Nouvelles Janvier 2005 - BNP Paribas
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Le diable à genoux<br />
Par El Arbi Khamrich<br />
Cette femme était une utile légende vivante. Son existence<br />
était entourée d'un mystère tel, qu'on ne lui connaissait ni<br />
parents ni amis. Quoique sa maison fut contigüe à la nôtre, je<br />
n'ai jamais pu y pénétrer, alors qu'enfant, j'avais le loisir d'entrer<br />
bien souvent chez nos autres voisins.<br />
Le dos cassé, pliée sur des hanches difformes, elle était toujours<br />
habillée de blanc et lors de ses rares apparitions, se servait<br />
d'une grande canne qui dépassait sa taille et qu'elle tenait par le<br />
milieu en s'aidant de ses deux mains aux doigts crochus. Malgré<br />
son âge avancé, sa chevelure ne comptait pas un seul cheveu blanc.<br />
Par coquetterie, elle en laissait voir les deux nattes bien tressées<br />
qui pendaient de part et d’autre de ses épaules, couraient le long de<br />
son dos et venaient balayer le sol de leurs pointes. Leur volume et<br />
leur brillance alimentaient les commérages des voisines qui déséspéraient<br />
de ne point porter une toison aussi fournie et aussi saine.<br />
Son secret semblait-il, résidait dans la consommation de soufre,<br />
dont elle avalait régulièrement une cuillerée sans aucun préjudice<br />
apparent pour sa santé. Quiconque l'approchait d'un peu plus près<br />
sentait l'odeur particulière de ce minerai jaune et remarquait une<br />
sor- te de fluorescence qui se dégageait de tous les pores de sa peau<br />
luisante.<br />
On la disait centenaire et fidèle à un époux disparu voilà<br />
plus de deux générations. Seules quelques rares connaissances<br />
assuraient avoir connu son mari de son vivant et lorsqu'elles en<br />
parlaient, le décrivaient comme un amateur d'ésotérisme, féru<br />
d'alchimie et un fidèle suppôt de satan.<br />
Le passé de son mari occupait constamment son esprit et<br />
m'obsédait tellement que je résolus d'en connaître le secret.<br />
Aussi trouvai-je un jour le stratagème infaillible pour acculer<br />
la vieille femme et l'obliger à lever le voile sur la vie secrète<br />
de son défunt époux.<br />
Pour arriver à mes fins, je priai ma mère de l'inviter à l'heure du<br />
goûter. Une fois à l'intérieur de la maison, je m'empressai de fermer<br />
discrètement la porte à clé. Mais toutes mes précautions s’avérèrent<br />
inutiles, car à ma grande surprise, les questions que je redoutais de<br />
poser reçurent une réponse franche et spontannée.<br />
“Esotérisme est un bien faible mot, me répondit-elle, en<br />
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