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L'Iran, derrière le miroir - La pensée de midi

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e. Sâ<strong>de</strong>gh, l’opportuniste d’IspahanAnthropologue <strong>de</strong> formation, Mohiaddin Vatani évoque la figure contradictoire <strong>de</strong> Sâ<strong>de</strong>gh.Grandi dans la pério<strong>de</strong> intermédiaire qui sépare l’Iran <strong>de</strong> la monarchie Pahlavi <strong>de</strong> l’Iran <strong>de</strong> la révolution <strong>de</strong>1979, Sâ<strong>de</strong>gh est représentatif <strong>de</strong> sa génération. Véritab<strong>le</strong> « caméléon », Sâ<strong>de</strong>gh offre <strong>le</strong> visage <strong>de</strong> l’opportuniste.Un opportunisme mo<strong>de</strong>lé par <strong>le</strong>s mouvements <strong>de</strong> l’histoire et <strong>de</strong> la culture <strong>de</strong> son pays. Vio<strong>le</strong>mment contestatairedès l’ado<strong>le</strong>scence, <strong>le</strong> jeune homme s’oppose à l’autorité paternel<strong>le</strong>, entrave à sa liberté. Son comportement rebel<strong>le</strong>,conforme à celui <strong>de</strong> nombreux habitants <strong>de</strong> son quartier <strong>de</strong> Dar<strong>de</strong>cht, s’inscrit dans <strong>le</strong> refus <strong>de</strong>s pratiques inhérentesaux traditions religieuses et aux contraintes familia<strong>le</strong>s imposées par son milieu. Sâ<strong>de</strong>gh choisit la transgression,même si s’affranchir d’un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie imposé par <strong>le</strong>s siens a un coût (plus lourd et plus diffici<strong>le</strong> à supporter pour<strong>le</strong>s jeunes fil<strong>le</strong>s qui transgressent <strong>le</strong>s traditions). Sâ<strong>de</strong>gh quitte donc son quartier originel, choisit <strong>le</strong> métier d’enseignantplutôt que celui d’artisan, et épouse la jeune fil<strong>le</strong> dont il s’est épris. Cependant, quelques années plus tard,l’enseignant doublé d’un homme d’affaires attaché à sa réussite socia<strong>le</strong> se détermine en faveur <strong>de</strong>s choix imposéspar la révolution <strong>de</strong> 1979. Sâ<strong>de</strong>gh adopte la posture pieuse opposée à l’attitu<strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rniste pour laquel<strong>le</strong> il avaitprécé<strong>de</strong>mment opté. Sâ<strong>de</strong>gh affiche avec ostentation son adhésion au régime politique islamique. Et s’il affiche unecroyance sincère à l’islam, nul ne peut nier qu’il y trouve aussi un intérêt socio-économique en rapport avec ses ambitions.<strong>La</strong> trajectoire <strong>de</strong> Sâ<strong>de</strong>gh est cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> nombreux Iraniens, qui jouent avec <strong>de</strong>xtérité <strong>de</strong>s fluctuations entre va<strong>le</strong>urstraditionnel<strong>le</strong>s et modè<strong>le</strong>s emblématiques <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnité.f. L’art documentaire selon Moretza AviniMaître <strong>de</strong> conférences à l’université d’Avignon, Agnès Devictor a publié au CNRS Politique du cinéma iranien: <strong>de</strong> l’ayatollah Khomeini au prési<strong>de</strong>nt Khatami. Une étu<strong>de</strong> qui la pousse à s’intéresser à Shahid Morteza Avini, «l’une <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s figures <strong>de</strong> la guerre Iran-Irak (1980-1988) ».Praticien et théoricien, Moretza Avini s’est engagé « dans la Révolution par <strong>le</strong> cinéma documentaire ».Convaincu que cette forme d’expression pouvait contribuer « à penser <strong>le</strong>s transformations politiques <strong>de</strong> l’Iran »,convaincu qu’el<strong>le</strong> peut ? davantage que <strong>le</strong> cinéma ? lui permettre d’embrasser plus largement <strong>le</strong> territoire iranien,convaincu éga<strong>le</strong>ment que la Révolution lui offre d’enregistrer différemment <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> et <strong>de</strong> modifier <strong>le</strong> regard que <strong>le</strong>spectateur porte sur lui, Moretza Avini s’emploie à « rester au plus près du réel ». Ce qui implique une patienteimprégnation <strong>de</strong> son équipe sur <strong>le</strong>s lieux du tournage. Al<strong>le</strong>r au <strong>de</strong>vant <strong>de</strong>s populations villageoises, se mettre à <strong>le</strong>urécoute, enregistrer <strong>le</strong>s gestes et <strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s que la Révolution a permis <strong>de</strong> libérer, tel<strong>le</strong>s sont <strong>le</strong>s consignes et <strong>le</strong>smétho<strong>de</strong>s observées par <strong>le</strong> cinéaste. <strong>La</strong> caméra <strong>de</strong>vient ainsi pour <strong>le</strong>s villageois « un instrument <strong>de</strong> médiation avec<strong>le</strong> nouveau pouvoir ».Engagé pendant <strong>le</strong>s huit années consécutives <strong>de</strong> la guerre Irak-Iran (1980-1988) dans <strong>le</strong> tournage <strong>de</strong> la «défense sacrée », Avini « se livre à la quête d’une vérité philosophique <strong>de</strong> la guerre à partir <strong>de</strong> son travail cinématographique». Parallè<strong>le</strong>ment, il invite <strong>le</strong> spectateur à une véritab<strong>le</strong> démarche mystique et à un questionnement,au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s apparences, sur <strong>le</strong> sens profond <strong>de</strong> cet événement. Cette incessante interrogation sur <strong>le</strong> visib<strong>le</strong> et l’invisib<strong>le</strong>place Avini « dans la lignée <strong>de</strong> la philosophie chiite ». Cependant, si Avini, grand admirateur <strong>de</strong> John Ford etd’Alfred Hitchcock ? « <strong>le</strong> grand maître du cinéma mondial »?, réussit à « concilier <strong>le</strong> régime islamique avec lamo<strong>de</strong>rnité politique et esthétique », il se refuse aussi à renoncer à toute pensée critique. Plaidant pour l’adoption<strong>de</strong>s techniques occi<strong>de</strong>nta<strong>le</strong>s, Avini est « accusé <strong>de</strong> pactiser avec l’ennemi ». Il incarne la figure <strong>de</strong> l’intel<strong>le</strong>ctuel «refusant d’arrêter <strong>de</strong> réfléchir aux défis du mon<strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rne, une fois la révolution accomplie. »g. Amir Reza Koohestani : une figure théâtra<strong>le</strong> <strong>de</strong> passeurLongtemps muselé par <strong>le</strong> joug du régime islamique, <strong>le</strong> théâtre iranien connaît aujourd’hui un vent <strong>de</strong> folielibératrice qui <strong>le</strong> fait renaître <strong>de</strong> ses cendres. Les troupes se multiplient, <strong>le</strong>s jeunes auteurs, comédiens et metteursen scène rivalisent <strong>de</strong> ta<strong>le</strong>nt. Figure <strong>de</strong> proue du théâtre iranien, Amir Reza Koohestani est considéré, jusqu’enEurope, comme un véritab<strong>le</strong> passeur. Son écriture, qui puise « dans <strong>le</strong>s conventions scéniques héritées du théâtretraditionnel » tout en s’attachant à abor<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s sujets d’actualité, oscil<strong>le</strong> entre symbolisme et réalisme et offre unegran<strong>de</strong> diversité. « Monologues intimes, dépouil<strong>le</strong>ment du plateau, noirceur scénique » sont là pour servir <strong>le</strong>sthèmes <strong>de</strong> prédi<strong>le</strong>ction du dramaturge : « usure du quotidien, incommunicabilité <strong>de</strong>s êtres, réclusion <strong>de</strong>s figuresféminines et solitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s personnages ». Explorées par la philosophe Liliane Anjo, doctorante à l'EHESS, toutes cesdonnées novatrices, - auxquel<strong>le</strong>s s’ajoutent <strong>le</strong>s multip<strong>le</strong>s possibilités d’interaction avec <strong>le</strong> public -, contribuent àfaire <strong>de</strong> Koohestani un dramaturge très apprécié <strong>de</strong>s jeunes générations. Beaucoup moins du ministère <strong>de</strong> la Cultureet <strong>de</strong> la Guidance islamique, qui lui ont refusé la représentation <strong>de</strong> sa pièce Va ruz hargez nayâmad (« Et <strong>le</strong> journ’advint jamais »).

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