la semainelogement En Allemagne, une organisation contribue depuis vingt ans à garantir sur le long termedes appartements bon marché. Correspondance à Berlin, Rachel Knaebel.Contre la spéculation, l’habitat auL’environnement est idyllique.C’est un anciencorps de ferme fraîchementrénové, juste à côté de jardinsouvriers, à un quart d’heureà peine du centre de Berlin. Troisbâtiments organisés autour d’unecour. Martin Hagemeier vit icidepuis deux ans avec ses 15 colocataires,dont quatre enfants.« L’un des bâtiments est classémonument historique. Il datede 1783 ! », indique l’homme de38 ans autour de la table d’unegrande salle commune avec cuisine.« Ici, avant, c’était uneétable. » Dehors, la terrasse donnesur un jardin encore sauvage,entre un empilement de bois et lescontainers de tri. « C’est encoretout frais. Le dernier arrivant aemménagé il y a six mois. »Que de chemin parcouru, pourtant,depuis que cinq personnes se sontdécidées à monter ce projet d’habitatautogéré, en 2010 ! Pour lemener à bien, elles se sont vite rapprochéesdu Mietshäuser Syndikat(Syndicat des immeubles locatifs).Cette organisation née à la toutefin des années 1980 dans le sudde l’Allemagne, dans le sillage desmouvements de squats, chapeauteaujourd’hui 87 projets d’habitatautogéré, qui logent environ2000 personnes à travers le pays.Certains comptent une poignéed’habitants, d’autres une centaine,qui se retrouvent pour trois assembléesgénérales par an. Et le réseauaccueille toujours plus de nouvellesinitiatives. Une trentaine d’entreelles sont déjà membres sans avoirencore acquis de bâtiment.Ainsi, l’ensemble où habite MartinHagemeier appartient, indirectement,à ses habitants. C’est leprincipe novateur de l’organisation.Le propriétaire des murs estune société à responsabilité limitée(SARL) qui compte deux associés: l’assemblée des habitants etle syndicat. Le même fonctionnementvaut pour tous les projetsmembres, ce qui les différencie descoopératives immobilières au sensstrict. « Une coopérative peut, si20 Politis 25 septembre 2014by-nc-sa Mietshäuser SyndikatSur laGrünbergerstrasse,àBerlin, l’undes 87 projetsd’habitatautogérésoutenus parle MietshäuserSyndikat.ses membres le décident, revendrele bien immobilier », expliqueMartin Hagemeier. Impossible ausein du syndicat. Revente des habitations,transformation en propriétésindividuelles ou changement destatut : sur toutes ces questions, lesvoix des deux associés de la SARLsont nécessaires.Le MietshäuserSyndikat a donc undroit de veto. Voilàl’astuce du systèmepour protéger les projets membresde tout retour sur le marché spéculatif,sans mettre à mal l’autogestiondes lieux.« Le système de SARL n’est quela forme juridique. Dans la prisede décision, nous fonctionnonsselon les principes de la démocratiedirecte », précise JochenSchmidt, de la centrale du syndicat,à Fribourg-en-Brisgau.Les habitants sontsouverains sur lagestion du lieu.L’assemblée des habitants est souverainesur tout ce qui concerne lagestion du lieu : financement, vieen commun, niveau des loyers.Ainsi, les locataires peuvent resterdans leur logement aussi longtempsqu’ils le souhaitent sans craindreune hausse intenable de loyer.« Ici, nous avonsdécidé de modulerles loyers enfonction des revenusde chacun,pour qu’une personne au chômagepuisse aussi y vivre, préciseMartin. Nos loyers varient entre200 et 400 euros par mois. »C’est un autre principe du mouvement: donner accès à chacun,quels que soient ses revenus, à cettesécurité du logement. Les projetsn’ont d’ailleurs pas le droit d’exigerun apport financier personnelpour pouvoir en faire partie. Maisils doivent trouver eux-mêmes leurmodèle de financement. Le syndicatcontribue simplement à hauteurde 12 400 euros par groupe,payés grâce à un fonds de solidaritéabondé par les projets existants.C’est ainsi que le réseau essaimedepuis vingt ans.Pour leur petit coin de verdure aunord de Berlin, Martin Hagemeieret ses colocataires ont acheté50 000 euros l’ancien corps deferme. « Mais c’était en très mauvaisétat, sans salle de bains utilisable,et avec un chauffage aucharbon », explique Martin. Larénovation a donc coûté cher :700 000 euros. « Pour ma part, jen’avais pas d’économies », préciset-il.Il en allait de même pour la plupartde ses colocataires. Commentfinancier une telle somme sansapport ? À travers ce que le syndicatappelle des « crédits directs »,
la semainetogéréde l’argent prêté sans passer parles banques à des taux de 2 %maximum.Les créanciers sont le plus souventissus du cercle familial et amical. « Ily a aussi des projets plus anciensqui disposent d’une plus grandemarge de manœuvre financièreet prêtent aux nouveaux », noteJochen Schmidt. Des prêts classiquescontractés auprès de banquessociales complètent le financement.Face aux organismes financiers, êtreadossé au syndicat représente unargument de taille.« C’est parce que nous étionsmembres du syndicat que labanque nous a accordé les créditsdont nous avions besoin », assurepar exemple Florian Schöttle, duprojet berlinois Kastanienallee 85.L’ancien squat culturel et d’habitationdans l’est de la ville s’étaitretrouvé menacé de disparition. lly a un peu plus d’un an, une foisleur contrat avec les propriétairesarrivé à terme, les 45 habitants dulieu (qui comprend aussi un café,une librairie engagée, une soupepopulaire…) ont trouvé la solutiondans le rachat des bâtiments,avec l’aide du syndicat.Tous les prêts, directs et bancaires,sont ensuite amortis par lesloyers. Ceux-ci continuent d’êtrepayés après remboursement, pourle transfert solidaire vers de nouvellesinitiatives. Mais le montagen’est pas forcément sans risque.En 2010, un projet du syndicat afait faillite : les coûts de rénovationavaient explosé.« La gestion financière collectiveest constante », souligne MartinHagemeier. Chez lui, les douzehabitants adultes organisent deuxséances plénières par mois. Pourles courses, ils s’approvisionnenten commun, et autant que possibleen bio. Ils ont installé des panneauxsolaires sur un de leurs toitset prévoient de cultiver leur potager.Même l’éducation des enfantsest sujette à discussion collective.« Nous avons parlé de leur alimentation,afin de savoir s’ils mangenttrop de sucre. »Le bâtiment dela coopérativeKalkbreite,à Zurich,inaugurécet été.Rachel KnaebelPour Martin, qui a toujours vécu encolocation, ce mode de vie est idéal.« Je cherchais un groupe plus largeque seulement trois ou quatre personnes.Et je voulais pouvoir resterà Berlin sur la durée. »Dans une ville où les loyers ontconnu une hausse brutale cesdernières années, le modèle duMietshäuser Syndicat séduit deplus en plus. « L’année dernière,À Zurich, les coopérativesreprennent la mainDans la plus grande ville de Suisse, l’habitat partagé représenteun cinquième des logements. Et connaît même un nouveau souffle.ÀZurich, le mouvementd’habitat coopératif estvieux de plus d’un siècle. Uncinquième des logements appartientaujourd’hui à des coopératives.En tant que structures d’intérêtgénéral, celles-ci louent à prixcoûtant, donc bien moins cher quedans le parc privé.Face à des loyers de plus en plusélevés, inaccessibles à la plupartdes Zurichois, le logement coopératifconnaît un renouveau depuisle début des années 2000, là aussidans le sillage des mouvementsde squats. Deux nouveaux projetsviennent le montrer. Dans lecentre de la ville, la jeune coopérativeKalkbreite a construit unensemble de 87 logements pournous avons conseillé à Berlin75 groupes intéressés », souligneMartin. Une poignée de projets ensont nés. Jochen Schmidt constateaussi « un boom » dans tout le paysdes demandes pour intégrer le syndicat.« C’est parce que l’idée estbonne, même si c’est difficile àgérer. » D’autant plus que les bâtimentsadaptés à des projets collectifsse font toujours plus rares.230 personnes au-dessus d’unezone de stationnement de trams. Letout dans un cadre écologique (il estnotamment interdit aux habitantsde posséder une voiture) et communautaire,avec un maximum d’espacespartagés, des ateliers autogérés,une cuisine professionnellecollective… Le tout piloté au seinde commissions d’habitants.En périphérie, un programme de450 logements, Mehr als Wohnen(« Plus que des logements »), chapeautépar une trentaine de coopératives,sera inauguré à l’automne.Là aussi, beaucoup d’espaces partagés(bar, studio de musique…) etpas de voitures autorisées pour leshabitants, mais un système d’autopartageimplanté sur le site.« Il n’y a presque plus d’immeublesentiers à acheter, surtout dans lesgrandes villes comme Hambourg,Fribourg, Berlin… » Ou alors ils’agit de bâtiments fonctionnels :anciennes gares, casernes, etc.« Ou bien de bâtiments classés,comme chez nous, qui effraientles investisseurs », observe Martin.Le syndicat soutient d’ailleurs deplus en plus de projets de constructionen neuf.Même face à ces difficultés (1),l’exemple du syndicat a donnédes idées jusqu’en France. Un collectifs’est constitué dès 2005, leClip, pour en transposer les principes: retrait du marché spéculatifet propriété d’usage. « Le syndicatdémembre complètement ledroit de propriété. Le droit d’usageprime. Les revenus de la propriété,les loyers, vont au financement dubien commun, c’est-à-dire auxnouveaux projets. Et le droit derevente est supprimé », résumeavec enthousiasme Aurélie, du Clip.Un premier compromis de vente,pour un projet dans le Perche, a étésigné cet été.≥ R. K.(1) Un autre obstacle menace : une réformeprévue à l’automne sur la protection des petitsinvestisseurs, qui va rendre plus difficile lesystème des crédits directs, essentiel aufonctionnement du Mietshäuser Syndikat.Dans les deux cas, la ville de Zurichaide les projets par des prêts avantageuxet subventionne une partiedes logements, destinés aux faiblesrevenus. Mais ce sont les coopérativesqui décident de tout le reste.Le principe coopératif garantit unesécurité du logement aux locataires.Les habitants doivent certes acheterune part, chère (ici entre 15000 et25000 euros), pour devenir sociétaires,mais son paiement peut êtreétalé sur plusieurs années. « 20 %des logements sont subventionnéspar la Ville. Donc, une partimportante des habitants disposede revenus modestes », soulignel’initiateur du projet Mehr alsWohnen, Andreas Hofer.≥ R. K.25 septembre 2014 Politis 21