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Hypertravail, quand tu nous tiens... - CSST

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Dossier<br />

Vu de l’extérieur, tout se passe<br />

comme si le temps s’était emballé, détraqué,<br />

compressé, mis à galoper au lieu<br />

de défiler, heure par heure, minute par<br />

minute comme un temps qui sait bien<br />

vivre. Mais là se cache le premier leurre.<br />

Ce n’est pas le temps qui galope, c’est<br />

<strong>nous</strong> ! Dès le saut du lit, la course contre<br />

la montre commence. Bienvenue<br />

dans la spirale de l’urgence urgente !<br />

Il existe, l’histoire <strong>nous</strong> en donne<br />

plusieurs exemples, des femmes et des<br />

hommes qui arrêtent de penser et de<br />

travailler seulement lorsqu’ils ont la<br />

tête sur l’oreiller : Pierre et Marie Curie,<br />

Wolfgang Amadeus Mozart, Jean-<br />

Sébastien Bach, Léonard de Vinci, mère<br />

Teresa. Il s’agit souvent de scientifiques,<br />

d’artistes, d’athlètes, d’êtres passionnés<br />

habités par une énergie peu commune<br />

et en quête d’un but à atteindre. Précision<br />

importante, l’urgence ressentie par<br />

ces êtres exceptionnels vient de l’intérieur.<br />

Ils vivent pleinement leur vie et<br />

personne ne les oblige à se dépasser.<br />

Mais ce besoin impérieux d’action<br />

ressenti par certains traduit parfois<br />

autre chose. « Certaines personnes se<br />

servent du travail comme d’une drogue<br />

afin de combler le vide qu’elles ressentent<br />

», estime le D r Serge Marquis,<br />

médecin de famille des entreprises et<br />

consultant. « Le D r Victor Frankel a fort<br />

bien expliqué le phénomène, poursuitil<br />

: l’être humain qui ne trouve pas un<br />

sens à sa vie tombe dans une sorte<br />

d’ennui qu’il cherchera à combler avec<br />

un hyper quelque chose. La cocaïne, le<br />

jeu, l’alcool, les sports extrêmes… ou<br />

le travail ! » Un exemple Jusqu’à tout<br />

récemment, un grand chirurgien français<br />

n’était heureux que lorsqu’il était<br />

en salle d’opération. Il opérait six jours<br />

sur sept, de 7 heures à 21 heures. Il lui<br />

arrivait même parfois de dormir sur<br />

place pour être sûr de ne pas rater une<br />

occasion de jouer du scalpel noc<strong>tu</strong>rne.<br />

Le jour où son chef de service, craignant<br />

pour sa santé, lui a ordonné de<br />

prendre un mois de vacances, le chirurgien<br />

s’est senti très malheureux,<br />

comme si on l’avait puni. Après 12 jours<br />

d’inactivité, il est revenu à l’hôpital<br />

en catimini et en état de manque ! Un<br />

an plus tard, il est tombé amoureux<br />

d’une femme, l’a épousée et le couple a<br />

eu un premier enfant. Rapidement, le<br />

chirurgien a réduit de moitié le temps<br />

consacré à la chirurgie. « Forcément !,<br />

Photo : Jason Dewey / Getty Images<br />

commente le D r Marquis, le travail<br />

n’était plus le centre de sa<br />

vie. Il venait enfin de trouver un<br />

sens à son existence ! »<br />

Débusquer la « bête »<br />

L’hypertravail, qui caractérise<br />

notre époque et qui est au centre<br />

de ce dossier, c’est bien autre<br />

chose. En existe-t-il une définition<br />

« Elle n’est pas facile<br />

à donner ! », admet Jacques<br />

Rhéaume, sociologue, professeur<br />

et chercheur à l’Université du<br />

Québec à Montréal et directeur<br />

du Centre de recherche et de formation<br />

du CLSC Côte-des-Neiges.<br />

« L’expression hyper révèle un trop, un<br />

excès, quelque chose qui se si<strong>tu</strong>e au-delà<br />

d’une norme, d’un cadre. Si on y joint<br />

le mot travail, on obtient l’image d’une<br />

surcharge d’activités, un dépassement<br />

anormal d’heures de travail soutenu dans<br />

le temps. » Et la pression vient à la fois<br />

de l’extérieur et de l’intérieur. Lors d’un<br />

colloque organisé par l’Insti<strong>tu</strong>t de psychodynamique<br />

du travail du Québec,<br />

fin 2002, on a ainsi défini l’hypertravail :<br />

« Dépassement significatif d’une charge<br />

raisonnable de travail sur une longue<br />

période de temps, ceci généralement<br />

sans demande explicite. » L’hypertravail,<br />

par conséquent, ce n’est pas le coup de<br />

collier à donner au moment où il y a<br />

une urgence soudaine au sein de l’entreprise.<br />

« Des heures supplémentaires,<br />

quantité de travailleurs en font de temps<br />

en temps, reconnaît M. Rhéaume. Mais<br />

<strong>quand</strong> c’est tout le temps la surcharge,<br />

tout le temps l’urgence, on a les deux<br />

pieds dans l’hypertravail. »<br />

Photo : Pierre Charbonneau<br />

Le D r Serge Marquis, médecin de famille<br />

des entreprises et consultant.<br />

Au cours de l’automne 2003, une<br />

rencontre de spécialistes a eu lieu à<br />

Paris. Des chercheurs de diverses disciplines,<br />

dont Jacques Rhéaume, se sont<br />

penchés sur « L’individu hypermoderne<br />

». L’organisatrice de l’événement,<br />

Nicole Aubert, sociologue, professeure à<br />

l’École supérieure de commerce de<br />

Paris et auteure, entre autres, du livre<br />

Le culte de l’urgence – La société malade<br />

du temps, estime que <strong>nous</strong> vivons<br />

ac<strong>tu</strong>ellement « une mutation radicale<br />

dans notre rapport au temps », qui affecte<br />

notre manière de vivre, d’aimer,<br />

de <strong>nous</strong> amuser et… de travailler.<br />

Les racines de l’hypertravail sont<br />

relativement bien connues. La mondialisation,<br />

la nouvelle économie, les technologies<br />

de pointe ont changé la donne<br />

de façon spectaculaire. « Dans les sociétés<br />

hyper industrielles avancées, il y a<br />

une pression constante pour produire<br />

de plus en plus avec le moins de moyens<br />

possibles », constate M. Rhéaume. « Et<br />

8 Prévention au travail Automne 2004

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