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Hypertravail, quand tu nous tiens... - CSST

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Dossier<br />

Éditions Flammarion<br />

activités sont relativement bureaucratisées,<br />

tout comme dans ceux où<br />

les travailleurs sont syndiqués, par<br />

exemple le secteur de la santé, il y a<br />

aussi de la surtâche, « mais ce n’est<br />

pas un phénomène collectif, soutient<br />

M. Rhéaume. Le surcroît de travail<br />

est dû au manque criant de personnel,<br />

au nombre croissant de patients, de<br />

dossiers à traiter. Les travailleurs de<br />

la santé sont surchargés, oui, mais ils<br />

se plaignent, ils déposent des griefs,<br />

ils luttent contre. »<br />

La concurrence de plus en plus<br />

vive qui pèse sur le dos des entreprises<br />

engendre un fort sentiment d’urgence.<br />

Mais cette urgence qu’on dirait gonflée<br />

à l’hélium, et qui fait parfois carburer<br />

les travailleurs et les cadres jusqu’à<br />

l’épuisement, n’est pas seulement fabriquée<br />

par l’entreprise. Elle l’est aussi<br />

par l’individu, estime Nicole Aubert.<br />

Jacques Rhéaume est d’accord : « On<br />

se met la corde au cou ! On a plein de<br />

dossiers, mais on accepte d’en prendre<br />

encore un et puis un autre. C’est souvent<br />

une façon de prouver qu’on existe,<br />

de dire à l’entourage et surtout au patron<br />

: “ Regardez tout ce que je fais, je<br />

prouve ma supériorité, je vous suis donc<br />

indispensable. ” C’est aussi un moyen<br />

de réclamer une reconnaissance qui<br />

n’est hélas ! pas toujours exprimée : “ Je<br />

travaille bien, je suis le meilleur, reconnaissez-le,<br />

bon sang ! ” » Le D r Marquis<br />

Photo : Flammarion<br />

Nicole Aubert,<br />

sociologue,<br />

chercheure et<br />

professeur.<br />

fait remarquer<br />

que notre société<br />

semble ac<strong>tu</strong>ellement<br />

exiger que<br />

des personnes<br />

s’investissent audelà<br />

de ce qu’elles<br />

sont normalement capables de faire,<br />

au-delà même de leurs capacités. Mais<br />

dépasser tout le temps ses limites est<br />

douloureux et favorise des dérapages,<br />

voire des catastrophes.<br />

Pas le choix !<br />

Il faut être très fort, avoir une personnalité<br />

multidimensionnelle, polyvalente,<br />

pour résister au spectre de l’urgence<br />

et dire non, selon M me Aubert : « Un<br />

médecin du travail <strong>nous</strong> a dit que les<br />

salariés se voient désormais confrontés<br />

à l’impossibilité de dire non. Il y a<br />

une nouvelle forme de stress qui est que<br />

l’on ne peut pas dire non. Pour parvenir<br />

à le dire et que ce soit accepté par l’entreprise,<br />

il faut arriver à une assez belle<br />

maîtrise de soi-même et à un certain<br />

déploiement de soi qui n’est pas donné<br />

à tous. On est plus facilement pris<br />

dans cette espèce de spirale de l’urgence<br />

accen<strong>tu</strong>ée par cette impossibilité de<br />

dire non dans des entreprises qui en<br />

donnent toujours plus à faire. »<br />

Les personnes qui n’ont pas les<br />

moyens de dire non y trouvent néanmoins<br />

presque toujours un intérêt, estime<br />

pour sa part un psychiatre français,<br />

intervenant en entreprise. Lorsqu’elles<br />

jouent le jeu, ça fait l’affaire de l’employeur,<br />

évidemment. Mais, d’une certaine<br />

manière, ça fait aussi leur affaire.<br />

« Elles deviennent celles sur qui le boss<br />

compte toujours ! » Celles qu’on ne fera<br />

pas monter dans la charrette, si jamais<br />

l’entreprise procède à un licenciement.<br />

La surcharge de travail, de responsabilités,<br />

peut aussi devenir source de<br />

fierté, d’exaltation. C’est l’excitante piqûre<br />

d’adrénaline qui agit comme une<br />

drogue. C’est, comme l’expliquent la<br />

sociologue québécoise Marie-Claire<br />

Carpentier-Roy et le D r Michel Vézina,<br />

« l’euphorie à gérer l’impossible, la<br />

tension grisante, l’anxiété du téléphone<br />

qui ne sonne pas, le syndrome du tout<br />

ou rien, l’éloge de l’excès justifié par<br />

l’esprit de militantisme et le don de soi.<br />

C’est l’excès comme ascèse, “ Je donne<br />

tout, je ne calcule pas ”. »<br />

Une chose est sûre, en tout cas. Dire<br />

non, refuser de jouer le jeu, peut coûter<br />

cher. En voici un exemple, survenu tout<br />

récemment dans une entreprise québécoise<br />

spécialisée en fiscalité. Dans une<br />

équipe formée d’un superviseur et de<br />

trois fiscalistes, le travail ne manque<br />

pas. Le premier, âgé de 45 ans, est célibataire<br />

et mène une vie austère. En fait,<br />

sa vie, c’est son travail. Il arrive tôt et<br />

est presque toujours le dernier à quitter<br />

le bureau. La deuxième fiscaliste, mère<br />

de deux adolescents, travaille normalement<br />

et accepte d’en faire un peu<br />

plus que prévu lorsque surviennent des<br />

urgences. Le troisième fiscaliste, père<br />

de quatre enfants, travaille lui aussi<br />

normalement. Mais il n’aime pas faire<br />

des heures supplémentaires, même en<br />

période de pointe. Aussi, lorsqu’il reçoit<br />

l’offre d’un employeur qui lui promet<br />

des horaires plus flexibles, il saute sur<br />

l’occasion et donne sa démission. Il est<br />

aussitôt remplacé par une jeune fiscaliste<br />

qui, dès la première semaine, affiche<br />

ses couleurs. Elle se montre si zélée<br />

qu’elle surpasse ses collègues. Elle entre<br />

au bureau même le samedi et apporte<br />

toujours des dossiers chez elle, le soir.<br />

Au bout de quelques mois, la deuxième<br />

Photo : Emma Thaler / Getty Images<br />

10 Prévention au travail Automne 2004

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