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Numéro 30 - Le libraire

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Bandes dessinéesEt souffrent les hérosDélaissant (momentanément) sa série « <strong>Le</strong>Choucas », Christian Lax nous propose unalbum autonome : L’Aigle sans orteils. Onconnaît cet auteur complet pour le sérieuxde sa démarche et la rigueur de son dessinréaliste ; son dernier livre carbure carrémentà la passion, celle qu’il entretientpour le cyclisme. Oubliez LanceArmstrong avec sa combinaison moulante,son casque et ses verres fumés qui lui donnentl’air d’un ovni : les hommes qu’onvoit pédaler dans ces Tours de France dutout début du XX e siècle évoquent moinsdes athlètes de pointe que des ouvriersrepoussant les limites de l’endurancephysique et morale, et se hissant jusqu’àl’héroïsme. J’en parle avec emphase,encore porté que je suis par le souffle etl’humanité du récit du parcours d’AmédéeFario, un gaillard des Pyrénées qui n’a d’extraordinaireque sa détermination.Ce récit débute en 1907, quand Amédéeparticipe à l’érection d’un observatoire surun sommet non loin de son village. Il enassurera le ravitaillement pendant desannées, se liant d’amitié avec l’astronomeresponsable, qui lui transmet la piqûre ducyclisme. Mais pour Amédée, ça tourne àl’idée fixe : il veut participer au Tour.Pour se payer un vélo, il s’acharnera dèslors à ramasser des économies, gravissantla montagne de l’observatoire par tous lestemps, parfois au péril de sa vie. <strong>Le</strong>sembûches se multiplieront, sans jamaisébranler sa volonté.Qu’Amédée ploie sous son havresac ou qu’ilsue sur sa bicyclette, Lax nous entraîne à sasuite à travers des mises en page amples etune mise en scène maîtrisée : on a l’impressiond’y être. Magnifiées par son trait frémissant, lesplanches de Lax sont peintes avec une économie decouleurs, parfois en diverses valeurs d’une seule teinte.Cette technique traduit admirablement la froidure despentes enneigées, aussi bien que la chaleur implacable desétés du sud de la France, et confère à l’ensemble cetaspect « vieille photo jaunie ». Quant au titre plutôt énigmatique,mieux vaut laisser le lecteur en découvrir le senspar lui-même...On dit souvent d’un roman manichéen ou d’un film simpliste: « Ça fait BD ». Si, de par sa nature et sa forme, labande dessinée use d’ellipses, de stéréotypes et autres raccourcis,elle n’en est pas moins capable de raffinement et desubtilité, comme en témoignent mes dernières lectures et leshéros que j’y ai croisés.Par Michel GiguèreM. Jean se caseUn nouveau « Monsieur Jean » est débarqué dansles librairies depuis peu ! Quiconque connaît lasérie (lancée en 1991) se délecte à l’avance dusavant dosage d’humour et d’émotion, d’auto-fictionet de fantaisie qui caractérise chacun desalbums du tandem Dupuy-Berberian. Avec eux, lalégèreté n’exclut en rien l’esprit ni quelquespointes de gravité. D’ailleurs, les mésaventures deJean sont devenues plus touchantes au fil desalbums. Lui-même évolue : le célibataire contrariéest devenu conjoint et père, la crise de latrentaine a fait place à un certain équilibre,qui donne son titre à ce septième opus et,sous les points qui lui servent d’yeux,M. Jean a désormais deux cernes.La série évolue aussi sur le planformel : le trait d’abord « ligneclaire » et les couleurs (signéesici par Ruby) se font sans cesseplus organiques. Après nousavoir présenté tantôt desrecueils de récits courts, tantôtdes récits longs, le duo debédéistes nous propose cette foisdes gags d’une planche ou deux.Peut-être cette forme plusastreignante ne leur permet-elle pas dedonner la pleine mesure de leur talent et rend leprésent album plus anecdotique que les précédents...Peut-être aussi que le statut de père deleur personnage principal les porte à reléguerJean à un rôle plus effacé... Quoi qu’il en soit, lessaynètes font sourire et réfléchir, mais nous laissentespérer un retour en force de MonsieurJean, dût-il sacrifier un peu de son équilibre.Mon père, ce monstreComme Un certain équilibre, Prestige de l’uniformeparaît dans la collection « Expresso », et met enscène un homme, sa compagne et sa fillette. Là s’arrête lacomparaison. La rondeur des dessins de Dupuy-Berberianlaisse place à un graphisme enlevé, façon Blutch ouFrederik Peeters. Un graphisme signé Hugues Micol, quiconcourt à la création d’une atmosphère oppressante. Ici,nulle légèreté : le lecteur s’enfonce dans une œuvre sombreet désespérée. D’aucuns la trouveront de prime abordrebutante et passeront outre. Tant pis pour eux. Auxautres, avides d’expériences fortes, je ne saurais que trop enrecommander la lecture.Amorce intrigante, une narration au « je » : le protagonistese dévoile peu à peu. C’est un pauvre type qu’unaccident de laboratoire dote de facultés surnaturelles touten le rendant hideux. On croit reconnaître Hulk ou le DrManhattan des Watchmen ; en fait, on est plus près ducafard de Kafka dans La Métamorphose. Ce héros malgrélui n’affronte pas de super-vilains costumés, mais plutôt lemépris, la cruauté, son dégoût de lui-même. À travers lecaractère fantastique de son histoire, et avec une grandequalité d’écriture, Loo Hui Phang se penche sur le couple,l’ascension sociale, le rapport aux autres et à soi-même, lemal à l’être... et les fascinantes propriétés du lichen. Voilàune fable d’un noir magnifique.<strong>Le</strong>s marionnettes de BrechtOn peut en dire autant de La Bulle de Bertold, desArgentins Agrimbau et Ippoliti, qui s’inspirent ouvertementde l’œuvre de Bertold Brecht, dans les thèmes —l’oppression et la manipulation des masses, le théâtrecomme outil de conscientisation et de révolution, etc. — ,autant que dans le traitement — effet de distanciationsuscité par la sobriété du ton et du « jeu » des personnages/acteurs.La bulle, c’est une demi-sphère de la taille d’unemontagne, contenant le gaz qui alimente Butanie,ville industrielle et sinistre soumise à un régimetotalitaire. Bertold est un idéaliste insoumis que laloi condamnera à être réduit à l’état d’hommetroncet que les circonstances mèneront àdevenir acteur vedette d’une troupe de marionnetteshumaines. Cette métaphorecauchemardesque a pour décor une villefictive et est truffée de machines, devéhicules et autres ordinateurs empruntésà diverses époques : on est nulle part etn’importe quand, façon de nous faire sentirque ce pourrait être partout et de tous temps.S’ils paraissent plus doués pour les climats suffocants quepour les scènes d’action, les deux bédéistes n’en relèventpas moins le défi de proposer une œuvre tout à la foisaccessible et exigeante, puisque « brechtienne », en plusde prouver, si besoin était, que l’Argentine constituedécidément un sol fertile en talents exceptionnels.L’Aigle sans orteils Christian Lax, Dupuis,coll. Aire libre, 78 p., 21,95 $Un certain équilibre : Monsieur Jean (t. 6)Dupuy-Berberian, Dupuis,coll. Expresso, 48 p., 16,95 $Prestige de l’uniforme Loo Hui Phang (scénario)& Hugues Micol (dessins), Dupuis,coll. Expresso, 80 p., 26,95 $La Bulle de Bertold Diego Agrimbau (scénario)& Gabriel Liniero Ippoliti (dessins),Albin Michel, 46 p., 27,95 $S E P T E M B R E - O C T O B R E 2 0 0 553

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