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Préface et notes d'ANDRÉ BERRY 1930 - Université de Provence

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<strong>Préface</strong> <strong>et</strong> <strong>notes</strong><br />

d’ANDRÉ <strong>BERRY</strong><br />

<strong>1930</strong><br />

PRÉFACE<br />

I<br />

Entre la fin du XIe siècle <strong>et</strong> la fin du XIIIe fleurit dans le Midi <strong>de</strong> la France une poésie lyrique<br />

absolument originale. Elle n'avait pas pris racine parmi les décombres <strong>de</strong> Rome: elle apparaissait dans<br />

l'enfance <strong>de</strong>s peuples nouveaux, dans les premiers jours d'une secon<strong>de</strong> Europe latine; comme un j<strong>et</strong><br />

d'eau fusant hors <strong>de</strong> la terre, elle s'épanouissait soudain en une corolle <strong>de</strong> perles brillantes. Un peuple<br />

barbare, hier encore, s'exprimait en accents mélodieux, <strong>et</strong> ce fut d'emblée tout autre chose qu'une<br />

puérile chanson. Osons dire que c<strong>et</strong>te poésie est née dans un prodige, qu'elle est née d'elle-même, ou<br />

bien comme toutes les premières beautés du mon<strong>de</strong>, quand les astres furent les fruits du chaos.<br />

- J'ai assez <strong>de</strong> maîtres <strong>de</strong> chant autour <strong>de</strong> moi, déclare Jaufre Ru<strong>de</strong>l, assez <strong>de</strong> maîtresses <strong>de</strong> mélodie: ce<br />

sont les prés <strong>et</strong> les vergers, les arbres <strong>et</strong> les fleurs, les oiseaux qui chantent <strong>et</strong> qui crient dans la douce<br />

<strong>et</strong> suave saison.<br />

Il est vrai: on ne doit pas oublier que l'esprit <strong>de</strong>s troubadours ne reçut <strong>de</strong> longtemps aucune empreinte<br />

étrangère, qu'il était vierge encore quand il élabora ses plus belles œuvres. La vieille Muse, soudain<br />

r<strong>et</strong>rempée aux sources <strong>de</strong> Jouvence, oubliait son passé <strong>de</strong> pédante <strong>et</strong> <strong>de</strong> courtisane; elle avait remis sa<br />

can<strong>de</strong>ur <strong>et</strong> son ingénuité <strong>de</strong>s premiers jours.<br />

II<br />

Si l'histoire littéraire ne peut expliquer la venue <strong>de</strong>s troubadours, du moins est-il certain que la France<br />

méridionale du XIIe siècle leur fut un sol propice. Sur les terres ensoleillées <strong>de</strong> l'Aquitaine, du<br />

Languedoc <strong>et</strong> <strong>de</strong> la <strong>Provence</strong>, parmi <strong>de</strong>s peuples qui, à la faveur <strong>de</strong> la paix <strong>et</strong> d'une facile administration,<br />

s'abandonnaient à toute leur joie naturelle, une noblesse fort raffinée avait succédé aux barbares<br />

seigneurs <strong>de</strong>s anciens âges. Les femmes, dans les châteaux, avaient réussi à imposer les règles du bon<br />

ton <strong>et</strong> jouissaient d'une parfaite considération. L'amour, enfant chéri <strong>de</strong> la chevalerie, <strong>de</strong>venait l'obj<strong>et</strong><br />

d'une sorte <strong>de</strong> religion dont les a<strong>de</strong>ptes étaient <strong>de</strong>s soupirants respectueux, prompts à parer <strong>de</strong> charmes<br />

mystiques les caprices <strong>de</strong> leurs sens. Dans c<strong>et</strong>te société heureuse <strong>et</strong> oisive, où la galanterie prenait<br />

place au même rang que la chasse <strong>et</strong> les joutes, la Poésie <strong>et</strong> la Musique purent être désirées avant<br />

qu'elles apparussent côte à côte. Depuis bien <strong>de</strong>s années sans doute, on avait pu entendre monter les<br />

premiers murmures d'une poésie populaire, quand Guillaume <strong>de</strong> Poitiers, vers 1090, composa ses<br />

chansons.<br />

Ce prince-poète se présente à nos yeux, ignorants <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>vanciers, comme le créateur <strong>de</strong> la poésie<br />

d'oc. Née ainsi au sein même <strong>de</strong>s cours, <strong>et</strong> d'abord pratiquée par un si grand personnage, elle ne<br />

pouvait manquer <strong>de</strong> prendre rang parmi les distractions les plus distinguées. Eble II <strong>de</strong> Ventadour,<br />

important seigneur, lui aussi, donna bientôt un non moins noble exemple. Son œuvre n'est point<br />

parvenue jusqu'à nous, mais il n'est pas impru<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> déclarer qu'elle ouvrit la carrière à toute la troupe<br />

amoureuse <strong>de</strong>s troubadours limousins <strong>et</strong> périgourdins. Bernard <strong>de</strong> Ventadour, mo<strong>de</strong>ste serviteur d'Eble<br />

II, fut son glorieux élève. Arnaud <strong>de</strong> Mareuil, Arnaud Daniel, Guiraut <strong>de</strong> Borneil, puis les fières<br />

d'Ussel <strong>et</strong> Gaucelm Faidit suivirent en cinquante ans ce chemin sublime. Bertran <strong>de</strong> Born fit r<strong>et</strong>entir à<br />

Hautefort les cris <strong>de</strong> la guerre.<br />

Au moment même où Eble composait ses chansons en pays limousin, la poésie gasconne, d'origine<br />

plus humble, était inaugurée par le pâle Cercamon, dont le pied puissant <strong>de</strong> Marcabrun recouvrait<br />

bientôt les faibles traces. Sur la rive droite <strong>de</strong> la Giron<strong>de</strong>, Jaufre Ru<strong>de</strong>l chanta son amour pour la Dame<br />

Lointaine. Rigaut <strong>de</strong> Barbezieux, au fond <strong>de</strong> la Saintonge, allait exprimer, avec une élégance déjà<br />

classique, les naïves idées courtoises. Le gascon Guiraut <strong>de</strong> Calanson <strong>de</strong>vait observer d'un œil encore<br />

plus subtil les nuances <strong>de</strong> l'amour.

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