Philippe Boisseau, Introduction à la pédagogie du langage Chapitre ...

Philippe Boisseau, Introduction à la pédagogie du langage
Maternelle version abrégée C.R.D.P. Haute Normandie
Notes de lecture
Chapitre 2 Construction du langage de l’enfant p. 27- 44
Le bond spectaculaire des productions langagières des enfants entre la MS et le CM
Les productions langagières des enfants connaissent un bond spectaculaire entre la MS et le
CM : d’un ou deux mots à une production autonome étoffée et longue.
Ce bond s’explique par la construction progressive de la syntaxe.
La construction du langage oral est une longue conquête ; elle se fera d’autant mieux
que les enseignants accompagneront ce développement en ayant des attentes adaptées
au niveau de compétences des enfants.
A l’école, l’hyperconcentration des phrases est encore d’actualité ; les enseignants, croyant
bien faire, « corrigent » les élèves. Or, cette hyperconcentration des phrases ne les aide pas à
progresser !
Un exemple de correction effectuée par les maîtres :
« ne pas dire : Le renard, il ne rentre pas dans la maison.
mais : Le renard ne rentre pas dans la maison. » p. 28
l’échec scolaire et la construction de la syntaxe
La difficulté que rencontre l’enfant à construire la syntaxe explique pour une part l’échec
scolaire.
« Dans une section de grands de la ZEP de Bezons, au sud du Val d’Oise, dans la proche banlieue de Paris, une même situation
conduit telle fillette à dire :
Moi, j’veux que quand on va aller chez les correspondants, j’vais pouvoir faire du vélo
parce qu’è me dit sur la bande qu’è va m’prêter le sien, ma correspondante.
tandis qu’un autre enfant, Azim, tente d’exprimer le même message en disant :
Moi i faire du vélo.
I dire ça.
Sans pousser très loin l’analyse, on perçoit d’emblée un écart considérable entre ces deux enfants de 5 ans dont l’un,
d’origine étrangère, vit cependant depuis longtemps en France, mais dans des conditions sociales déplorables. Ainsi ces deux
élèves de la même section de grands qui commencent à apprendre à lire ne vont certainement pas aborder cet apprentissage
de la même façon, ni avec les mêmes chances de réussite. » (ibidem)
Trois domaines essentiels de la syntaxe :
les pronoms personnels, les temps et les complexités
« ~ les pronoms-sujets qui permettent d’ancrer dans le message les personnes qu’il concerne :
Moi, j’veux que quand on va aller chez les correspondants, j’vais pouvoir faire du vélo
parce qu’è me dit sur la bande qu’è va m’prêter le sien, ma correspondante.
Azim ne dispose que d’un pronom-sujet unique :i, (…)
~ les temps des verbes qui permettent d’ancrer, de situer, le message dans le temps :
Moi, j’veux que quand on va aller chez les correspondants, j’vais pouvoir faire du vélo
parce qu’è me dit sur la bande qu’è va m’prêter le sien, ma correspondante.
Moi i faire du vélo.I dire ça.
Paulette Cruciani 1

Azim ne sait que poser le nom du verbe : faire, dire, sous forme d’infinitif (…) tandis que la fillette possède déjà le présent
(…), certainement donc au moins le système à 3 temps : présent / passé composé / futur aller, sur lequel tous les enfants
s’installent plus ou moins longtemps (…).
~ les complexités qui enchâssent les phrases simples les unes dans les autres pour en faire des phrases complexes susceptibles
de bien rendre compte de relations temporelles (simultanéité, succession…), de causailité, de finalité…
Moi, j’veux que quand on va aller chez les correspondants, j’vais pouvoir faire du vélo
parce qu’è me dit sur la bande qu’è va m’prêter le sien, ma correspondante.
Moi i faire du vélo.I dire ça. » p. 28-29
Les résultats de plusieurs enquêtes
dont les enquêtes réalisées à Saint-Ouen-l’Aumône (Val d’Oise) et dans la zone industrielle
au sud de Rouen
les types de phrases enfantines
¤ Présentatif + GN :
(les formes élémentaires) « Le premier type se réduit essentiellement à un groupe nominal introduit par un
présentatif comme y’a ou c’est :
Y’a un bonhomme.
C’est le bonhomme.
Ce premier type représente 15% des formes enfantines avec cependant une proportion plus élevée en section de moyens : 20
à 25% qui chute dès la section de grands. » p. 31
¤ Pronom-sujet + groupe verbal :
« I répare ta voiture.
Elle a un vélo.
Je répare ta voiture.
Ce deuxième type représente 60% des formes enfantines avec une stabilité étonnante de la section de moyens au cours
moyen. » (ibidem)
¤ le détachement :
(le détachement) « Il se caractérise par un redoublement du sujet une fois sous forme d’un pronom comme dans le type
précédent, une fois sous la forme d’un groupe nominal qui en quelque sorte barde le pronom-sujet :
Le bonhomme, i répare ta voiture.
et peut aisément basculer à l’arrière de la phrase :
I répare ta voiture, le bonhomme.
(…)
A noter que ces trois premiers types représentent au total près de 95% des formes enfantines révélées par cette enquête. » p.
31-32
« Deux autres types structurellement très proches correspondent à 3 ou 4% des phrases des enfants. Le premier qu’on peut
appeler présentation est le plus abondant :
Y’a un bonhomme qui répare ta voiture.
L’autre qu’on peut appeler extraction est très marginal :
C’est le bonhomme qui répare ta voiture.
Le dernier type de formes orales enfantines correspond à moins de 2% de leurs phrases. On est étonné puisqu’il s’agit de
la déclarative simple, la phrase canonique de nos grammaires :
Le bonhomme répare ta voiture.
Paulette Cruciani 2

qui n’est donc peut-être pas si simple que ça pour l’enfant. (…) Visiblement, si la déclarative simple est la phrase de base
de l’écrit adulte, elle n’a que peu de rapport avec la phrase de base de l’oral enfantin qui est beaucoup plus
élémentaire. » p. 32
La phrase noyau de l’oral enfantin
Pn + GV : I répare ta voiture.
« Le « patron » de phrase dans lequel transitent les messages des enfants est donc le plus souvent :
Pn V Dét N
I répare ta voiture.
Elle a un vélo.
Je fais du vélo.
dont la caractéristique principale est de commencer par un pronom. » p. 32
La construction de la syntaxe de l’enfant se réalise à travers la différenciation
des pronoms et des temps des verbes et de la montée de la complexité.
Différenciation des pronoms
Elle commence par la différenciation du i (i/ il – ils ; i/ elle – elles). Les feed-backs et
relances adultes la soutiennent.
« Le roi, il a une couronne.
La reine, èl a une couronne.
Les rois, iz ont des couronnes.
Les reines, èz ont des couronnes. » p. 34
Le i qui a valeur de moi/ toi évolue vers le je.
« Philou taper sur la table.
Moi taper sur la table.
Philou i tape sur la table.
Moi i tape sur la table.
Moi je tape sur la table.
Je tape sur la table. » p. 34
Les pronoms on et nous apparaissent en GS.
Différenciation des temps des verbes - les étapes :
1. infinitif Moi i faire du vélo. I dire ça.
2. émergence du présent Moi taper sur la table. ► Moi i tape sur la table. ► Moi je
tape sur la table.
3. mise en place du système à 3 temps (présent / passé-composé / futur aller) en PS : Je
fais / J’ai fait / J’vais faire
4. émergence de l’imparfait en MS
Le rappel des événements vécus et la restitution d’histoires entendues constituent des
situations qui favorisent l’émergence de l’imparfait.
Paulette Cruciani 3

« Progressivement le système à trois temps se met en place sur l’imparfait (imparfait / plus-que-parfait / futur aller dans
l’imparfait) :
J’étais en train d’escalader.
Juste avant, j’avais touché le foulard bleu.
Après, j’allais toucher le foulard rouge. » p. 36
Le futur simple et le conditionnel apparaissent ensuite :
~ dans les situations où l’imaginaire est requis :
On s’rait des monstres.
~ un espèce de système à trois temps se met en place sur le futur (futur / futur antérieur /
futur) :
J’ferai / J’aurai fait / J’pourrai faire p. 36
« Le plus gros du système des temps du français est ainsi reconstruit par l’enfant par croisements successifs de deux
structurations, l’une plus précoce, plutôt aspectuelle : en train de s’accomplir / accompli / à accomplir, et l’autre
clairement temporelle : présent / passé (imparfait) / futur, les dernières phases de cette reconstruction ne pouvant se faire
sans que soit amorcée la troisième opération importante de la construction de la syntaxe enfantine, c’est-à-dire la montée en
complexité. Les temps un peu sophistiqués se passent en effet difficilement d’un contexte un peu complexe :
Quand on aura fini les murs, on installera le toit qu’on aura encore à recouvrir de feuilles. » p. 36
Complexification
En MS, les phrases enfantines s’ajoutent les unes aux autres ; les pronoms relatifs, les
connecteurs de temps et de cause apparaissent.
« I veut QU’ t’attrapes le chat.
J’ai fermé la porte POUR pas QU’on a froid.
Il est content PARCE QU’i va voir la dame QU i lui donne des bonbons.
QUAND j’vais à la piscine, elle me dit QUE j’nage bien.
J’reconnais la maison OU i s’cache, le bonhomme. » p. 37
Autres exemples à partir :
~ d’un détachement :
Le bonhomme, i s’cache.
►J’reconnais la maison où i s’cache, le bonhomme.
~ d’un présentatif :
C’est la maison où y’a le bonhomme.
La complexité : phénomène majeur de la construction de la syntaxe de l’enfant
« La montée en complexité amorcée en section de moyens se développe en section de grands puis dans le primaire où elle
constitue le phénomène majeur de la construction de la syntaxe de l’enfant. » (ibidem)
La montée en complexité s’avère plus difficile en ZEP.
« L’enquête de Saint-Ouen-l’Aumône démontre que la complexification concerne la ZEP (J.J. Rousseau) comme la zone plus
socialement favorisée (Les Bourseaux). Cependant la montée des formes complexes se fait moins rapidement et moins
nettement en ZEP : 7% en section de moyens, 15% en section de grands, 19% au cours préparatoire… 37% au cours moyen
2… que dans la zone plus favorisée, marquée par ailleurs par une pédagogie favorable à l’oral : 19% dès la section de moyens,
26% en section de grands, 28% au cours préparatoire… 63% au cours moyen 2… Ainsi au cours préparatoire, dans le temps
fort de l’apprentissage de la lecture, les enfants de la ZEP développent une syntaxe dont la complexité de 19% est identique à
celle mise en œuvre dès la section de moyens en milieu plus favorisé. » p. 37-38
Paulette Cruciani 4

La montée en complexité est facilitée par la stimulation culturelle.
« Tous ces résultats démontrent que la montée en complexité concerne tous les milieux sociaux et scolaires mais aussi
malheureusement qu’elle se fait pour des raisons évidentes de stimulation culturelle, plus aisément dans certains milieux
que dans d’autres. Encore une fois, un tel constat ne doit pas inciter à baisser les bras mais au contraire à se mobiliser, à
promouvoir une pédagogie plus volontariste du langage qui parvienne à compenser efficacement de tels écarts. » p. 38
Concentration
L’apparition des déclaratives simples est progressive et elle s’articule à la
complexification et à la concentration.
« A la fin du primaire, alors que la complexification amorcée depuis six ans, depuis la section de moyens, est loin d’être
terminée, s’amorce donc une quatrième opération qui est en fait une concentration. Les formes intermédiaires,
détachements, présentations :
Le bonhomme, i répare ta voiture.
Y’a un bonhomme qui répare ta voiture.
commencent à se débarrasser de leur pronom : i… ou de leur y’a…qui… pour se concentrer en déclaratives simples :
Ø Le bonhomme Ø répare ta voiture.
Cette distillation progressive des formes concentrées s’amplifie dans le secondaire, les déclaratives simples ainsi produites
équilibrent bientôt les formes intermédiaires.
Au total la déclarative simple n’est probablement pas si simple que ça ! C’est une construction en deux temps :
• un temps qui n’est qu’un cas particulier de la complexification qui additionne, souvent en QU, des formes
élémentaires :
Y’a un bonhomme.
C’est le bonhomme.
I répare ta voiture.
en formes intermédiaires :
Le bonhomme, i répare ta voiture.
Y’a un bonhomme QU i répare ta voiture.
C’est le bonhomme QU i répare ta voiture.
• Un temps de concentration qui gomme progressivement les i et les y’a…qui des formes intermédiaires et produit
ainsi la déclarative simple :
Le bonhomme Ø répare ta voiture.
Ø Un bonhomme Ø répare ta voiture. » p. 39-40
Le langage : une conquête, un pouvoir…
« Lorsque les conditions familiales et scolaires sont favorables, la complexification et la concentration se développent totalement
si bien qu’émerge le langage académique à la fois complexe et concentré qui assure à celui qui s’en est doté la tenue aisée des
discours scientifiques, politiques, ceux qui dans notre société pèsent dans bien des situations difficiles, à la clé desquelles se
trouve souvent le pouvoir. » p. 42
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