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L'Iran, derrière le miroir - La pensée de midi

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S’il existe entre <strong>le</strong>s ayatollahs un puissant esprit <strong>de</strong> corps, cela n’empêche pas qu’il y ait, parmi ces“signes <strong>de</strong> Dieu” (traduction littéra<strong>le</strong> d’ayatollah) <strong>de</strong>s “tendances variées et opposées, parfois chez <strong>le</strong>smêmes personnes”, comme <strong>le</strong> souligne Yann Richard, qui dresse <strong>le</strong> portrait <strong>de</strong> Mojtahed Shabestari. Celuici,après une pério<strong>de</strong> d’activisme révolutionnaire mesuré, s’est réfugié dans <strong>le</strong> quiétisme, se passionnantpour la philosophie mystique (une spécialité iranienne pour laquel<strong>le</strong> Henry Corbin s’est passionné), pourl’herméneutique <strong>de</strong>s textes sacrés et pour la pensée occi<strong>de</strong>nta<strong>le</strong> en matière <strong>de</strong> science politique. Voilà ungrand <strong>le</strong>cteur d’Erich Fromm et <strong>de</strong> Herbert Marcuse (ce qui nous éloigne <strong>de</strong> la vision stéréotypée d’ayatollahsobtus), qui pose la liberté comme condition <strong>de</strong> la foi (“En aucun cas un régime autoritaire, dit-il, nepeut répondre aux besoins essentiels <strong>de</strong> la foi”). Cette liberté <strong>de</strong> paro<strong>le</strong> et <strong>de</strong> conviction, opposée à la penséeunique, a valu à Shabestari d’être mis à la retraite anticipée <strong>de</strong> la faculté <strong>de</strong> théologie <strong>de</strong> l’université <strong>de</strong>Téhéran par l’actuel régime. Trouvera-t-on cette unité <strong>de</strong> pensée qui fait défaut chez <strong>le</strong>s c<strong>le</strong>rcs parmi <strong>le</strong>s gardiens<strong>de</strong> la Révolution (<strong>le</strong>s pasdaran), ce corps <strong>de</strong> volontaires qui a largement contribué à repousser l’ennemiirakien et qui forme une sorte d’Etat dans l’Etat ? En traçant <strong>le</strong> portrait <strong>de</strong> l’un d’entre eux, et par làmême un pan <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> l’Iran révolutionnaire avec ses épurations et ses sursauts patriotiques,Bernard Hourca<strong>de</strong> répond par la négative. L’écart est trop grand entre ces anciens combattants qui ont sacrifié<strong>le</strong>ur jeunesse pour la patrie et ce corps qui est <strong>de</strong>venu une armée comme <strong>le</strong>s autres. Ces soldats <strong>de</strong>l’an II se sentent comme dépossédés d’un projet révolutionnaire qu’ils ont porté et dont d’autres, y compris<strong>de</strong>s c<strong>le</strong>rcs – loin <strong>de</strong> la ligne <strong>de</strong> front – se sont emparés. Reste l’espoir qu’un <strong>de</strong>s <strong>le</strong>urs, partageant <strong>le</strong>ursrêves <strong>de</strong> jeunesse, à la fois mo<strong>de</strong>rnistes et islamistes, conquière <strong>le</strong> pouvoir, lors <strong>de</strong>s é<strong>le</strong>ctions prési<strong>de</strong>ntiel<strong>le</strong>s<strong>de</strong> juin 2009. L’actuel maire <strong>de</strong> Téhéran, Ghalibaf, correspondrait à cette attente.Entre <strong>le</strong> pasdar mo<strong>de</strong>rniste et <strong>le</strong> grand chef tribal <strong>le</strong>s temps s’entrechoquent. L’un symbolise une<strong>de</strong>s perspectives possib<strong>le</strong>s d’avenir, l’autre un passé où l’Iran était <strong>le</strong> plus grand foyer <strong>de</strong> nomadisme pastoralau mon<strong>de</strong>, avec ses personnages hauts en cou<strong>le</strong>ur combinant <strong>de</strong>s ta<strong>le</strong>nts <strong>de</strong> guerrier et d’é<strong>le</strong>veur. Atravers <strong>le</strong> portrait d’un chef bakhtiyari (une <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s tribus du sud-ouest <strong>de</strong> l’Iran), Jean-Pierre Digardcampe la dislocation progressive du mon<strong>de</strong> noma<strong>de</strong> <strong>de</strong>puis <strong>le</strong> règne <strong>de</strong> Reza Chah. Si <strong>le</strong>s affiliations triba<strong>le</strong>s<strong>de</strong>meurent et continuent <strong>de</strong> jouer <strong>le</strong>ur rô<strong>le</strong> dans la vie socia<strong>le</strong>, <strong>le</strong> mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie noma<strong>de</strong> a pratiquementdisparu : <strong>le</strong> grand chef tribal, qui ne se déplaçait pas naguère sans une douzaine <strong>de</strong> tentes <strong>de</strong> serviteurs,a terminé sa vie dans une simp<strong>le</strong> maison carrée en pierre, entourée <strong>de</strong> pou<strong>le</strong>s et d’un potager, et avecune unique femme. Le contraste serait encore plus marqué si l’on envisageait l’évolution <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> vieruraux et urbains, avec ces maisons qui comportent désormais une cuisine open et où l’on consommevolontiers <strong>de</strong>s pizzas.Il nous a plu d’achever cette ga<strong>le</strong>rie <strong>de</strong> portraits par l’évocation <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux personnages importantsdans la vie culturel<strong>le</strong> iranienne : l’archéologue et <strong>le</strong> poète. Le premier con<strong>de</strong>nse, sous ses différents profils,l’admiration et la peur que suscite l’étranger, mais aussi <strong>le</strong> prestige du détenteur <strong>de</strong>s c<strong>le</strong>fs d’un passégrandiose où l’on se plaît à se mirer. Ali Mousavi et Na<strong>de</strong>r Nasiri-Moghaddam nous montrent quel’archéologie fut un symbo<strong>le</strong> <strong>de</strong> la domination étrangère et une source <strong>de</strong> fierté nationaliste. Les <strong>de</strong>rniersQajars et <strong>le</strong>s Pahlavis en firent <strong>le</strong>ur discipline favorite, et la République islamique, après un bref intermè<strong>de</strong>où <strong>le</strong>s révolutionnaires regardaient avec dédain ces fouil<strong>le</strong>s connotant un passé monarchique, veil<strong>le</strong> sourcil<strong>le</strong>usementsur son patrimoine antique. On est bien loin <strong>de</strong>s talibans afghans détruisant <strong>le</strong>s bouddhas <strong>de</strong>Bamiyan. Notre <strong>de</strong>rnier personnage est un grand poète, Ahmad Chamlou, qui incarne mieux quequiconque <strong>le</strong>s passions et <strong>le</strong>s paradoxes iraniens. Les passions, car <strong>le</strong> rêve premier <strong>de</strong> tout Iranien n’estpas d’être ingénieur, professeur ou diplomate, mais poète. Les paradoxes, car cette passion se doub<strong>le</strong>d’une vénération pour la métrique et la prosodie persanes classiques, cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Hâfez et <strong>de</strong> Saadi. Or voicique <strong>le</strong> poète contemporain <strong>le</strong> plus populaire est celui qui s’est tota<strong>le</strong>ment affranchi <strong>de</strong>s règ<strong>le</strong>s classiqueset a valorisé, en y consacrant un livre, <strong>le</strong> langage <strong>de</strong> la rue. Azita Hempartian retrace ici l’itinéraire intel<strong>le</strong>ctue<strong>le</strong>t artistique étonnant <strong>de</strong> cette figure majeure qui dialogua tout autant avec ses prédécesseursiraniens qu’avec <strong>le</strong>s surréalistes occi<strong>de</strong>ntaux.Cette ga<strong>le</strong>rie <strong>de</strong> portraits donne une idée <strong>de</strong> la comp<strong>le</strong>xité <strong>de</strong> la société iranienne tiraillée entrel’aryanisme, <strong>le</strong> chiisme et l’occi<strong>de</strong>ntalisation. De cette <strong>de</strong>rnière témoigne l’extraordinaire évolution démographiquedu pays, qui se rapproche <strong>de</strong>s standards européens. <strong>La</strong> croissance <strong>de</strong> la population a atteint unpic (3,1 % par an) en 1986 (la fécondité, 6,2 enfants par femme, est alors une <strong>de</strong>s plus é<strong>le</strong>vées du mon<strong>de</strong>).Pour freiner cette évolution, la contraception a été légalisée, dès 1980, par une fatvâ <strong>de</strong> l’ayatollahKhomeyni, et <strong>le</strong> gouvernement a lancé en 1988 une campagne <strong>de</strong> contrô<strong>le</strong> <strong>de</strong>s naissances, suivant en celaune tendance généra<strong>le</strong> dans la société iranienne. <strong>La</strong> fécondité a fortement baissé (3,5 enfants par femmedès 1993, 2 en 2006) et la proportion <strong>de</strong>s zéro-quatorze ans est passée <strong>de</strong> 45,5 % <strong>de</strong> la population tota<strong>le</strong>

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