12.07.2015 Views

Destination(s) de la connaissance dans l'entretien de recherche : l ...

Destination(s) de la connaissance dans l'entretien de recherche : l ...

Destination(s) de la connaissance dans l'entretien de recherche : l ...

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

Cet article est disponible en ligne à l’adresse :http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=LS&ID_NUMPUBLIE=LS_123&ID_ARTICLE=LS_123_0053<strong>Destination</strong>(s) <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>connaissance</strong> <strong>dans</strong> l’entretien <strong>de</strong> <strong>recherche</strong> : l’inégaleappropriation <strong>de</strong>s offres <strong>de</strong> senspar marc GLADY| Maison <strong>de</strong>s sciences <strong>de</strong> l'homme | Langage & société2008/1 - n° 123ISSN 0181-4095 | ISBN 978-2-7351-1103-9 | pages 53 à 72Pour citer cet article :— G<strong>la</strong>dy M., <strong>Destination</strong>(s) <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>connaissance</strong> <strong>dans</strong> l’entretien <strong>de</strong> <strong>recherche</strong> : l’inégale appropriation <strong>de</strong>s offres <strong>de</strong>sens, Langage & société 2008/1, n° 123, p. 53-72.Distribution électronique Cairn pour Maison <strong>de</strong>s sciences <strong>de</strong> l'homme.© Maison <strong>de</strong>s sciences <strong>de</strong> l'homme. Tous droits réservés pour tous pays.La reproduction ou représentation <strong>de</strong> cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que <strong>dans</strong> les limites <strong>de</strong>sconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, <strong>de</strong>s conditions générales <strong>de</strong> <strong>la</strong> licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et <strong>de</strong> quelque manièreque ce soit, est interdite sauf accord préa<strong>la</strong>ble et écrit <strong>de</strong> l'éditeur, en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong>s cas prévus par <strong>la</strong> légis<strong>la</strong>tion en vigueuren France. Il est précisé que son stockage <strong>dans</strong> une base <strong>de</strong> données est également interdit.


<strong>Destination</strong>(s) <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>connaissance</strong><strong>dans</strong> l’entretien <strong>de</strong> <strong>recherche</strong> :l’inégale appropriation <strong>de</strong>s offres <strong>de</strong> sensMarc G<strong>la</strong>dyUniversité Paris-Dauphinemarc.g<strong>la</strong>dy@dauphine.frPour qui, pourquoi, parle l’interviewé <strong>dans</strong> un entretien <strong>de</strong> <strong>recherche</strong> ?Quels sont les éléments d’interaction avec le chercheur qui encouragent<strong>la</strong> production du sens en s'appuyant sur un “désir <strong>de</strong> sens” <strong>de</strong> l'interviewé(Rogers 1945 ; Giust-Desprairies 2004) ? Et ce sens, à qui est-il adressé et/ou <strong>de</strong>stiné, c'est-à-dire pour qui est-il produit ? Pour soi ? Pour le commanditaire? Pour le chercheur comme personne ? Pour le chercheur en tant qu’ilsymbolise un rapport à un objet <strong>de</strong> <strong>recherche</strong> ? Pour <strong>la</strong> <strong>connaissance</strong> en tantqu'elle symbolise le progrès, <strong>la</strong> liberté, l'émancipation ? Pour <strong>la</strong> société entant qu’elle interpelle <strong>dans</strong> son <strong>de</strong>venir <strong>la</strong> réalisation i<strong>de</strong>ntitaire du sujet ?Dans cet article, nous interrogeons <strong>de</strong>s moments <strong>de</strong> l’interaction entreenquêteur et interviewé (que nous appellerons désormais E. et I.) <strong>dans</strong> uneenquête sur le vécu du licenciement auprès d’une popu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> sa<strong>la</strong>riésdu secteur bancaire touchés par un p<strong>la</strong>n social . La démarche s’inscrit <strong>dans</strong>l’espace <strong>de</strong> <strong>la</strong> comman<strong>de</strong> d’un comité d’entreprise et les discours produitsvont porter <strong>la</strong> trace <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>stinataire, auxquels on s’adresse à travers <strong>la</strong>. L’enquête qui s’est déroulée sur une durée <strong>de</strong> 2 ans et a conduit à interviewer une cohorte<strong>de</strong> 10 sa<strong>la</strong>riés, a consisté en une analyse longitudinale à caractère qualitatif, incluant<strong>la</strong> réalisation <strong>de</strong> trois entretiens : le premier avant le départ <strong>de</strong> l’entreprise du sa<strong>la</strong>rié, lesecond et le troisième, respectivement 3 mois et 6 mois après le départ. L’objectif étaitd’explorer successivement : le vécu <strong>de</strong> <strong>la</strong> séparation, celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>recherche</strong> d’emploi et <strong>de</strong>l’ai<strong>de</strong> liée au p<strong>la</strong>n social, le retour ou non à l’emploi six mois après le licenciement.© Langage et société n° 123 – mars 2008


54Marc G<strong>la</strong>dyfigure <strong>de</strong> l’enquêteur, notamment pour lui faire retour sur l’ai<strong>de</strong> apportéeet sur les mesures d’accompagnement du p<strong>la</strong>n social négocié. Mais lechercheur-intervenant a fait mention <strong>de</strong> son statut <strong>de</strong> sociologue et <strong>de</strong> savisée <strong>de</strong> compréhension du vécu du chômage et <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> retour àl’emploi, ce qui ouvre <strong>la</strong> parole produite à une autre <strong>de</strong>stination que celle<strong>de</strong> <strong>la</strong> comman<strong>de</strong> sociale.Pour réfléchir sur les effets <strong>de</strong> <strong>connaissance</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> dynamique exploratoire,nous avons cherché à isoler <strong>de</strong>s moments interactionnels qui portent uneproposition d’interprétation du sens <strong>de</strong> <strong>la</strong> situation vécue par l’interviewé.Ces moments ne sont pas rares, on peut dire en effet que c’est l’ensemble<strong>de</strong> <strong>la</strong> dynamique interlocutoire <strong>dans</strong> un entretien <strong>de</strong> <strong>recherche</strong> qui est structuréepar les propositions <strong>de</strong> sens que fait E. à I. à travers ses interventions.En revanche, il nous semble que le type d’inférence en jeu <strong>dans</strong> le processusinterprétatif peut introduire <strong>de</strong>s déca<strong>la</strong>ges plus ou moins importants avec<strong>la</strong> parole <strong>de</strong> l’interviewé, ce que nous appelons plus loin <strong>de</strong>s « ouvertures<strong>de</strong> sens », et que par ailleurs <strong>la</strong> visée interprétative du chercheur-enquêteurpeut favoriser et par conséquent intégrer plus ou moins <strong>la</strong> production d’une<strong>connaissance</strong> à <strong>de</strong>stination <strong>de</strong> l’interviewé et/ou <strong>de</strong> l’objet <strong>de</strong> <strong>recherche</strong>.De ce point <strong>de</strong> vue, les interventions interprétatives du chercheur doiventêtre analysées <strong>dans</strong> leur double rapport aux enjeux <strong>de</strong> soutien et d’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong>l’interviewé et <strong>de</strong> mobilisation d’une problématisation <strong>de</strong> <strong>recherche</strong>. C’estsur ce que cette double <strong>de</strong>stination induit en termes <strong>de</strong> conduite d’entretienque nous souhaitons réfléchir <strong>dans</strong> cet article, comme en témoignent lescas d’interprétation retenus ci-<strong>de</strong>ssous. Comment l’activité interprétative<strong>de</strong> E. favorise ou pas <strong>la</strong> production d’une <strong>connaissance</strong> va<strong>la</strong>ble pour le sujetet pour le chercheur ? Quelles sont les conditions pour que l’interprétationsoit reconnue par I. ? Qu’est-ce qui favorise « l’alliance <strong>de</strong> travail » entre E.et I. (Palma<strong>de</strong>, 1988 : 37) ?1. Un exemple d’alliance <strong>de</strong> travailComme l’a montré L. Rolfsen Petrilli Segnini à propos <strong>de</strong> <strong>la</strong> privatisationdu secteur bancaire au Brésil (2001 : 133), l’entrée <strong>dans</strong> le chômage s’accompagnesouvent d’un fort sentiment <strong>de</strong> liberté, d’autant plus importantque le vécu du travail a été synonyme <strong>de</strong> stress et <strong>de</strong> tensions. Mais le désir<strong>de</strong> réalisation <strong>de</strong> soi comme sujet résiste mal à <strong>la</strong> situation <strong>de</strong> non-travail,notamment en ce que celle-ci rabat les femmes sur <strong>la</strong> sphère domestiqueoù elles sont traditionnellement et idéologiquement assignées. Cetarrière-p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> <strong>connaissance</strong> oriente l’exploration par l’enquêteur (E.) dudiscours <strong>de</strong> Nathalie, 45 ans, comptable <strong>dans</strong> l’entreprise bancaire <strong>de</strong>puisplus <strong>de</strong> 15 ans, et qui dit <strong>de</strong> son licenciement que « c’est peut-être une


56Marc G<strong>la</strong>dySi I. s’empare avec un tel profit apparent <strong>de</strong> l’expression « bénéfice secondaire» (entendue ici au sens <strong>de</strong>scriptif et pas notionnel), c’est sans doute quecette <strong>de</strong>rnière con<strong>de</strong>nse plusieurs niveaux <strong>de</strong> <strong>de</strong>scription, <strong>de</strong> compréhensionet peut-être même d’interprétation <strong>de</strong> <strong>la</strong> situation vécue. La réplique <strong>de</strong>l’enquêteur dévoile à l’interviewée <strong>la</strong> positivité <strong>de</strong>s gains. L’expression pointeles aspects positifs d’un temps retrouvé pour soi et pour sa famille . Maissimultanément elle ouvre au danger d’abandonner <strong>la</strong> <strong>recherche</strong> d’emploi,c'est-à-dire <strong>de</strong> s’accrocher aux avantages <strong>de</strong> <strong>la</strong> situation en oubliant quecelle-ci ne peut être que temporaire . Ainsi l’énoncé repris et appropriéest-il immédiatement dép<strong>la</strong>cé et réinscrit – à <strong>la</strong> faveur d’un marqueur<strong>de</strong> réflexivité à caractère métadiscursif (« Et je me dis que ») – <strong>dans</strong> unemodalisation au futur (« il y aura peut-être…, si… »). L’offre <strong>de</strong> sens duchercheur sert aussi à imaginer une satisfaction que ne suffit pas à donnerl’investissement <strong>dans</strong> <strong>la</strong> vie familiale : un <strong>de</strong>s « bénéfices secondaires » <strong>de</strong><strong>la</strong> situation <strong>de</strong> chômage est précisément d’être mis <strong>de</strong>vant l’obligation <strong>de</strong>se réorienter, <strong>de</strong> retrouver un travail plus intéressant (cf. « c’est peut-être lebon coup <strong>de</strong> pied aux fesses qu’il me fal<strong>la</strong>it », I. 6).Le retour du chercheur fonctionne donc comme un véritable instrument<strong>de</strong> découverte qui donne à voir les différentes facettes d’une expériencecomplexe <strong>de</strong> chômage. L’expression est remobilisée dialogiquement par I. àun autre moment <strong>de</strong> l’entretien pour réfléchir sur <strong>la</strong> rapidité d’acceptation<strong>de</strong> son licenciement (visiblement facilitée par l’envie <strong>de</strong> retrouver une viepersonnelle plus intense) :E. 44 : Et vous l’avez d’une certaine manière accepté très, très rapi<strong>de</strong>mentcette heu… (décision)I. 21 : Oui je l’ai accepté très rapi<strong>de</strong>ment parce que je pense que…comme… j’étais menacée <strong>de</strong>puis <strong>de</strong> nombreuses années, je m’étais un petitpeu faite à l’idée et heu… je suis quelqu’un qui anticipe beaucoup /…/ Etet et puis <strong>de</strong> ce point <strong>de</strong> vue-là, comme j’anticipe beaucoup heu… c’estvrai que j’accepte mieux. (3s.) (très bas) J’accepte mieux. Et comme on enpar<strong>la</strong>it tout à l’heure, y’a <strong>de</strong>s bénéfices secondaires et… et je suis très consciente<strong>de</strong>s bénéfices secondaires… Voilà.. La situation <strong>de</strong> chômage permet notamment un rééquilibrage du temps au profit <strong>de</strong> <strong>la</strong>vie familiale, équilibre menacé <strong>dans</strong> les <strong>de</strong>rniers moments <strong>de</strong> l’activité professionnellepar le conflit avec un supérieur hiérarchique qui ne comprenait pas que I. maintienneun 4/5 e <strong>de</strong> temps pour s’occuper <strong>de</strong> ses jeunes enfants.. Dans <strong>la</strong> théorie freudienne <strong>de</strong> <strong>la</strong> névrose, s’accrocher aux bénéfices secondaires est unprocessus <strong>de</strong> résistance à <strong>la</strong> cure qui peut avoir pour finalité <strong>de</strong> tenir en échec le désirconscient <strong>de</strong> guérir (Lap<strong>la</strong>nche & Pontalis 1967 : 46).


<strong>Destination</strong>(s) <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>connaissance</strong> 57Elle ouvre à une réflexion sur <strong>la</strong> gestion <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>recherche</strong> <strong>de</strong> travail etsur l’horizon temporel du retour à l’emploi, le confort <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie familialeretrouvée apparaissant comme un obstacle véritable à l’investissement <strong>dans</strong><strong>la</strong> démarche <strong>de</strong> prospection. Elle fait notamment émerger <strong>la</strong> difficulté d’uncompromis :I. 95 : C’est pas évi<strong>de</strong>nt non plus <strong>de</strong> trouver ce, ce… [E. 126 : Compromis]ce compromis, cet équilibre. À <strong>la</strong> fois comme je vous disais tout à l’heure : à<strong>la</strong> fois aller à <strong>la</strong> piscine, aller au cinéma, m’occuper <strong>de</strong> mes enfants et à <strong>la</strong> foisrester <strong>dans</strong> une dynamique en me disant il faut que je retrouve un emploi,il faut que je construise quelque chose pour trouver cet emploi. Et que, etque j’ai envie <strong>de</strong> reprendre un emploi ! Parce que… faut pas non plus queje me… comp<strong>la</strong>ise <strong>dans</strong> une situation où finalement je suis bien à <strong>la</strong> maison(rires) » (entretien Nathalie n° 1)Enfin, à travers tout un travail interdiscursif où le thème <strong>de</strong>s « bénéficessecondaires » fait surgir les discours rapportés d’anciens collègues ou d’amis,I. débouche sur <strong>la</strong> production d’un énoncé modal qui fonctionne commeune sorte <strong>de</strong> règle <strong>de</strong> conduite organisant <strong>la</strong> vie au chômage :I. 95 : /…/ bon faut pas que <strong>la</strong> situation perdure, mais tout le mon<strong>de</strong> me l’adit. Tout le mon<strong>de</strong> me l’a dit : « faut penser à rester <strong>dans</strong> une dynamique. Fautpas heu… » Faut profiter du temps mais aussi rester <strong>dans</strong> une dynamique.Ce programme énonciatif (« y a un bénéfice secondaire/faut pas… ») secon<strong>de</strong>nse <strong>dans</strong> le dialogue suivant :I. 98 : /…/ Mais là c’est sympa aussi parce qu’on se pose plus <strong>de</strong> questions parexemple heu… on part en week-end, le week-end <strong>de</strong> l’Ascension, avant je medisais : « ah je suis pas sûre <strong>de</strong>… » ben là <strong>la</strong> question se pose plus, mon mariil a son jour, voilà ! Pour les vacances, les gran<strong>de</strong>s vacances on se disait, monmari me disait : « ce serait bien qu’on parte en juillet cette année » alors audébut je lui disais : « ben oui mais qu’est-ce qu’on fait <strong>de</strong>s enfants en août ? »ben là le problème il se posera moins, quoi, c’est vrai que je peux m’organiserpour savoir ce qu’on fait <strong>de</strong>s enfants en août. Je peux partir avec elles heu…E. 125 : Y’en a <strong>de</strong>s avantages !I. 99 : Y’en a… non mais non, non y’a tout un tas d’avantages c’est c<strong>la</strong>ir,c’est c<strong>la</strong>ir, y’a <strong>de</strong>s avantages à l’inactivité, ça c’est c<strong>la</strong>ir qu’on… oui, oui y’a <strong>de</strong>savantages. C’est pour ça qu’il faut pas non plus tomber <strong>de</strong><strong>dans</strong> en se disant :« qu’est-ce qu’elle est bien cette situation ! Je fais <strong>de</strong>s siestes l’après-midi, jevais à <strong>la</strong> piscine, je vais au cinéma, dis donc quelle belle vie ! » (rires) Enfinvoilà. Mais non, faut, enfin… je… y’a aussi cet aspect-là, il faut pas tomber<strong>de</strong><strong>dans</strong>. Enfin voilà (entretien Nathalie n° 1)« Il faut pas tomber <strong>de</strong><strong>dans</strong> » dit le danger <strong>de</strong> s’accrocher aux gainssecondaires qui est aussi danger d’annu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> <strong>la</strong> perte (<strong>de</strong> travail) ; etpeut-être danger <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir intérioriser qu’il faut abandonner un niveau


58Marc G<strong>la</strong>dyélevé d’aspiration au retour à l’emploi. Mais I. ne parle pas que d’elle etpour elle : l’expression « cet aspect-là » à caractère intra-déictique, introduitepar un présentatif (« y a ») reprend ce que nous avons appelé une « règle<strong>de</strong> conduite » en <strong>la</strong> thématisant <strong>dans</strong> un autre espace énonciatif que celui<strong>dans</strong> lequel I. a décrit jusqu’ici son vécu du chômage. Par cette dénivel<strong>la</strong>tion , <strong>la</strong> question <strong>de</strong>s gains secondaires et <strong>de</strong>s risques qu’ils induisent,question que le travail d’interlocution a fait découvrir, <strong>de</strong>vient une réalitécognitive, un « aspect », c'est-à-dire un point <strong>de</strong> vue <strong>dans</strong> un débat, et nonpas simplement une règle <strong>de</strong> conduite pour soi. C’est cet aspect que I.entend donner à voir au chercheur (et peut-être à <strong>la</strong> société) pris ici comme<strong>de</strong>stinataires <strong>de</strong> <strong>la</strong> parole. Ou pour le dire autrement : en tant « qu’aspect »,l’expérience vécue par I. du risque <strong>de</strong> s’attacher aux satisfactions secondairesdu chômage peut changer <strong>de</strong> statut et se thématiser comme un processuspsycho-sociologique rentrant <strong>dans</strong> une analyse <strong>de</strong>s processus psychiques etsociaux du vécu du chômage.L’interaction a favorisé ici un double travail <strong>de</strong> découverte : <strong>dans</strong> le champpersonnel, l’exploration <strong>de</strong> <strong>la</strong> complexité <strong>de</strong> <strong>la</strong> situation vécue a débouchésur un début <strong>de</strong> c<strong>la</strong>rification <strong>de</strong>s choix <strong>de</strong> vie et <strong>de</strong>s conduites susceptibles<strong>de</strong> les supporter. I. s’est emparée <strong>de</strong> l‘offre <strong>de</strong> sens du chercheur pour faireun début <strong>de</strong> travail sur elle. Or c’est <strong>la</strong> polysémie <strong>de</strong> l’expression « bénéficesecondaire » qui a ouvert à <strong>de</strong>s potentialités <strong>de</strong> découverte. L’appropriationest re<strong>connaissance</strong> du sens proposé par l’enquêteur en tant que cette re<strong>connaissance</strong>est ouverture d’un sens à découvrir. L’ambiguïté du <strong>la</strong>ngage, ceque certains linguistes appellent <strong>de</strong>s formes « d’opacification du discours »(François 1994), est au cœur <strong>de</strong> <strong>la</strong> dynamique exploratoire.Pour le chercheur, le retour s’entend comme contribuant à une compréhensiondu vécu du chômage <strong>de</strong>s femmes, notamment en tant qu’il esttraversé par les idéologies <strong>de</strong> <strong>la</strong> société et qu’il confronte ces <strong>de</strong>rnières à l’acceptationambivalente ou au refus d’un statut <strong>de</strong> substitution (Schnapper1981). Ce retour éc<strong>la</strong>ire à <strong>la</strong> fois <strong>la</strong> spécificité du vécu <strong>de</strong> I. et à <strong>la</strong> fois rendcompte d’une <strong>connaissance</strong> sociologique et/ou psychosociologique lorsqu’elleréfère comme ici à l’articu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s processus psychiques individuelset <strong>de</strong>s processus sociaux (Giust-Deprairies 2004).Le double travail <strong>de</strong> <strong>connaissance</strong> a été favorisé par une interactionoù <strong>la</strong> parole <strong>de</strong> E. et <strong>de</strong> I. ont fonctionné simultanément <strong>dans</strong> les <strong>de</strong>uxregistres.. C’est précisément <strong>la</strong> définition <strong>de</strong> l’opération logico-discursive <strong>de</strong> dénivel<strong>la</strong>tion décritepar l’école <strong>de</strong> Grize : cette opération extrait un élément du niveau <strong>de</strong>scriptif auquel ilse trouve en le situant au p<strong>la</strong>n d’un commentaire.


<strong>Destination</strong>(s) <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>connaissance</strong> 592. Le difficile travail <strong>de</strong> <strong>connaissance</strong> <strong>de</strong> l’interviewéeà partir <strong>de</strong> l’offre <strong>de</strong> sens du chercheurSabine (I.), 51 ans, ancien directeur comptable a été licenciée suite à sonévaluation annuelle, après une carrière <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 30 ans <strong>dans</strong> <strong>la</strong> mêmeentreprise. Au moment <strong>de</strong> l’entretien, après plus d’un an <strong>de</strong> <strong>recherche</strong>, ellevient <strong>de</strong> retrouver un travail <strong>dans</strong> une banque d’affaire internationale auxcaractéristiques équivalentes à <strong>la</strong> précé<strong>de</strong>nte. E. explore comparativementles différentes dimensions du poste (niveau <strong>de</strong> responsabilité, rémunération,conditions <strong>de</strong> travail, intérêt du travail, dimensions re<strong>la</strong>tionnelles et rapportaux collègues et au hiérarchique…). I. a accepté un poste <strong>de</strong> niveau hiérarchiqueinférieur, mais qui correspond à son projet <strong>de</strong> « lâcher prise », <strong>de</strong>retrouver un emploi moins stressant et <strong>de</strong> mieux équilibrer vie professionnelle,vie familiale et vie personnelle. Elle ne <strong>la</strong>isse pas cependant <strong>de</strong> montrerson investissement <strong>dans</strong> le nouveau travail et, <strong>dans</strong> l’interaction ci-<strong>de</strong>ssous,montre comment elle s’est emparée <strong>de</strong> l’activité qui lui était confiée pour yapporter <strong>de</strong>s améliorations et mettre en œuvre son professionnalisme. Ceparadoxe interpelle le chercheur qui tente d’en explorer les composantes :E. 42 : Alors qu’est-ce que vous avez fait bouger <strong>dans</strong> ce, <strong>dans</strong> ce travail, àce moment-là <strong>dans</strong> le premier mois ?I. 20 : A mon niveau…E. 43 : Hmm, hmm.I. 21 : (…) A mon niveau déjà j’ai mis en p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong>s tas <strong>de</strong> tables heu… j’aimis <strong>de</strong>s fichiers, j’ai fait <strong>de</strong>s macros, enfin <strong>de</strong>s trucs qui vont beaucoup plusvite maintenant, j’ai <strong>de</strong>s outils, j’ai <strong>de</strong>s procédures [E. 44 : hmm] que j’aicommencé à écrire, heu… ça simplifie <strong>la</strong> vie, quoi.E. 45 : Hmm, hmm.I. 22 : (4s. = silence réflexif) Heu… Mais j’ai… y’avait trois personnes quifaisaient mon poste avant… Et donc on est passé <strong>de</strong> trois à un…E. 46 : C’est vous qui centralisez les trois activités…I. 23 : Parce que ce poste était avant externalisé chez <strong>de</strong>s consultants… [E. 47 :oui] et ils ont trouvé que c’était trop cher, donc heu… ben ils ont… à <strong>la</strong> fin<strong>de</strong> leur contrat <strong>de</strong> consulting, ils ont donc pas renouvelé, et les trois personnesqui étaient en charge <strong>de</strong> ce travail-là ont été, sont parties heu… j’en ai pris unepartie, ma responsable aussi et finalement ma responsable <strong>de</strong> plus en plus s’estdéchargée sur moi et donc maintenant je remp<strong>la</strong>ce les trois (3s.) Donc heu…si on veut dépasser heu… mon… mon propre euh… [E. 48 : cas] cas [E. 49 :cas personnel, oui…], si on veut parler d’une manière macroéconomique onse rend compte : premièrement que <strong>dans</strong> toutes les sociétés y’a <strong>de</strong>s restructurationsqui donnent lieu à <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ns sociaux, on se rend compte que tout lemon<strong>de</strong> essaie <strong>de</strong> comprimer le personnel et que y’a une personne qui fait letravail <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ou trois, avant [E. 50 : hmm]. Donc on est <strong>dans</strong> ce postu<strong>la</strong>t <strong>de</strong>départ [E. 51 : ouais ouais] et ça va pas du tout s’arranger [E. 52 : non !]. Lapreuve ce qu’on entend aux informations même Airbus et EADS qui étaient


60Marc G<strong>la</strong>dyles rois heu… se mettent aussi à être <strong>dans</strong> <strong>la</strong> même situation [E. 53 : hmm](3s.) Donc il faut marcher avec cette tendance, tant qu’on aura pas trouvéles moyens <strong>de</strong> <strong>la</strong> changer, et comme une personne peut en remp<strong>la</strong>cer trois, ilfaut, il faut, trouver… d’abord il faut être aidé par <strong>de</strong>s outils informatiques,faut trouver <strong>de</strong>s ruses, il faut… heu… sinon on crève, ou on coule… on n’yarrive pas <strong>de</strong> toutes façons. (voix douce) Moi j’ai décidé d’y arriver, parce queje me dis que quand même c’est pas non plus quelque chose d’insurmontableça reste <strong>dans</strong> un domaine que je connais, donc je fais ça [E. 54 : hmm]. Alorsc’est vrai que… en faisant ça, je rentre <strong>dans</strong> le système moi aussi et que… bonfinalement je permets aux autres <strong>de</strong> compresser davantage alors que je <strong>de</strong>vraisme battre pour ne pas que ce soit le cas. Mais enfin… si je me bats… est-cequ’ils vont changer les choses ?E. 55 : Oui c’est quand même <strong>de</strong>s tendances lour<strong>de</strong>s hein <strong>de</strong>…I. 24 : Une seule personne se battre contre un mouvement mondial [E. 56 :hmm]… qu’est-ce que ça va donner ?E. 57 : Hum… Et alors au quotidien votre travail heu… comme, comme,enfin j’ai besoin <strong>de</strong> comprendre comment ce nouveau travail s’est constituépour vous heu… l’ambiance <strong>de</strong> travail, les re<strong>la</strong>tions avec les collègues, commentvous vivez ça ? est-ce que c’est différent ou pas…/…/ (entretien Sabine n° 3)2.1. Un cas d’abandon d’explorationIntéressons-nous d’abord à <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière réplique <strong>de</strong> E. (E. 57) : elle marqueexplicitement le passage <strong>de</strong> l’enquêteur à un nouveau thème du gui<strong>de</strong> d’entretien.Ce passage s’interprète à <strong>la</strong> fois comme le souci <strong>de</strong> se conformer auprotocole d’enquête (exploration comparative du vécu du nouvel emploi et<strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> travail) mais aussi comme un abandon d’investigation d’unthème pourtant au cœur <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>recherche</strong> : celui <strong>de</strong>s conduites <strong>de</strong> résistance oud’adaptation aux politiques <strong>de</strong> réduction d’effectifs ; et notamment <strong>de</strong> <strong>la</strong> tensionentre l’adaptation au marché du travail et <strong>la</strong> révolte éthique <strong>dans</strong> <strong>la</strong>quellemet le fait <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir accepter les effets <strong>de</strong>s stratégies économiques sur l’emploi.De ce point <strong>de</strong> vue, un <strong>de</strong>s retours possibles <strong>de</strong> l’enquêteur aurait pu être :« qu’est-ce que vous faites <strong>de</strong> <strong>la</strong> satisfaction <strong>de</strong> vous être adaptée comme vousl’avez fait et en même temps <strong>de</strong> <strong>la</strong> souffrance <strong>de</strong> contribuer à être un acteur<strong>de</strong> <strong>la</strong> politique <strong>de</strong> réduction d’effectifs ? ». Or, alors que I. parle à un niveaugénérique qui <strong>la</strong> situe comme acteur d’une réalité macro-économique et <strong>de</strong>seffets sociaux et psychologiques <strong>de</strong> <strong>la</strong> mondialisation, l’enquêteur, centrésur son gui<strong>de</strong> d’entretien, c'est-à-dire sur <strong>la</strong> préconstruction <strong>de</strong> son objet <strong>de</strong><strong>recherche</strong>, <strong>la</strong> remet <strong>dans</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>scription du quotidien du travail, empêchantici que puisse s’approfondir <strong>la</strong> nature du processus d’adaptation .. Alors que <strong>dans</strong> le 3 e entretien, I. a retrouvé du travail, ce qui rend précisément intéressant<strong>de</strong> comprendre comment son positionnement peut avoir changé par rapport auxentretiens précé<strong>de</strong>nts.


<strong>Destination</strong>(s) <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>connaissance</strong> 61Comprendre le pourquoi <strong>de</strong> cet abandon exige une forme d’enquête<strong>dans</strong> le matériau <strong>de</strong>s trois entretiens qui n’interpelle pas seulement le dit dudiscours, mais toute <strong>la</strong> dynamique d’interaction en tant qu’elle est sous-tenduepar le double projet <strong>de</strong> <strong>connaissance</strong> du chercheur et <strong>de</strong> l’interviewé. Etque cette double visée induit effectivement <strong>de</strong>s moments <strong>de</strong> convergenceset <strong>de</strong> divergences (Sa<strong>la</strong>zar-Orvig 2006 : 158-166) <strong>dans</strong> <strong>la</strong> constructioninterlocutoire <strong>de</strong> l’entretien.2.2. La <strong>recherche</strong> comme tiers problématisantRevenons au début du fragment ici isolé. En I. 20 et I. 21, l’interviewéevient <strong>de</strong> dire comment son professionnalisme et son investissement <strong>dans</strong> lenouveau poste lui permettent d’organiser son travail : elle a créé <strong>de</strong>s outilspour faire face à l’amplitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s tâches et simplifier le travail. Un silenceréflexif (I. 22) conduit à ce que fasse retour <strong>dans</strong> l’entretien un thème <strong>la</strong>rgementabordé <strong>dans</strong> les entretiens précé<strong>de</strong>nts et comme dialogiquementcon<strong>de</strong>nsé ici <strong>dans</strong> <strong>la</strong> référence aux aménagements du poste <strong>de</strong> travail : <strong>la</strong>politique <strong>de</strong> réduction <strong>de</strong>s coûts <strong>de</strong> personnel par regroupement <strong>de</strong> certainesfonctions ou <strong>de</strong> certaines tâches. Le poste qu’elle occupe con<strong>de</strong>nse eneffet trois activités en une seule. Ce thème est crucial pour l’interviewée,il est apparu dès les premiers moments <strong>de</strong> l’entretien initial car il portel’explication (rationalisation ?) que se donne I. <strong>de</strong>s motifs <strong>de</strong> son proprelicenciement <strong>dans</strong> l’entreprise précé<strong>de</strong>nte :Y’a eu un… un besoin <strong>de</strong> réduction <strong>de</strong>s coûts heu… on a fusionné <strong>de</strong>uxpostes : <strong>la</strong> direction comptable et <strong>la</strong> direction fiscale chez nous et doncheu… nous <strong>de</strong>ux : le directeur fiscal et moi-même, avons été licenciés (2s).Et on a été remp<strong>la</strong>cés par un seul individu, donc… financièrement on gagneun sa<strong>la</strong>ire (3s). Alors heu… on aurait peut-être pu gar<strong>de</strong>r l’une ou l’autreheu… et lui apporter <strong>la</strong> formation complémentaire pour apprendre <strong>la</strong> partiequi lui manquait. Ils ne l’ont pas fait parce qu’ils avaient certains griefs avecnous /…/ (entretien Sabine n° 1, p. 3)Dans le 3 e entretien I. découvre que <strong>la</strong> politique <strong>de</strong> réduction d’effectifsqui a conduit son nouvel employeur à l’embaucher (après avoir externalisépuis supprimé trois postes) relève <strong>de</strong> <strong>la</strong> même rationalité <strong>de</strong> gestion quecelle qui a justifié <strong>de</strong> son licenciement par rapprochement <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux postes(directeur comptable et directeur fiscal). Cette découverte n’est peut-êtrepas indépendante <strong>de</strong> l’appropriation par l’enquêté <strong>de</strong>s retours interrogatifsdu chercheur tout au long <strong>de</strong>s entretiens précé<strong>de</strong>nts.On peut être attentif alors à l’évolution du style énonciatif en I. 23, etnotamment au passage du niveau narratif (début <strong>de</strong> I. 23), centré sur <strong>la</strong><strong>de</strong>scription <strong>de</strong> <strong>la</strong> réorganisation <strong>de</strong>s emplois et <strong>de</strong> <strong>la</strong> redistribution <strong>de</strong>s tâches


62Marc G<strong>la</strong>dy(temps <strong>de</strong> <strong>la</strong> narration : présent et passé composé, i<strong>de</strong>ntification d’actants présents<strong>dans</strong> l’environnement <strong>de</strong> travail : « <strong>de</strong>s consultants », « trois personnes »,« ils », « je », « moi », « ma responsable », présentatifs : « y’avait ») à un niveau<strong>de</strong> commentaire marqué par un discours qui se tient au p<strong>la</strong>n générique(« on » ouvre une position impersonnelle, appropriable énonciativement parle locuteur comme par tout autre co-locuteur). Le discours adopte un microgenre <strong>de</strong> type raisonnement. En témoignent : les marqueurs d’argumentationrécurrents : « donc », « si » ; le choix <strong>de</strong>s verbes exprimant <strong>de</strong>s attitu<strong>de</strong>scognitives : « si on veut dépasser… », « si on veut parler au niveau… », « on serend compte » ; <strong>la</strong> forme énumérative <strong>de</strong> l’énonciation : « premièrement » ; <strong>la</strong>mobilisation d’un lexique argumentatif qui mime une démonstration scientifique: « <strong>la</strong> preuve », « ce postu<strong>la</strong>t <strong>de</strong> départ » et le recours à <strong>de</strong>s exemplespuisés <strong>dans</strong> l’actualité économique (p<strong>la</strong>ns <strong>de</strong> licenciements chez Airbus etEADS). Co-produit <strong>dans</strong> et par l’interaction (voir les marques <strong>de</strong> réceptionnombreuses – « hmm » (<strong>de</strong> E. 47 à E. 54) – par lesquelles l’enquêteur soutientl’é<strong>la</strong>boration du discours <strong>de</strong> I.), ce « mouvement <strong>de</strong> discours » qu’on peutcaractériser comme une « dénivel<strong>la</strong>tion » (Grize 1990) ne peut pas ne pas se<strong>la</strong>isser interpréter comme une intégration <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’enquêteur (ou<strong>de</strong> ce que l’interviewé i<strong>de</strong>ntifie comme tel, au regard <strong>de</strong> toute <strong>la</strong> dynamiqued’interview <strong>dans</strong> les <strong>de</strong>ux précé<strong>de</strong>nts entretiens), à savoir <strong>la</strong> production d’une<strong>connaissance</strong> à un niveau d’é<strong>la</strong>boration qui dépasse le témoignage pour s’inscrire<strong>dans</strong> une visée <strong>de</strong> généralisation (cf. <strong>la</strong> référence à un discours macroéconomique).Par ce mouvement <strong>de</strong> discours, I. donne à voir qu’elle intègrele projet <strong>de</strong> <strong>connaissance</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>recherche</strong> <strong>dans</strong> le travail d’é<strong>la</strong>boration <strong>de</strong> sonpropre vécu. Dans l’investissement i<strong>de</strong>ntitaire <strong>de</strong> l’interviewée (tout comme<strong>dans</strong> celui – au <strong>de</strong>meurant – du chercheur), <strong>la</strong> démarche <strong>de</strong> <strong>recherche</strong>, mêmedéformée ou dép<strong>la</strong>cée par les représentations qu’en a I , occupe une position<strong>de</strong> tiers et cette position est inscrite dialogiquement <strong>dans</strong> l’énonciation. Onpourrait presque dire qu’ici l’interviewé parle pour le chercheur, à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce duchercheur, avec les mots (supposés) du chercheur.2.3. L’intégration dialogique du questionnement du chercheurLe raisonnement tenu au p<strong>la</strong>n générique conduit à « naturaliser » les effetssociaux <strong>de</strong>s restructurations et à montrer <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong> s’y adapter. Nousallons voir que cette position est celle que défend l’interviewée <strong>de</strong>puis le. Cf. M. Carcassonne ici-même.. Même si elle le dép<strong>la</strong>ce, puisqu’elle le qualifie <strong>de</strong> macro-économique en p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong> l’enquêtesociologique. Avant tout, cette énonciation mime un raisonnement savant.


<strong>Destination</strong>(s) <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>connaissance</strong> 63début <strong>de</strong> l’enquête et qu’elle est récurrente <strong>dans</strong> les trois entretiens. De cepoint <strong>de</strong> vue, l’expression d’une sorte <strong>de</strong> loi sociale qui s’impose au sa<strong>la</strong>rié(I. 23 : « Donc il faut marcher avec cette tendance, tant qu’on aura pas trouvéles moyens <strong>de</strong> <strong>la</strong> changer », « comme une personne peut en remp<strong>la</strong>cer trois, ilfaut trouver <strong>de</strong>s ruses ») est mobilisée à un niveau <strong>de</strong> retour au vécu individuelpour justifier <strong>la</strong> position adaptative <strong>de</strong> l’interviewée (« moi j’ai décidé d’y arriver»). Cette position ouvre un espace <strong>de</strong> démonstration <strong>de</strong> professionnalitéau sa<strong>la</strong>rié (« il faut être aidé par <strong>de</strong>s outils informatiques », « c’est pas nonplus quelque chose d’insurmontable », « ça reste <strong>dans</strong> un domaine que jeconnais »), I. trouvant visiblement <strong>dans</strong> <strong>la</strong> compression <strong>de</strong>s tâches un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong>réalisation <strong>de</strong> ses compétences. Pourtant, cette position ne va pas simplement<strong>de</strong> soi puisque l’interviewée éprouve le besoin <strong>de</strong> poursuivre l’argumentationà <strong>la</strong> faveur d’un connecteur argumentatif (« alors ») en mobilisant un énoncécontradictoire : « Alors c’est vrai que… en faisant ça, je rentre <strong>dans</strong> le systèmemoi aussi et que… bon finalement je permets aux autres <strong>de</strong> compresserdavantage alors que je <strong>de</strong>vrais me battre pour ne pas que ce soit le cas. »Cet énoncé, parce qu’il est introduit <strong>de</strong> façon métadiscursive : « c’estvrai que… » et qu’il entre en résonance avec une série d’énoncés <strong>de</strong> mêmetype énonciatif et <strong>de</strong> même nature argumentative <strong>dans</strong> <strong>la</strong> dynamique du« déjà dit », s’interprète comme <strong>la</strong> mobilisation d’un argument extérieur<strong>dans</strong> l’espace réflexif du sujet. I. montre ainsi qu’elle reconnaît <strong>la</strong> critiquepotentielle selon <strong>la</strong>quelle en acceptant un travail surdimensionné, ellecontribue à rendre possible les réductions d’effectifs. Elle reprend/anticipeun reproche qui peut lui être (et lui a été implicitement) opposé : celui<strong>de</strong> ne pas se révolter et <strong>de</strong> ne pas opposer une conduite <strong>de</strong> résistance auxpolitiques <strong>de</strong> réductions <strong>de</strong> personnel. Reproche auquel elle répond à <strong>la</strong>faveur d’un connecteur d’opposition (« mais ») qui clôture sur un argumentd’impuissance d’abord formulé <strong>dans</strong> l’espace <strong>de</strong> référence du sujet, puisgénéralisé à <strong>la</strong> faveur d’un énoncé générique (I. 24) :I. 23 Mais si je me bats, est-ce qu’ils vont changer les choses ?I. 24 une seule personne, se battre contre un mouvement mondial, qu’est-ceque ça va donner ?On voit donc à l’œuvre ici une production <strong>de</strong> <strong>connaissance</strong>, <strong>de</strong> part enpart traversée par <strong>la</strong> compréhension responsive <strong>de</strong>s attentes du chercheuret qui en <strong>la</strong>isse même affleurer <strong>la</strong> voix (« je <strong>de</strong>vrais me battre pour quece ne soit pas le cas »), mais qui n’en boucle pas moins sur une positiond’impuissance. L’enquête ne saurait s’arrêter là, car l’énigme n’est guère élucidée! Pourquoi le chercheur abandonne l'exploration ? Qu’est-ce qui <strong>dans</strong>


64Marc G<strong>la</strong>dyl’ordre <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>connaissance</strong> ne s’approfondit pas ici ? Comment se fait-il quel’offre <strong>de</strong> sens, ici proposée par I. et qui semble interpeller dialogiquementle chercheur, ne donne lieu à aucune reprise, ni exploration ou <strong>de</strong>man<strong>de</strong>d’élucidation, ni interprétation <strong>de</strong> sa part, alors même qu’elle est au cœur<strong>de</strong> <strong>la</strong> thématique <strong>de</strong> l’enquête ? Dans les retours qu’aurait pu proposerl’enquêteur, qu’est-ce qui aurait pu à <strong>la</strong> fois faire sens pour l’interviewée<strong>dans</strong> une compréhension d’elle-même et pour <strong>la</strong> <strong>recherche</strong> ?2.4. L’exploration <strong>de</strong> <strong>la</strong> conduite d’acceptation <strong>de</strong> I.À <strong>la</strong> lecture <strong>de</strong>s entretiens, on est frappé par <strong>la</strong> récurrence <strong>de</strong> l’équation énonciative: « marques <strong>de</strong> personne (je/on) + se battre + modalité interrogative » :I. 23 : Je vais me battre pour quoi faire ? J’ai pas à les soutenir, j’ai pas à… je cherche pasà les comprendre, je cherche plus rien : ils ont fait quelque chose d’affreux, je veux plusles voir, c’est tout. (4s.) Je vais me battre pourquoi ? Pour qu’ils me gar<strong>de</strong>nt ? Non, il vautmieux que j’aille voir ailleurs, parce que ça sera peut-être mieux, maintenant que je saistout ça vous croyez que ça donne envie <strong>de</strong> rester ? (3s.) (entretien Sabine n° 1)I. 62 : Oui, mais ça aurait servi à quoi ? (3s.)/…/ vous savez on déci<strong>de</strong> pas du jour aulen<strong>de</strong>main <strong>de</strong> couper <strong>de</strong>s têtes, les budgets sont annuels, donc heu… Je savais queça servait à rien, vous savez on peut se battre et après… et après quoi ? On vous gar<strong>de</strong><strong>de</strong> force mais on n’a pas suffisamment <strong>de</strong> postes, on n’a pas suffisamment <strong>de</strong> postespour gar<strong>de</strong>r les gens <strong>de</strong> force, hein ! (entretien Sabine n° 1)I. 65 : …mais <strong>dans</strong> le contexte, <strong>dans</strong> le contexte et quand on voit les chiffres heu…on sait que ils peuvent pas, ils ne veulent pas embaucher, ils ne veulent pas. Y’a euune pério<strong>de</strong> où ça a explosé on était trois cents, quatre cents personnes <strong>de</strong> plus àParis et on avait <strong>de</strong>s revenus extraordinaires, c’était <strong>de</strong>s années où ça marchait trèsbien, ils l’ont fait ! Et là comme ça marche pas ils sont obligés <strong>de</strong> réduire, ou alorss’ils embauchent, ils prennent <strong>de</strong>s stagiaires, que <strong>de</strong> stagiaires <strong>de</strong> Dauphine j’ai eumoi ! /…/ Donc je sais que ça marche comme ça, alors comment, comment puis-je mebattre contre ça, c’est pas possible. (entretien Sabine n° 1)I. 117 :/…/ je pense que je suis partie en <strong>la</strong>issant une bonne image et ça c’est leplus important je… c’est pour ça que je préfère avoir fait ça que d’aller me battre aveceux… pour quoi faire ? (4s.) (entretien Sabine n° 1)Cette récurrence alerte sur l’importance du travail exploratoire et sur le faitque l’offre <strong>de</strong> sens proposée par l’interviewée <strong>dans</strong> le <strong>de</strong>rnier entretien a été<strong>la</strong>rgement reprise et travaillée <strong>dans</strong> l’enquête. Par exemple <strong>dans</strong> cette questionoù l’enquêteur cherche à faire décrire à I. <strong>la</strong> rationalité <strong>de</strong> sa conduite :E. 46 : Est-ce qu’on arrive… comment on arrive à faire comme ça heu… à prendre<strong>la</strong> décision <strong>de</strong> ne pas se battre et <strong>la</strong>isser, <strong>la</strong>isser les choses <strong>de</strong>rrière soi et… qu’est-cequi soutient à ce moment-là ? (entretien Sabine n° 1). On peut penser que cette exploration <strong>de</strong> <strong>la</strong> conduite <strong>de</strong> l’interviewée à un niveau générique(« comment on arrive… ? »), typique d’un questionnement qui cherche à faire


<strong>Destination</strong>(s) <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>connaissance</strong> 65Mais aussi par tout un ensemble <strong>de</strong> re<strong>la</strong>nces qui questionnent <strong>la</strong> réduction<strong>de</strong> l’emploi induite par les rationalités <strong>de</strong> gestion et d’organisation :E. 27 : Il y a plein <strong>de</strong> choses que je comprends pas encore <strong>dans</strong>… <strong>dans</strong> ce départ.Je… je comprends, je comprends mal les, j’entends <strong>de</strong>s raisons <strong>de</strong> coûts, <strong>de</strong> réductions<strong>de</strong> coûts, ça c’est… mais <strong>dans</strong> ces choix <strong>de</strong>, <strong>de</strong>, <strong>de</strong>, est-ce qu’il y a pas <strong>de</strong>sarbitrages qui heu… qui peuvent être contestés, qui sont contestables enfin heu…est-ce qu’on… est obligé d’admettre cette logique <strong>de</strong> réduction <strong>de</strong>s coûts… ? (entretienSabine n° 1)E. 75 : Et ça vous y croyez heu… enfin intimement au fait que… parce que quandon voit tous les sa<strong>la</strong>riés <strong>de</strong> X se p<strong>la</strong>indre <strong>de</strong> travailler beaucoup trop heu… d’avoirune pression productiviste au travail, vous croyez pas qu’il y a qu’il y a finalementquand même <strong>de</strong>s besoins <strong>de</strong> pas mal, <strong>de</strong> pas mal <strong>de</strong> postes qui ont été supprimés…(entretien Sabine n° 1)L’exploration du refus <strong>de</strong> lutte contre l’entreprise a bien été faite et ellea « engagé » l’enquêteur, qui a <strong>la</strong>rgement orienté son questionnement afin<strong>de</strong> tester <strong>la</strong> capacité <strong>de</strong> revendication <strong>de</strong> l’interviewée. Jusqu’à risquer <strong>de</strong>stigmatiser <strong>la</strong> position <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>rnière :E. 45 : Alors je comprends bien <strong>la</strong> position qui est <strong>la</strong> vôtre, <strong>de</strong>… <strong>de</strong> vouloir…qui est une position parmi d’autres hein… [I. 23 : Oui bien sûr !] …qui est <strong>de</strong> vouloir clore une expérience avec une entreprise heu… on reviendrapeut-être là-<strong>de</strong>ssus parce que ça m’intéresse. C’est pas <strong>la</strong> seule positionheu… j’ai entendu pas mal <strong>de</strong> gens qui ont <strong>de</strong>s positions très différenteshein, <strong>dans</strong> l’acceptation ou pas <strong>de</strong> <strong>la</strong> séparation, <strong>de</strong> faire le <strong>de</strong>uil <strong>de</strong> sonvécu <strong>dans</strong> une entreprise heu… bon. Mais ce que j’aimerais comprendre,c’est d’un point <strong>de</strong> vue objectif, comment ça s’est… <strong>dans</strong> un premier tempshein, comment ça s’est structuré heu… parce que bon, il y a une rumeurglobale, y’a <strong>de</strong>s projets <strong>de</strong> fusions réguliers, y’a <strong>de</strong>s réductions d’effectifs ety’a une espèce <strong>de</strong> bain général d’informations qui fait penser qu’il y a unere<strong>la</strong>tive précarité heu… <strong>de</strong> l’emploi, encore que vous y êtes restées trenteans <strong>dans</strong> cette entreprise, donc c’est pas si précaire que ça, mais il y a unnouveau, <strong>de</strong>s nouvelles orientations heu… qui sont liées sans doute à <strong>de</strong>senjeux financiers, enfin économico-financiers <strong>de</strong>… racheter <strong>de</strong>s entreprises,fusionner, etc. Et puis ça se porte à un moment sur certains sa<strong>la</strong>riés.Alors c’est ce lien entre ce contexte général et puis heu… comment <strong>dans</strong> cecontexte général heu… au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> vous ou <strong>dans</strong> votre environnement ona instrumentalisé cette question <strong>de</strong> <strong>la</strong> fusion, <strong>de</strong>s réductions <strong>de</strong> coûts etc.travailler l’interviewée à un niveau <strong>de</strong> réflexivité sur son expérience <strong>dans</strong> <strong>la</strong> visée <strong>de</strong>faire avancer <strong>la</strong> <strong>connaissance</strong> (sociologique) <strong>de</strong>s processus psychiques qui sous-ten<strong>de</strong>ntles conduites <strong>de</strong> soumission/adaptation/résistance au licenciement, n’a pas été sansfavoriser <strong>de</strong>s processus <strong>de</strong> rationalisation défensive et <strong>de</strong> distance par rapport au vécu.En outre le sous-entendu associé au type <strong>de</strong> question posée : « est-ce qu’on arrive… »qui sous-entend : « est-ce qu’on arrive vraiment à faire une rupture ? » est sans doutevenu heurter le système défensif <strong>de</strong> I.


66Marc G<strong>la</strong>dypour faire porter sur vous heu… <strong>la</strong> réduction <strong>de</strong> coûts. Comment ça s’estopéré, qu’est-ce qu’on… (entretien Sabine n° 1)Mais <strong>la</strong> position <strong>de</strong> I. en réponse a été systématiquement celle <strong>de</strong> l’acceptation<strong>de</strong> <strong>la</strong> perte <strong>de</strong> son emploi au nom <strong>de</strong>s effets <strong>de</strong>s politiques <strong>de</strong> réorganisationcoextensif <strong>de</strong> l’expression d’un souhait <strong>de</strong> rupture avec l’entreprise :(en réponse à E. 27)I. 16 : Heu… donc nous sommes <strong>de</strong>ux personnes à partir du même servicepuisque nous <strong>de</strong>ux nous avons été remp<strong>la</strong>cées par une seule, moi j’ai été tellementatteinte, <strong>dans</strong> mon amour-propre <strong>de</strong> cette chose-là, que j’ai préférépartir en c<strong>la</strong>quant <strong>la</strong> porte sans… sans ombrage, je veux me faire oublier <strong>de</strong>ceux qui m’ont fait ça. C’est mon choix. (entretien Sabine n° 1)(en réponse à E. 75)I. 63 : Ce n’est pas une entreprise sociale, c’est ce que m’a dit un directeur ily a vingt ans déjà : « nous ne sommes pas une entreprise sociale » ça m’avaitchoquée, au fond il a raison, c’est pas du tout, c’est une entreprise américaineet en Amérique c’est comme ça qu’on travaille, à Londres ils ont un quartd’heure pour déjeuner, donc heu… il faut savoir qu’on est <strong>dans</strong> ce contexte,si on l’accepte pas heu… c’est très difficile <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> cette boîte-là heu…une boîte, une entreprise publique avec <strong>de</strong>s fonctionnaires, ça, ça, c’est uneincohérence totale, ça marchera jamais… (entretien Sabine n° 1)Même l’exploration comparative <strong>de</strong> <strong>la</strong> réaction d’une collègue, décidéeelle à lutter contre son licenciement en attaquant l’employeur auxprud'hommes, fait ressurgir le positionnement d’acceptation <strong>de</strong> I. :I. 19 :/…/Ma camara<strong>de</strong>, ma… mon autre collègue, elle n’a pas eu du tout <strong>la</strong>même réaction, elle a été vexée heu… mais elle a l’intention <strong>de</strong> se battre parcequ’elle ne comprend pas. Ça ça dépend <strong>de</strong>s personnes hein/…/ Elle a pascompris, elle trouve que c’est facile <strong>de</strong> faire tout ça donc heu… bon. Elle al’intention <strong>de</strong>… <strong>de</strong> ne pas accepter son, son licenciement.E. 40 : Et qu’est-ce qu’elle ne comprend pas ?I. 20 : Ben elle trouve que c’est facile <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s, <strong>de</strong>s gestes comme ça, <strong>de</strong>licencier chaque fois qu’il y a une petite raison heu… et elle a l’intentiondonc <strong>de</strong> continuer à se battre heu… avec eux heu… c’est son choix, alors vousvoyez : donc ça dépend <strong>de</strong>s personnes pour répondre à votre question. Moij’ai, j’ai, j’ai, ça sert à rien ! J’veux dire heu… c’est comme <strong>dans</strong> un couple,quand une personne ne supporte plus l’autre à quoi ça sert <strong>de</strong> rester heu…on peut pas retrouver un grand amour, c’est fini. Donc moi je pars, je veuxplus en entendre parler, c’est une histoire passée, c’est comme avoir vécu<strong>dans</strong> un pays qu’on a quitté heu… (entretien Sabine n° 1)Si le chercheur abandonne l'exploration, c’est donc par impuissance àréexplorer un thème sur lequel il est revenu très <strong>la</strong>rgement <strong>dans</strong> l’enquêteet sur lequel il se heurte à <strong>la</strong> même réponse <strong>de</strong> l’interviewée. À <strong>la</strong> question


<strong>Destination</strong>(s) <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>connaissance</strong> 67qu’elle a intégrée et qui est implicite à toute <strong>la</strong> démarche <strong>de</strong> questionnement<strong>de</strong> l’enquêteur : « comment se fait-il que vous ne vous battiez pas contrel’injustice d’avoir été choisie pour être licenciée ? », elle répond tout au long<strong>de</strong> l’enquête : « pourquoi je me battrais ? Ça ne sert à rien ». Elle le dit dèsles premiers échanges, c'est-à-dire au moment où <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce interlocutoire<strong>de</strong> l’entretien confirme le contrat <strong>de</strong> communication qui a été scelléet donne à voir <strong>la</strong> façon dont elle comprend et s’approprie <strong>la</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>. Sielle a accepté l’entretien, c’est parce qu’elle reconnaît le combat militant ducommanditaire <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> (le comité d’entreprise du site parisien) en matièred’accompagnement financier et psychologique <strong>de</strong>s sa<strong>la</strong>riés licenciés. Maiselle ne croît en aucun cas qu’il puisse infléchir en quoi que ce soit <strong>la</strong> stratégie<strong>de</strong> <strong>la</strong> banque définie au p<strong>la</strong>n international. On comprend que <strong>de</strong> ce point<strong>de</strong> vue, il ne soit pas possible d’explorer une réaction <strong>de</strong> révolte :I. 6 :/…/ Je pense que <strong>dans</strong> un cadre mondial aussi fort et puissant que lenôtre, le petit CE <strong>de</strong> Paris n’a pas trop <strong>de</strong> marge <strong>de</strong> manœuvre pour changerle cours <strong>de</strong>s choses. Par contre ce qu’ils peuvent faire c’est ai<strong>de</strong>r à ce que l’accompagnementfinancier et… et psychologique se passe le mieux possible.Et ils ont été vraiment formidables et c’est <strong>la</strong> raison pour <strong>la</strong>quelle je suis ici,parce que… bien que je n’ai jamais eu <strong>de</strong> contact direct avec eux, je leurai pas <strong>de</strong>mandé d’intervenir parce que je me suis débrouillée heu… seule,mais je sais qu’ils s’acharnent, qu’ils se battent pour les autres et à ce titre jeleur dois cette re<strong>connaissance</strong> <strong>de</strong> venir vous voir et <strong>de</strong> les ai<strong>de</strong>r <strong>dans</strong> cetteétu<strong>de</strong>. Donc voilà. Alors pour les licenciements malheureusement c’est <strong>la</strong>politique mondiale actuelle heu… qui fait qu’on en est réduits à ça, je suissûre que si un jour on trouve une nouvelle idée, un nouveau produit qui vafaire re<strong>la</strong>ncer <strong>la</strong> machine, là on va réembaucher et ça a toujours été ce cycle,donc heu… (entretien Sabine n° 1)2.5. Alliance d’impuissance ?On peut interpréter que <strong>la</strong> répétition <strong>de</strong> l’équation énonciative (« se battre çasert à quoi ? ») a eu raison du projet d’enquête pour le chercheur. Il a sollicitéà maintes reprises <strong>la</strong> capacité <strong>de</strong> révolte <strong>de</strong> I. mais a trouvé qu’elle était <strong>dans</strong>l’adaptation et <strong>la</strong> dépendance. Du coup, il abandonne d’interroger <strong>dans</strong> le<strong>de</strong>rnier entretien le contre-argument qui lui est dialogiquement adressé.Il sent confusément que le fait qu’elle ait retrouvé du travail rend encoreplus difficile aujourd’hui qu’elle lutte contre <strong>la</strong> logique <strong>de</strong> rationalisation<strong>de</strong>s coûts. D’autant plus que ce qui l’a exclue <strong>de</strong> <strong>la</strong> première entreprise estréinterprété par elle désormais comme ce qui a permis qu’elle retrouve dutravail. Cet abandon se marque notamment par le soutien empathique.En terme clinique, on pourrait faire l’hypothèse qu’il s’est i<strong>de</strong>ntifié ausentiment d’impuissance <strong>de</strong> I. et qu’il n’a pas jugé possible d’approfondir ;i<strong>de</strong>ntification entre l’impuissance à se révolter au niveau individuel contre


68Marc G<strong>la</strong>dyune rationalité économique généralisée par les politiques d’entreprise et quifonctionne comme un principe <strong>de</strong> réalité et l’impuissance du chercheur àdévoiler/ dénoncer une réalité et à <strong>la</strong> transformer en action, <strong>la</strong> <strong>connaissance</strong>sociologique n’apparaissant pas susceptible <strong>de</strong> contribuer à changer <strong>de</strong>s décisionséconomiques prises au niveau mondial. Comment accepter qu’uneproduction scientifique qui dénonce ce qui se passe <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> du travailet <strong>de</strong>s entreprises ne puisse servir à rien <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> puissance <strong>de</strong>s intérêtséconomiques ? Comment admettre que <strong>la</strong> <strong>connaissance</strong> produite <strong>dans</strong> lechamp social à partir <strong>de</strong> <strong>la</strong> situation individuelle <strong>de</strong> <strong>la</strong> sa<strong>la</strong>riée interviewée nepuisse porter aucune potentialité d’action individuelle pour cette <strong>de</strong>rnièreautre que <strong>la</strong> soumission aux effets sociaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> rationalité économique ?2.6. La préconstruction idéologique : un obstacleÀ un second niveau, on peut penser que <strong>la</strong> préconstruction <strong>de</strong> l’objet <strong>de</strong><strong>recherche</strong> a empêché le chercheur d’approfondir le sens <strong>de</strong> ce qui était dit.Dans le cadre <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> qui lui était faite par le CE et <strong>de</strong> <strong>la</strong> problématisationsociologique qui était <strong>la</strong> sienne, il a arrêté son questionnementà l’analyse <strong>de</strong>s conduites susceptibles <strong>de</strong> favoriser ou au contraire <strong>de</strong> freinerle retour à l’emploi, mais il n’a pas exploré les processus psychiques quisous-ten<strong>de</strong>nt ces conduites, notamment les conduites d’adaptation. Sil’on revient au fragment du <strong>de</strong>rnier entretien à partir duquel nous avonsconstruit notre exposé, le retour fait à l’interviewée aurait pu ouvrir àune exploration qui aurait contribué à construire différemment l’objet <strong>de</strong><strong>recherche</strong> : comment on passe d’une position d’être objet passif et victimed’un traumatisme (I. dit qu’ils ont compressé son poste) à une position où,en tant qu’embauchée, on contribue à compresser les effectifs ? Qu’est-ceque l’on fait <strong>de</strong> cette contradiction d’avoir été licenciée pour réduire lescoûts <strong>de</strong> personnel et d’avoir été finalement embauchée <strong>dans</strong> les mêmesconditions à <strong>la</strong> faveur du même type <strong>de</strong> calcul économique ? Est-ce quece<strong>la</strong> ai<strong>de</strong> à supporter le licenciement ? à dédramatiser <strong>la</strong> situation <strong>de</strong> perted’emploi ? à se dire que les conditions pour lesquelles on a été licencié sontaussi celles à <strong>la</strong> faveur <strong>de</strong>squelles on peut être embauché ?L'enquêteur a orienté son questionnement vers <strong>la</strong> compréhension <strong>de</strong> cequi lui posait problème en termes <strong>de</strong> militantisme et d’action sociale : l’absence<strong>de</strong> révolte et <strong>de</strong> vécu d’injustice chez l’interviewée. Sans voir que cetteabsence <strong>de</strong> révolte – nous allons le montrer – avait <strong>de</strong>s bases défensives.Ce qui peut être considéré ici comme un « loupé » <strong>de</strong> l’exploration (<strong>dans</strong>une perspective psychosociologique), c’est l’absence d’approfondissement<strong>de</strong> <strong>la</strong> nature <strong>de</strong> l’adaptation, notamment pour pouvoir distinguer entredifférents types d’adaptation : adaptation active à ce qui est <strong>de</strong>mandé <strong>dans</strong>


<strong>Destination</strong>(s) <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>connaissance</strong> 69le travail (i<strong>de</strong>ntification au dominant ou à <strong>la</strong> rationalité économique),adaptation en refou<strong>la</strong>nt ce qu’on perd en <strong>de</strong>vant s’adapter (mais qui peutfaire retour, notamment au p<strong>la</strong>n local <strong>dans</strong> le travail sous forme <strong>de</strong> comportementsinattendus ou irrationnels), adaptation qui ne refoule pas le prixpsychique <strong>de</strong> l’adaptation et notamment qui ne refoule pas <strong>la</strong> révolte… Dece point <strong>de</strong> vue, les hypothèses <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>recherche</strong> s’inventent (ou pas) <strong>dans</strong> lehic et nunc <strong>de</strong> <strong>la</strong> démarche d’exploration.2.7. L’impossible convergence <strong>de</strong> <strong>la</strong> problématique implicitedu chercheur et du système défensif <strong>de</strong> l’interviewéà un troisième niveau, on peut faire l’analyse que <strong>la</strong> conduite d’entretien etplus spécifiquement l’exploration <strong>de</strong>s formes <strong>de</strong> révolte et <strong>de</strong> revendicationface aux licenciements heurtent le système défensif <strong>de</strong> I. Prenons un passagesignificatif qui « parle » cette défense.(à propos <strong>de</strong> <strong>la</strong> trahison que représente pour I. son licenciement pour « badperformance » au regard <strong>de</strong> son investissement <strong>dans</strong> le travail et <strong>de</strong>s résultatsobjectivement obtenus)I. 19 : /…/ je l’ai très mal vécu et je me suis dit : « je veux plus en entendreparler, je ne veux pas me battre, je ne veux pas aller aux prud’hommes, je neveux pas… je ne veux pas du tout avoir encore besoin <strong>de</strong> les revoir en fait.Je veux partir ne plus en entendre parler, c’est, c’est ma rupture ». Voilà./…/(entretien Sabine n° 1)Le discours rapporté à caractère métadiscursif signale un discoursintérieur qui s’est formalisé au moment où <strong>la</strong> menace <strong>de</strong> licenciementse précisait. L’inscription du thème <strong>dans</strong> un syntagme verbal à caractèremodal : « je ne veux pas /me battre/ », qui rend du même coup possiblesa mise en équivalence paraphrastique (Fuchs 1982) avec diversesmodalités verbales exprimant l’interaction (« je ne veux pas/en entendreparler/, -/les revoir/») crée une opposition paradigmatique entre <strong>la</strong> lutterevendicative (/aller aux prud'hommes/, /se battre/) et <strong>la</strong> rupture (/partir/neplus en entendre parler). On comprend ici que toute conduite<strong>de</strong> contestation qui remette <strong>la</strong> sa<strong>la</strong>riée en contact avec l’entreprise soitimpossible. I. s’est construit un système défensif <strong>dans</strong> lequel se battre,revendiquer, contester <strong>la</strong> décision… étaient beaucoup trop dangereuxcar ce<strong>la</strong> interdisait <strong>de</strong> couper le lien, <strong>de</strong> pouvoir accepter <strong>la</strong> séparation.Le processus défensif <strong>de</strong> I. consiste à opposer à « leur » rupture « sa »propre rupture, ce qui permet en quelque sorte d’effacer, d’annuler <strong>la</strong>violence <strong>de</strong> l’entreprise.Le passage explorant le sentiment <strong>de</strong> trahison fait toutefois émerger uneautre clé pour comprendre le système défensif <strong>de</strong> l’I. :


70Marc G<strong>la</strong>dyE. 30 : Qu’est-ce qui vous a atteint là ?I. 17 : Parce que ben… j’ai… je suis estimée <strong>de</strong> tous, je travaille comme unefolle dix heures par jour, <strong>de</strong>puis vingt ans heu… j’accepte tous les nouveauxchallenges, toutes leurs folies, j’ai toujours marché <strong>dans</strong> les combines heu…parce que j’avais en tant que manager, ce rôle <strong>de</strong>… d’être en accord avec <strong>la</strong>boîte, même si au fond <strong>de</strong> moi j’étais pas forcément en accord, et je luttaispour qu’humainement ça tienne <strong>la</strong> route aussi. Alors je… j’ai ramé hein,j’ai ramé beaucoup et je m’en suis pas trop mal sortie, alors tout d’un coupd’apprendre ça, ça m’a fait, ça m’a blessée terriblement parce que…E. 31 : C’est comme une trahison…I. 18 : Oui, oui.E. 32 : Par rapport à ce que vous aviez donné.I. 19 : Oui oui. Tout à fait,/…/ (entretien Sabine n° 1)En tant que manager, elle s’est vécue comme constamment confrontée à<strong>de</strong>s conflits éthiques liés à <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong> porter les stratégies <strong>de</strong> <strong>la</strong> banque,tout en étant en désaccord au p<strong>la</strong>n humain et en cherchant <strong>de</strong>s compromis.Or il lui a été reproché lors <strong>de</strong> son <strong>de</strong>rnier entretien d’évaluation <strong>de</strong> nepas avoir su licencier une col<strong>la</strong>boratrice présente <strong>dans</strong> son équipe <strong>de</strong>puisplus <strong>de</strong> quinze ans, argument qui n’a pas pesé pour peu <strong>dans</strong> son proprelicenciement. Gérer le conflit éthique en décidant <strong>de</strong> ne pas accepter <strong>de</strong>licencier cette col<strong>la</strong>boratrice l’a amenée elle-même à perdre son travail. Onpeut comprendre que pour retrouver un emploi, elle ait cherché à tenir àdistance le conflit éthique, position défensive qui sous-tend ici l’impossibleappropriation <strong>de</strong> l’offre <strong>de</strong> sens du chercheur.3. Conclusion : alliance <strong>de</strong> travailet appropriation <strong>de</strong>s offres <strong>de</strong> sensL’analyse <strong>de</strong>s formes d’intervention <strong>dans</strong> les conduites d’enquête montre <strong>de</strong>sappropriations contrastées <strong>de</strong>s offres <strong>de</strong> sens <strong>de</strong> l’enquêteur. Dans ce texte,nous mettons en rapport ces processus <strong>de</strong> reprise dialogique avec <strong>la</strong> visée <strong>de</strong><strong>connaissance</strong> et d’exploration du vécu, en tant qu’elle donne lieu ou pas à une« alliance <strong>de</strong> travail » entre l’enquêteur et l’interviewé (Palma<strong>de</strong>, 1988).On peut dire qu’il y a alliance <strong>de</strong> travail lorsque <strong>la</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> du chercheur<strong>de</strong> c<strong>la</strong>rifier les processus sociaux et psychologiques en jeu <strong>dans</strong> le vécud’une situation sociale rencontre l’objectif du sujet interviewé d’explorer lesens <strong>de</strong> ce vécu pour s’en dégager, c’est-à-dire ici : <strong>de</strong> sortir du <strong>de</strong>uil et dutraumatisme <strong>de</strong> <strong>la</strong> perte <strong>de</strong> travail.Ce processus intègre le transfert positif sur <strong>la</strong> situation d’enquête. Dansl’alliance <strong>de</strong> travail, il y a accord sur <strong>la</strong> finalité <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>recherche</strong>, le cadre ins-


<strong>Destination</strong>(s) <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>connaissance</strong> 71titutionnel <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> (ici le CE <strong>de</strong> l’entreprise), <strong>la</strong> <strong>de</strong>stination <strong>de</strong> cequi est produit <strong>dans</strong> l’entretien. Mais le concept ne doit pas être confonduavec celui <strong>de</strong> négociation (cf. introduction du numéro), même si l’alliancese préfigure <strong>dans</strong> l’obtention d’un accord sur <strong>la</strong> thématique <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>recherche</strong>et sur <strong>la</strong> finalité <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>connaissance</strong> à <strong>la</strong>quelle elle contribue (incluant sansdoute aussi <strong>la</strong> promesse d’un retour d’utilité <strong>de</strong> cette <strong>connaissance</strong> pour soi).Car le processus se construit et se découvre au fur et à mesure <strong>de</strong>s interventions<strong>de</strong> l’enquêteur, en tant que celles-ci offrent un sens permettant àI. <strong>de</strong> prendre conscience <strong>de</strong>s processus défensifs qui font obstacle au travail<strong>de</strong> dégagement. Pour Nathalie, qui est installée - sans avoir pris conscienceque c’était un risque - <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s satisfactions <strong>de</strong> vie familiale et <strong>de</strong> loisirs quifonctionnent comme « gains secondaires », c.a.d. comme défense à fairele <strong>de</strong>uil <strong>de</strong> <strong>la</strong> perte d’emploi, l’offre <strong>de</strong> sens <strong>de</strong> l’enquêteur qui nomme <strong>la</strong>défense, lui fait faire un travail élucidant autour du danger <strong>de</strong> se fixer <strong>dans</strong>cette conduite.Mais <strong>la</strong> c<strong>la</strong>rification qu’introduit l’offre <strong>de</strong> sens du chercheur permet ounon une levée <strong>de</strong>s défenses et un dégagement par rapport aux pulsions <strong>de</strong>répétition. Il peut y avoir hiatus entre le désir <strong>de</strong> l’enquêteur et <strong>la</strong> résistance<strong>de</strong> l’interviewé à ce que se fasse un travail d’exploration, hiatus qui empêchel’alliance <strong>de</strong> travail. Chez Sabine, <strong>la</strong> difficulté d’appropriation <strong>de</strong> l’offre<strong>de</strong> sens du chercheur vient <strong>de</strong> ce que celle-ci heurte les défenses qu’ellea construites et touche par conséquent au conflit éthique qu’elle refoule.La résistance à ce qui est transféré sur les valeurs que propose le chercheurest aussi résistance à reconnaître les processus psychiques en jeu <strong>dans</strong> letraumatisme qu’elle a subi, ce qui se traduit par une résistance d’alliance<strong>de</strong> travail.Références bibliographiquesChi<strong>la</strong>nd C. (dir.) (1983), L'entretien clinique, Paris, PUF.François F. (1994), Morale et mise en mots, Paris, L'Harmattan.Fuchs C. (1982), La paraphrase, Paris, PUF.Giust-Desprairies F. (2004), Le désir <strong>de</strong> penser, construction d’un savoirclinique, Paris, TéraèdreGrize J-B. (1990), Logique et <strong>la</strong>ngage, Paris, Orphys.Lap<strong>la</strong>nche J. & J.B. Pontalis (1967), Vocabu<strong>la</strong>ire <strong>de</strong> <strong>la</strong> psychanalyse,Paris,PUF.


72Marc G<strong>la</strong>dyPalma<strong>de</strong> J. (1988), L’entretien <strong>dans</strong> le processus <strong>de</strong> <strong>recherche</strong> : une technique<strong>de</strong> rupture, Connexions, 52/2.Rogers C. R. (1945), The non-directive method as a technic for socialresearch, American Journal of Sociology, 50-4, p. 279-283.Rolfsen Petrilli Segnini L. (2001), Entre le chômage et l’engrenage <strong>de</strong>semplois précaires, Travailler, 6, p. 129-146.Sa<strong>la</strong>zar Orvig A. (2006), Intercompréhension et divergences <strong>dans</strong> l’entretienclinique, <strong>dans</strong> Grossen M. & A. Sa<strong>la</strong>zar Orvig (dir.), L’entretien cliniqueen pratiques, analyse <strong>de</strong>s interactions verbales d’un genre hétérogène, Paris,Belin (p. 149-168).Santiago Delefosse M. & G. Rouan (2001), Les métho<strong>de</strong>s qualitatives enpsychologie, Paris, Dunod.Schnapper D. (1981), L’épreuve du chômage, Paris, Gallimard.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!