10.07.2015 Views

L'Iran, derrière le miroir - La pensée de midi

L'Iran, derrière le miroir - La pensée de midi

L'Iran, derrière le miroir - La pensée de midi

SHOW MORE
SHOW LESS
  • No tags were found...

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

h. Polygynie et artEn matière d’art contemporain, l’Iran a opéré ces <strong>de</strong>rnières années un revirement considérab<strong>le</strong>. Désormaisouvert à l’art occi<strong>de</strong>ntal, l’Iran actuel compte trois réseaux. Les artistes du « réseau officiel » développent une esthétiqueislamico-révolutionnaire. Les semi-officiels, <strong>de</strong> loin <strong>le</strong>s plus en vogue et <strong>le</strong>s plus innovateurs, bénéficient d’unemarge <strong>de</strong> manœuvre plus large. Composé d’artistes indépendants, <strong>le</strong> troisième réseau est un réseau souterrain, quivit en marge <strong>de</strong>s circuits reconnus par <strong>le</strong> régime <strong>de</strong> la République islamique d’Iran. Par ail<strong>le</strong>urs, la figure <strong>de</strong> l’artistejouit aujourd’hui en Iran d’une véritab<strong>le</strong> fascination. L’historienne Alice Bombardier, doctorante à l’EHESS, travail<strong>le</strong>actuel<strong>le</strong>ment sur <strong>le</strong>s peintres iraniens contemporains. Le sujet <strong>de</strong> son étu<strong>de</strong> est la famil<strong>le</strong> Sinaï, une famil<strong>le</strong> d’artistestéhéranais, partagée comme tant d’autres, entre mo<strong>de</strong>rnité et tradition. Le cinéaste Khosrow Sinaï consacre son travailà la vie et à l’oeuvre <strong>de</strong>s peintres, notamment à l’œuvre pictura<strong>le</strong> <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>ux épouses, Gizella Varga Sinaï (néeen 1944) et Farah Ossouli (née en 1953). Les <strong>de</strong>ux épouses évoluent dans <strong>le</strong> même atelier. D’origine hongroise,Gizella Varga Sinaï, divisée entre <strong>de</strong>ux civilisations différentes, s’intéresse aux vieux mythes, intègre dans ses peinturesmo<strong>de</strong>rnistes <strong>le</strong>s bas-reliefs <strong>de</strong> Persépolis et s’interroge sur ce qui relie <strong>le</strong> présent au passé. Graffitis et calligraphiese mê<strong>le</strong>nt, qui associent impressions d’orient et pratiques occi<strong>de</strong>nta<strong>le</strong>s. De son côté, Farah Ossouli s’inspire<strong>de</strong>s anciennes épopées iraniennes et fait <strong>de</strong> la femme son héroïne privilégiée. À noter cependant que la nudité <strong>de</strong> saVénus — tab<strong>le</strong>au inspiré <strong>de</strong> <strong>La</strong> Naissance <strong>de</strong> Vénus <strong>de</strong> Botticelli — disparaît sous une superposition <strong>de</strong> voi<strong>le</strong>s, têterecouverte d’un foulard ! Quant à la nymphe que <strong>le</strong> peintre italien a représentée aux côtés <strong>de</strong> la déesse, el<strong>le</strong> a été remplacéeici par un homme qui tend à Vénus <strong>le</strong> tchador dont el<strong>le</strong> doit se vêtir! Provocation ? Contestation ? Ou au contraire,symbiose avec <strong>le</strong> régime politique actuel ? Il m’est diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>le</strong> dire et <strong>de</strong> m’en faire une idée précise !Ensemb<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux artistes ont fondé <strong>le</strong> premier groupe <strong>de</strong> femmes peintres iraniennes, Dena. Ce col<strong>le</strong>ctif, quiréunit <strong>de</strong>s « artistes femmes <strong>de</strong> différents sty<strong>le</strong>s et visions », « a pour but <strong>de</strong> présenter <strong>le</strong>s artistes femmes en Iranet à l’étranger comme <strong>de</strong>s professionnel<strong>le</strong>s indépendantes ».Quant à la polygynie, considérée en Iran comme un statut « d’arriération », <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux épouses Sinaï ont réussi,grâce à <strong>le</strong>ur personnalité d’artistes, à lui rendre ses <strong>le</strong>ttres <strong>de</strong> nob<strong>le</strong>sse. Et à lui faire acquérir sa stature « avantgardiste». Être artiste à Téhéran, c’est aussi assumer la fonction <strong>de</strong> ciment <strong>de</strong> la société iranienne. Dans <strong>le</strong> paradoxedu marginal et <strong>de</strong> l’élitaire, <strong>de</strong> la singularité et <strong>de</strong> l’excel<strong>le</strong>nce.i. Morteza Goodarzi, <strong>le</strong> bar<strong>de</strong> du KhorasanVaste empire culturel aux ramifications comp<strong>le</strong>xes, <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> musical iranien connaît lui aussi, comme <strong>le</strong>sautres domaines d’expression, <strong>le</strong> clivage entre tradition et mo<strong>de</strong>rnité. Ce clivage alimente <strong>le</strong> discours d'ArianeZevaco, dont <strong>le</strong>s recherches anthropologiques actuel<strong>le</strong>s portent sur <strong>le</strong>s « mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> représentation <strong>de</strong> la musique »en Iran, Tadjikistan et Afghanistan. Ariane Zevaco a choisi <strong>de</strong> « dresser <strong>le</strong> portrait d’un musicien iranien du Khorasan» et d’en suivre la trajectoire. Formé au répertoire traditionnel <strong>de</strong>s bakhshi, ou bar<strong>de</strong>s, Morteza Goodarzi, qui restetrès attaché au répertoire <strong>de</strong> sa région, explore néanmoins <strong>de</strong>s voies nouvel<strong>le</strong>s, notamment en réservant à la poésieune place <strong>de</strong> premier choix. Tenter <strong>de</strong> concilier <strong>le</strong> passé et <strong>le</strong> présent engendre <strong>de</strong>s conflits générationnels. Sedépartager <strong>de</strong> ses maîtres oblige Goodarzi à rechercher sans cesse <strong>le</strong> juste équilibre entre ce qui est reconnu par <strong>le</strong>mon<strong>de</strong> musical iranien et ce qui est soumis à la censure. À ces difficultés s’ajoutent <strong>le</strong>s problèmes liés aux régionséloignées <strong>de</strong> la capita<strong>le</strong>. Ce qui implique pour Goodarzi <strong>de</strong> « trouver un espace culturel commun » tout en cherchantà concilier <strong>le</strong> répertoire traditionnel populaire <strong>de</strong> chant et <strong>le</strong>s projets tournés vers l’Europe.j. L’escala<strong>de</strong>, une voie vers l’émancipation ?Docteur en anthropologie, Eric Boutroy s’intéresse aux sports <strong>de</strong> montagne et notamment à l’engouement <strong>de</strong>sjeunes Iraniens pour l’escala<strong>de</strong>. Nombreux sont <strong>le</strong>s jeunes gens qui, comme <strong>le</strong> coup<strong>le</strong> résolument mo<strong>de</strong>rniste <strong>de</strong>Maryam et Hamid, pratiquent cette activité. Derrière <strong>le</strong> rayonnement <strong>de</strong> ce sport en p<strong>le</strong>ine expansion, c’est un choix<strong>de</strong> vie qui se <strong>de</strong>ssine, une façon d’affirmer son individualité face à une société répressive, viscéra<strong>le</strong>ment attachée auxinstitutions et aux convenances. Ouverte à la mixité, la montagne est pour ses a<strong>de</strong>ptes, un espace éphémère <strong>de</strong> liberté,un « territoire <strong>de</strong> décontraction et <strong>de</strong> convivialité où il est possib<strong>le</strong> <strong>de</strong> tempérer la pression <strong>de</strong>s lois ordinaires». Mais <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’escala<strong>de</strong> est loin d’être unifié. À côté d’une jeunesse émancipée qui pratique l’escala<strong>de</strong> dans<strong>de</strong>s tenues adaptées à ce sport, l’on rencontre <strong>de</strong>s famil<strong>le</strong>s populaires qui varappent avec <strong>de</strong>s équipements démodés.Sans par<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s miliciennes montagnar<strong>de</strong>s chargées <strong>de</strong> veil<strong>le</strong>r à la bonne tenue <strong>de</strong>s sportifs et <strong>de</strong> rappe<strong>le</strong>r <strong>le</strong>sco<strong>de</strong>s <strong>de</strong> bonne conduite. Les « Sisyphes <strong>de</strong> Téhéran » ont encore fort à faire pour ruser avec <strong>le</strong>s co<strong>de</strong>s d’unesociété islamique extrêmement contrôlée.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!