Nouvelles Janvier 2005 - BNP Paribas

Une nuit particulière
Par Bouchra El Idrissi
Un vent arrogant déchirait le silence lourd d'une nuit d'automne
particulièrement maussade. Les branches entremêlées des
arbres se pliaient a cet ordre magistral dans des frottements suspects.
Ahmed avançait à tâtons dans cette forêt noire. Seules les
formes gigantesques et sombres des chênes semblaient le guider
dans ce décor d'un film d'horreur. De temps à autre un battement
d'aile furtif ou le cri d'une chouette le faisait tressaillir .Voilà bien
des heures qu'il errait dans cette nature sauvage.
Il regrettait amèrement d’être sorti de chez lui dans un
moment de fureur, pour échapper aux scènes quotidiennes
d'un mariage brisé par tant de haine et de lamentations
funèbres. II avait roulé en voiture des heures durant sur une
route hasardeuse, quand soudain il tomba en panne d'essence,
sur un sentier non loin de la gigantesque forêt. Il avait attendu
des heures, mais personne ne semblait vouloir s'engager sur
cette piste désolée. II avança dans les pénombres d'une nuit
d'enfer, son coeur brisé par l'amertume battait à présent au
rythme de cette forêt, mi-endormie mi-narquoise qui l'engloutissait
au fur et à mesure qu'il marchait.
Tous ses sens étaient en alerte, le moindre craquement de
feuilles lui glaçait le sang. Le vent, en soufflant, faisait vibrer les
buissons et une mélodie agaçante retentissait comme un écho
diabolique à travers toute la forêt. Son rythme cardiaque s'accélérait.
Éssouffle, angoissé, Ahmed vivait la plus forte émotion
de sa triste vie d'homme d'affaires. Il était seul, sans amour,
sans passion, sans famille, sans amis, sans enfants, sans argent.
Il était là, au coeur d'une tragédie de la nature. Pourtant, bientôt,
ses yeux s’habituèrent à l'obscurité, son instinct d’animal se
réveilla et il continua à marcher. Alors il vit au loin une petite
lueur vacillante. Il se mit à courir, les yeux fixés sur ce petit
rayon à peine perceptible. Il trébucha, se releva. Son coeur battait
la chamade. Une petite cabane se dressait là, dans une petite
clairière.
Le vent sembla tout a coup arrêter son manège sournois. Une
mélodie berbère se faisait entendre dans cette clairière, qu’une
lumière orangée éclairait comme par magie. Une voix de femme.
- "Dieu du ciel, une vieille femme, ici ! Enfin une famille."
pensa-t-il, le coeur soulagé.
10