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Octobre-Novembre 2005 - Ipam

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second invariant consiste à présenter comme subordonnée la dimension idéologique et culturelle des<br />

problèmes, voire à l’occulter. Il a lui aussi son complément obligé : la dénonciation du « communautarisme »<br />

(ou plus prosaïquement de l’islam).<br />

La majorité des organisations progressistes de ce pays semble avoir d’extrêmes difficultés à caractériser les<br />

discriminations dont souffrent les gens des quartiers pauvres, à accepter de tirer les conséquences du fait<br />

qu’elles s’exercent plus particulièrement sur certaines catégories (les jeunes), et plus particulièrement encore<br />

sur certaines origines ethniques (les Arabes et les Noirs) ou religieuses (les Musulmans). Bref à tout<br />

simplement faire face, au nom d’une société française rêvée, au racisme réellement existant. Car ceux qui<br />

pratiquent peu ou prou sa dénégation ont, nolens volens, tendance à stigmatiser toute expression en tant que<br />

telles des victimes de ce racisme comme un racisme à son tour, au nom d’un sophisme : puisque les<br />

discriminations sont sociales et non ethniques ou religieuses, toute expression plus ou moins ethnique ou<br />

religieuse de résistance à ce racisme là est donc elle même tendanciellement raciste ou obscurantiste… ou en<br />

français politiquement correct « communautariste ». Et tout « communautarisme » est mortel pour la<br />

« République ».<br />

Comment fonctionne cette occultation du racisme ? Car bien entendu personne ne nie que le racisme existe.<br />

C’est le cas par exemple de militants altermondialistes comme Alain Lecourieux et Christophe Ramaux dans<br />

un article intéressant publié par Libération 33 . Dans ce texte ils critiquent des sociologues bon connaisseurs<br />

des banlieues, Didier Lapeyronie et Laurent Mucchielli 34 parce que ceux-ci ont le tort de considérer que « la<br />

gauche a, en bloc, «abandonné le monde populaire et les immigrés», en mettant l’accent sur la «défense du<br />

"modèle social français"», le «repli national autour des "services publics" et des "petits fonctionnaires"» et<br />

les vertus d’«une République égalitaire pourtant en faillite ». Envisager pareille critique revient à abonder<br />

dans le sens du néolibéralisme et ne pas comprendre le complot qui se trame, surtout depuis le vote Non au<br />

référendum européen, ajoutent-ils : « La France, après le 29 mai et avec ces émeutes, est à un carrefour. Les<br />

provocations de Nicolas Sarkozy ne sont pas le fruit du hasard. Elles participent d’un projet cohérent :<br />

attiser la violence communautaire pour mieux justifier, libéralisme oblige, le recentrage de l’Etat sur sa<br />

police ». Certes la république rêvée avec un grand « R » n’est pas la République réelle, mais laisser entendre<br />

que d’une manière ou d’une autre certains aspects du « projet républicain » pourrait avoir à voir avec l’état<br />

des choses est, sinon un blasphème, du moins une redoutable erreur, la chute dans le piège tendu par le rusé<br />

Nicolas !<br />

Ce raisonnement, partagé par beaucoup de militants de gauche, fait penser à celui tenu il y a une vingtaine<br />

d’année par beaucoup d’autres, ou par les mêmes, sur la relation entre le socialisme « réellement existant » et<br />

les principes éternels du socialisme, raisonnement qui empêchait de comprendre la réalité au nom de l’idéal.<br />

Comment cela fonctionne-t-il ? Prenons l’exemple de la question « coloniale ». L’un des facteurs qui<br />

explique la forme de l’actuelle crise est la persistance, et même l’augmentation, des discriminations racistes.<br />

Ces discriminations racistes qui ne touchent pas seulement les « jeunes de banlieue », viennent, pour la<br />

majorité de ces jeunes s’additionner aux discriminations sociales et générationnelles. Nous avons vu qu’en<br />

faisant des discriminations « raciales » un simple sous-produit des discriminations sociales, une partie de la<br />

gauche se condamnait à l’impuissance. Une autre partie a compris qu’il fallait affronter ce problème du<br />

racisme en tant que tel (tout comme le problème du sexisme ne se réduit pas à une question sociale), sans<br />

pour autant s’attacher à élucider l’histoire particulière du racisme dans notre pays. Un observateur comparant<br />

la société française aux sociétés européennes voisines pourrait la trouver « moins raciste » (s’il prend en<br />

compte le nombre de mariages intercommunautaires, ou la législation sur les naturalisations), ou « plus<br />

raciste » (s’il prend en compte le nombre de représentants des minorités dans les assemblées politiques et les<br />

médias, ou la situation de l’emploi). Mais il sera frappé par la difficulté des Français de comprendre que leur<br />

racisme est « bien de chez eux », ancré dans l’histoire du pays. Et d’abord dans son histoire coloniale. C’est<br />

ce que constate un journaliste attentif à l’état du monde comme l’indien Praful Bidwai qui déplore qu’en<br />

France, qui n’est pourtant pas un pays plus discriminant que d’autres, persiste « l’existence d’une forme de<br />

nationalisme obsessionnelle, arrogante et paternaliste, enracinée dans le colonialisme » 35 . Ce racisme à la<br />

française visant tout particulièrement les originaires des ex-colonies.<br />

Cette difficulté a été bien révélée par l’hystérie qui a accueilli – et qui accompagne toujours – l’appel « des<br />

indigènes de la république ». Rappelons les faits : un groupe de militants de diverses origines natales et<br />

diverses caractéristiques patronymiques, laïques, de gauche, engagés dans les luttes sociales, a lancé un appel<br />

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