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07 cata 05 corr-v5 - bilboquet

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“At dawn on 8 th November 1930, the Parisianlawyer Gérard Fleury set out to find theright light to finish a film on the landscapearound Lake Thuit in Normandy. He died thesame day in still unelucidated circumstances.Three months previously, he had made oneof his modest family productions, and thiswas to be his last film.”“Opposite real-life time, which is fleetingand constantly slipping away, there is anothertime – the cinema’s time which embalmsa slice of time through the use of a film shot.My film begins by showing the tension thatexists between these two kinds of time, betweenreal-life, ephemeral time and the embalmedtime of cinema.” (J. L. Guerín)José Luis GuerínNé en 1960 à Barcelone, José Luis Guerínréalise, après des courts métrages en formede journaux intimes, son premier long métrage,Los Motivos de Berta (1984). Il réaliseensuite l’épisode espagnol du film collectifThe City (1988), puis, en 1990, ledocumentaire Innisfree, dans le village oùJohn Ford tourna L’Homme tranquille. AprèsTren de sombras, il réalise le long métragedocumentaire En construction (2001). Il enseignele cinéma et travaille à ses nouveauxprojets.Born in Barcelona in 1960, José Luis Guerín,after some short films in the form of a diary,made his first feature film, Los motivos deBerta (1984). He then went on to make theSpanish episode of the collective film, TheCity (1988), and the documentary, Innisfree(1990), in the village where John Ford hadmade The Quiet Man. After Tren de sombras,he made the full-length documentary En construcción,2001. He teaches cinema and is currentlyworking on his new projects.Plus qu’entre cinéastes de fiction et cinéastesdu réel, on pourrait faire le distinguoentre ceux qui croient tout savoir d’avanceet qui exécutent (aveuglement ?) un plan préalablementtracé, et ceux qui, au contraire, seposent des questions. Autant sur ce qu’ils filmentque sur la manière de filmer.Il s’agit là d’une différence tout au moins depersonnalité, sinon d’éthique. Quoi qu’il ensoit, elle a des incidences stylistiques, et peutdonner des résultats, sinon meilleurs, dumoins plus intéressants, dans la mesure oùun film conventionnel raté ne se pose pasde problème, tandis qu’un film qui cherche,même s’il n’est pas pleinement réussi, faitpenser, et que les questions posées par le cinéastese transmettent au spectateur à l’issuedu film.Je ne suis pas bien sûr qu’en d’autres temps,on se soit dit «Je vais faire un mélodrame»ou « Je vais réaliser une comédie ». Le résultatétait soit l’un soit l’autre, ou un mélangedes deux. Encore aujourd’hui, je croisque rares sont les réalisateurs qui se proposent,comme s’il s’agissait de genre, de réaliserun documentaire ou une fiction. S’il leurvient à l’esprit un sujet qui éveille leur curiosité,ou s’ils reçoivent une commande, ilscommencent par se demander commentfaire le point sur le sujet, comment approcherla question, sans savoir avec certitudeoù cela les mènera ni s’ils parviendront à unequelconque conclusion. Il arrive souvent queces films se situent, comme c’est fréquemmentle cas au cinéma, à la frontière entre« réalité » et « fiction », double origine (etpossible double destin) du cinéma depuis sesdébuts. En dehors des pays et des époquesoù le pouvoir de l’industrie est absolu, ellesrestent des possibles ouverts aux cinéastes.Dans certains cas, la manière d’approcher laréalité ou de l’approfondir, ou de la révéleren soulevant le voile des apparences, exigela création d’un dispositif, d’une trame imaginairequi permette précisément de pénétrerle réel sans se limiter à sa surface. Unexemple de ce système pourrait être Tren desombras, réalisé par José Luis Guerín entredeux documentaires moins ambigus,quoique tournés, justement, comme des fictions*.Tren de sombras part d’un found footage,un «film de famille» muet, en noir etblanc, incomplet, retrouvé dans un état dequasi-décomposition. Curieusement, alorsqu’il est tourné, visiblement mis en scènepar Guerín, beaucoup crurent qu’il s’agissaitd’un vrai film « amateur » ancien, retrouvépar Guerín et à partir duquel il avait écritune histoire en forme d’enquête policière.C’est presque le contraire, ce qui prouvel’ambiguïté de l’image cinématographiqueet la possible réversibilité du récit quand iln’est pas fondé sur la stricte causalité. Lesupposé « film ancien » est donc une faussefiction posée par Guerín – au seul moyend’un carton de début sans lequel rien nefonctionnerait – comme prétexte ou « Mac-Guffin » à une exploration hypothétique etconjecturelle de l’opacité des images cinématographiques,en évitant par cet artificeque Tren de sombras ne revête ouvertementun caractère d’essai ou ne soit qu’une purespéculation théorique. Sans qu’il soit besoinde commentaire, de dialogues ni de personnagesdirectement présents, il conditionneet transforme la manière de voir lefilm et d’assimiler l’information fournie.Il introduit – ou mieux : il ouvre une portequi nous invite à introduire – l’intrigue, ladramaturgie, les personnages et même lesuspense. Les lacunes, qui pourraient êtreattribuées au hasard ou dues au mauvaisétat de la copie, ouvrent alors de nouveauxpossibles : un certain désir illicite et enfouides opérateurs du « vieux » film de filmer –en cachette de la famille et à l’insu des personnages– la « périphérie » apparente del’action, l’oisiveté et les poses d’une familleaisée et nombreuse.Quand le film repasse sur la Moviola, la vitessechange, les images fragmentaires s’accélèrent,ralentissent ou se figent, détériorées,et c’est alors que naît le soupçon : oncroit découvrir un secret qui, en réalité, encache un autre. La reconstitution du film –non pas matérielle, mais bien plus celle deson tournage, des axes de prise de vue, desdirections de regards, du contrechamp absent(du hors champ, parfois reflété commepar hasard sur une surface brillante), des différentsplans qui stratifient l’action – sechange en enquête (non résolue) sur les activitésclandestines de certains personnages,en une hypothétique explication de l’histoiresecrète d’une famille.Il n’y a dans Tren de sombras ni parole ni récitau sens strict du terme. La majeure partiedu film, en noir et blanc, est une présentationdu film apocryphe des Fleury,succession capricieuse de scènes plus oumoins typiques du film de famille. Le filmentier, même les parties en couleurs, estmuet, bien qu’il y ait du son, de la musiqueet une ou deux phrases à peine audibles.Mais il a du rythme, de la tension, du mystère,et parfois du suspense... que se passet-il? Où va-t-on ?... Nous devinons deschoses, nous soupçonnons qu’il y a plus quecela, mais cela reste strictement imprévisible.Nous nous demandons sans cesse jusqu’àquel point c’est un film «de montage» ouun casse-tête chinois minutieusement organisé,et filmé avec une précision inouïe.Chaque plan n’est pas qu’un rectangle bidimensionnel,c’est un volume polyédrique.Nous interrogeons chaque photogramme ouce qu’il en reste. Nous le scrutons anxieusementen essayant de voir plus, de pénétrerson secret. La vieille caméra de M. Fleury,dans sa boîte doublée de velours rouge, rappelleles vieux pistolets de duel entrevus dansun vieux Max Ophuls. Un coup de tonnerre,la lune transfigurée, la pluie, évoquent unmonde de terreur et de mélodrame. Maisrien ne se passe, à ceci près que nous sentonsde plus en plus la présence des fantômesqui hantent le vieux film fragmentaireet la maison vide, peut-êtreabandonnée. Le film ne porte pas en vain lesous-titre “Le spectre du Thuit”.Est-ce nous qui rêvons devant les images quidéfilent encore et encore, qui reculent, s’accélèrentou ralentissent sur la Moviola ? Iln’y a aucune piste, aucune insinuation.Guerín laisse les images muettes parlerd’elles-mêmes, se réfléchir, se faire écho, serépondre. Il laisse les gestes et les regards sefaire mots de passe, pistes, signaux. Nouscroyons découvrir une histoire jusque là cachée,mais plus tard vient le pressentimentqu’elle en cache peut-être une autre. Sous lasurface des plus banales, conventionnelleset idylliques images de famille, se cachentde multiples intrigues possibles, des secretsqui affleurent en strates successives, en unevéritable archéologie du cinéma (rien à voiravec W. A. Ceram).Des enfants de Blow up (The Conversationou Blow Out) Tren de sombras pourrait bienêtre le plus inquiétant.Miguel Marías*Innisfree (1990) et En construction (2001)73

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