RECHERCHE16pouvoir réaliser un travail pratique, iln’existe pas à Bruxelles, contrairementà Paris par exemple, de directeurs demémoire ou un jury spécifique pourguider et pour évaluer ces travauxde mémoire pratiques. Une autreremarque concernant le rapport à lapratique, c’est que l’U.L.B. ne disposepas encore d’un espace aménagépour des ateliers ou pour des coursplus pratiques ni d’une salle pouvantaccueillir la présentation des projets oudes spectacles faits par les étudiants,ces travaux devant être présentés dansun support audiovisuel.Peux-tu expliquer brièvement en quoiconsistait ton travail de mémoire?Le titre en était «Le processus decréation de Materia viva: constructionet transformation d’un projetchorégraphique». Je voulais élaborerun projet chorégraphique en partantd’une remise en question du dispositifde création utilisé dans mes œuvreschorégraphiques précédentes. Larecherche était focalisée sur le processusde création, considéré comme uneforme artistique autonome pouvant êtrepartagée avec des spectateurs. L’étudecritique qui rendait compte du travailartistique consistait en une descriptionet en une analyse des particularités duprojet. Pour pouvoir décrire et analyserle projet artistique j’ai dû mettre enplace une méthodologie appropriée auphénomène spécifique. Pour cela j’aiutilisé, comme il se doit, des notionset des outils d’analyse empruntés auxdifférentes disciplines rencontrées aucours des études du Master.T’es-tu sentie isolée dans ton travailsur la danse?Non, je ne me suis pas sentie isolée carle dispositif de recherche que j’avaiscréé incluait la présence du spectateurdans le processus de travail, ce quim’a permis d’avoir des échanges trèsriches tout au long de la recherche. J’aipu également compter avec le soutienet les encouragements du directeur dumémoire à Paris, Jean-Marie Pradier.Le cadre universitaire est-il appropriépour faire de la recherche endanse?Je crois, et j’espère qu’il peut être un bonoutil pour la recherche. Il faudrait sansdoute que les universités accordent plusde place à la pratique, pour arriver à unbon équilibre entre pratique et théorie.Un modèle exemplaire à ce niveau estle département de danse de l’Universitéde Nice où le doctorat peut être à lafois un travail de recherche théoriqueet pratique, comme c’est le cas aussidans les universités de Bahia ou deBogotá. Évidemment, l’université n’estpas le seul cadre possible ni forcémentle meilleur pour faire de la recherche endanse, mais il peut par exemple donnerau créateur la possibilité d’investirdu temps dans une recherche sansles contraintes et les critères d’uneproduction et de travailler au sein d’uneéquipe de recherche.Qu’est-ce que selon toi être chercheuren danse?Pour l’instant, je vois le chercheur endanse comme celui qui investigueet approfondit des problématiquesrelatives à la danse. Ces problématiquespouvant être étudiées selon différentesperspectives: celles de la créationchorégraphique, de la recherchepédagogique, de l’anthropologie dela danse, de l’ethnochoréologie, del’ethnoscénologie, de l’esthétique,etc CDPLa r e c h e r c h e e n d a n s e à l’u n i v e r s i t é c o m m e g a g e d e l ib e r t éD’après un entretien avec Béatrice Balcouplasticienne, chorégraphe et doctorante à l’Université de Rennes au département d’Arts Plastiques,actuellement en résidence à l’Université Catholique de Louvain (UCL)Quel est ton parcours d’étude avantd’avoir entamé ton doctorat?Je viens des arts plastiques. J’ai fait unBac option Arts plastiques, suivi d’unelicence et d’une maîtrise égalementen Arts plastiques à l’Université deRennes, puis un DEA à l’Université deParis I. J’ai ensuite passé l’agrégationqui m’a permis d’enseigner, ce que j’aifait durant cinq ans tout en continuantmon travail de plasticienne. Cette pratiqueartistique (qui interrogeait le corpssocial) m’a ensuite conduite au CentreChorégraphique National de Montpellieroù j’ai participé au projet « ex. e. r.ce », co-dirigé par Mathilde Monnier etXavier Le Roy.Avant cette expérience, avais-tu unepratique de danse?J’ai suivi des cours de danse classiqueet de Modern Jazz durant mon enfanceet adolescence mais pas de manièretrès approfondie. C’est vers l’âge de27 ans que j’ai commencé à participerà des workshops de danse contemporaine.Je pense avoir également reçuune éducation chorégraphique en tantque spectatrice. J’ai, au cours de mesétudes, travaillé comme hôtesse auThéâtre National de Bretagne puis àl’Opéra Garnier à Paris. J’y ai vu touteune série de spectacles et plusieursfois de suite. Cela m'a donné une certainecompréhension et connaissancedes pièces, finalement.Et à l’université, as-tu suivi descours théoriques sur la danse ?Non. Le seul cours où il était un peuquestion de danse était le cours d’analyseet d’histoire théâtrale lors de mapréparation à l’Agrégation.Cela t’a-t-il manqué ?Pas outre mesure. J’ai beaucoup lu parmoi-même et j’ai beaucoup appris ausein d' « ex.e.r.ce ».Pourquoi t’es-tu lancée dans un doctorat?D’abord, j’aime beaucoup enseigner.Or, avec l’Agrégation en France, j’avaisla possibilité d’enseigner les arts plastiquesdans des collèges et très peudans des lycées ou à la Fac.La thèse est une opportunité d’enseignerà l’Université ou dans des écolessupérieures. C'est une motivation importante.Mais la thèse est aussi unemanière de prendre de la distance parrapport à ma pratique et de mieux yréfléchir. Elle n'est pas dissociée demes autres activités. Au contraire, elleme permet d’articuler tous mes centresd’intérêt: l’enseignement, la rechercheet la pratique artistique.Peux-tu brièvement expliquer surquoi porte ta thèse?Le titre de mon projet de thèse est: «laquestion du réel en danse». Il s’agitde revisiter la théorie et la pratique duréalisme en arts plastiques et de tenterune transposition de ces recherches endanse afin de faire émerger une nouvellemanière de représenter le corpssocial sur scène. Ma recherche théoriqueest étroitement liée à ma recherchepratique. Je passe sans cesse dela vidéo, de la photo ou du dessin à lascène et à l'écriture. Ce sont ces allersretoursqui me permettent de comprendreplus de choses. Malgré son titre,je ne considère pas que la danse soitspécifiquement mon sujet de thèse. Jecrois que mes travaux ont en communla recherche autour du mouvementmais je me situe autant dans les artsplastiques que dans la danse.Comment en es-tu venue à poursuivretes recherches à Bruxelles? Quet’offrent les structures universitairesbelges?Je suis à Bruxelles parce que le contexteest favorable à la recherche en danse.Bruxelles a l’avantage d’avoir deuxcommunautés: l’une francophone tournéevers la culture latine, et l’autre flamandetournée vers la culture germanique.On peut ainsi avoir un panoramatrès large de la création européenne etcomprendre davantage les enjeux de ladanse contemporaine aujourd’hui. Auniveau universitaire, j’ai l’occasion, grâceà une bourse de mobilité obtenue vial’Université européenne de Bretagne,de collaborer durant cinq mois avec leLaboratoire du Gresth (Groupe de Rechercheen Esthétique Théâtrale, auxFacultés Saint-Louis et à l'Universitéde Louvain-la-Neuve). C’est un labora-Écorces et corps #2 © Anouk Meurrenstoire tenu par des philosophes qui souhaitaientjustement s’ouvrir à la danseet laisser une plus grande place auxpraticiens (danseurs, plasticiens, comédiens).Le Gresth organise plusieursfois par an des journées d'études. Laprochaine, sur laquelle je travaille, estconsacrée à la danse et la philosophie.Cette « résidence » me permet de découvrirle milieu universitaire belge maisaussi d’approfondir l’axe philosophiquede ma recherche. C’est aussi l’opportunitéde rencontrer d’autres chercheurset de partager mes travaux de thèse.Que penses-tu du cadre universitairecomme lieu de recherche en danse?Penses-tu que les universités devraientfaire plus de place à la danseen général?Je vois l'université comme un espacede respiration et comme un gage de libertéparce qu'elle n'est pas forcémentconnectée avec le marché de l'art ets'axe essentiellement vers la recherche.En Belgique, comme la rechercheen danse à l'université est quasimentabsente, je ne sais pas encore à quoi jedois m'attendre.Comment définirais-tu ton orientationméthodologique?Elle est le résultat des différentesexpériences en éducation artistiqueque j’ai pu connaître. Je ne sais pasencore très clairement la définir. Toutpasse par l’expérimentation artistique.J'ai par exemple monté des projetsavec des amateurs sur scène, ce quim'a permis de questionner le réel et lareproduction de ce réel en scène. Montravail en tant qu'interprète est aussiune source de réflexion. Je pense enfait que ma méthode de travail consisteà relier toutes mes pratiques.Sur quoi aimerais-tu que ta thèsedébouche?L'enseignement et la poursuite de marecherche artistique. Pour le moment,je participe à des colloques, ce qui estune bonne manière de communiquersur mon travail. Je vois aussi la thèsecomme une manière d’approfondir montravail d’interprète, de chorégraphe etde plasticienne. Tout est lié.
Communiques-tu avec d'autresdoctorants ou chercheursindépendants?Non, pas vraiment. Je suis plusen contact avec des artistes. Maisj’aimerais beaucoup rencontrer d’autreschercheurs.La r e c h e r c h e e n d a n s e p o u r u n e a p p r o c h e p l u s c o m p l è t e d el’h i s t o i r e c u lt u r e l l eD’après un entretien avec Staf Voschercheur de la FWO 1 à la K.U.L., section Histoire Culturelle Après 1750.Si tu n’avais pas eu de boursepour ta thèse, aurais-tu entamé tarecherche?Oui, elle était déjà commencée. Maisle fait d’avoir une bourse de rechercheest une forme de reconnaissance quivalorise en quelque sorte mon travail,et m’encourage à le poursuivre.Que signifie pour toi être chercheuseen danse?Cela veut dire beaucoup de choses.Pour le dire simplement, c’est peut-êtrequelqu’un qui essaie de comprendreun peu mieux la danse. Mais je pensequ’il est important de différencier leschercheurs praticiens et ceux qui seconcentrent essentiellement sur larecherche théorique ou historique. Ladémarche et la méthodologie ne sontpas les mêmes CDP1. ex. e. r. ce est un lieu de passage vers la vieprofessionnelle d’artiste chorégraphique maisprivilégie aussi d’autres passages et passerellesvers d’autres arts et d’autres façon d’envisagerces métiers. Le programme s’invente, se signed’abord autour des artistes et des personnalitésqui la créent et se pense autour d’un ensemble demoyens, d’outils et d’espaces mis à la dispositiondes étudiants.Quel a été ton parcours d’étudesavant d’entreprendre ta thèse?J’ai étudié l’Histoire moderne à la K.U.L.Pendant mes licences, je n‘ai jamais travaillésur la danse mais sur la musique.Je suis musicien amateur et j’avais prisun certain nombre de cours optionnelsen musicologie. Mon sujet de mémoireportait sur les liens entre la musique, lapolitique et l’idéologie en Belgique dela fin du 19 e jusquà 1940. Une bonnepartie était consacrée à l’esthétique dela musique en Flandre pendant l’entre-deux-guerres.Une fois licencié, jesuis allé faire un MA en Angleterre, àYork, en Cultural History. J’ai fait undeuxième mémoire, sur le Festival deYork, connu notamment pour ses reprisesde mystères médiévaux. Jusque là,aucune trace de danse donc. Puis j’aidemandé une bourse au FWO qui estla seule possibilité pour un chercheuren Histoire. Pour ce type de bourse, ilfaut concevoir et proposer un projet. Etlà j’ai fait une proposition de rechercheen Histoire de la danse. Même si je nel’avais pas étudiée.Pourquoi la danse?J’avais travaillé sur la musique mais jesentais que j’avais atteint mes limites.Je ne voyais pas dans quelle directionj’aurais pu pousser plus loin mes recherchessur le contexte belge. En plus, laconcurrence est forte en musicologie.Ayant envie de travailler sur les arts engénéral, sur la vie culturelle belge et lecroisement des disciplines, je me suisvite rendu compte que l’Histoire de ladanse pouvait m’offrir cela, avec l’avantagede rester malgré tout liée à l’Histoirede la musique. En plus, quasimentpersonne ne s’y intéressait dans les universitésbelges. Une autre motivationimportante, plus pragmatique, était queje ne voulais pas d’un sujet polémique,comme le nationalisme, les syndicats…L’histoire de la danse en Belgique m’asemblé être un havre, une petite nichepour un chercheur, où on me laisseraitÉcorces et corps #3 © Anouk Meurrenstravailler tranquillement, sans devoirrendre de comptes à trop de monde. Etj’ai eu de la chance, mon projet a été retenu.J’ai proposé un sujet susceptibled’intéresser les professeurs d’histoireet qui pouvait contribuer à l’avancée dela recherche en Histoire et en Histoireculturelle en Belgique. J’ai fait évidemmentdu «name-dropping», c’est à direque j’ai essayé de mettre en évidencedes grands noms de la culture belge decette époque comme Georges Rodenbachou Paul Van Ostaijen qui avaientd’une manière ou d’une autre des liensavec la danse. Avec le recul, et pourêtre honnête, je ne suis pas sûr quej’ai eu cette bourse parce que le sujetportait sur la danse. Mais probablementdavantage en raison de mon parcoursacadémique personnel et ses convergencesavec les opportunités académiquesdu moment.Ton choix n’était donc pas lié à unepratique personnelle de la danse?Non, je n’ai jamais pratiqué la danse.J’ai un handicap moteur d’ailleurs etje dois avouer que c’est assez loin demoi. Mon intérêt pour la danse était plutôtintellectuel. Et je ne suis pas sûr qu’ilsoit indispensable de pratiquer la dansepour mon sujet, qui traite plus de laréception et des discours sur la danse.Ce qui me manque, par contre, ce sontdes connaissances en matière de techniquede danse, qui peuvent être utilespour comprendre les discours.Et ta pratique de spectateur?Je pense qu’assister à des spectaclesaujourd’hui me fait prendre consciencede la nécessité pour un historien de nepas juger si une pièce est bonne oumauvaise, que ce soit dans le passéou dans le présent. Son travail consisteà essayer de comprendre le cadredans lequel une création s’inscrit. Parailleurs, assister à des recréations deballets historiques m’est très utile,même si je dois, une fois de plus restervigilant au cadre actuel de la reconstructionpour éviter des anachronismesd’interprétation.Peux tu dire brièvement sur quoiporte ta recherche?Sur la «danse artistique» de 1890 à1960 en Belgique. Je travaille sur quatreniveaux. 1) Ce qui s’est passé enBelgique de 1890 à 1960. Depuis lepassage de Loïe Fuller jusqu’à Béjart.Et notamment comment on s’est appropriéici la danse «moderne» venued’ailleurs. 2) La réception par les critiqueset l’analyse des discours sur ladanse (verbaux et visuels). 3) La relationavec les autres arts. L’influence dela danse sur l’esthétique et la philo etnotamment les débats sur la hiérarchiedes arts… 4) L’appropriation et l’expressionpar la danse des valeurs etdiscours d’autres domaines comme lapolitique, la religion, l’éducation…Trouves-tu que l’université fournitun cadre optimal pour ta recherche?Je vois à la fois des avantages et desinconvénients au cadre universitaire.Ce qu’il m’offre d’abord, c’est le cadrestructurel et financier. Sans cela, jen’aurais pas entrepris cette thèse. Enplus de ça, je suis entouré de collèguesqui travaillent dans d’autres domaineset avec qui j’ai l’occasion de discuter.Et puis, une autre chose très importante:l’université m’offre l’occasion d’enseigner,dans le cadre de séminaires,d’écrire et de publier des articles, et desuperviser des travaux d’élèves. Lesinconvénients maintenant. Personneà la K.U.L. ne peut vraiment m’aidersur les questions de danse proprementdites. Je suis en contact avec unprofesseur de l’Université de Leyden,spécialiste des danses de l’Antiquité,avec qui j’ai des discussions d’ordreméthodologique. Mais en Belgique jeme sens isolé. Ensuite, la rechercheen Histoire de la danse n’offre pas devéritable débouché académiques ici. Ilsera probablement difficile de faire unpost-doctorat avec ce sujet car il n’y apas de perspective de création de postede professeur ordinaire en danse àla K.U.L.. Si je veux avancer dans lesrecherches sur l’Histoire de la danseen Belgique, je devrai probablement lefaire hors université. Á moins de le réorienter,ce dont je n’ai pas envie. Et ceciest un autre problème de la rechercheen danse à l’université: le manque deliberté individuelle dû aux obligationsdu parcours académique. Or j’ai envied’écrire sur ce qui m’intéresse, et pasnécessairement de faire du lobbyinginternational, par exemple, comme ilva de soi quand on brigue une carrièreuniversitaire. Mais il va sans dire que,pour le moment, dans le cadre de mondoctorat, l’université m’apporte un soutientrès précieux.Penses-tu que l’université en Belgiquedevrait faire d’avantage de placeà la danse dans ses programmes?L’absence de cours sur la danse t’at-ellemanqué?De mon point de vue, je crois que le faitque la danse ne figure pratiquementpas dans les cursus universitaires belgesn’est pas spécialement grave. Ál’Université d’Anvers, il y a quelquescours d’Histoire de la danse et d’Esthétique.Mais personnellement, je n’en aipas eu besoin. Une autre chose aussi,qui aurait pu m’être utile, ce sont desstages pour développer mes connaissancestechniques. Par exemple descours en Labanotation, ou en RythmiqueDalcroze… Mais pour ça je pour-17