché: être les premiers<br />

sur la Toile comme en kiosques, et<br />

ce, évidemment, au moindre coût.<br />

Arnaud Lagardère allait jusqu’à<br />

prédire la mort de la presse écrite<br />

pour justifier le tournant et les<br />

douloureuses mesures qui l’accompagnaient.<br />

Cela a provoqué au


CONTRE<br />

FORMATION<br />

ASSOCIÉS<br />

printemps 2007 des mouvements<br />

sociaux dans l’entreprise des journalistes<br />

inquiets de leur avenir mais<br />

aussi de la qualité des magazines et<br />

de l’information produite, alors<br />

que les ingérences dans le contenu<br />

éditorial se multipliaient (le candidat<br />

Sarkozy se prétendant alors<br />

« frère » de notre patron…).<br />

Depuis, en effet, la présence des<br />

titres du groupe sur Internet s’est<br />

accrue et la direction affiche des<br />

chiffres records de visiteurs<br />

uniques, même si la pub ne rapporte<br />

pas (encore… nous dit-on) la<br />

manne escomptée. Les sites existants<br />

ne sont plus de <strong>simples</strong> mises<br />

en ligne des magazines mais des<br />

sites éditoriaux.<br />

Ils ont été lancés à « low cost » et, à<br />

quelques exceptions, développés à<br />

l’extérieur des rédactions, dans une<br />

filiale du groupe qui emploie peu de<br />

journalistes professionnels, de nombreux<br />

stagiaires et contrats de qualif<br />

et qui fait peu (ou pas du tout)<br />

appel aux journalistes des magazines,<br />

ce qui explique, à notre sens,<br />

le peu de synergie existant entre les<br />

sites et leurs titres référants écrits.<br />

Les rares sites dirigés par des responsables<br />

de rédaction n’associent<br />

pas assez les journalistes en poste.<br />

Enfin, le groupe Lagardère a également<br />

procédé à des acquisitions de<br />

sites « pure players » existants (dont<br />

Doctissimo), de fabricants de sites<br />

(dont NewsWeb) ou de gestionnaires<br />

de pub Internet.<br />

Les négociations sur les droits d’auteur<br />

des articles repris dans nos<br />

publications ou sur les rémunérations<br />

des journalistes en poste qui<br />

seraient sollicités sur les sites<br />

n’avancent guère, la direction espérant,<br />

là encore, faire du « low cost ».<br />

Malgré le plan de formation négocié<br />

dans le cadre de la GPEC, grâce<br />

auquel des dizaines de journalistes<br />

se sont formés pour travailler sur<br />

Internet, la direction persiste à ne<br />

pas faire appel à eux, jugeant leur<br />

déontologie, leurs conventions collectives<br />

et leurs prétentions salariales<br />

bien encombrantes. La<br />

méfiance et les tensions ne sont<br />

donc pas près de disparaître. ■<br />

TÉMOINS<br />

N° 34 / JUILLET 2008 13


DOSSIER<br />

Le député UMP<br />

de Paris Claude<br />

Goasguen n’y est<br />

pas allé par<br />

quatre chemins:<br />

«Je souhaite<br />

que l’AFP soit<br />

privatisée», a-t-il<br />

lancé le 21mai<br />

dernier sur i-Télé.<br />

Point d’orgue de<br />

plusieurs attaques<br />

des grognards<br />

de l’Élysée contre<br />

la rédaction de<br />

l’agence. Frédéric<br />

Lefebvre, un des<br />

porte-parole de<br />

l’UMP, avait<br />

déclenché les tirs<br />

contre la seule<br />

agence mondiale<br />

d’information non<br />

anglo-saxonne<br />

en parlant de<br />

«censure»,<br />

prenant prétexte<br />

d’un communiqué<br />

de son parti qui<br />

n’avait pas été<br />

publié pour<br />

des raisons<br />

rédactionnelles.<br />

14<br />

Patrick Kamenka<br />

Ces coups de bélier<br />

contre l’AFP et contre<br />

son statut faisaient suite<br />

à de vives remontrances<br />

de Nicolas Sarkozy contre plusieurs<br />

médias qu’il tenait pour responsables<br />

de sa chute de popularité dans<br />

l’opinion publique. Les syndicats,<br />

dont le SNJ-CGT, ont organisé la<br />

riposte en condamnant à plusieurs<br />

reprises par voie de tracts les billevesées<br />

du parti majoritaire. L’intersyndicale<br />

toutes catégories a, le<br />

21 mai, appelé place de la Bourse,<br />

devant le siège de l’AFP, à un rassemblement<br />

de protestation avec<br />

comme mot d’ordre placardé sur le<br />

fronton de l’agence: « AFP menacée,<br />

presse bâillonnée, libertés en danger! »<br />

Du jamais vu à l’AFP: plus de trois<br />

cents salariés, ouvriers, employés,<br />

journalistes et cadres, en présence de<br />

nombreux médias ont pris part à la<br />

manifestation avec, sur la bouche, un<br />

collant en papier symbolisant le<br />

bâillon que certains, dans les salons<br />

dorés de la République, voudraient<br />

nous appliquer. Le lendemain, lors<br />

de la réunion du CE, les élus ont voté<br />

à l’unanimité une motion pour<br />

dénoncer les tentatives de déstabiliser<br />

l’agence et ont appelé le PDG,<br />

Pierre Louette, à prendre clairement<br />

ses responsabilités pour la défense de<br />

l’agence, de son statut et de ses salariés<br />

face aux menaces du pouvoir.<br />

Faut-il rappeler que le PDG de<br />

AFP<br />

Une privatisation<br />

dans l’air?<br />

l’AFP lui-même avait joué avec le<br />

feu à deux reprises dans des interviews<br />

à la presse en parlant de toilettage<br />

du statut, d’actionnaires privés,<br />

puis d’ouverture du capital (qui<br />

n’existe pas) au personnel, etc.<br />

Un flou artistique qui, pour la<br />

CGT, n’était rien d’autre qu’un<br />

grave risque de remise en cause du<br />

fameux statut de 1957 qui a préservé<br />

notre indépendance rédactionnelle<br />

depuis plus d’un demi-siècle.<br />

Est-ce cette indépendance qui<br />

fâche en haut lieu au moment où<br />

l’on renégocie le contrat d’objectifs<br />

et de moyens avec la puissance<br />

publique ? Si ce COM est finalement<br />

signé, le sera-t-il au détriment<br />

de la masse salariale, des emplois,<br />

des contenus ? Bercy, Matignon,<br />

l’Élysée veulent-ils une rédaction<br />

aux ordres ? Ou veut-on offrir sur<br />

un plateau à un des « amis » (Bolloré?)<br />

du président de la République<br />

une agence et son réseau mondial<br />

multimédia et multilingue?<br />

AGENCE DE COMMUNICATION<br />

PLUTÔT QU’AGENCE<br />

D’INFORMATION ?<br />

Certains en rêvent à coup sûr dans<br />

les allées du pouvoir. Après les mauvais<br />

coups que tente de porter le<br />

pouvoir actuel contre nos camarades<br />

de France Télévision et de<br />

Radio France, y aurait-il un projet<br />

de privatisation de l’AFP dans les<br />

cartons élyséens? L’AFP a besoin<br />

TÉMOINS<br />

N° 34 / JUILLET 2008<br />

de stabilité et de moyens financiers<br />

sur le long terme pour couvrir les<br />

cinq continents. La CGT a fait de<br />

nombreuses propositions pour<br />

pérenniser le financement de<br />

l’agence en préservant son indépendance<br />

rédactionnelle (prêt à taux<br />

zéro sur la CDC, taxe sur les<br />

recettes publicitaires, etc.).<br />

Aujourd’hui, devant le maquis d’informations<br />

de toutes sortes, une<br />

information certifiée, vérifiée, mise<br />

en perspective par une rédaction<br />

comme celle de l’AFP est une garantie<br />

de crédibilité. Elle constitue aussi<br />

une garantie pour le pluralisme de<br />

l’information au service des médias<br />

français. Au-delà de l’Hexagone<br />

l’AFP participe également au pluralisme<br />

des sources d’information face<br />

aux mastodontes anglo-saxons pour<br />

donner une autre vision du monde.<br />

L’AFP a été libérée les armes à la<br />

main à la Libération par des journalistes<br />

résistants. Son statut a été<br />

créé en 1957 par les élus de la<br />

nation sur une motivation politique.<br />

Aujourd’hui, le combat pour<br />

le maintien d’une agence française<br />

de stature mondiale est dans la<br />

droite ligne de cette volonté.<br />

L’AFP est aussi un élément de la<br />

démocratie dans ce pays. ■


NMPP<br />

Un défi pour<br />

la presse<br />

Le 16 avril 1947<br />

sont fondées<br />

les NMPP.<br />

Le principe est<br />

l’égalité de<br />

traitement des<br />

titres (quotidiens<br />

nationaux et<br />

magazines).<br />

Jean-François Ropert<br />

La loi Bichet, qui régit ce<br />

principe, permet aujourd’hui<br />

à un titre, quel que<br />

soit son tirage, ou à toute<br />

nouvelle parution d’être diffusés sur<br />

l’ensemble du territoire national.<br />

La direction des NMPP, en voulant<br />

appliquer son plan « Défi<br />

2010 », planifie une distribution à<br />

plusieurs vitesses et condamne à<br />

court terme les titres fragilisés économiquement<br />

et/ou à faible tirage<br />

à disparaître des points de vente.<br />

Ce plan prévoit notamment le<br />

groupage des publications par des<br />

sous-traitants (plates-formes logistiques)<br />

qui, si nous laissons faire,<br />

conditionneront indifféremment<br />

boîtes de conserve, pots de yaourt<br />

et… publications. Il projette de<br />

supprimer purement et simplement<br />

les agences régionales qui<br />

traitent les quotidiens nationaux. Il<br />

réduit une fois de plus le nombre<br />

des dépositaires (3000 en 1998, 135<br />

aujourd’hui).<br />

Outre l’aspect industriel incohérent,<br />

si l’on veut offrir à chaque<br />

citoyen la possibilité d’accéder à la<br />

lecture de la publication de son<br />

choix, si l’on considère la presse<br />

comme composante fondamentale<br />

de la démocratie, ce « Défi 2010 »<br />

est un plan de précarisation dans la<br />

pure ligne libérale.<br />

En effet, alors que la direction<br />

envisage la suppression de 250<br />

emplois à statut, elle propose l’embauche<br />

de main-d’œuvre pour une<br />

ou deux heures de travail selon les<br />

saisons et payée au SMIC horaire<br />

dans le meilleur des cas.<br />

Lors de réunions techniques, les<br />

salariés avec leur syndicat<br />

(SGLCE) ont fait d’autres propositions<br />

en tenant compte des<br />

impératifs économiques et avec la<br />

volonté de pérenniser le système<br />

de traitement égalitaire et solidaire<br />

contre la déréglementation<br />

programmée.<br />

Cette bataille est l’affaire des salariés<br />

des NMPP mais aussi celle des<br />

journalistes. À quoi serviraient les<br />

reportages, la rédaction d’articles,<br />

si le fruit de ce travail n’était pas lu<br />

parce que mal distribué? ■<br />

Photo : Claude Candille<br />

TÉMOINS<br />

N° 34 / JUILLET 2008 15


DOSSIER<br />

Depuis toujours,<br />

la protection du<br />

secret des sources<br />

des journalistes<br />

fait cruellement<br />

défaut en France.<br />

Les syndicats<br />

de journalistes,<br />

en particulier<br />

le SNJ-CGT,<br />

se battent pour<br />

l’obtenir. Une<br />

avancée vient de<br />

se produire avec<br />

le projet de loi<br />

présenté par le<br />

gouvernement<br />

actuel et voté en<br />

première lecture<br />

par l’Assemblée<br />

nationale<br />

le 15 mai dernier.<br />

Une avancée,<br />

mais certainement<br />

pas un<br />

aboutissement.<br />

16<br />

Jean-Gérard<br />

Cailleaux<br />

Pour une loi qui protège<br />

vraiment le secret des<br />

sources des journalistes<br />

Pourtant, ce n’est pas la<br />

faute des journalistes<br />

qui participent régulièrement<br />

aux divers travaux<br />

de préparation et autres<br />

auditions pour tenter d’améliorer<br />

les projets soumis et convaincre<br />

les autorités de tutelle de présenter<br />

un texte digne des besoins et<br />

des exigences, non seulement des<br />

professionnels de l’information,<br />

mais aussi et surtout du public, le<br />

premier concerné et la première<br />

victime des abus de justice et des<br />

manigances en tout genre.<br />

Le texte voté par l’Assemblée<br />

nationale devait être présenté au<br />

Sénat le 17 juin en séance plénière.<br />

Son rapporteur, François-<br />

Noël Buffet, a auditionné le SNJ-<br />

CGT, la CGC et l’USJ- CFDT le<br />

29 mai. FO a boudé l’invitation.<br />

Le SNJ autonome avait été reçu,<br />

seul, quelques jours auparavant.<br />

Le SNJ-CGT a tout de suite<br />

affirmé au rapporteur sénatorial<br />

que ce texte ne le satisfaisait pas<br />

dans la mesure où :<br />

– il était en retrait par rapport à la<br />

Convention européenne des<br />

Droits de l’homme, en particulier<br />

par l’écriture du début de l’article2<br />

qui stipule : « Il ne peut être porté<br />

atteinte directement ou indirectement<br />

à ce secret qu’à titre exceptionnel et<br />

lorsqu’un impératif prépondérant<br />

d’intérêt public le justifie. » Qui va<br />

juger sur de tels arguments ?<br />

– il était en retrait par rapport<br />

à la jurisprudence européenne<br />

(britannique, luxembourgeoise,<br />

belge, etc.) ;<br />

– s’il peut préserver le journaliste<br />

écrivain, il ne protège en rien ni<br />

les sources en elles-mêmes ni les<br />

autres collaborateurs satellites du<br />

journaliste (personnels administratifs,<br />

personnels techniques) ;<br />

– il ne protège pas le journaliste<br />

investigateur si, de son enquête, il<br />

en fait aussi un livre, l’édition<br />

n’étant pas reprise dans le cadre<br />

de cette loi ;<br />

– il donne une définition trop restrictive<br />

du journaliste par rapport<br />

à celle du code du travail ;<br />

– s’il cerne bien les perquisitions, il<br />

ne protège en rien des réquisitions,<br />

ni de l’accusation de recel qui peut<br />

être reproché… à un journaliste.<br />

En effet, si ce dernier a le droit de<br />

se « taire » sur l’origine d’une<br />

information, il n’a pas le droit de<br />

posséder cette information, d’où<br />

recel.<br />

Le SNJ-CGT a déclaré sa nette<br />

préférence pour la loi belge qui<br />

reconnaît « non seulement le droit de<br />

se taire lorsque les journalistes sont<br />

convoqués à titre de témoins ; mais<br />

aussi, sont explicitement protégés<br />

contre les perquisitions, les saisies, les<br />

TÉMOINS<br />

N° 34 / JUILLET 2008<br />

repérages téléphoniques et autres<br />

moyens d’investigation ».<br />

Les représentants de la CGC ont<br />

appuyé ces remarques, en rappelant,<br />

entre autres, qu’ils seraient<br />

déjà heureux que la déclaration de<br />

Munich soit incluse dans la<br />

convention collective nationale du<br />

travail des journalistes.<br />

Celui de la CFDT a rappelé que<br />

la protection des sources consistait<br />

plus à protéger les concitoyens<br />

en général que les journalistes en<br />

particulier et qu’à trop préciser la<br />

loi de 1881, on allait la ridiculiser.<br />

À propos d’éventuelles exceptions<br />

comme pour le secret de Défense<br />

nationale, le secret médical ou<br />

autre, il fut répondu négativement<br />

par les représentants syndicaux.<br />

Ce serait une porte ouverte à tout<br />

abus.<br />

Le sénateur Buffet les a interrogés<br />

aussi sur la création éventuelle,<br />

sinon d’un ordre des journalistes,<br />

du moins d’une instance de<br />

réflexion ou de jugement sur les<br />

cas qui poseraient problème. Les<br />

représentants des journalistes ont<br />

répondu, là aussi, négativement,<br />

la profession ayant déjà des<br />

instruments de mesure, et de<br />

réflexion comme les commissions<br />

paritaires nationales ou régionales<br />

et autres pour corriger les erreurs<br />

possibles.<br />


JURIDIQUE<br />

Rustica<br />

Le ministre désavoue<br />

l’inspecteur du travail<br />

Licenciée avec autorisation de l’inspection du travail pour avoir écrit un<br />

livre, accusée de non-respect de l’article 7 de la convention collective et<br />

de déloyauté, notre déléguée a vu la décision annulée par le ministre du<br />

Travail.<br />

Françoise Janin<br />

Il ne fait pas bon être déléguée syndicale<br />

CGT chez Rustica. Une<br />

consœur est bien placée pour le<br />

savoir puisque, après avoir été harcelée<br />

par sa hiérarchie, elle a été licenciée<br />

pour la publication d’un livre de<br />

jardinage bio chez un éditeur autre que<br />

son employeur. Il fallait à cette vieille<br />

institution qui nie le fait syndical trouver<br />

un motif afin de se débarrasser de<br />

la CGT dont la déléguée réclamait le<br />

paiement des droits d’auteur, l’autorisation<br />

de publier une seconde fois les<br />

articles des journalistes, etc. Un outrage<br />

au pouvoir patronal !<br />

Considérant la publication d’un livre<br />

comme une collaboration extérieure, la<br />

direction a argué du non-respect par<br />

notre déléguée de l’autorisation à<br />

demander prévue à l’article 7 de la<br />

convention collective. Faisant une lecture<br />

inappropriée du texte qui prévoit<br />

que :<br />

[…] Les collaborations extérieures des journalistes<br />

professionnels […]. L’employeur qui<br />

les autorisera le fera par écrit […]. Faute de<br />

réponse dans un délai de dix jours pour les<br />

quotidiens, les hebdomadaires et les agences<br />

de presse et d’un mois pour les périodiques,<br />

cet accord sera considéré comme acquis. [ …]<br />

Le litige portait donc sur la notion de<br />

collaboration extérieure. Bien évidemment,<br />

si les partenaires sociaux ont précisé<br />

les publications susceptibles d’être<br />

concernées par une telle demande, et<br />

que les livres n’y figurent pas, c’est que<br />

le droit de publier des œuvres de l’esprit<br />

est, sauf contrat contraire le précisant,<br />

un droit pour chaque citoyen.<br />

Se rangeant aux arguments de l’employeur,<br />

le comité d’entreprise a voté<br />

comme un seul homme le licenciement<br />

de la déléguée SNJ-CGT.<br />

Omettant soigneusement de porter au<br />

procès-verbal la déclaration de la déléguée<br />

du SNJ autonome qui allait dans<br />

notre sens, malgré les protestations de<br />

notre déléguée auprès des élus et de<br />

l’inspectrice du travail. Laquelle on se<br />

doit de féliciter pour la neutralité de<br />

l’accueil et sa force d’analyse puisque,<br />

considérant le fameux livre comme<br />

une collaboration extérieure, elle avait<br />

commis un acte de déloyauté à l’égard<br />

de son employeur et que la faute était<br />

suffisamment grave pour autoriser le<br />

licenciement.<br />

Le ministre saisi en recours a mené une<br />

enquête méticuleuse, entendant la<br />

déléguée du SNJ et cherchant la jurisprudence.<br />

Nous lui avons fourni une<br />

décision du juge départiteur du prud’homme<br />

de Paris qui corroborait<br />

notre analyse et deux syndicats de journalistes<br />

sollicités ont attesté dans ce<br />

sens, comprenant que toute la profession<br />

pourrait subir cette jurisprudence.<br />

La décision annulant celle de l’inspectrice<br />

repose sur deux arguments. Le<br />

premier est tout au déshonneur des élus<br />

du comité d’entreprise de Rustica, le<br />

ministre relevant que ne pas rapporter<br />

les propos de la déléguée du SNJ était<br />

un vice de forme suffisant pour établir<br />

la nullité de la première décision et que,<br />

de surcroît, l’article 7 ne s’appliquait<br />

pas aux livres. Rien n’est perdu sauf<br />

l’honneur des élus de Rustica. ■<br />

TÉMOINS<br />

N° 34 / JUILLET 2008 17


JURIDIQUE<br />

Quand les pigistes<br />

refusent de se laisser faire<br />

Cela fait partie<br />

de ces jugements<br />

exemplaires pour<br />

un cas classique,<br />

la cessation de<br />

collaboration du fait<br />

d’une entreprise de<br />

presse. Le conseil de<br />

prud’hommes a donné<br />

raison au journaliste<br />

face à la Voix du Nord.<br />

18<br />

Ludovic Finez<br />

Résumée par le conseil de prud’hommes<br />

de Lille, l’argumentation<br />

du quotidien régional tient en<br />

quelques phrases clés : « M. Durand<br />

n’a jamais eu d’activité permanente et régulière au<br />

sein du journal et ne peut revendiquer une quelconque<br />

relation de journaliste professionnel» ; «[…]<br />

le caractère indépendant de l’activité de M.Durand<br />

[…] est incompatible avec la qualité de salarié».<br />

«Partant du principe que M. Durand n’a pas la<br />

qualité de journaliste professionnel mais de pigiste<br />

occasionnel, la Voix du Nord soutient qu’elle<br />

n’avait aucune obligation de maintenir un quelconque<br />

niveau de rédaction ou de rubrique envers<br />

M. Durand », etc. Le problème, c’est qu’en<br />

face, Gilles Durand, titulaire de la carte de<br />

presse depuis 2003, a amené ses déclarations<br />

de revenus et ses fiches de paie qui, depuis cette<br />

période (1), ne laissent aucun doute sur ses collaborations<br />

avec la Voix du Nord. Gilles a ainsi<br />

été rédacteur pigiste pour les <strong>pages</strong> régionales<br />

du supplément Version Femina, distribué avec<br />

la Voix du Nord le samedi, assurant un temps<br />

une rubrique « culture » hebdomadaire. Il a<br />

aussi effectué de nombreux remplacements, en<br />

CDD ou à la pige, aux rubriques «télévision»<br />

et «cinéma» du quotidien. «Je gagnais 1500<br />

euros [nets] par mois en moyenne. Pour moi, j’étais<br />

salarié de la Voix du Nord», explique-t-il.<br />

« Activité régulière » reconnue<br />

C’est à partir de mai 2006 que les choses se<br />

gâtent. Tout d’abord, Gilles n’est plus sollicité<br />

pour les rubriques «cinéma» et «télévision».<br />

Lors du passage au format tabloïd du journal,<br />

la seconde rubrique est confiée à une agence<br />

parisienne. Pour la première, un journaliste<br />

permanent de la rédaction assure désormais les<br />

remplacements. Après quelques échanges avec<br />

la rédaction en chef, il signe, entre septembre<br />

et novembre, des CDD épisodiques à Version<br />

Femina et dans des agences locales du quotidien.<br />

Des piges pour Version Femina lui seront<br />

encore confiées jusqu’en octobre 2007, mais<br />

rien de comparable au revenu régulier que lui<br />

procurait son travail à la Voix du Nord auparavant.<br />

La baisse de salaire entre les cinq premiers<br />

et les sept derniers mois de 2006 avoisine les<br />

80%. «À 40 ans, faire un CDD une fois à Hazebrouck,<br />

une fois à Valenciennes…», commentet-il.<br />

En novembre 2006, sa décision est prise:<br />

porter l’affaire aux prud’hommes. Assisté de<br />

M e Sandrina Delannoy, du barreau de Lille, il<br />

aborde un monde inconnu pour lui. «J’ai découvert<br />

la convention [nationale des journalistes], je ne<br />

m’étais jamais intéressé à ça, reconnaît-il. J’avoue<br />

que j’ai toujours été un bon petit soldat de ce côté-là,<br />

même si j’ai une grande gueule.»<br />

Le jugement, tombé le 14 février dernier,<br />

donne raison au journaliste. Il affirme ainsi<br />

TÉMOINS<br />

N° 34 / JUILLET 2008<br />

qu’«il est prouvé qu’effectivement M. Durand a eu<br />

non seulement une activité régulière au sein de la<br />

Voix du Nord, toutes activités confondues, à savoir<br />

piges et contrats pour missions précises, et qu’il en a<br />

tiré le principal de ses ressources. Pour l’exemple, en<br />

2002, l’activité au sein du journal représentait 56%<br />

de ses revenus fiscaux et, à partir de 2003, 100%<br />

de ses revenus fiscaux.» Le jugement fait courir<br />

l’ancienneté à partir de 2002 et calcule la chute<br />

de revenus en prenant pour référence les cinq<br />

premiers mois de 2006.<br />

Logiquement, la cessation de collaboration a<br />

été requalifiée en « licenciement sans cause<br />

réelle et sérieuse», avec l’indemnité compensatrice<br />

de préavis, l’indemnité conventionnelle<br />

et les dommages et intérêts qui y sont attachés.<br />

Le journaliste a également eu droit à un rappel<br />

de salaire, de congés payés correspondants et<br />

de prime d’ancienneté, ainsi qu’au paiement de<br />

1500 euros au titre des frais de procédure. Par<br />

ailleurs, le remboursement par l’employeur «à<br />

l’Assedic [des] indemnités de chômage versées depuis<br />

le licenciement [prononcé à la date du jugement,<br />

NDLR] dans la limite de six mois» a été ordonné.<br />

S’y ajoute encore une condamnation «à titre de<br />

dommages et intérêts sur les droits d’auteur». Les<br />

articles de Gilles, écrits pour le Version Femina<br />

de la Voix du Nord, étaient en effet repris dans<br />

le Version Femina de Nord Éclair (2), alors même<br />

qu’il n’avait pas signé la convention établie dans<br />

ce cadre par l’entreprise… Bref, un jugement<br />

on ne peut plus clair et circonstancié, qui n’a<br />

pourtant pas empêché la Voix du Nord de faire<br />

appel.<br />

■<br />

(1) Avant l’obtention de la carte, il était rémunéré<br />

en honoraires.<br />

(2) Avant janvier 2007, Nord Éclair ne diffusait<br />

que le supplément national Version Femina, sans<br />

apport régional. Depuis, le quotidien reprend<br />

aussi les <strong>pages</strong> régionales réalisées par la Voix du<br />

Nord.


JOURNALISTES REPORTERS-PHOTOGRAPHES<br />

Enfin un accord…<br />

au grand dépit des patrons<br />

Le 10 mai 2007, les syndicats de journalistes unanimes ont signé<br />

un accord avec la Fédération nationale des agences de presse photos<br />

et informations (FNAPPI) sur le « traitement social des revenus<br />

complémentaires des journalistes reporters-photographes d’agences tirés<br />

de l’exploitation de leurs œuvres photographiques dans la presse ».<br />

Cet accord a une longue histoire;il mérite explication.<br />

Michel Diard<br />

La loi n° 93-121 du 27 janvier<br />

1993 introduisait subrepticement,<br />

sur intervention patronale,<br />

la notion de revenus complémentaires<br />

pour les journalistes reporters-photographes.<br />

Le législateur soumettait<br />

les conditions d’application de<br />

cette disposition à la signature d’un<br />

accord collectif de branche.<br />

En revanche, la loi instituait un moratoire<br />

de trois ans pour que les très<br />

nombreux reporters-photographes<br />

soumis aux dispositions des artistes<br />

auteurs, c’est-à-dire payés en<br />

AGESSA (Association de gestion de la<br />

Sécurité sociale des auteurs), voient<br />

leurs rémunérations soumises au<br />

régime général de la Sécurité sociale,<br />

donc en salaires, à l’exception des<br />

revenus complémentaires.<br />

Les syndicats de journalistes refusaient<br />

cette notion de « revenus complémentaires<br />

», estimant que la réexploitation<br />

ou l’exploitation plusieurs mois,<br />

voire plusieurs années après la prise de<br />

vues d’une photo ou d’un reportage<br />

devait être rémunérée en salaire en<br />

tant que « revenu différé ».<br />

Des négociations ont néanmoins été<br />

ouvertes en 1993 pour négocier un<br />

accord de branche. Une commission<br />

mixte paritaire s’est réunie, présidée<br />

par un inspecteur du travail, pendant<br />

près de deux ans sans qu’aucun accord<br />

ne soit signé.<br />

Les patrons, plus efficaces dans le relationnel<br />

avec la droite que dans la vente<br />

de photos, persuadèrent les parlementaires<br />

de voter une loi (le 4 février 1995)<br />

précisant qu’un décret en Conseil<br />

▲<br />

Photo : Claude Candille<br />

TÉMOINS<br />

N° 34 / JUILLET 2008 19


JOURNALISTES REPORTERS-PHOTOGRAPHES<br />

d’État définirait les revenus complémentaires.<br />

La loi resta sans effet jusqu’en<br />

novembre 2003, les syndicats<br />

découvrant alors qu’un projet de décret<br />

était soumis à différentes instances<br />

(ACOSS et AGESSA, notamment),<br />

définissant que les photos exploitées un<br />

an après leur prise pouvaient être payées<br />

en droits d’auteur.<br />

Après une large mobilisation des journalistes<br />

reporters-photographes et de leurs<br />

syndicats, le gouvernement faisait savoir<br />

aux parties intéressées qu’il acceptait de<br />

retirer le décret à la condition que les<br />

négociations reprennent pour définir les<br />

revenus complémentaires. Il affirmait<br />

aussi préférer la signature d’un accord à<br />

la promulgation d’un décret.<br />

Des négociations ont alors repris entre<br />

les syndicats de journalistes et les organisations<br />

patronales, la Fédération<br />

nationale des agences de presse photos<br />

et informations (FNAPPI) et le Syndicat<br />

des agences photographiques d’information<br />

et de reportages (SAPHIR),<br />

adhérent à la Fédération des agences<br />

(FFAP). Trois réunions se sont tenues<br />

de janvier à juin 2004.<br />

Le SAPHIR, après avoir avancé des dispositions<br />

inacceptables, a déserté la<br />

table des négociations, réclamant toujours<br />

un décret permettant de rémunérer<br />

les reporters-photographes en droits<br />

d’auteur pour des exploitations un an<br />

après la prise de vues.<br />

Les discussions se sont poursuivies avec<br />

la FNAPPI, seule, pour aboutir à un<br />

protocole d’accord équilibré, véritable<br />

compromis social où chacun a fait des<br />

concessions.<br />

La Direction du développement des<br />

médias et le chef de service à la Direction<br />

de la Sécurité sociale auprès du<br />

ministre ont consulté les parties, y compris<br />

les représentants du SAPHIR, dont<br />

les remarques de détail ont été intégrées<br />

au projet d’accord. Cela ne l’empêcha<br />

pas de s’opposer à l’accord et à son<br />

extension.<br />

Le processus d’extension d’un accord<br />

(qui le rend d’application obligatoire à<br />

toutes les agences de presse photographiques)<br />

nécessite la consultation de<br />

toutes les organisations.<br />

Le SAPHIR a alors orchestré une campagne<br />

de désinformation, indigne de la<br />

part d’entreprises de presse. Elle a<br />

même fait intervenir des organisations<br />

qui ne sont pas parties prenantes de la<br />

négociation, comme la Fédération<br />

nationale de la presse française (FNPF),<br />

le Syndicat de la presse magazine d’information<br />

(SPMI), la Fédération française<br />

des agences de presse (FFAP),<br />

l’AFP (dans un courrier signé de son<br />

président, Pierre Louette) et Reuters.<br />

Sur le fond, le SAPHIR contestait de<br />

devoir assujettir les journalistes reporters-photographes<br />

au régime général de<br />

la Sécurité sociale. Il souhaitait amener<br />

les syndicats à entériner une pratique<br />

condamnée par les tribunaux, à savoir<br />

nier le lien de subordination entre un<br />

salarié et l’agence de presse et continuer<br />

à soumettre ses rémunérations à<br />

l’AGESSA. Les cotisations sociales<br />

patronales à l’AGESSA ne sont que de<br />

1 %, contre près de 45 % au régime<br />

général de la Sécurité sociale !<br />

On retiendra néanmoins quelques<br />

perles qui en disent long sur la mauvaise<br />

foi de certains patrons ou sur le mépris<br />

à l’encontre de leurs salariés. Dans un<br />

courrier à la commission d’extension<br />

des accords collectifs, la FFAP a cru<br />

pouvoir prétendre que l’objectif de cet<br />

accord « était bien de mettre une pierre<br />

dans le jardin des organisations patronales<br />

en tentant de modifier les pratiques professionnelles<br />

» (elle faisait référence à l’établissement<br />

d’un barème de piges et d’un<br />

bon de commande prévus par l’accord).<br />

Mais ce sont les Urssaf qui ont mis en<br />

évidence les pratiques frauduleuses de<br />

certaines agences de presse photographique<br />

en opérant des redressements<br />

importants. Les contentieux sont lourds<br />

(plusieurs dizaines de milliers d’euros)<br />

et les redressements sont encore pendants<br />

devant le tribunal des affaires de<br />

la Sécurité sociale (TASS). L’avenir de<br />

quelques-unes des plus grandes agences<br />

était engagé et les personnels menacés<br />

de licenciement.<br />

Le courrier de Reuters est sans doute le<br />

plus scandaleux. Son directeur des ressources<br />

humaines a osé écrire: « L’agence<br />

Reuters est aujourd’hui propriétaire du fonds<br />

photographique constitué au fil des années par<br />

les reportages réalisés par ses journalistes<br />

reporters-photographes salariés et par les<br />

pigistes auxquels elle a recouru. »<br />

Plus fort encore, Reuters n’hésite pas à<br />

soutenir qu’ « il n’est pas dans la pratique<br />

des agences de presse, pour celles qui couvrent<br />

l’actualité chaude, de considérer comme des<br />

œuvres de l’esprit les photographies de reportage.<br />

» À cela, selon Reuters, trois raisons:<br />

parce que les journalistes « ne sont<br />

pas propriétaires du matériel mis à leur disposition<br />

», « l’autonomie que suppose l’activité<br />

créatrice est très souvent inexistante » et,<br />

enfin, « le journaliste reporter-photographe<br />

participe à l’élaboration d’un produit, la photographie<br />

mise sur un fil d’information, mais<br />

il n’en réalise pas toutes les étapes ».<br />

Les reporters-photographes de Reuters<br />

sont en droit aujourd’hui de demander<br />

des comptes à leur direction.<br />

La ficelle était si grosse que l’opération<br />

de dénigrement et de falsification<br />

a échoué ; elle a irrité et l’accord a<br />

été « étendu ». Le SAPHIR devra<br />

appliquer un texte qu’il a combattu<br />

jusqu’au bout.<br />

■<br />

20<br />

TÉMOINS<br />

N° 34 / JUILLET 2008


SPORTS ET POLITIQUE<br />

La politique se réveille<br />

souvent<br />

pour les Jeux<br />

Olympiques<br />

Les jeux Olympiques ont<br />

pris une telle ampleur depuis<br />

l’avènement du direct<br />

planétaire à la télévision que<br />

les agitateurs politiques de<br />

tout bord se réveillent<br />

régulièrement tous les quatre<br />

ans.Ainsi en va-t-il de même<br />

de la crise tibétaine à deux<br />

mois des JO de Pékin. Et les<br />

sportifs du monde entier de<br />

porter la charge<br />

insupportable des hypocrisies<br />

successives des nations vis-àvis<br />

des pays qui bafouent les<br />

droits de l’homme. Et les<br />

médias dans tout cela ?<br />

Alain Vernon<br />

Journaliste au service des sports de France 2,<br />

chaîne diffuseur des JO de Pékin<br />

On ne sait plus où donner de la<br />

tête depuis quelques mois à<br />

l’approche des Jeux de Pékin<br />

qui débutent le 8 août: partout<br />

dans le monde, les opposants tibétains<br />

se multiplient comme des petits pains<br />

pour vilipender le monde et l’esprit<br />

olympiques. Jacques Rogge n’a jamais<br />

vu cela et les sportifs, croyant agir pour<br />

la bonne cause, multiplient les prises de<br />

positions contradictoires dans tous les<br />

médias. Ajoutez à cela les images en<br />

boucle des agressions sur le parcours de<br />

la flamme olympique dans le monde<br />

entier et vous comprendrez qu’on a un<br />

peu de mal à se faire une opinion étayée<br />

sur la question politique au moment des<br />

jeux Olympiques.<br />

Le meilleur moyen de s’y retrouver est<br />

de refaire un peu le tour de l’histoire<br />

olympique, qui épouse quasiment<br />

l’histoire de la communication. Car les<br />

Jeux modernes rénovés par Coubertin<br />

en 1896 sont nés presque avec le<br />

cinéma puis se sont développés grâce à<br />

la télévision.<br />

Déjà en 1936, dans neuf villes allemandes,<br />

le III e Reich diffuse en direct les<br />

épreuves des Jeux de Berlin et médiatise<br />

la grandeur de ses JO avec, pour la première<br />

fois, le parcours de la flamme<br />

depuis Olympie jusqu’à Berlin le<br />

1 er août 1936 dans le plus grand stade<br />

de l’époque.<br />

En 1960 à Rome, c’est la première<br />

Eurovision pour les téléspectateurs<br />

européens. En 1964, les Américains<br />

comme les Asiatiques et les Européens<br />

peuvent suivre en direct les Jeux qui<br />

deviennent donc la plus grande caisse<br />

de résonance politique du monde.<br />

D’où les boycotts successifs de 1976<br />

(contre l’apartheid d’Afrique du Sud,<br />

les pays africains repartent de Montréal),<br />

de 1980 et 84 (les Américains<br />

dénonçant l’entrée en Afghanistan des<br />

troupes soviétiques puis les Soviétiques<br />

leur répondant à Los Angeles).<br />

Sans oublier Munich 1972 quand les<br />

Palestiniens de Septembre Noir prennent<br />

en otages les athlètes israéliens<br />

avec le massacre qui s’en suivit, sans<br />

oublier les poings gantés de noir des<br />

athlètes noirs américains aux JO de<br />

Mexico en 1968.<br />

Si bien qu’en 1988 aucune ville n’est<br />

candidate pour accueillir les Jeux tant<br />

la politique a pris l’olympisme en otage.<br />

Alors, le CIO, détenteur exclusif des<br />

droits sur les images des Jeux d’hiver et<br />

d’été depuis 1948, accepte le pacte avec<br />

le grand capital. Une vingtaine de<br />

grandes entreprises mondiales, américaines<br />

pour la plupart, font leur entrée<br />

dans le mouvement olympique cher au<br />

baron de Coubertin décédé en 1937.<br />

Les Jeux de Séoul en 1988 ont finalement<br />

lieu mais, désormais, la donne<br />

olympique a changé : le CIO croyant<br />

échapper au politique s’est emprisonné<br />

avec le business !<br />

Ce petit rappel historique pour dire que<br />

les Jeux sont aujourd’hui le plus grand<br />

terrain de la mondialisation des<br />

▲<br />

TÉMOINS<br />

N° 34 / JUILLET 2008 21


SPORTS<br />

ET POLITIQUE<br />

enjeux, des idées, des affaires, et donc…<br />

de la politique.<br />

Alors, faut-il brandir les menaces en<br />

tout genre contre le pays hôte quand<br />

celui-ci ne nous plaît pas et agiter tous<br />

les mouchoirs de la honte et de la colère<br />

à chaque fois que la trêve olympique<br />

veut s’imposer?<br />

Pourquoi les politiques espèrent-ils que<br />

les participants aux JO puissent changer<br />

la politique alors que leurs efforts sont<br />

vains depuis des siècles ?<br />

Et les médias ont-ils le droit de se prononcer<br />

pour un camp ou un autre parce<br />

qu’ils sont en direct planétaire pendant<br />

quinze jours?<br />

Comment proposer à des millions d’individus<br />

de se retrouver derrière les<br />

mêmes valeurs pendant quinze jours<br />

sans être « pris en otages » par les terroristes<br />

de la communication et de ses<br />

dérives?<br />

Dans l’Antiquité, on arrêtait les guerres<br />

pendant trois mois pour célébrer les<br />

jeux d’Olympie : un mois pour aller à<br />

Olympie, un mois pour organiser les<br />

jeux qui duraient une semaine, et un<br />

mois pour permettre aux participants de<br />

rentrer chez eux sans être tués sur le<br />

chemin du retour. Est-ce un rêve<br />

impossible que de réaliser une vraie<br />

trêve mondiale au XXI e siècle?<br />

Le monde est-il dépendant à ce point<br />

des images et de la communication<br />

qu’il ne puisse pas s’autoriser une vraie<br />

paix olympique à défaut d’une vraie<br />

paix élaborée par les chefs d’États ?<br />

La manipulation des images est de nos<br />

jours si bien utilisée qu’elle pèse évidemment<br />

sur les attitudes de chaque<br />

pays au moment des Jeux.<br />

Les médias sont aujourd’hui olympicodépendants<br />

puisqu’ils paient très cher<br />

le droit de diffuser les JO, qui rapportent<br />

tant de parts de marché. Les athlètes<br />

et les fédérations sont eux aussi<br />

olympico-dépendants puisque ces<br />

droits télé les financent directement. Et<br />

le monde des affaires est devenu lui<br />

aussi olympico-dépendant puisque la<br />

ville qui reçoit les Jeux est un grand<br />

chantier pour toutes les grandes entreprises<br />

mondiales.<br />

Cette immense machine à fric qu’est<br />

devenu le mouvement olympique finit<br />

par tuer l’esprit de Coubertin. ■<br />

22<br />

Droits de l’homme et<br />

droits du sportif<br />

Le parcours de la flamme olympique de Pékin à<br />

travers le monde a soulevé dans son sillage avec<br />

une acuité inouïe des problèmes cent fois<br />

débattus. Une fois de plus, la question a été<br />

posée de savoir si les Jeux pouvaient se dérouler<br />

normalement dans un pays respectant<br />

imparfaitement les droits de l’homme. Mais un<br />

silence épais a été fait sur la nature de ces droits.<br />

Raymond Pointu (1)<br />

Les plus fondamentaux ne concernent-ils pas<br />

la possibilité pour tout individu de manger chaque<br />

jour à sa faim, de s’abriter sous un toit, de protéger<br />

sa santé et d’offrir à ses enfants une éducation<br />

élémentaire? Agiter frénétiquement la bannière<br />

de la liberté tend à faire oublier que la moitié de<br />

l’humanité est honteusement privée de ces droits.<br />

Et que pour elle, le sport de haut niveau demeure<br />

un luxe à des années-lumière de sa portée.<br />

Si l’olympisme prête si souvent le flanc à la critique,<br />

c’est que ses visées universalistes et humanistes<br />

le fragilisent. Rien de tel avec l’économie, qui ne<br />

se propose nullement de rendre les hommes plus<br />

heureux et plus vertueux. Le but de l’entreprise est<br />

de faire des profits, a répété un jour abruptement<br />

à la télévision Serge Dassault. Quant à la question<br />

«Le capitalisme est-il moral?», titre d’un livre récent<br />

(2) du philosophe André Comte-Sponville dans lequel<br />

elle est examinée, la poser est déjà y répondre.<br />

Il n’y a donc rien d’étonnant ni de scandaleux<br />

à ce qu’on embarrasse les sportifs avec des problèmes<br />

de conscience tandis que le business avec la Chine<br />

continue de plus belle.<br />

Politiquement, il devrait être évident pour tout le<br />

monde que les sportifs n’ont pas pour rôle de faire<br />

progresser la solution de problèmes épineux contre<br />

lesquels butent régulièrement les responsables<br />

politiques. Et qu’ils n’ont pas à se préoccuper en pleine<br />

préparation olympique de la politique intérieure de la<br />

Chine au Tibet, dont ils ignoraient à peu près tout.<br />

Pas plus qu’ils ne devaient grossir le mouvement de<br />

boycottage enclenché par le président américain Jimmy<br />

Carter après l’entrée de l’armée soviétique en<br />

Afghanistan. « Je n’ai que faire d’être accusé de naïveté,<br />

mais le sport et les jeux Olympiques ne doivent pas être<br />

utilisés à des fins politiques, particulièrement lorsque<br />

d’autres moyens politiques, diplomatiques et économiques<br />

n’ont pas été tentés », déclarait alors l’Irlandais Lord<br />

Killanin, président du Comité international olympique<br />

(CIO), tandis qu’on le pressait de retirer à Moscou<br />

l’organisation des Jeux de 1980.<br />

Dans la longue histoire de l’olympisme, les Jeux<br />

n’ont guère prêté à contestation que lorsqu’ils furent<br />

TÉMOINS<br />

N° 34 / JUILLET 2008<br />

organisés hors de la sphère occidentale, à l’intérieur<br />

de laquelle ils sont nés et ont grandi. Tel fut le cas<br />

à Moscou, mais aussi à Mexico, en 1968, et à Séoul,<br />

en 1988. En revanche, ils ne provoquèrent que des<br />

polémiques assourdies à Berlin, en 1936, et à Los<br />

Angeles, en 1984, en dépit de graves entorses<br />

politiques et commerciales à l’esprit olympique.<br />

C’est faire preuve de myopie historique que<br />

de s’en prendre à un pays organisateur ravagé par<br />

le colonialisme au XIX e siècle, l’invasion japonaise<br />

en 1931 et un sous-développement endémique<br />

minant son immense population jusqu’à nos jours.<br />

En matière d’abomination, difficile de faire mieux<br />

que le nazisme dans l’Europe policée voici à peine<br />

plus d’un demi-siècle. S’agissant de la peine de mort,<br />

la France fut le dernier pays de la Communauté<br />

européenne à l’abolir en 1981, c’est-à-dire hier<br />

à l’échelle de l’Histoire. Et que sont devenus les droits<br />

de l’homme à Guantanamo pour le pays qui en est<br />

le champion, les Etats-Unis ?<br />

À la lumière des expériences stériles de 1976, 1980,<br />

1984 et 1988, on s’accorde généralement à penser<br />

que le boycottage des Jeux par les athlètes n’est pas<br />

une bonne chose. Malgré tous leurs défauts, les grands<br />

rendez-vous quadriennaux de l’olympisme sont<br />

un des rares moments de bonheur de l’humanité<br />

souffrante et contribuent modestement à la précaire<br />

stabilité mondiale. Pour les préparer, les meilleurs<br />

sportifs, soumis à de terribles tensions, ont besoin<br />

d’un climat serein. Pour y être présents, ils consentent<br />

d’énormes sacrifices pendant une grande partie de<br />

leur jeunesse. Les en priver au dernier moment est<br />

une punition inique.<br />

Que les personnalités politiques ou autres fassent<br />

ce que bon leur semble. Mais leur présence n’a rien<br />

d’indispensable et le déplacement du débat autour<br />

de cette question est sans fondement. La seule<br />

présence requise par la charte olympique est celle<br />

du chef d’État du pays organisateur. Et les seules<br />

paroles qu’il est autorisé à prononcer se limitent<br />

à ceci: «Je déclare ouverts les jeux de la… Olympiade.»<br />

Pékin était-il un mauvais choix ? Eut-il été souhaitable<br />

d’accorder les Jeux à une autre ville ? Certainement pas,<br />

si l’on tient compte de l’enthousiasme d’une masse<br />

gigantesque de jeunes Chinois avides de contacts<br />

avec le reste du monde. « Dans ce monde imparfait,<br />

si la participation au sport doit être entravée chaque fois<br />

que les politiciens violent les lois de l’humanité, il y aura<br />

bien peu de compétitions internationales », affirmait<br />

l’Américain Avery Brundage, qui fut président<br />

du CIO de 1952 à 1972.<br />

(1) Raymond Pointu est un ancien journaliste de l'AFP,<br />

responsable de l'olympisme et de l'athlétisme.<br />

Il est l'auteur entre autres de Marathons olympiques,<br />

Dieux et démons du stade, Paris Olympique.<br />

(2) Le Livre de Poche, 2007.


MAI 68<br />

Une convention collective<br />

ratifiée entre deux défilés<br />

En avril 1968, de laborieuses discussions se poursuivaient depuis<br />

des mois avec les patrons pour la rédaction d’une nouvelle convention<br />

collective. Gino Tognolli (de notre toute nouvelle section de l’Est<br />

républicain) venait de Nancy chaque semaine pour y participer.<br />

Protestant contre les lenteurs des négociations imposées par les<br />

représentants patronaux, il se souvient encore de la réponse provocatrice<br />

de Bavastro, PDG de Nice-Matin et président des débats : «L’artichaut<br />

se mange feuille par feuille.»<br />

Gérard Gatinot<br />

D.R.<br />

Dans notre précédent<br />

numéro, Marcel Trillat<br />

a relaté comment cette<br />

période mouvementée<br />

avait été assumée par<br />

les journalistes de<br />

l’ORTF et de la Radio.<br />

Il importait que leurs<br />

confrères de la presse<br />

écrite leur apportent<br />

leur soutien en ne les<br />

laissant pas seuls face<br />

au pouvoir. Après bien<br />

des tergiversations avec<br />

les autres syndicats,<br />

l’« opération Jéricho »,<br />

qui consistait à<br />

manifester autour des<br />

murs de la Maison de la<br />

Radio, fut tout de même<br />

décidée. Le vendredi<br />

5 juin, plus de 1500<br />

journalistes défilèrent<br />

pour « la liberté de<br />

l’information et<br />

l’autonomie de l’ORTF »<br />

(notre photo).<br />

▲<br />

TÉMOINS<br />

N° 34 / JUILLET 2008 23


MAI 68<br />

Le mois suivant, ce sont bien lui et ses semblables<br />

qui ont craint d’avaler les foins<br />

tapissant le fond de cette plante potagère<br />

plutôt que ses feuilles ! La montée du<br />

mouvement revendicatif aidant, «l’artichaut»<br />

fut rapidement cuit et la date du lundi 13 mai à<br />

16heures nous fut précipitamment proposée<br />

pour la signature du nouveau texte. Cette fois,<br />

ce fut notre tour d’en demander le report pour<br />

cause de grève nationale de 24 heures et de<br />

manifestation de la République à Denfert-<br />

Rochereau.<br />

Le samedi précédent, les membres du comité<br />

national présents à Paris avaient adopté un texte<br />

prolongeant l’appel du bureau confédéral de la<br />

CGT : «Face à la répression policière déchaînée sur<br />

le quartier Latin, le bureau national des journalistes<br />

CGT exprime sa solidarité aux étudiants en lutte,<br />

inséparable de celles de toutes les catégories de la population<br />

victimes de la politique du pouvoir. »<br />

Condamnant les premières agressions contre<br />

des journalistes, notre syndicat «appelle ses<br />

adhérents et tous les journalistes à participer<br />

à la grève générale de 24 heures du lundi 13<br />

mai et aux manifestations populaires.»<br />

Le 13 mai, place de la République, des<br />

dizaines de journalistes se retrouvent<br />

derrière la banderole du SNJ-CGT.<br />

Certains se sont groupés avec les travailleurs<br />

de leurs imprimeries (comme à<br />

l’Aurore, à France-Soir, etc.), d’autres derrière<br />

le titre de leur journal (la Vie<br />

ouvrière, l’Humanité, les Lettres françaises).<br />

S’y ajoutent ceux que nous rencontrerons<br />

sur le passage du cortège (le nouvel<br />

Observateur, radios périphériques). C’est<br />

avec un vif plaisir que nous verrons venir<br />

à nos côtés, avec leurs banderoles, nos<br />

confrères des sections CFDT de l’Express (qui,<br />

peu après, rejoindront majoritairement la<br />

CGT) et de la Croix.<br />

Dès le 3 mai, alors que le mouvement étudiant<br />

prenait de l’ampleur, les journalistes membres<br />

du SNJ-CGT, quel que soit le titre qui les<br />

employait, ne lui dissimulaient pas leur soutien.<br />

Passager de la moto émettrice de RTL,<br />

Patrick Pesnot (membre du comité national),<br />

relayé à la station par Philippe Alfonsi, sillonnait<br />

le quartier Latin. Il rendait si bien compte,<br />

heure par heure, des manifestations d’étudiants<br />

comme des concentrations des forces<br />

de police qu’il fut soupçonné par celles-ci d’informer<br />

ceux-là de leurs déplacements !<br />

Mardi 14 mai, aucun quotidien ne paraît. Les<br />

journalistes de France-Inter prennent en main<br />

pour plusieurs semaines le «journal parlé» sous<br />

la direction d’un comité des cinq, élu.<br />

24<br />

Faire grève en continuant<br />

d’informer<br />

Dimanche 19 mai, la grève commence à<br />

l’ORTF. Seuls les journalistes continuent de<br />

travailler, avec l’accord de l’intersyndicale. Le<br />

lendemain, c’est au tour des travailleurs du<br />

Livre CGT de rejoindre le mouvement. Ils<br />

décident toutefois de «continuer à assurer l’information»<br />

dans les quotidiens, à l’exclusion<br />

des autres publications, et nous appelons nos<br />

confrères à s’y associer. Nous voilà donc pris<br />

dans cette contradiction : faire la grève, mais<br />

mieux servir le mouvement en continuant d’informer!<br />

Les «papiers» terminés, nombreux<br />

sont ceux qui effectuent plus d’une double journée<br />

en se rendant à notre permanence, 10, rue<br />

des Pyramides, où Maurice Vidal, directeur des<br />

Éditions Miroir, devenues sans troupes ni titres,<br />

nous avait offert l’hospitalité. Pour beaucoup,<br />

cette période fut une première et fructueuse<br />

expérience de l’action syndicale. Et l’osmose fut<br />

parfaitement réussie entre ces forces nouvelles<br />

et l’expérience de ceux qui, depuis des années,<br />

avaient maintenu le SNJ-CGT après la<br />

scission: Jean-Maurice Hermann, Jean Bedel,<br />

Serge Nat, Charles Rivet, Jean-François Dominique.<br />

Il y avait peu de temps que j’avais été élu<br />

secrétaire général en remplacement de Jean-<br />

Maurice Hermann, qui venait de prendre sa<br />

retraite mais demeurait à nos côtés. En dix<br />

jours, cinquante-deux journalistes nous avaient<br />

rejoints et un «comité parisien» était constitué.<br />

Une section avait été créée au Centre de<br />

formation des journalistes, avec Gilles de Stael,<br />

Hervé Chabalier, Bernard Guetta.<br />

Nos camarades Francis Le Goulven et François<br />

Thébault étaient partis occuper… le siège<br />

de la Fédération de football, alors que Philippe<br />

Dominique gardait, avec d’autres, celui de<br />

l’OCORA.<br />

TÉMOINS<br />

N° 34 / JUILLET 2008<br />

Floriana et notre section des Éditions Filipacchi<br />

s’occupaient des soins aux blessés et<br />

de la recherche de ceux qui avaient disparu<br />

après les rafles policières. Une délégation,<br />

avec Raymond Pradines, avait investi le siège<br />

de la Fédération de la presse pour exiger la<br />

remise des bons nécessaires à l’obtention de<br />

l’essence rationnée…<br />

Signer n’est pas renoncer<br />

Mercredi 22 mai, la nouvelle convention collective<br />

est signée. Considérant qu’elle marque<br />

un progrès encore insuffisant, nos représentants<br />

déposent aussitôt les revendications suivantes :<br />

– salaire minimum national à 130% du plafond<br />

de la Sécurité sociale ;<br />

– barème unique pour toutes les formes de<br />

presse ;<br />

– semaine en cinq jours avant la fin de l’année;<br />

– retraite à 60 ans à taux plein ;<br />

– affiliation des pigistes aux «cadres» et<br />

statut des dessinateurs de presse ;<br />

– création d’une commission nationale<br />

paritaire pour l’emploi ;<br />

– paiement des jours de grève ;<br />

– reconnaissance de la section syndicale<br />

d’entreprise ;<br />

– reconnaissance du droit moral du journaliste<br />

dans l’entreprise.<br />

Longtemps, les patrons ont invoqué<br />

leurs difficultés à se réunir pour<br />

répondre à nos demandes d’entrevues<br />

comme à nos revendications. Cette fois,<br />

malgré la grève des transports, ils n’ont<br />

pas mis trois jours pour proposer de<br />

nous rencontrer. Mercredi 29 mai, alors que<br />

la CGT a organisé un défilé de la Bastille à<br />

Saint-Lazare, une réunion patrons-syndicats<br />

se tient au siège du SNPQR, place de l’Opéra,<br />

sous la présidence de M. Pierre-René Wolf,<br />

patron de Paris-Normandie. Des commissions<br />

paritaires sont créées pour l’emploi, la<br />

retraite, les pigistes. Un autre rendez-vous est<br />

pris pour le vendredi suivant.<br />

Mais, entre-temps, de Gaulle est revenu de<br />

Baden-Baden. Les patrons ont retrouvé de leur<br />

assurance. Toutefois, ils seront bien obligés<br />

d’appliquer ce qui fut signé à Grenelle. Pour<br />

le reste, jamais un mot d’ordre ne sera plus justifié:<br />

«Ce n’est qu’un début, continuons le combat.»<br />

Il faudra six années et les rapports de deux<br />

députés également membres du SNJ-CGT,<br />

Georges Fillioud et Jack Ralite, pour que les<br />

droits des pigistes soient enfin reconnus. ■<br />

Jean Effel


Information<br />

Les héritages<br />

de Mai 68<br />

Dans la revue Études, le philosophe Michel de Certeau écrit:<br />

«On a pris la parole en 1968 comme on a pris la Bastille en 1789.»<br />

La formule traduit assez bien le bouillonnement de cette période où,<br />

dans les universités tout d’abord, sur les murs et dans les usines ensuite,<br />

éclorent des milliers de slogans, d’images, d’affiches, d’initiatives, de rêves,<br />

d’utopies lancées comme autant de pavés à la face d’une société<br />

enfermée dans ses carcans.<br />

Alain Goguey<br />

Cette « insurrection des mots », pour<br />

reprendre l’expression de Charlotte et<br />

Patrick Rotman, donnera lieu avec un<br />

effet retard de plusieurs années à de<br />

vrais changements dans l’information et dans<br />

son rapport aux citoyens. Mais sur ce plan aussi,<br />

Mai 68 n’a pas apporté tous les changements<br />

que l’on aurait pu souhaiter.<br />

De « radio barricades »<br />

aux radios libres<br />

Il y a tout d’abord eu l’explosion de la radio et<br />

du journalisme de reportage. Dans une société<br />

où le pouvoir considérait l’audiovisuel public<br />

comme devant être la voix de la France, ce sont<br />

les radios dites périphériques, Europe1 et RTL,<br />

qui vont très vite jouer un rôle majeur, celui de<br />

témoins acteurs des événements parisiens.<br />

Pourquoi périphériques ? Parce que, pour<br />

contourner le monopole d’État sur la radiodiffusion,<br />

incarné par l’ORTF, ces deux radios<br />

émettaient en grandes ondes, depuis la Sarre<br />

pour la première, depuis le Luxembourg pour<br />

la seconde.<br />

C’est l’oreille vissée aux transistors, dont la diffusion<br />

connaît un véritable boum, que les Français<br />

apprennent, par la médiation de ces deux<br />

reporters, heure par heure, ce qui se passe sur<br />

les barricades parisiennes. Les heurts avec les<br />

CRS nourriront très vite leurs sentiments de<br />

sympathie à l’égard des étudiants en grève.<br />

Europe1 y gagnera un éphémère surnom de<br />

« radio barricades », et Jean-Pierre Farkas, le<br />

directeur de l’information de RTL à l’époque,<br />

reconnaîtra plus tard que sa radio était un peu<br />

« radio émeutes ».<br />

La sympathie des auditeurs est telle que,<br />

lorsque le pouvoir décide de reprendre les fréquences<br />

des voitures radio-émettrices, les riverains<br />

des événements parisiens mettent leur<br />

téléphone à disposition des reporters pour qu’ils<br />

puissent communiquer avec leurs stations qui<br />

tendent leurs micros aux jeunes acteurs de ces<br />

chaudes nuits parisiennes. Une pratique interactive,<br />

comme on dit aujourd’hui, est née, celle<br />

d’une radio à l’écoute des auditeurs.<br />

Pompidou en gardera grief, lui qui dénonçait à<br />

la tribune de l’Assemblée nationale le rôle difficilement<br />

évitable mais néfaste de ces radios<br />

qui, « sous prétexte d’informer, enflammaient<br />

quand elles ne provoquaient pas ». Quatre ans plus<br />

tard, Pompidou expliquera devant un parterre<br />

de journalistes que ceux-ci ne disaient jamais la<br />

vérité, sans que les confrères réagissent le moins<br />

du monde. Par la suite, ses successeurs reprendront<br />

le même refrain avec le même succès, la<br />

même passivité d’une profession sans doute<br />

traumatisée collectivement par ce qui s’était<br />

passé au cours de l’été 1968.<br />

▲<br />

TÉMOINS<br />

N° 34 / JUILLET 2008 25


MAI 68<br />

Dans le précédent numéro de Témoins, Marcel<br />

Trillat a largement évoqué la grève<br />

enthousiaste des salariés de l’ORTF. Nous n’y<br />

reviendrons donc pas ici. Quelques semaines<br />

plus tard, en juin et juillet, ce sont les salariés<br />

de l’ORTF, et notamment les journalistes, qui<br />

serviront symboliquement de boucs émissaires<br />

à un pouvoir revanchard qui licenciera ceux<br />

qui auront été les plus en vue lors de ce mouvement<br />

de grève et d’insubordination intolérable<br />

aux yeux du pouvoir gaulliste. Partisan<br />

de la manière forte, de Gaulle n’avait pas été<br />

suivi, au plus fort des événements, ni par Pompidou,<br />

Premier ministre, ni par Maurice Grimaud,<br />

préfet de police de Paris à l’époque. Le<br />

Général était rancunier, il se montrera<br />

inflexible avec ceux qui avaient incarné, d’une<br />

certaine façon, sa perte de pouvoir sur la<br />

France et les Français.<br />

De l’impact des photos à la<br />

toute puissance des images<br />

Pour la télévision d’Etat, l’événement n’existe<br />

pas. Avant d’être à la grève, l’heure est d’abord<br />

à la censure. Dans ce contexte, à leur façon, les<br />

photojournalistes font, à cette époque, un travail<br />

largement comparable à celui des reporters<br />

radio. Ils sont au cœur de l’événement et leurs<br />

photos en disent parfois beaucoup plus qu’un<br />

long article.<br />

Le préfet de police Grimaud dira plus tard, en<br />

parlant de la fameuse photo de Gilles Caron<br />

représentant Daniel Cohn-Bendit dont le sourire<br />

et l’œil moqueur semblent défier un garde<br />

mobile figé dans son uniforme et sous son<br />

casque: « Cette photo l’a fait entrer dans l’histoire. »<br />

Cette photo vaut six thèses universitaires sur<br />

Mai 68. Elle dit ce que fut l’essence même du<br />

mouvement: la jeunesse de ses acteurs et leur<br />

soif de dialogue.<br />

À Paris, comme à Prague ou au Vietnam, les<br />

photojournalistes ont joué un rôle essentiel<br />

dans la médiatisation des événements, comme<br />

l’avait fait avant eux Robert Capa pendant la<br />

guerre d’Espagne ou lors du débarquement de<br />

juin 1944. Figure emblématique de cette profession,<br />

Gilles Caron trouvera la mort deux<br />

ans plus tard au Cambodge. Leurs photos<br />

prises à chaud constituent les seules images<br />

d’un événement que la télévision d’État ignore<br />

superbement.<br />

Parce qu’ils sont au cœur des événements, qu’ils<br />

en sont les témoins privilégiés, parce qu’ils sont<br />

les seuls à en rendre compte, les photojournalistes<br />

seront également des acteurs à part entière<br />

de ce mouvement.<br />

Comme les informations diffusées par les<br />

radios ont parfois suscité des phénomènes<br />

de mobilisation spontanée (une sorte de<br />

préfiguration du rôle joué par le téléphone<br />

portable ou l’Internet dans certains conflits),<br />

les images des photojournalistes prises à<br />

l’occasion des manifestations du quartier<br />

Latin seront reprises par les acteurs du<br />

mouvement, qui s’en serviront parfois lors<br />

de leurs manifestations.<br />

L’impact et la légende de Mai 68 devront<br />

beaucoup à la puissance des images de ces<br />

photojournalistes, dont le travail annonce<br />

l’économie moderne de la communication<br />

des années à venir, une économie dans<br />

laquelle l’image et la télévision notamment<br />

joueront désormais un rôle central. Au point<br />

qu’une information sans image peut très<br />

bien sortir du champ des feux de la rampe<br />

médiatiques.<br />

Cet avènement des photojournalistes n’a rien<br />

de fortuit. Les graines de cette vitalité photographique<br />

avaient déjà été semées bien avant<br />

le mois de mai 1968. L’agence Gamma avait<br />

été fondée un an auparavant par Gilles Caron,<br />

Raymond Depardon, Jean Lattès et Henri<br />

Bureau, pour n’en citer que quelques-uns, sur<br />

le modèle de l’agence Magnum que Henri<br />

Cartier-Bresson et Robert Capa avaient créée<br />

en 1947, aux lendemains de la guerre.<br />

L’agence Sipa, elle, verra le jour un an plus<br />

tard, Sygma, elle, sera créée en 1973.<br />

L’émergence d’une autre<br />

presse<br />

Des journaux au-dehors, mais en dehors des<br />

radios reporters et des photojournalistes et du<br />

cas, atypique, des journalistes de l’ORTF, auxquels<br />

les événements de mai vont donner envie<br />

de bénéficier, de jouir d’une liberté qui leur était<br />

refusée jusqu’alors, la presse écrite, elle, aura<br />

bien du mal à suivre. D’abord parce qu’elle n’est<br />

pas armée pour faire face à un événement qui<br />

est à la fois massif et spontané et où l’actualité<br />

évolue parfois d’heure en heure. Ensuite parce<br />

que les transports ne fonctionnent plus ou mal.<br />

Le pays est bientôt littéralement paralysé, les<br />

publicités disparaissent des <strong>pages</strong> des journaux<br />

qu’il est parfois difficile d’imprimer car nombre<br />

d’imprimeries sont en grève.<br />

Cela n’empêche évidemment pas les journalistes<br />

de presse écrite de faire leur travail et de<br />

vivre intensément l’événement. Journaliste au<br />

service social de France Soir, Paul Parisot, qui<br />

nous a quittés il y a quelques mois, se souvenait<br />

par exemple d’une période enthousiasmante où<br />

l’on dormait peu parce que l’on cherchait à être<br />

le plus possible sur le terrain, pour rendre<br />

compte des événements. « Le service social était<br />

devenu le service autour duquel le journal tout entier<br />

était obligé de graviter. »<br />

Mais, par-delà les événements eux-mêmes (mai<br />

et juin 1968 auront été le plus grand conflit<br />

social que la France ait jamais connu, plus<br />

important encore en terme de nombre de grévistes<br />

que celui de mai 1936) et leurs enjeux<br />

politiques et sociaux, c’est au cœur du mouvement<br />

ou plus exactement des mouvements<br />

qu’émergera, dans le champ du débat public,<br />

tout une série de nouveaux venus qui envahiront<br />

l’espace médiatique. Certes, les acteurs du<br />

mouvement ont besoin des radios pour informer<br />

heure par heure et des photojournalistes<br />

pour donner à voir ces événements. Mais ce qui<br />

se passe est trop important pour qu’ils s’en<br />

remettent aux seuls journalistes pour en rendre<br />

compte, convaincus qu’ils sont que, aussi sympathiques<br />

soient-ils, les journalistes sont<br />

d’abord et avant tout au service des stratégies<br />

médiatiques qui se soucient en général assez<br />

peu du fait que les acteurs des mouvements<br />

sociaux puissent investir l’espace public et intervenir<br />

dans le débat public.<br />

Et c’est partout qu’ils prennent la parole, ces<br />

acteurs de mai-juin 1968, sur les campus<br />

comme dans les usines, aux Beaux-Arts comme<br />

au Festival de Cannes, dans les théâtres comme<br />

26<br />

TÉMOINS<br />

N° 34 / JUILLET 2008


dans la rue. Il y a tout d’abord ces affiches de<br />

mai qui, réalisées de mi-mai à fin juin, avec peu<br />

de moyens et beaucoup d’imagination, par les<br />

étudiants de l’atelier populaire des Beaux-Arts<br />

et grâce à la technique nouvelle et artisanale de<br />

la sérigraphie, vont passer à la postérité. Le dessin<br />

y est stylisé. Pas question ici de discours politique<br />

langue de bois car le texte y est rare et percutant,<br />

lourd de sens.<br />

Avec les graffiti anonymes et sobres (par opposition<br />

aux tags qui aujourd’hui envahissent<br />

les murs dans une sorte d’exhibitionnisme<br />

artistique), on est aux franges d’une sorte<br />

de poésie pure. Une poésie dont les mille<br />

fleurs (« sous les pavés, la plage », « soyons réalistes,<br />

demandons l’impossible », « l’imagination<br />

au pouvoir ») continuent à habiter<br />

notre imaginaire collectif et militant.<br />

En marge de ces radios périphériques et<br />

de cette radio d’État que les affiches de<br />

mai critiquent allègrement (« on vous<br />

intoxique », « mouton, radio, télévision »),<br />

commencent à émerger des radios<br />

pirates, souvent éphémères, comme<br />

Radio Sorbonne que les étudiants de mai tentent<br />

de détourner à leur profit. Mais le mouvement<br />

est lancé, qui se traduira par l’apparition<br />

de quantité de radios pirates dont certaines<br />

seront légalisées en 1981 lorsque le pouvoir<br />

socialiste décidera de libérer les ondes. Créée<br />

en 1969, Radio Campus à Lille, qui est la plus<br />

ancienne des radios associatives et qui existe<br />

toujours, est le trait d’union emblématique de<br />

cette histoire qui débouchera sur un bouleversement<br />

complet du paysage audiovisuel.<br />

Quelques itinéraires<br />

médiatiques de révoltés<br />

Mais cette conquête du pouvoir de la parole,<br />

c’est également au travers de la presse de mai,<br />

une presse particulièrement abondante et foisonnante,<br />

qu’elle se manifestera. Des dizaines<br />

de bulletins naissent, qui vont d’une simple<br />

feuille ronéotée recto verso au canard qui n’a<br />

pas à rougir de la comparaison avec un vrai<br />

journal fait par des vrais professionnels de l’information.<br />

Certains titres ne franchiront pas le<br />

cap de l’année 1968, d’autres feront la jonction<br />

avec les années soixante-dix. L’un d’entre eux,<br />

qui existe toujours, traversera toute cette<br />

période qui va de la guerre d’Algérie à nos jours.<br />

Né en 1960, Hara Kiri prendra, après Mai 68,<br />

un contenu plus politique. Pendant les événements<br />

de mai, on retrouvera les dessinateurs de<br />

Hara Kiri aussi bien à Action qu’à l’Enragé. Les<br />

dessinateurs de Hara Kiri renouvelleront le<br />

genre du dessin de presse politique. Mai 1968<br />

les avait mis en appétit et le mensuel deviendra<br />

hebdomadaire quelques mois en 1970 avant<br />

d’être interdit, victime de la censure, et de reparaître<br />

aussitôt sous le nom de Charlie Hebdo.<br />

Parce qu’il n’est lié à aucun mouvement politique<br />

et qu’il est soutenu par l’UNEF, le SNE-<br />

SUP, les comités d’action lycéens et le Comité<br />

du 22 mars, Action sera la figure emblématique<br />

de cette presse éphémère. Vendu à la criée, il<br />

deviendra même quotidien courant juin, avant<br />

de continuer sous la forme d’un hebdomadaire<br />

qui disparaîtra à la fin de l’année 1969.<br />

C’est en 1973 que les Cahiers de mai disparaîtront,<br />

au moment où éclate l’affaire Lip. La<br />

période est riche de ces militants que l’action<br />

transforme bientôt en journalistes professionnels<br />

et qui apporteront leur savoir aux<br />

rédacteurs de Lip Unité ou qui intégreront le<br />

journal Libération.<br />

Publiée de 1968 à 1970, la Cause du peuple avait<br />

fini par être interdite et par disparaître. Le goût<br />

de l’aventure journalistique avait laissé de nombreux<br />

militants maoïstes sur leur faim. C’est le<br />

tabassage d’un journaliste du Nouvel Observateur<br />

par des policiers qui sera à l’origine d’une<br />

réaction de la profession, qui finira par déboucher,<br />

courant 1971, sur l’APL, l’Agence de<br />

presse Libération, qui ambitionne de donner la<br />

parole au peuple. Deux ans plus tard, en<br />

mai 1973, Sartre et Clavel lanceront Libération,<br />

le quotidien qui renouvellera le journalisme de<br />

reportage avant de devenir le journal branché<br />

des années Mitterrand et de tomber dans l’escarcelle<br />

du baron de Rothschild.<br />

Enfin, après 1968, les révoltés de mai essaimeront<br />

sur de nombreux fronts. À côté des journaux<br />

d’organisation (Rouge ou Tribune socialiste<br />

qui n’a pas survécu à la disparition du PSU), Politique<br />

hebdo, né en 1970 et disparu en 1978,<br />

incarne une presse engagée politiquement sans<br />

être pour autant partisane. Sa création est en<br />

partie le fait de dissidents du Nouvel Observateur.<br />

Quant à Actuel, né de la transformation d’un<br />

journal de jazz, il incarnera la culture underground<br />

jusqu’en 1975. Disparu une première<br />

fois, il renaîtra en 1979 pour accompagner les<br />

années Mitterrand et disparaître à nouveau.<br />

C’est après 1968 que va aussi fleurir tout une<br />

presse de la contestation, engagée dans des<br />

luttes spécifiques, sur des fronts divers, ceux<br />

de la médecine ou de l’éducation, des<br />

sciences ou de la sexualité, du féminisme<br />

ou de l’antimilitarisme, de la<br />

contre-information locale ou des cultures<br />

régionales sans oublier bien sûr<br />

l’écologie politique, dont la Gueule<br />

ouverte puis le Sauvage accompagnent<br />

l’émergence.<br />

Qu’en reste-t-il aujourd’hui? Cet irrésistible<br />

besoin de prendre la parole,<br />

pour le meilleur comme pour le pire,<br />

que l’on retrouve dans ces blogs et ces<br />

sites collaboratifs que la révolution<br />

Internet a rendu possibles. Avec sans<br />

doute de vraies différences du point de vue<br />

des projets et des motivations.<br />

Et, par une curieuse ironie de l’histoire, c’est<br />

dans la critique des médias que l’on retrouve<br />

le plus la presse engagée aujourd’hui.<br />

Comme si, quarante ans après, un conformisme<br />

médiatique d’un nouveau genre suscitait<br />

à nouveau ce besoin d’une information<br />

libérée, que les révoltés de mai allaient exprimer<br />

avec leur imagination fertile. Et si le<br />

temps était venu de redire « Chiche ! » ■<br />

P.S. Sans doute la débauche d’articles, de<br />

revues, d’ouvrages consacrés à Mai 68 a-t-elle<br />

à voir avec la volonté affirmée par Nicolas Sarkozy<br />

pendant la campagne électorale présidentielle<br />

de l’an dernier de liquider Mai 68.<br />

■ Références bibliographiques<br />

– La France des années 1968, sous la<br />

direction d’Antoine Artous, Didier Epsztein et<br />

Patrick Silberstein, éditions Syllepse.<br />

– Dictionnaire de Mai 68, sous la direction de<br />

Jacques Capdevielle et Henri Rey, Larousse.<br />

– 68 Une histoire collective (1962-1981),<br />

sous la direction de Philippe Artières et<br />

Michelle Zancarini-Fournel, La Découverte.<br />

– Les Années 68, Charlotte et Patrick Rotman,<br />

Le Seuil.<br />

– Mai 68, l’héritage impossible, Jean-Pierre<br />

Le Goff, La Découverte.<br />

Photos : Bernard Perrine<br />

TÉMOINS<br />

N° 34 / JUILLET 2008 27


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