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Numéro 30 - Le libraire

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Rentrée littéraireG ILC OURTEMANCHEMourir, la belle affaire !Mais vieillir…Ça fait maintenant quatre ans qu’est paru Un dimanche à la piscine à Kigali, roman épique sur le génocideau Rwanda, couronné de nombreux prix littéraires, traduit dans plus d’une vingtaine de langues, etdont on attend la sortie de l’adaptation filmique par le cinéaste Robert Favreau. Quatre années que le journaliste,polémiste et romancier Gil Courtemanche a consacrées notamment à la rédaction d’Une belle mort,roman intimiste relatant la lente disparition d’un père emblématique d’une génération d’hommes québécois envoie d’extinction. Rencontre avec un franc-tireur, un vrai.La question est convenue, certes, mais doitêtre posée à mon ami Gil Courtemanche, dontle premier roman (Un dimanche à la piscine àKigali) connaît depuis sa sortie un rayonnementinternational sans pareil et sans précédentdans les annales de notre littérature :quand une première œuvre mérite une tellereconnaissance, la proverbiale épreuve dudeuxième roman exerce-t-elle une pressiond’autant plus grande ? « J’ai ressenti une pression,oui, par rapport au choix du sujet demon deuxième roman, mais une pression quiémanait surtout de mes éditeurs, déclareCourtemanche. J’avais en tête deux sujets, etmes éditeurs auraient préféré que je m’attelleà l’écriture de l’autre, <strong>Le</strong> Danseur de Bamako,une fresque sur la Révolution cubaine et sur laprésence cubaine en Afrique, vues par undanseur et gigolo vivant là-bas, mais quandj’ai parlé à mon éditeur français, il a tellementinsisté pour que je termine d’abord <strong>Le</strong>Danseur…, que j’ai senti que je devais écrired’abord Une belle mort. »<strong>Le</strong> roi se meurtCoupe de blanc dans une main, cigarettedans l’autre, Gil Courtemanche parle posémentde ce deuxième roman, qu’il a évitéd’inscrire dans la suite thématique du précédent.À la manière de certains romansfrançais classiques (on pense à Mauriac), Unebelle mort se donne à lire comme une sorte dehuis clos clanique dont les protagonistes nesortent guère, réunis autour du père pour desrepas en famille. « En fait, je voulais que tousmes personnages n’existent qu’en fonction dela mort annoncée du père, explique l’auteur.Ce qu’ils font à l’extérieur du lieu où ils levoient mourir n’a pas d’importance, mêmeeux donnent l’impression de l’oublier dèsqu’ils sont en face de lui. Parce que tout çan’intéresse plus le père. Quand ils sont dansce théâtre de la dégradation de leur anciendictateur, il n’y a que lui qui existe, commedans <strong>Le</strong> Roi se meurt de Ionesco. C’est la find’une époque. Pour moi, c’est un romansociologique, parce que les pères de cet âgesont les derniers de ce type. Après eux sont venuesdes femmes qui n’étaient plus des femmes del’amour-devoir. Et du coup, la fonction de père achangé, elle est devenue ce qu’elle est pour leshommes de ma génération. »Par Stanley PéanDans ce roman, les images paternelles abondentà un point tel qu’on ne peut manquer d’établirune parenté symbolique entre le père mourantdu narrateur, Staline, etDuplessis, ce « petit père » dela nation québécoise : « Cen’est pas un hasard. Il n’y apas de différence entretoutes ces images, exposeCourtemanche. <strong>Le</strong>s pèresquébécois de cette générationétaient des dictateurs. Ilsexigeaient de leur femme etde leurs enfants la fidélitéabsolue, alors qu’eux étaientlibres de tout faire. Pour eux,leur famille était leur peuple.Et Staline était comme ça, etDuplessis aussi. Et c’estpourquoi j’essaie d’imaginerStaline en train de donnerdes cadeaux de Noël. Je suis sûr qu’il donnait descadeaux de Noël, des bénédictions, qu’il aimaitses enfants. Comme je suis certain que Duplessisaimait son peuple ; mal, sans doute, comme lespères de cette génération aimaient mal leurfemme et leurs enfants. C’est donc pour moi latransposition de la même attitude à des niveauxdifférents. »Terminer sa courseL’histoire de cet être autoritaire et tyrannique,désormais cassé, castré, impuissant, à ladéchéance duquel le fils comédien d’âge mûrassiste, Gil Courtemanche l’a portée en lui,sans savoir ou sans se soucier qu’elle soit enquelque sorte dans l’air du temps — MichelTremblay n’a-t-il pas récemment porté à lascène avec Impératif présent un sujet similaire ?« Avant, les gens mouraient vite et n’avaientdonc pas le temps de perdre leur aura, avancele romancier en guise d’explication à cetterécurrence thématique. Aujourd’hui, il n’estpas rare que les vieux meurent sur vingt,vingt-cinq ans, pendant lesquels leurs prochesles voient se dégrader, redevenir des enfants.Voir un homme qu’on a connu orgueilleux,dominateur, se faire essuyer la bouche par safemme relativise la vision qu’on peut avoir duPère. Quand tu le vois fragile, bébé, alors quetu l’as toujours connu fort, il y a un renversementqui fait de toi le dictateur de ton père. »Par la voix de son narrateur, Une belle mort établitune opposition entre les manières distinctesqu’ont le père et la mère de porter le poids desans. En un sens, le héros constate que ses parentsprésentent deux visages d’un même destin quisera le sien, puisque personne n’échappe à lavieillesse : « Mon héros préféreraitmourir comme sa mère, certes,mais ce sont les deux imagesindissociables. J’ai pris consciencede l’importance qu’avait ce romanpour moi alors que j’y travaillais àl’été 2003, tandis que je séjournaisà Paris et que tous ces vieuxmouraient de la canicule, qu’ilsmouraient parfois seuls, sans personnepour même réclamer leurscadavres. On vit avec deux imagespermanentes de la mort : celle dela dégradation et celle des gensheureux qui meurent d’un arrêtcardiaque. Et on n’arrête pas depenser à cela, surtout à mon âge :on n’arrête pas de se demandercomment on va finir. Quand tu regardes les gensinstallés dans les foyers de l’âge d’or, ces gens quidéclinent lentement et qui le savent, en plus, onne peut pas faire autrement. »© Dominique ThibodeauGil CourtemancheMais la proximité émotive d’un pareil sujet, laprégnance de ces préoccupations personnellesont-elles rendu l’écriture de ce roman plus ardueque celle de fresques historiques telles qu’Undimanche à la piscine à Kigali ou que <strong>Le</strong> Danseur deBamako ? « Non, pour moi, le principe est toujoursle même : il s’agit toujours de prendre unesomme d’informations connues ou recueillies àdroite ou à gauche pour en faire d’autres, pluscomposites. Personne de mon entourage ne peutse reconnaître dans ce livre. Ce livre est un roman,encore plus que Kigali, en quelque sorte. »Toujours impitoyable avec son père, le narrateurlui refuse souvent la mort grandiose à laquelle levieux aurait pu avoir droit s’il avait été leCommandeur de Dom Juan : il qualifie sa disparitionde dérisoire, de ridicule — ce qui est l’antithèsedu titre. Mais au fond, une belle mort estellepossible ? « Eh bien, sans trop en dire sur leroman, on peut quand même affirmer que le pèreici a une mort douce, qui ressemble à une libération,dévoile Gil Courtemanche. Cette mort-làn’est pas dérisoire, elle est en fait si belle, si douceque d’autres ont envie de le suivre… »Une belle mortBoréal, 208 p. 22,50 $En librairiele 21 septembreUn dimanche à lapiscine à KigaliBoréal Compact,286 p., 14,95 $S E P T E M B R E - O C T O B R E 2 0 0 5<strong>30</strong>

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